SOUPÇONS DE CORRUPTION
Le coordonnateur du Forum civil, Mouhamadou Mbodji, se demande si Wade ou des membres de son gouvernement ont touché des commissions dans les affaire ArcelorMittal et Petro Tim
Les affaires Arcelor-Mittal et Petro-Tim sont, autres autres, les sujets abordés par le Coordonnateur du Forum civil. Mouhamadou Mbodj analyse les accusations qui fusent çà et là, mais s’inquiète que Wade n’en ait jamais parlé quand il était Président. Il interroge : est-ce qu’il y a eu des commissions distribuées à la signature et, si oui, combien ?
Le Forum civil soulève souvent des scandales. Les affaires Arcelor Mittal, Petro Tim et récemment Africa energy défrayent toujours la chronique…
C’est le Pds, Abdoulaye Wade qui l’a soulevé et je trouvais qu’il était dans son rôle, mais il aurait dû laisser les députés de son camp prendre des initiatives. Ils auraient même pu installer une commission d’enquête. On aurait pu institutionnaliser la démarche. Si on ne l’institutionnalise pas, le danger c’est qu’on soupçonne que tout ça est à des fins d’instrumentalisation politique. Le deuxième élément, ces dossiers ont éclaté pendant qu’Abdoulaye Wade était président. Pourquoi en tant que président, il n’en avait pas parlé surtout que lui-même avait proposé au pays une Constitution qui a été votée en 2001 qui, dans l’article 8 dernier alinéa prévoyait le droit à l’information plurielle et citoyenne ? Pourquoi à l’époque lui qui a fait voter cette loi ne l’avait pas appliqué en la matière en publiant les contrats signés avec Koumba ressources et Arcelor Mottal. C’est comme je disais pour les droits-de-l’hommistes, c'est-à-dire on est transparent quand on a quitté le pouvoir. Macky est arrivé dans le contentieux à la fin du contrat. Arcelor Mittal comme on le fait dans ce genre de contrat, ils ont dû donner des commissions à la signature. On s’attendait à ce qu’on nous dise est-ce qu’il y a eu commission à la signature et si c’est le cas combien Wade a reçu ou le gouvernement sous Wade comme il interroge une enquête pour qu’on dise dans la transaction de clôture du contentieux Arcelor-Etat, Macky a reçu de l’argent. Mais souvent à la signature on en reçoit. Il aurait été plus équilibré, si Wade dit : au début j’ai reçu, quand j’ai signé, maintenant je demande à Macky Sall combien il a reçu. On l’aurait pris au sérieux. C’est ça le drame d’un risque d’une instrumentalisation politique d’une question sérieuse.
Mais dans ces conditions comment il aurait fallu agir ?
Wade porte une partie de cette responsabilité, mais Macky Sall en porte une nouvelle parce que lui-même, en décembre 2012, a proposé au pays le vote d’une loi qui s’appelle Code de transparence sur les finances publiques. Il y a deux articles dans cette loi qui obligent le gouvernement à rendre publics tous les contrats passés entre l’Etat et des tiers et liés aux ressources naturelles du Sénégal : pétrole, minier, Petro Tim. Donc, Macky Sall est obligé. Ce qui a été publié, ce sont des extraits, ce ne sont pas tous les contrats alors que le texte dit tous les contrats. Le Premier ministre a dit que ce serait long et fastidieux, mais qu’il laisse aux citoyens le soin de le dire parce qu’il y a des pétroliers parmi les citoyens, ils savent bien lire un contrat. Ceux qui sont très compétents en la matière pourraient simplifier et rendre intelligible la compréhension de ces contrats et la presse pourrait l’utiliser. Donc, ce n’est pas à l’autorité de dire c’est complexe. Non ! Il faut laisser à la citoyenneté qui a pu déjouer les pièges de Wade et installer Macky à la tête du pouvoir - c’est une citoyenneté très mature -, accéder à cette information et décider comment elle va l’exploiter ; droit que lui reconnaît la loi. Il y a dans le Code de transparence une autre disposition qui oblige l’Etat à publier toutes les ressources financières tirées des contrats sur les ressources naturelles. C’est une obligation de l’Etat, il ne devrait pas attendre Abdoulaye Wade. On ne devait pas répondre à Abdoulaye Wade, mais répondre à l’exigence légale de rendre publiques les ressources tirées des contrats passés entre l’Etat des tiers sur les ressources naturelles. Ce n’était pas nécessaire de polémiquer avec Wade, l’Etat devrait faire son devoir. Jusqu’à aujourd’hui, il est interpellé pour faire totalement son devoir au regard de la loi parce que le Président Macky Sall a prêté serment pour observer la loi lui-même et faire observer la loi.
