BATHILY SE REPLACE
L'UA devra encore patienter six bons mois pour étrenner son nouveau Président de commission. Cette décision est toute de même curieuse, bien qu'attendue. Rien en effet, ne s'opposait au changement à la tête de l'UA

Ainsi donc le 27ème sommet de l'Union Afrique à Kigali (Rwanda) a décidé de reporter à janvier de l'année prochaine, l'élection du Président de la Commission. La succession de Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente sortante est donc différée de six mois. La sud-africaine dont le séjour à la tête de cette institution n'aura pas laissé un grand souvenir, devra attendre et assurer la continuité de service en attendant qu'un successeur soit désigné par ce syndicat des chefs d'État, l'UA.
Cette décision ne lui procurera pas une grande satisfaction. Elle espérait consacrer l'essentiel de son temps pour gérer sa carrière politique dans son pays. Candidate déclarée aux prochaines élections présidentielles, elle aurait sans doute préféré se passer de cette phase de transition, pour mieux se préparer à cette échéance. Durant son mandat, du reste, elle n'avait de soucis que son calendrier local, paralysant les activités de l'UA. Elle était dopée par la fragilité du locataire de la Présidence. L'actuel chef d'État, Jacob Zuma étant lui-même empêtré dans des scandales financiers à répétition, a échappé de justesse, à une procédure de destitution.
L'UA devra encore patienter six bons mois pour étrenner son nouveau Président de commission. Cette décision est toute de même curieuse, bien qu'attendue. Rien en effet, ne s'opposait au changement à la tête de l'UA. Trois candidats officiellement désignés et soutenus par leur pays étaient sur la sellette. Il s'agit de l'Équato-Guinéen Agapito Mba Mokuy, la Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi et l'Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe –.
Depuis le 31 mars au dernier sommet de l'organisation, ils étaient déjà validés, après l'élimination de candidats libres non officiellement présentés par leur État. De nombreux Africains fonctionnaires des institutions des Nations Unies et de l'UA avaient enfourché leur propre monture, pour briguer ce poste. Mais, l'UA en leur avait opposé une fin de non-recevoir, au nom d'un principe sacro-saint, l'obtention de l'aval du pays d'origine. A l'UA l'appel public à candidature ne fait pas encore partie des mœurs. Les états restent les puissants décideurs.
Alors que tout était réglé pour glisser vers le remplacement de Mme Zuma, deux pierres ont été jetées dans le jardin de l'institution. L'ancien président Tanzanien Kikwété et Abdoulaye Bathily, l'ancien ministre sénégalais de l'Hydraulique et de l'Energie, envoyé spécial de l'UA, ont décidé de se lancer dans la bataille, avec à la clé l'appui de leur pays respectif. Sont-ils forclos, puisque les listes étaient bouclées depuis début avril après un dernier tri ? Sans doute !
Mais voilà dans les couloirs de l'UA et les chancelleries africaines, il se murmure que les trois candidats manquent d'étoffe et d'envergure intellectuelle. Leur profil laisserait à désirer. Le candidat Equato-guinéen Agapito Mba Mokuoy ne présente qu'un argument : issu de l'espace hispanophone, il incarne une certaine forme de diversité, car l'UA a jusqu'ici été dirigée par des francophones, anglophones et arabophones. Il espérait ainsi mettre en avant une nécessaire alternance pour faire prévaloir ses droits.
Pays riche, aux moyens d'influence énormes, il agglomère autour de lui, les pays d'Afrique centrale, dont le Cameroun et le Gabon. M. Mokuoy a même entamé une tournée africaine qui l'a mené dans plusieurs pays dont le Sénégal. Il n'avait pas pu rencontrer le Président Sall absent de Dakar.
La candidate Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi, souffre d'un handicap majeur. Son pays s'est toujours ouvertement prononcé contre le panafricanisme et a régulièrement pratiqué la xénophobie comme méthode de gouvernance.
Isolé mais riche, le Botswana a souvent nargué ses voisins, accordé très peu de prix aux activités de l'UA. Cette candidature suscite beaucoup de ressentiments dans les milieux diplomatiques, qui la jugent trop incongrue. L'ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe ne disposerait pas de capacités intellectuelles suffisantes pour assumer de telles responsabilités, et suscitent une réelle méfiance.
A l'évidence, ces arguments paraissent bien spécieux pour justifier un report de l'élection. Même si cette perspective avait pourtant été envisagée secrètement par les chefs d'État, inquiets de la faible représentativité des trois premières candidatures. A bon ou mauvais escient, le Sénégal a pris les devants, pour demander l'ouverture à la concurrence d'autres candidatures, en soutenant ouvertement le Professeur Abdoulaye Bathily.
