LES COMMIS D’OFFICE DÉTRUISENT L’ACCUSATION
Plaidoiries de la défense
La défense a été tenace dans ses plaidoiries. Les avocats commis d’office n’ont négligé aucun détail pour mettre à nu les arguments de la partie civile engageant la responsabilité et la participation de leur client à une entreprise criminelle commune. Ces avocats, qui ont plaidé l’acquittement, indiquent qu’il n’y a pas eu de crimes contre l’humanité ni de crimes de guerre encore moins d’actes de torture. Est-ce que cela va suffira pour acquitter Hissein Habré ? La décision est attendue le 30 mai prochain.
La défense a démarré très fort dans ses plaidoiries. D’emblée, elle a mis l’accent sur les «insuffisances» et les «manquements» du rapport de la Commission nationale d’enquête qui constitue la «cheville ouvrière» de la procédure. Me Mounir Balal s’est attardé sur l’absence de «neutralité», «d’équité» et «d’indépendance» du rédacteur de ce rapport. Il souligne des clichés utilisés pour caricaturer la Dds et l’accusé Hissein Habré dans le rapport. «Répugnante Dds», «Homme sans scrupule».
«Cet homme a un penchant criminel inné», «il est d’une duplicité congénitale» etc., relève la robe noire. Pour lui, l’usage abusif de ces qualificatifs pour caractériser Hissein Habré n’était pas le but recherché pour produire ce rapport. Me Balal assimile celui-ci à un simple «réquisitoire doublé d’un diagnostic psychiatrique».
D’ailleurs, rappelle-t-il, Hassan Abakar a récidivé lors de sa comparution devant la Chambre d’assises. «A deux reprises, le président Gberdao Gustave Kam lui a rappelé qu’il était là pour parler de son travail, car on sentait que cet homme n’était pas neutre», soutient Mounir Balal.
Sur les témoignages recueillis dans le rapport, l’avocat de la défense montre son scepticisme. «Les témoignages de Saleh Younous, El Djonto Abou Grene..., ces tortionnaires réhabilités par le régime de Idriss Deby et intégrés dans l’Administration ne sont-ils pas fabriqués ?», se demande-t-il. Précisant un fait soulevé par Abakar dans le rapport, il dit : «Le Président Deby a insisté pour que les ex-agents de la Dds acceptent de collaborer avec la Commission nationale d’enquête.»
Me Balal ajoute ceci : «El Djonto en exil au Nigeria a pu témoigner grâce au ministre de l’Intérieur et son témoignage a été recueilli au domicile de ce ministre. Ne peut-on pas croire que le témoignage des ex-agents de la Dds pour charger Habré est le prix à payer pour le deal de leur réhabilitation par les nouvelles autorités du Tchad ?», s’interroge l’avocat qui sollicite l’appréciation du président.
Me Mbaye Sène, cherchant à démonter les éléments de preuve du crime contre l’humanité, crime autonome du viol, bat en brèche les arguments de la partie civile. L’avocat évoque la lettre du ministre délégué chargé de la Défense sur l’évacuation de 19 détenus de guerre brandie par le procureur comme preuve de la participation de Habré dans ce crime.
Me Sène exprime son étonnement. «Dans quel pays trouve-t-on un chef d’Etat disposant d’un service de courrier qui annote sur une lettre des déclarations aussi graves du genre : ‘’aucun prisonnier ne doit sortir de la maison d’arrêt sauf cas de décès ?’’», s’insurge la robe noire. Après, rajoute-t-il, «on veut nous faire croire que ce sont les écritures du Président Habré. Pour conférer une valeur scientifique à ces arguments, il nous ramène un comparateur d’écriture présenté comme un graphologue. Qui cherche-t-on à leurrer ?», se demande l’avocat.
Sur les accusations de viol, Me Sène soutient que c’est une accusation fabriquée pour trouver un lien entre les crimes commis et le Président Habré. Khadija dite la Rouge, note Me Sène, a été coachée par les Ong. Sinon, poursuit-il, «comment comprendre que cette dame ait été entendue devant les juges d’instruction et qu’elle n’ait jamais mentionné le viol». Pour lui, Habré est un «homme digne qui ne peut pas se souiller et entretenir des rapports sexuels avec une détenue qui est restée trois mois sans prendre de douche. Cette histoire de viol n’existe pas», indique-t-il au président.
La défense est revenue également sur la planification des crimes commis. Elle a considéré que le procureur ne peut pas convoquer le décret de création de la Dds, la nomination des directeurs pour justifier la planification des crimes. Il soutient que dans tous les pays du monde, les Présidents nomment des chefs de service. Aussi, notet-il, pourquoi le procureur et la partie civile invoquent l’article 1 portant création de la Dds et omettent l’article 2 de ce même décret qui place cette direction sous la tutelle du ministre de l’Intérieur par délégation permanente ?