Et maintenant par rapport au nouveau Code des marchés publics ?
Le signal le plus évident ne date pas de maintenant. On a eu une année de fonctionnement réel du code. Et le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye après une année de mise en œuvre du Code - le premier code idéal, c’était excellent - a dit devant un séminaire sous régional sur le Code des marchés qu’on avait d’excellents résultats, que l’Etat avait pu sauvegarder près de 250 milliards d’après leurs estimations, à l’époque. Mais un an après avoir dit que le Code avait permis une meilleure gestion des ressources dans la commande publique, on change de code, c’est la première modification de Wade en 2010. Au nom du secret. Pas secret-défense qui existait dans le Code, mais le secret, la notion de secret. On a estimé un moment que les passeports numérisés relevaient du secret-défense, l’achat des bulletins de vote aux élections sous Wade relevait de secret-défense. Dès l’instant qu’on avait un nouvel instrument de transparence et de bonne gouvernance dans la commande publique, un an après, malgré qu’on ait constaté de bons résultats, on a affaibli le Code en 2010. Il refera un deuxième élément avec le Plan takkal sur les questions énergétiques et les contrats que voulait passer son fils. Vous voyez qu’on ne parle de transparence que quand on retrouve l’opposition, mais quand on est au pouvoir, on l’oublie. Macky Sall est venu, dans son contrat avec les citoyens, on suppose que la gouvernance vertueuse dont il parlait est au cœur de cette affaire. C’est pourquoi je dis qu’on est en train de changer de paradigme sauf sur la commande publique. La commande publique, ce sont les marchés, mais les concessions de services publics aussi. Donc si on ne va pas jusqu’au bout de la logique, on ne comprendra pas pourquoi on mettra ces gens en prison en créant des possibilités de nouveaux enrichissements illicites qui va nous installer dans un cycle de procès interminables dans l’histoire politique du Sénégal avec des coûts. Parce que le traitement des contentieux judicaires liés à la corruption a un coût exorbitant, mieux vaut avoir des réponses préventives et d’anticipation qui n’ont pas de coûts majeurs. Donc si on reste avec le débat que nous avons eu, il y a deux choses que Macky Sall a permises : il a eu à discuter avec les acteurs, mais ils ont reconduit, sous la Primature de Aminata Touré, le Forum civil à l’autorité de régulation des marchés publics. Faut savoir que depuis Wade, nous sommes chassés de cette autorité alors que nous avons coproduit la loi avec le secteur privé et le ministère de l’Economie sous Abdoulaye Diop. De toute la société civile, nous sommes la seule organisation à y avoir travaillé pendant trois ans. Mais nous avons été conviés dans l’Autorité de régulation qu’une seule fois de son existence - nous sommes la seule organisation spécialisée sur ces questions - parce qu’on ne veut pas avoir le regard de gens compétents dans ce secteur et qui peuvent vraiment exercer leurs missions. Mais cela relève de la responsabilité principalement de l’Etat qui doit peaufiner les mécanismes de sélection d’une société civile compétente dans ce pays. Quand Macky est venu, cet acte que Wade avait perpétué en nous chassant de l’autorité a été reproduit, ce que nous déplorons. Il a quand même eu la courtoisie d’interroger les acteurs, en discussion, face-à-face. Il a dit «voila ma préoccupation». On a même créé des rencontres secteur privé, société civile, Armp, Dcmp sous la présidence du Président Macky Sall. Cela n’a jamais existé avant, mais ça s’est terminé par des désaccords.
Pourquoi toute cette bonne volonté de part et d’autre a fini par un échec ?
Il y a les termes de l’équation qui nourrissent ce désaccord. On semble dire que transparence s’accommode très peu de l’efficacité dans la gouvernance de l’économie, que si on respecte les procédures, c’est trop long, on ne fera pas, pendant un mandat, les grands projets. Ça semble être les termes de l’équation qui légitiment ces désaccords. Nous pensons qu’il y a dans les postulats qui fondent cette assertion deux erreurs. Une non-maîtrise des coûts engendrés par la non-transparence est un facteur d’inefficacité économique parce que ça crée un surenchérissement. Je me répète, une non-maîtrise des coûts engendrés par une situation de non-transparence, c'est-à-dire la corruption, peut entraîner le renchérissement des coûts des ouvrages, une partie du budget serait fictive parce que ça irait dans les poches. Alors qu’on peut réaliser plus de choses avec le même budget, si on ressert la transparence. Donc l’argument sur l’efficacité économique tombe. Le surenchérissement du coût ou la détérioration des standards techniques qui assurent la qualité des ouvrages peuvent être menacés par une non-transparence et la corruption dans les transactions sur la commande publique.
