«NOUS NE SOMMES PAS A L’ABRI D’UNE HAUSSE BRUTALE DU PRIX DU BARIL DU PETROLE…»
Dr BOUBACAR MBODJI, CONSEILLER SPECIAL DE MACKY SALL EN ENERGIE ET ENVIRONNENT
Le conseiller spécial du chef de l’Etat en énergie et environnement a passé en revue la politique énergétique du gouvernement du Sénégal. Dans cet entretien, le Dr Boubacar Mbodji a soutenu que grâce à la nouvelle politique initiée dans ce domaine par le Président Macky Sall, le Sénégal est sur le point de passer de la situation «de pays totalement handicapé par le manque d’énergie, à celle d’un pays entré dans l’air du Mix énergétique et en perspective, le statut de pays producteur de pétrole et de gaz». Mais l’ancien conseiller technique au ministère de l’Energie et des Mines a prévenu que «nous ne sommes pas à l’abri d’une hausse brutale du prix du baril du pétrole. Tout dépend de la géopolitique mondiale».
Quelle est la politique du Sénégal en matière d’énergie renouvelable ?
Dès l’avènement du Président Macky Sall, un travail décisif pour une nouvelle Lettre de politique de développement du secteur de l’énergie (Lpdse) a été initié par le ministère de tutelle. C’est dans ce document que nous avons l’essentiel des nouvelles orientations qui sous-tendent la politique énergétique du gouvernement. Ainsi, suite à la crise énergétique que nous avons vécue dans les années 2006-2010, avec un prix du baril du pétrole passant de 40 à 140 dollars, soit une augmentation de plus de 300%, plongeant le Sénégal dans une crise économique et sociale aiguë, avec ce qu’on a appelé à l’époque les émeutes de l’électricité, et face aux résultats mitigés des politiques passées, un diagnostic s’imposait. Ce diagnostic a fait ressortir essentiellement trois choses. Premièrement, la vétusté du parc d’énergie de production, et sa forte dépendance aux énergies fossiles se traduisant par des dépenses en combustible de l’ordre de 300 milliards par année. Deuxièmement, et consécutivement au premier facteur, un manque de capacités pour faire face à une demande en énergie. Demande de surcroît mal maîtrisée. Et enfin, la situation déficitaire de la Senelec à l’époque, caractérisée par des pertes d’exploitations abyssales, occasionnant des subventions à hauteur de 120 milliards de francs Cfa de l’Etat, rien que pour l’exercice 2012. C’était le prix à payer pour maintenir le prix aux consommateurs au même niveau, malgré la hausse du prix du baril de pétrole.
Voila pour le diagnostic, qui, il faut le rappeler, recoupait pour l’essentiel des conclusions établies dans le cadre du plan «Takkal». Toutefois, la différence, réside dans la conception et la mise en œuvre de solutions à la fois soutenables pour le budget de l’Etat, les populations et pour l’économie nationale. Il fallait une refonte de la philosophie qui a prévalu dans la gestion du secteur. La nouvelle stratégie s’est traduite par la mise en place d’une politique de Mix énergétique qui schématiquement consiste pour un pays donné, à compter sur toute les sources d’énergies disponibles sur son territoire et d’en faire une combinaison qui soit la plus avantageuse, en termes de coût, de sécurité, mais aussi d’indépendance énergétique. Puisque l’électricité délivrée par Senelec aux ménages et aux industries dépend des coûts de production, essentiellement du combustible, les fluctuations des coûts de ce dernier induisent des chocs aux conséquences ruineuses au niveau de notre économie. Voilà pourquoi chaque pays cherche à valoriser ses ressources énergétiques locales, avec l’avantage de se prémunir des conséquences néfastes de la géopolitique de l’or noir. Dès lors, il s’est agi de diversifier les sources d’énergie, avec mix consacrant 20% de nos capacités de production aux énergies renouvelables. Ainsi, l’option de doter notre pays de centrales à charbon pour l’alimentation de centrales de base, procède de cette logique, malgré les externalités de ce combustible, puis la montée de la part du gaz de 5% à 24%, notamment par la reconversion de plusieurs centrales en unité dual fuel (Contour Global inauguré récemment en est le premier résultat).