Grâce à une diplomatie active, le Président Sall réussira à rallier à son projet, les voix de la CEDEAO, - à l'exception semble t-il de la Gambie - L'Algérie qui s'offusquait de la mollesse des candidats avait pensé elle aussi présenter un candidat. Mais devant l'irruption du candidat sénégalais, elle s'est finalement retirée. La Tanzanie a aussi mis à profit cette brèche pour s'y engouffrer et présenter son ancien président, soutenu par les pays de l'Afrique de l'Est à l'exception de l'Ouganda.
Le sommet de Kigali promettait de chaudes empoignades. Et cette course vers la présidence d l'UA risquait d'éclipser les deux autres sujets : le retour du Maroc et la grave crise au Sud-Soudan qui a fait près de 500 morts. Offusqué par le forcing de la CEDEAO, le président Idriss Déby Itno s'est farouchement opposé au report, estimant à raison qu'aucun fondement juridique ne le justifiait. Le faible niveau de qualité intellectuelle des candidats officiellement retenus, relavant de la simple subjectivité.
Cependant, c'est le rapport de force qui tranchera la question. Aucun des candidats n'étant sûr de rassembler les trente- six voix de la majorité absolue pour l'emporter au premier tour. Aucun d'eux n'étant même pas en mesure de sortir de manière nette d'un vote parti pour s'éterniser, les chefs d'état, ont simplement décidé après vote de renvoyer à janvier 2016 l'élection. Au grand dam d'Idriss Derby.
Du coup, les chances de notre compatriote Abdoulaye Bathily sont intactes. Professeur agrégé d'histoire, panafricaniste convaincu, parfaitement bilingue, Bathily jouit d'une grande notoriété en Afrique. L'excellente qualité de son réseau dans les zones africaines du Nord au Sud de l'Est à l'Ouest, et le poids diplomatique du Sénégal pourraient bien tonifier ses chances.
Déjà envoyé spécial de l'UA dans nombre de théâtres d'opération au Mali et au Burundi (malgré la récusation du Pierre de Nkurunziza), il est en fait fin connaisseur des questions militaires. Redoutable négociateur, il a beaucoup évolué dans sa rigueur légendaire, qui le présentait comme un intransigeant, à cause de son passé de bouillant étudiant soixantuitard, syndicaliste et opposant politique.
Figurant en première place, parmi les animateurs de mai 68 au Sénégal, il a été incarcéré de force dans l'armée, puis dit-on curieusement, "exfiltré" par l'ancien président Senghor, pour être envoyé à Londres où il a obtenu un doctorat en histoire.
Affable, doté d'une très capacité d'écoute, Abdoulaye Bathily, a été deux fois (1988 et 1993) candidat malheureux à l'élection présidentielle au Sénégal. Il dirigeait la Ligue Démocratique Mouvement pour le Parti du travail, (d'obédience communiste) dont il a quitté la tête, en 2012. Il y avait succédé à Babacar Sané, son mentor politique.
Ancien ministre de l'Environnement sous le régime d'Abdou Diouf, et titulaire du département de l'Hydraulique et de l'Energie, après l'alternance de 2000, il avait été pressenti, Premier ministre, avant que le projet du Président Wade ne fasse long feu, sous la pression des caciques du PDS. Sa candidature paraît des plus crédibles et le report pourrait bien élargir le cercle de sympathie dont il jouit, en Afrique et dans les grands pays européens influents.
Cependant, sa tâche s'avère des plus difficiles. A la faveur du report, d'autres candidatures aussi crédibles pourraient se manifester et disperser ses soutiens potentiels. La diplomatie sénégalaise devrait bien se déployer pour le renforcer son soutien international.
Cependant, nombre de pays d'Afrique centrale ne semblent pas du tout apprécier, la "pression" du Sénégal et de la CEDEAO, pour faire reporter cette élection. Fort de ce courroux, ils seraient tentés de faire payer à notre pays, cette démonstration d'influence pour ne pas dire de puissance. A 70 ans, le Professeur Abdoulaye Bathily brigue un poste taillé à sa mesure. Mais, il jouera en janvier sa dernière carte.
Au Sénégal, d'autres profils étaient annoncés : Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères pendant près de dix ans, brillant diplomate jouissant d'un puissant réseau de relations internationales; Ibrahima Fall, ancien sous-secrétaire général des Nations-Unies chargé des Droits de l'Homme, et Adama Dieng actuel sous-secrétaire général des Nations unies chargé de la Prévention des conflits.
Il semble en tout cas que la candidature d'Abdoulaye Bathily ait fini par se manifester de façon suffisamment ostensible, pour recueillir le soutien du Président Sall. Il en a le profil, l'engagement politique au service d'un panafricanisme de gauche.