MEDECIN ET ARTISAN DE L'AMITIE FRANCO-AFRICAINE
FAITES CONNAISSANCE AVEC…LE DR ARISTIDE LE DANTEC (Suite et Fin)
Ennemi du racisme et du colonialisme, défenseur du savoir universel, voilà qui pourrait caractériser le Docteur Aristide Le Dantec, reconnu comme l’inspirateur et le fondateur de l’Ecole de médecine de Dakar. Au début des années ‘’20’’, l’Afrique manque de médecins nés sur le continent. N’y exercent que des hommes et des femmes blancs venues de la métropole. Chercher des médecins africains dans les centres hospitaliers dits indigènes que vous n’en trouverez pas. Il n’en existait jusqu’à la première guerre mondiale. Et, c’est là où le génie de cet homme, né loin des tropiques, et en Loire Atlantique, dans cette France égoïste, qui ne voyait dans l’homme noir, qu’un nègre et un simple exécutant, va surprendre, pour son époque et ses principes archaïques. Dakar inaugure donc, grâce à lui, son école par un décret daté du 10 mai 1918. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, on lui doit nombre de réformes et de projets d’agrandissement de cette école, (fermée en juillet 1953 et rouverte dès les années 1960), selon les vœux des gouvernements coloniaux. Mais, le Dr Le Dantec restera ferme, s’arc-boutant jusqu’au bout, sur sa volonté à partager son savoir et en pensant que la seule bonne formation en médecine qui est crédible est bien celle qui permet d’avoir de bons médecins qu’ils soient noirs, blancs ou jaunes. Si vous avez aimé la première partie de ce dossier consacré au clinicien et au chirurgien de talent, voici la suite et la fin de la longue odyssée de l’Ecole africaine de médecine, qui se confond avec un prénom et un nom: Aristide Le Dantec.
Un homme d’Afrique, d’Asie et du monde, voilà aussi l’autre nom qu’on pourrait coller à l’infatigable bâtisseur qu’a été le Dr Aristide Le Dantec. Un hôpital porte, certes, son nom à Dakar, mais ce qui fera sa principale fierté et l’épilogue de son combat, sera la reconnaissance au début des années 1960, de l’Ecole de médecine de Dakar comme faculté d’université. De Dakar à Abidjan, en passant par toutes les capitales ouest-africaines, son nom est resté gravé quelque part. Mais la référence pour l’homme de science, c’est l’Ecole de médecine qui aura vu passer nombre de grands médecins du continent jusqu’aux Antilles, à Madagascar et la Réunion, sur l’océan indien.
Au cœur du quartier Fann de Dakar, en bordure de mer, l’école lui ressemble, sobre et tranquille dans le canevas architectural qui a permis de l’ériger. Aujourd’hui, les jeunes étudiants qui y révisent leur cours dans le hall, sous le regard apaisant des professeurs, maîtres de conférences agrégés et premiers grands médecins formés ici, comme Marc Sankalé, Iba Mar Diop, René Ndoye, Samba Diallo, Ahmadou Moustapha Sow, Papa Koaté, Oumar Bao, Gabriel Senghor, Paul Corréa, Ibrahima Pierre Ndiaye, Doudou Ba, Ndioro Ndiaye..., n’ont pas idée, au-delà de ces images de vieux clichés, de toutes les difficultés qui ont concouru contre le professeur de médecine qu’a été Le Dantec, pour que l’Ecole africaine de médecine de Dakar, voit le jour au début de l’année 1916.
On doit ainsi, à cette école de Dakar, la sortie des premières sages-femmes diplômées en 1921 et les premiers médecins et pharmaciens en 1922. Malheureusement, ses idées se heurtèrent à une forte opposition. Aristide Le Dantec dut boire, jusqu'à la lie, le calice réservé à ceux qui ont la présomption de créer quelque chose de nouveau alors que l'opinion publique n'y est pas favorable. Les Européens de l'Afrique occidentale française (Aof), dans leur immense majorité, objectèrent que la jeunesse africaine n'était pas prête à l'enseignement supérieur. Nombreux étaient les arguments invoqués. L'idée de Le Dantec était excellente, certes, mais non réalisable sur le plan pratique.
