LE MARTEAU ET L’ENCLUME
Macky Sall est dans le doute profond et la hantise de quitter le pouvoir, après un seul mandat. C’est ce qui explique ses déclarations en mode clair-obscur
Après la présidentielle de 2012, il n’y avait pas eu tout ce débat effervescent sur le maintien ou non du mandat à sept ans. Le Président Macky Sall, dans sa volonté de tenir ses engagements de campagne, rappelait dans certaines circonstances qu’il allait réduire le septennat à un quinquennat. Déjà en 2012, sur le perron de l’Élysée, il précisait, devant un parterre de journalistes, qu’il réduirait son mandat comme promis. En mars 2013, en terre française, il l’a réitéré en serinant : «…c’est un choix définitif, je réduirai mon mandat de deux ans».
À l’occasion du Groupe consultatif de Paris, il est revenu à la charge en disant : «…cette réforme ramènera à cinq ans, renouvelable une seule fois, le mandat de sept ans pour lequel j’ai été élu. Elle sera d’application immédiate.»
À la veille de la Francophonie, il a tenu à la chaîne de télévision France 24, les mêmes propos. «Ce qu’il faut voir, c’est ma décision de réduire mon mandat de 7 à 5 ans. Cela n’existe nulle part au monde, avait-il déclaré avec force. J’ai voulu donner un exemple, parce que les exemples, il faut se les appliquer si on veut être crédible.»
Devant ses partisans de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY), et récemment devant la presse étrangère, le Président a rappelé cet engagement qui lui tient à cœur.
Intransigeance des «nonistes»
Mais ces propos sans ambiguïtés se sont heurtés à l’intransigeance des politiciens comme Moustapha Cissé Lô et Jean Paul Dias, lesquels ont tôt tenu des discours qui détonnent avec l’engagement présidentiel.
En sus, depuis un certain temps, comme un troupeau de brebis apeurées par un féroce prédateur, d’autres figurent marquantes de l’Alliance pour la République se sont invités au débat sur le mandat présidentiel et s’épanchent sans mesure dans la presse.
Les apéristes Oumar Youm, Mbaye Ndiaye et Mouhamed Diagne de «Macky 2012» investissent les médias pour s’opposer au projet présidentiel. Comme dans une opération de communication bien planifiée, ils ont fait successivement des incursions dans la presse pour plaider pour un mandat présidentiel de sept ans. L’idée est agitée dans les officines de l’Apr et semble y gagner de plus en plus des partisans.
«Toute la politique du monde est faite de wax waxéét. Ainsi, je demande au Président de faire ses sept ans, n’en déplaise à ceux qui lui disent de réduire son mandat, assène Moustapha Cissé Lô. Si jamais le Président arrive à bénéficier de cette disposition pour aller au référendum dont le coût est estimé à huit milliards de francs, j’appellerai tous ceux qui sont avec lui à voter «non» pour lui permettre de terminer son mandat de sept ans et de briguer un second.»
Une position situationniste qui conforte celle de l’alors directeur du BSDA, Mounirou Sy, de «Fekke ma ci boole» qui disait «que les gens le (le maintien du septennat, Ndlr) prennent comme du « wax waxéét », parce que c'est le temps qui détermine certains comportements».
«Il faut qu’on pose le débat de la réduction du mandat au sein du parti. Nous pensons que sur le plan économique, politique, constitutionnel, ce n’est pas justifiable», a lancé le porte-parole du gouvernement, Oumar Youm, au cours d’une conférence à Fatick. Mbaye Ndiaye embouchera la même trompette en déclarant qu’«entre la parole de Macky Sall et la loi constitutionnelle tout le monde sait que la Constitution est au-dessus. Par conséquent, il est impossible de réduire l’actuel mandat présidentiel, si l’on suit la logique constitutionnelle».
Assurances des défenseurs de la «Promesse»
Toutefois des responsables apéristes comme Aboul Abel Thiam, Seydou Guèye et Thierno Alassane Sall n’ont pas manqué (avec souvent une nuance et un clair-obscur qui laissent dubitatif) de soutenir que l’engagement présidentiel sera respecté.
En tournée économique dans le Sine-Saloum, Macky Sall a demandé à ses partisans de mettre fin à ces pantalonnades politiciennes sans pour autant donner la certitude que son engagement tiendra.
Il faut se dire que si on en est arrivé à ces déclarations contradictoires, c’est parce que le principal concerné a été le premier à semer le doute sur la tenue de son engagement. En effet, lors du sommet consacré au financement des infrastructures dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), les 14 et 15 juin 2014, le chef de l’État n’a pas manqué de se prononcer sur ladite question d’une façon nébuleuse.