Quelle sont alors les perspectives relativement à ce potentiel ?
Les perspectives sont plus qu’intéressantes pour notre pays, dont notre l’activité économique était sérieusement handicapée par des défauts de fourniture d’énergie. Aujourd’hui, nous enregistrons des résultats appréciables dans ce domaine, perceptibles à travers une très nette amélioration de la fourniture d’énergie, y compris pendant les mois de pointe de septembre à octobre. Un autre indicateur de l’embellie dans la gestion de Senelec s’illustre par le fait que la compensation de revenus de plus de 86 milliards de francs Cfa versée par l’Etat à la Senelec entre 2014 et 2015 au profit des consommateurs, devrait être nulle en 2016. Quant au parc de production, sa puissance est passée de 833 à 994 mégawatts entre 2014 et 2016. Ainsi, de la situation de pays handicapé par le manque d’énergie, on va passer à la celle de pays producteur de pétrole et de gaz, avec des avancées probantes dans le domaine des énergies renouvelables. Cela veut dire que dans un avenir proche, les revenus tirés de l’activité pétro-gazière nous offriront de nouvelles possibilités pour intégrer notre système à travers l’émergence de nouveaux secteurs industriels tels que la pétrochimie, chimie, le raffinage, l’industrie de fertilisants. A ce sujet, le secteur des hydrocarbures en vue pourrait se voir attribuer une triple fonction : une source d’accumulation, de fourniture d’énergie et de matières premières à l’industrie, d’instrument de modernisation et de développement de l’agriculture. L’intégration du secteur pétrolier au système productif s’opérant à deux niveaux, en amont par le financement du Pse, et en aval en tant que pourvoyeur d’énergie et de matières premières.
Quant à la politique initiée dans le domaine des énergies renouvelables, elle témoigne à la fois d’une vision prospective et sécuritaire très porteuse pour l’économie nationale. Mieux, la réussite de notre politique industrielle fera basculer le pic de la demande de la fourchette horaire 19h-20h à celle de 7h-20h, fourchette pendant laquelle se passe la production industrielle, coïncidant avec la production des centrales solaires. D’autre part, l’avènement de ces centrales est une opportunité d’emplois, mais aussi d’apprentissage technologique, une centrale de 20 Mw nécessitant le câblage de 73.000 à 11.000 panneaux solaires selon la taille de celles-là. Le déploiement de ces centrales solaires va également faciliter une meilleure satisfaction de la demande au niveau local, particulièrement dans les zones de production, par une plus grande résilience de notre système électrique face aux risques liés au transport. Plus les centres de production d’électricité sont proches des lieux de consommation, plus les coûts en sont ainsi diminués. Une centrale solaire localisée dans une zone de production aurifère comme Kédougou permettra de satisfaire la demande de l’industrie extractive, mais aussi de régler les problèmes d’électrification très prégnants dans cette région. Idem pour la vallée du fleuve Sénégal avec la riziculture, qui, en s’industrialisant, exigera davantage d’énergie. Tout ceci contribuera sans nul doute, moyennant les coûts, à une meilleure compétitivité de notre économie. Les énergies renouvelables nécessiteront par contre la mise à niveau des cadres du secteur de l’énergie, du fait du caractère intermittent de ces énergies. La maîtrise du temps qu’il fera demain ou dans trois jours est une donnée extrêmement importante. Car elle seule permet de se prémunir des variations brusques mais prévisibles du temps. La planification énergétique en sera d’autant plus aisée, une fois ces compétences nouvelles assurées.
Qu’est-ce que ces énergies renouvelables vont apporter à la Senelec ?
Il y a un effort de rattrapage côté offre à poursuivre, les résultats étant d’ores et déjà perceptibles dans notre vécu quotidien. Côté dépenses en combustible, la mise en route de ces centrales impactera positivement les charges d’exploitation de la Senelec. Ces centrales ne nécessitant pas de combustibles, il est aisé de comprendre les gains potentiels attendus pour la société qui, par ailleurs, sera déchargée des opérations de maintenance, de transport de combustibles pour de telles unités. Une niche d’économie et de compétitivité pour Senelec non encore exploitée reste cependant l’autoconsommation, réglementée par le décret d’application portant application de la loi d’orientation sur les énergies renouvelables relatif aux conditions d’achat et rémunération du surplus d’énergie électrique d’origine renouvelable résultant d’une production pour sa consommation propre (Décret N° 2011-2014).