Après quatre années d'études à l'Ecole de Médecine et de Pharmacie, les étudiants sortent avec le diplôme du médecin africain, équivalent à celui du médecin indochinois ou du médecin malgache. Leur enseignement médical est fondé sur la pratique hospitalière - à l'hôpital indigène - et sur la théorie professée à l'Ecole où un enseignement général leur est aussi donné, de telle sorte que l'impétrant a une culture générale qui correspond à celle de la fin de la seconde des lycées. Les sujets les plus brillants peuvent entrer en première au lycée, passer leur baccalauréat à Dakar et terminer ensuite leurs études médicales dans une faculté de médecine de la métropole.
«Ainsi, les médecins africains, seuls représentants de l'enseignement supérieur dans le système colonial, ont été capables de fournir une partie des cadres politiques nécessaires aux jeunes Etats, quand vint le jour de leur indépendance» (P. Huard). Interrompu seulement par une mission à Paris du 19 septembre au 12 novembre 1919, son service en Afrique occidentale française, sera des plus fructueux; mais, pour mieux se consacrer à son œuvre, Le Dantec préfère quitter l'armée. Mais son histoire et sa rencontre avec le continent se poursuivent néanmoins.
Officiellement installée en 1960, la Faculté de Médecine n'a pu délivrer que 41 diplômes en 7 ans (1961-1967); mais ce nombre s'accroît d'année en année. «La Faculté de Dakar fait néanmoins son chemin» (P.H.Delmas). Soucieuse de témoigner sa gratitude, l'Association amicale et professionnelle des anciens étudiants de l'Ecole de Médecine de Dakar, dont le Dr André Coulbary était le président - il était aussi le président d'honneur de leur Syndicat interfédéral -, obtint du ministre de la France d'outre-mer le consentement de donner le nom d'Aristide Le Dantec à l'hôpital-central indigène, en février 1954. Bien plus, à la demande de cette association, une mission d'information auprès des chefs de territoire et des directeurs de la Santé, sur leur comportement, leur dévouement et leur compétence, fut envisagée et réalisée; c’est ainsi que Le Dantec, accompagné du médecin-principal André Coulbary, fit une grande randonnée au Sénégal, en Guinée, au Soudan (actuel Mali), en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), au Niger, au Dahomey (actuel Bénin), au Togo, en Côte-d'Ivoire et en Mauritanie, de février à avril 1955. A noter qu'en Côte-d'Ivoire, il rencontra son ancien élève, le député Félix Houphouët-Boigny, sorti major de la promotion de l'Ecole en 1925. Le Dantec avait tenu un journal très minutieux de ce voyage, durant lequel il s'employa de toutes ses forces à dissiper le malaise - voire la rivalité - qui régnait partout entre les docteurs en médecine et les médecins africains dont il fallait envisager le reclassement indiciaire. En tant que créateur de l'Ecole de Médecine, il se sentait responsable de cette lacune; il parvint à la combler en partie.
Le 8 août 1960, lorsque la Côte-d'Ivoire accéda à l'indépendance, le président Houphouët-Boigny nomma Le Dantec conseiller technique de l'ambassade ivoirienne en France. Dans son discours du 7 août, le président ivoirien, s'adressant au représentant du gouvernement français, va lui faire savoir, en parlant du médecin-général Le Dantec, qu’il était, certes, «un des vôtres, mais aussi, un des nôtres». Avec l'assiduité et l'enthousiasme qu'il montrait dans tout ce qu'il entreprenait, Le Dantec s'emploie, à la demande d'Houphouët-Boigny, à reprendre avec les étudiants ivoiriens disséminés dans différents établissements français d'enseignement supérieur, «le contact direct et amical qu'il avait eu à Dakar avec leurs grands anciens».
CLINICIEN DE VALEUR ET CHIRURGIEN HARDI : L’itinéraire compliqué d’un globe-trotter
Débarqué à Marseille le 9 août 1920, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite pour ancienneté de services; il prend rang dans cette situation au 25 décembre 1920, par décret ministériel du 27 octobre de la même année. Bientôt Le Dantec regagne l'Afrique; nommé dans la réserve médecin principal de 2ème classe par le décret du 4 mai 1921, il reste à la disposition du Service de Santé de l'Aof (décret ministériel du 7 novembre 1921). Pour Le Dantec, tout semblait aller pour le mieux. Il venait d'être nommé membre correspondant de l'Académie des sciences coloniales. L'Ecole de Médecine et de Pharmacie de Dakar fonctionnait comme il le désirait.