«Bandjim Bandoum a été engraissé et payé par les Ong pour enfoncer Habré»
Parlant du témoin Bandjim Bandoum qui implique Habré dans le fonctionnement de la Dds, Me Sène dira «qu’il a été engraissé et payé pour qu’il rabaisse l’accusé. Et après, on veut s’appuyer sur ce témoignage pour enfoncer un homme qui a écrit l’histoire du Tchad en lettres d’or contrairement aux allégations du procureur qui soutient que l’histoire du Tchad s’écrira sans Habré ou en sang par lui».
Me Balal revient pour relever «les accointances» entre Hassan Abakar, Amnesty international et Hélène Jaffé, le médecin qui avait soigné les victimes après la chute de Habré. Elle conteste le massacre d’Ambing car, dit-elle, le président de la commission n’avait pas sollicité des médecins légistes lors des exhumations. Par conséquent, «nous ne sommes pas édifiés sur ce massacre», relève la défense.
L’avocat a qualifié le rôle de Human right watch dans ce procès de coaching et de sponsoring. Elle ne s’est pas limitée à ce rôle, peste l’avocat commis : «Cette Ong a hyper amplifié et hyper médiatisé les témoignages à charge contre mon client», dit-il. Pourtant celui-ci, s’enflamme t-il, est un homme «patriotique», un «profond nationaliste» qui a voulu faire du Tchad un Etat moderne. Gberdao Gustave Kam appréciera le 30 mai.
Me Gningue dégage la responsabilité de Habré
Les avocats commis d’office ont fait leur job. Tenant bien leur rôle, ils ont démonté les failles du dossier accablant leur client qu’ils ne voient pas comme responsable des crimes commis durant son magistère. C’est pourquoi ils ont demandé l’acquittement en estimant qu’il n’est pas coupable des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes de torture.
Me Abdou Gningue ne partage pas la responsabilité pénale prêtée à son client par les parties civiles et le Parquet général. Pour lui, Hissein Habré n’est pas responsable des actes pour lesquels il est attrait devant les Chambres africaines extraordinaires. Selon Me Gningue qui a pris la parole à la suite de Me Balal, l’ancien Président du Tchad n’était pas le commanditaire des actes posés par les agents de la Dds encore moins le supérieur hiérarchique de cette structure.
A l’en croire, il a pris un décret comme cela se fait dans tous les pays pour créer la Dds dont la tutelle relève du ministère de l’Intérieur. Il invoque l’article 19 qui place la Dds sous la tutelle du ministère de l’Intérieur par une délégation permanente. «En dépit de tout ce qu’on veut faire croire, Habré n’est pas responsable de ces crimes», remarque l’avocat selon qui «devant ces éléments de droit, on a tenté de les substituer par des éléments subjectifs et factuels en disant Habré ici, là et partout».
«Est-ce qu’on peut se fonder sur une chanson populaire pour impliquer la responsabilité de Habré ?», se demande-til. Il dit au juge : «Je sais que vous ne fonderez pas de motif sur cette chanson.»
L’autre insuffisance relevée par l’avocat est relative à la fluidité de la chaîne de commandement. A ce propos, indique Me Gningue, le sieur Banguina Kassala a fait état d’un élément fondamental riche en enseignements. «Il dit avoir eu des ennuis avec ses supérieurs hiérarchiques, car il avait tenté de dénoncer les massacres perpétrés dans une localité. Il a failli être tué.
Un autre témoin a dit que Habré ne voulait pas de l’escalade de guerre au sud en soutenant : ‘’Je peux le confirmer’’», a dit l’avocat selon qui «beaucoup de pièces qui ont été rapportées ont été touchées voire même violées». L’expert qui avait comparu avait dit que seules deux annotations pouvaient ressembler aux écritures de Habré. Suffisant pour lui de demander au juge d’acquitter leur client.
Me Sène règle ses comptes avec la partie civile
Mbaye Sène, qui s’est plaint de n’avoir rien à se mettre sous la dent, a sur un ton plaisant dit n’avoir aucun morceau à grignoter. Cependant, il lui restait de la matière pour régler ses comptes avec ses collègues avocats : ceux que Me William Bourdon a qualifiés d’avocats sans robe.
Prenant la parole, il dit : «Nous, les avocats commis d’office, avons essuyé beaucoup de quolibets. Les pis, les plus virulents sont venus de notre corporation qui faisait ainsi allusion aux conseillers de Habré.» Poursuivant, il a dénoncé l’option des conseillers de Habré qui ont investi les plateaux de télé pour, dit-il, rendre compte des choses qui, selon lui, ne se sont pas passées à l’audience.