Interpellé là-dessus par une journaliste de RFI, il a déclaré : «Je ne sais pas combien de fois j’ai déclaré que je réduirai mon mandat à cinq ans. Maintenant, je leur ai dit qu’il fallait attendre la fin des élections locales pour que je reprenne le dossier.» Cependant, s’était-t-il empressé de rappeler que «c’est une volonté et une conviction personnelles, mais que là ce n’est pas moi qui fais la loi. Il appartiendra au parlement ou au référendum, selon le schéma qui sera arrêté».
Cette réponse avait même soulevé l’ire du groupe d’initiative «Ci Laa Bokk» pour la réforme des institutions. Dans une lettre ouverte datée du 23 juillet 2014, le Groupe avait mis en garde le Président sur une éventuelle rétractation discursive : «Le peuple n’acceptera pas un reniement et se mobiliserait comme il l’avait fait le 23 juin 2011 pour s’y opposer.»
Même à travers le «Baromètre SenePlus.Com», les internautes soutiennent à 60% que cette agit-prop sur le mandat est commanditée par le président de la République.
Hantise d’un second tour
Mais si certains apéristes optent pour le maintien du mandat à sept ans, c’est parce qu’il y a la hantise d’un second tour qui est synonyme de perte du pouvoir. L’histoire politique sous les tropiques et même ailleurs a montré qu’un second tour est très souvent défavorable au candidat sortant.
Certes on peut dire que c’est la première compétition électorale en tant que candidat sortant, mais un second tour rassemble toujours les électeurs de l’opposition quelle que soit la consigne de vote donnée en faveur du président-candidat. D’ailleurs le député Abdou Mbow l’a si bien compris qu’il a dit qu’un second tour ne réussit jamais à un président sortant. D’où l’urgence de massifier le parti pour espérer remporter la prochaine élection au premier tour.
Déjà les lueurs de 2017 sont perceptibles et en termes de réalisations palpables et profitables au quotidien des Sénégalais, l’actuel Président est à la traîne. Même si quelques progrès dans le domaine social sont accomplis, il demeure que les Sénégalais n’ont pas encore senti un léger mieux par rapport au régime précédent. À travers les médias, dans les transports publics, partout ce sont les mêmes plaintes et complaintes des citoyens : «Deuk bi dafa Macky», entend-t-on souvent. Comprenez que le pays ne marche pas et que les Sénégalais vivent le drame de l’impécuniosité.
Selon les partisans du non à la réduction du mandat, puisque Macky compte plus sur le bilan que sur les soutiens politiciens et autres ndigël, ce qui est plus prudent, c’est de faire sept ans afin de convaincre les Sénégalais sur des réalisations concrètes.
Selon toujours le «Baromètre SenePlus», la seule chance qui s’offre à Macky Sall, c’est d’avoir au second tour le candidat Karim Wade qu’il battrait à 59 %. Mais puisqu’un tel schéma est pour l’instant du domaine de l’improbable, il est à craindre que Khalifa Sall soit le candidat qui irait en découdre au second tour avec le Président sortant.
En effet, le même Baromètre indique que Khalifa Sall au deuxième tour face à Macky Sall le devancerait de 8 points. Analysé sur le terrain politique, un Karim Wade au second tour n’aurait pas obtenu le soutien des tombeurs de son père (BBY) et ne bénéficierait pas non plus d’un soutien de certains de ses frères libéraux dissidents. Mais un tel scénario est même réversible compte tenu des contingences et alliances conjoncturelles qui peuvent se nouer opportunément dans un second tour électoral.
Quant à Khalifa Sall qui remporterait la victoire devant Macky Sall, selon le «Baromètre SenePlus», il pourrait, non seulement, jouir du vote en grande partie des libéraux qui ne digèrent pas Macky Sall mais aussi de celui d’une bonne partie des alliés de Bennoo du Président et des sans-parti qui ont apprécié ses réalisations à la mairie de Dakar.
Aujourd’hui, quelles que soient les fausses assurances de victoire à la prochaine présidentielle affichées et distillées çà et là, le désarroi gagne crescendo le camp présidentiel à mesure que s’approche 2017 et que le quotidien des Sénégalais ne cesse de se dégrader.
Aujourd’hui le Président est dans le doute profond et la hantise de quitter le pouvoir après un seul mandat le gagne et traumatise certains de ses partisans. Et c’est ce qui explique ses déclarations en mode clair-obscur et cet épanchement des «nonistes». Partagé entre la tenue de son engagement et le reniement, il semble être indécis puisque chacune de ces options est grosse de danger.