Un autre combat attend l’homme, malgré le poids des années qui s’accumulent. A savoir, permettre aux ressortissants africains d'accéder aux plus hauts grades de l'Université serait susceptible de sérieuses conséquences politiques. De toute manière, la formation d'infirmiers noirs s'avérerait suffisante pour diffuser la médecine préventive et l'hygiène, et point n'était besoin de médecins africains dont l'instruction ne pourrait être que longue, onéreuse et inopportune. Cette conception fut soutenue par le gouverneur général de l'Aof, Carde (1), qui avait pris de nouvelles mesures pour réorganiser le Service de Santé en Afrique et par lesquelles il donnait une place prépondérante au développement de la médecine préventive et de l'hygiène.
Comme dans tout conflit, il y eut le pour et le contre, les partisans et les adversaires du bien-fondé de l'Ecole africaine de Médecine. Ces derniers, bien entendu, l'emportaient dans la collectivité blanche. Le Dantec ne désarma pas, mais ne fut pas le plus fort; il dut quitter ce poste auquel il s'était consacré corps et âme depuis 1918 et rentra en France, en 1925, en proie à la nostalgie de l'Afrique. Le Dantec se retira à Saint-Lunaire, en Ille-et-Vilaine; mais il resta en relation avec ses collègues et anciens élèves d'Afrique. En 1937, on lui décerna une médaille, exposée au Salon des Artistes français... (2)*. Quand survint la Seconde Guerre mondiale, la «drôle de guerre» (3) laissa Le Dantec dans la plus complète perplexité.
Le 15 décembre 1939, il est promu médecin-colonel dans les cadres de réserve. On le voit alors chirurgien-chef du groupe des hôpitaux de Dinard; puis il est rayé des cadres (article 12) par le décret ministériel du 23 janvier. Bientôt c'est l'occupation allemande. La défaite cuisante de juin 1940 ne laisse pas indifférent le «père de la Médecine africaine francophone».
L’AFRIQUE COMME UNE PASSION
La présence du «Maître» est signalée à Dakar, en décembre 1943, avant la Conférence de Brazzaville qui s'ouvrit en janvier 1944. L'Ecole africaine de Médecine fut officiellement consacrée par le décret du 11 août 1944. Après la Libération, le médecin-général Le Dantec est affecté au Val-de-Grâce le 16 mars 1945, et il cesse toute activité militaire le 20 octobre 1945, pour se retirer, une seconde fois, à Saint-Lunaire dont il est élu maire. Mais la politique ne lui plaît guère, l'oisiveté moins encore. A 68 ans, à l'âge où le premier venu ne rêve que d'une retraite paisible, Aristide Le Dantec, lui ne pense qu'à repartir pour une nouvelle carrière. Son point de mire est toujours le même: l'Afrique. Il la retrouve en 1953. Ses anciens élèves lui ont demandé de venir à Dakar présider les cérémonies de fermeture définitive de l'Ecole de Médecine et de Pharmacie, en juin 1953. Il y parraine donc la 32ème et dernière promotion de médecins africains, comme il le fit pour la première en 1922. Ouverte de novembre 1918 à juillet 1953, l'Ecole africaine de Médecine aura formé - malgré les différends qui obligèrent Le Dantec à quitter son poste en 1925 - 32 promotions médicales, soit près de 800 praticiens (pour P. Huard), ou 582 médecins africains et 87 pharmaciens (d'après Prost, du Service de Santé africain).
L’AMI ET LE PROFESSEUR DU PRESIDENT HOUPHOUËT-BOIGNY
Le chef de l'Etat ivoirien, dès 1960, va faire le vœu de transformer le Centre d'enseignement supérieur d'Abidjan en une Université à laquelle serait rattaché un enseignement de la médecine. C’est dans ce contexte que le médecin-général Le Dantec fait un voyage, en 1961, dans les Républiques de l'Entente, afin de connaître leur opinion sur la création d'une Ecole de Médecine à Abidjan. Et, il va contribuer efficacement au démarrage de cette dernière qu'il inaugure en 1963. Enfin, pour susciter les échanges les plus cordiaux, il a été l'artisan du jumelage des Facultés de Rennes et d'Abidjan; le couronnement de ses efforts devait être la création de l'Université d'Abidjan.