Donc, le débat sur efficacité-coût - avec des arguments du genre on ne peut pas avoir d’efficacité économique avec la transparence totale - tombe. Les pays où nous sommes allés chercher les modèles de développement, où on a presque par mimétisme institutionnel recopié ce que nous faisons ici - on parle d’émergence économique - arrivent à concilier les deux perspectives historiques. Nous ne serons pas à la hauteur des défis tant que nous n’arriverons pas à concilier les deux perspectives : transparence et efficacité. Les Asiatiques y arrivent pour une bonne partie, certains pays émergents de même que les Occidentaux y arrivent. Deuxième élément, on n’a jamais démontré l’impact du retard sur les procédures sur la commande. Il y a une étude même de la Dcmp, des organes de régulation, qui avait montré qu’on pouvait encore réduire les délais à 100 et quelques jours parce que le problème c’est plutôt le facteur humain. Ce sont les procédures parce qu’une procédure en soi ne veut rien dire. Une procédure est mise en œuvre par des hommes et des femmes. Quand chez les autorités contractantes, on a tardé à mettre en place les cellules des marchés, il n’y a pas de plan de passation de marchés, il n’y a pas de formation du personnel intervenant sur les procédures des commandes publiques, ces trois faits, conjugués, engendrent des retards en eux-mêmes. Cela ne concerne pas les procédures, c’est le facteur humain, c’est la thèse du Forum. En agissant sur la formation des acteurs-clé du système, cellule de marché, en travaillant sur les capacités des acteurs, la planification, le plan de passation des marchés, on arrive à dépasser ce qu’ils estiment des lourdeurs dans les procédures.
Dans l’analyse-diagnostic, on a privilégié juste l’analyse sur les procédures. Ça aussi, ça engendre un désaccord. La motivation finalement, on s’interroge est-ce que réellement affaiblir la transparence pour accroître l’efficacité. Est-ce que cela est démontré quelque part dans un circuit. Qu’on me le dise parce qu’il y a des surcoûts qui coûtent plus au contribuable.
Quelle analyse faites-vous du plan Sénégal émergent ?
C’est un début de rupture contrairement à ce qu’on dit. C’est une agrégation d’initiatives endogènes. D’abord, il y a eu le Programme de développement économique et social (Pdes) préparé par Abdoulaye Wade pendant qu’il était au pouvoir. Les bailleurs se sont opposés à ça en disant qu’il donnait trop de place aux infrastructures et que le Sénégal était un pays où la moitié des populations était frappée de pauvreté et qu’il fallait refléter cette réalité dans l’analyse de la situation de référence du pays. Ils ont bloqué dans les discussions, longtemps. Macky Sall est arrivée à la veille de ça et l’a réadaptée parce qu’il avait une nouvelle vision. On l’a appelé Stratégie nationale de développement économique et social (Sndes) et il avait Yonnu yokuté. Il a vu, un moment, la nécessité de rapprocher. Comme j’ai dit, ce sont plusieurs initiatives endogènes. Il a compilé les documents existants, il a utilisé des Sénégalais qui viennent de la diaspora qui ont travaillé avec tout le monde ici, ils nous ont même consultés, comme le secteur privé, ils ont rendu un document, une série d’ateliers, de rencontres. Et lui dit qu’il a utilisé la signature d’un cabinet qui est en Occident, le cabinet McKinsey, mais en qui ceux qui détiennent l’argent ont confiance. Quand ce gars dit que le document, c’est bon, l’argent va sortir plus facilement. Jusqu’ici, c’était une négociation avec le Fmi, la Banque mondiale même à travers les programmes de stratégie de réduction de la pauvreté. Mais là il y a une forme d’endogénéisation. C’est un début, ce n’est pas parfait mais c’est un début. Avant on était dans le régime des autorisations préalables, avant d’avoir un plan il fallait en parler avec les bailleurs. Il y a une évolution qui n’est pas mal, mais il faut renforcer cette dynamique de l’endogénéisation des politiques publiques. Il a utilisé la diaspora, les fonctionnaires ici pour avoir ça. Deux, il s’est inscrit dans une temporalité long terme. Avant on était à court terme-moyen terme. Lui, il va jusqu’en 2035. Ça transcende les mandats parce que tout le temps les offres politiques étaient enfermées dans les mandats des candidats. Maintenant, ça engendre les mandats. Là, le principe de continuité de l’Etat prend du sens dans les projections. Maintenant, il y a des critiques qui sont formulées qu’il faut écouter. Je crois qu’il est en train de le faire, il l’a soumis à discussion. On devrait agréer autour des structures de gestion du Pse, tous les acteurs institutionnels ou individuels qui ont réfléchi et porté des critiques sur le plan pour pouvoir redresser et améliorer. Ce n’est pas inutile et je crois qu’il est ouvert pour ça. Maintenant il faut créer le mécanisme. Il y a un mécanisme de suivi-évaluation qui se soucie de résultats et d’étapes. C’est un bon début. Tout n’est pas parfait au début, mais la dynamique globale indiquée est positive. Il faut fermer les possibilités de corruption contenues dans l’affaiblissement du Code, les apports-cadre, l’offre spontanée, le gré a gré, y en a d’autres que je n’ai pas cité. Il faut revenir à l’orthodoxie pour que l’appel d’offres soit la règle, en allégeant les procédures, en formant des acteurs qui interviennent. C’est une nouvelle dynamique sur la gouvernance avec la poursuite des personnes incriminées. On est dans un changement de paradigme, c’est une rupture. Ici, il y a un processus de rupture dans le Pse, dans la formulation, dans la mise en œuvre, dans le dialogue.