Homme obstiné, le Dr Aristide Le Dantec ne sentait pas le poids des années et ne pensait pas à la mort, sans doute, grâce à cet idéal qu'il poursuivait et à cette activité extraordinaire qu'il manifesta jusqu'à la fin. La mort vint pourtant le surprendre, le 27 mai 1964, dans sa propriété «Villa Bellevue», à Saint-Lunaire, après une courte maladie survenue dans sa 88ème année. Le ministre de la Santé de la Côte-d'Ivoire prononça sur sa tombe: «L'Afrique toute entière vit du culte des Anciens... Ary Le Dantec, comme l’appelaient ses proches, nous a trop donné, pour que nous ne le revendiquions pas comme l'un des nôtres».
Aristide Le Dantec avait épousé, en 1906, Mlle Germaine Pauvert, originaire de Saint-François, commune de la Guadeloupe; il perdit son épouse en 1946. Son fils Yves, né le 8 octobre 1917, mort le 7 novembre 1955 en service commandé, était commandant aviateur, attaché à l'Etat-major des Forces d'occupation française en Allemagne; sa fille, Mme Claudine Le Dantec-Bénézit, résidait au Mas-Dormant, à Fayence, dans le Var. Ses distinctions honorifiques sont aussi le reflet du renom qu'il porta à l'étranger. Outre la Croix de guerre qui lui fut attribuée en septembre 1917 et la Médaille de la Résistance, il fut fait Chevalier de la Légion d'honneur le 13 avril 1917, puis Officier le 30 juin 1939 (Jo du 8 juillet 1939).
Les nouvelles Républiques africaines indépendantes comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire le nommèrent Grand officier de l'Ordre national sénégalais et Grand officier de l'Ordre national ivoirien. Au final, la leçon à retenir de cet homme est qu’Aristide Le Dantec est une figure bien française... Mais, une figure à plusieurs faces...On voit, en lui, un clinicien de valeur et un chirurgien hardi, en même temps qu'un enseignant à la hauteur de sa tâche et un organisateur de génie. Sous un autre angle, il sera décrit comme un grand soldat, héros des deux Guerres mondiales et de la Résistance.
Il est aussi un personnage dont le sens de l'humain est particulièrement développé; ennemi du racisme et du colonialisme, il a su former des techniciens et des hommes, conscients de leur dignité et de leur responsabilité, il est l'artisan principal de l'amitié franco-africaine dont la devise est: «Corpore diversi, mente fratres».
Enfin, dans une optique différente, par son amour profond de l'Afrique et son désir ardent de toujours y retourner, par l'intérêt affectueux porté à ses anciens élèves, n'offre-t-il pas aussi - malgré le tempérament incisif qui le caractérisait - un côté romanesque et sentimental?
NOTES
1- Jules Gaston Henri Carde (1874-1949). Haut-fonctionnaire. - Administrateur à Madagascar (jusqu'en 1907), Gouverneur général de l'AOF (en 1923) et en Algérie (en 1930 ;
2- La Société des Artistes Français, héritière directe de ce Salon créé par Colbert pour le Roi a traversé toutes les époques : royauté, empires, révolutions, guerres, entraînant dans son sillage les plus grands noms d'artistes qui ont marqué ces derniers siècles: Delacroix, Ingres, Manet, Rodin, Claudel, Bartholdi, Dufy, Picabia entre autres, furent nos sociétaires. Il a succédé au Salon de l'Académie des beaux-arts, héritière de l'Académie royale de peinture et de sculpture.
3- La période séparant la déclaration de guerre de la France et du Royaume-Uni à l'Allemagne nazie (3 septembre 1939), et le début de la Bataille de France (10 mai 1940) est marquée par le fait qu'aucune action militaire majeure n'a lieu: les combattants attendent… Cette guerre sans réel combat, dont les origines sont multiples, prend ainsi le nom de « drôle de guerre » (France), de phoney war (Royaume-Uni, « fausse guerre»), ou encore de Sitzkrieg (Allemagne, « guerre assise »)