Il faut donner plus de place au secteur privé national, il faut même développer une démarche de renforcement du secteur privé pour qu’il puisse s’insérer dans la dynamique du Pse et continuer le dialogue avec tous les porteurs d’opinion critiques sur le Pse. Dernièrement, il faut désormais que le dialogue politique porte sur l’économie, pas sur comment sortir Karim Wade de prison. Comment répondre aux attentes des Sénégalais, de Keur Massar qui n’ont pas de routes, les jeunes au chômage. La classe politique devrait discuter de ces questions-là. Les soutiens au Président devraient s’organiser sur des soutiens sur la gouvernance économique, pas la transhumance politique, ça n’apporte rien aux Sénégalais. Le Pse comme l’Etat dit c’est le seul cadre de formulation des politiques publiques sur les 20 années à venir et devrait être le seul cadre de discussion et de dialogue entre les acteurs si on veut être cohérent et que ce ne soit pas des raccourcis comme la transhumance politique. Il ne faudrait plus qu’on voie ces images, au Palais, des gens qui passent de l’autre côté de la prairie. Il faut arrêter ça. C’est les mêmes qui ont chassé Macky Sall, ils se sont affrontés avec lui, le peuple a tranché en faveur de Macky Sall. Il ne faut pas qu’on efface la volonté du peuple par ces mouvements migratoires qui ne sont porteurs d’aucune productivité et d’aucun apport ou d’aucune plus value pour le pays.
Que vous inspire l’affaire du stade Assane Diouf que d’aucuns assimilent à un scandale foncier ?
C’est la logique de la gouvernance wadienne. Je suis de Dakar-Plateau. J’ai joué aux «Navétanes», au Sandial. J’ai un lien assez particulier avec le stade Assane Diouf. On a passé toute notre jeunesse aux «Navétanes». On connaît l’effervescence sociale, l’animation pendant les «Navétanes», comment ça affermit la cohésion sociale, comment on a connu les autres amis de Kussum, de Cité Cap vert, Rebeuss et Niayes Thioker, les équipes auxquelles on était confronté.ça prépare les futurs leaders de demain. On a voulu donner le stade à des Chinois. A l’époque, ce n’était pas transparent. Jusqu'à présent, on ne connaît pas le statut, qui était les partenaires ? On a vu un architecte sénégalais sortir parler au nom des Chinois, on a même vu des imams, un d’entre eux est même décédé. Que Dieu ait pitié de son âme. On a vu Pape Diop sortir pour dire que c’est lui qui a donné l’autorisation. Tous ces gens doivent être interpellés. Je suis scandalisé, parce que ce stade n’est plus utilisé par les jeunes, il n’est pas porteur d’un projet d’avenir pour le Sénégal. Il est cristallisé cet espace, il ne sert plus aucun sénégalais. Ça, c’est la bêtise humaine. Et Macky Sall a promis. Il doit se prononcer clairement. Il n’y a plus de discussion possible, il doit respecter sa promesse. Un homme, c’est d’abord ça. Après, discuter avec les populations et tous les acteurs sur ce qu’on pourrait en faire. Si les Chinois avaient commencé à faire le stade, peut-être ce serait le deuxième stade de Dakar. Moi, je suis pour qu’on maintienne toutes les infrastructures sportives. Jusqu’à Diamniadio, il n’y a pas d’infrastructures. Ils ont même des problèmes pour trouver un endroit pour mettre l’arène nationale.