En effet, face à la dette colossale due à la Senelec par les structures publiques (hôpitaux, universités, collectivités locales etc.), et face à la nécessité de poursuivre les performances dans la gestion financière de l’entreprise, il importe de doter ces structures débitrices de moyens de productions propres : c’est l’autoconsommation. Rappelons l’exemple de l’hôpital Fann, dont la dette s’élevait déjà en milieu d’année, selon les annonces de Senelec à 1.300.000.000 francs Cfa. Cette somme représente les 2/3 du coût d’une centrale solaire capable d’alimenter tout l’hôpital en journée, et faire baisser sa consommation tirée du réseau Senelec de 60% environ. Ces études ont été menées. Autrement, la dette de l’hôpital qui risque de croître encore dans les mois à venir, financerait presque son autonomie tout en libérant Senelec de ce lourd fardeau (60 milliards de francs Cfa de factures non payées selon le DG), incompatible avec des indicateurs de performance financière. Nous pourrions allonger la liste avec les autres hôpitaux du pays, les universités, les casernes, centre de formation, ainsi que les collectivités locales. Le schéma d’autoproduction pour certaines entités publiques et para-publiques est plus que souhaitable. Et les arguments avancés pour l’ajourner ne tiennent pas compte ni de considérations économiques, encore moins techniques. Mieux encore, l’autoconsommation devrait même être étendue aux ménages, comme c’est le cas dans le monde entier.
Qu’est-ce qui a été pris comme mesure pour assurer la promotion des énergies renouvelables ?
De 2012 à aujourd’hui, la première phase dite «d’ententes directes» dans la mise en œuvre du Mix énergétique a abouti à la sélection de 05 projets solaires et d’un projet de centrale éolienne. Ces projets sont en cours de réalisation, pour une puissance attendue de 150 Mw. Dans une seconde phase, un appel d’offres sera bientôt lancé pour 100 Mw supplémentaires, ce qui portera la part des énergies renouvelables à 250 Mw, pour une puissance totale projetée de l’ordre 1000 Mw à l’horizon 2020. Nous sommes dans le tempo. Car aujourd’hui même les pays producteurs de pétrole se mettent aux énergies renouvelables. La mise en service de ces nouveaux moyens permettra au Sénégal d’agir sur sa facture pétrolière qui grève beaucoup le budget de l’Etat. C’est dire que Senelec est sur une trajectoire d’équilibre de ses comptes, à la faveur de la baisse sensible des coûts du baril sur le marché international. Mais c’est une situation fragile. Et c’est là où les énergies renouvelables ont leurs importances. Nous ne sommes pas à l’abri d’une hausse brutale du prix du baril du pétrole.
Tout dépend de la géopolitique mondiale. Aujourd’hui, nous assistons à une guerre entre les nouveaux pays producteurs de gaz et de pétrole de schiste extrait de sables bitumineux, notamment le Canada et les Etats-Unis, les pays de l’Opep qui ont maintenu leurs quotas, aux fins d’éprouver les nouveaux entrants. Il en a résulté une surproduction et une baisse continue des prix depuis deux ans. Cela renseigne suffisamment sur la complexité de l’économie pétrolière, ressource objet de toutes les convoitises, en réalité arme à double tranchant, source de richesse et de prospérité pour les Etats qui la possèdent, mais pouvant déboucher sur un chaos économique induit par les fluctuations de revenus qu’engendrent régulièrement les cours du marché.
Le Nigeria par exemple a vu fondre 80% de ses recettes d’exportations en moins de deux années, alors que le Venezuela est passé d’une prospérité relative au chaos social. Cela renseigne suffisamment sur les difficultés liées au statut de pays pétrolier.
La Cop 22 est prévue dans quelques mois, quel est le bilan de la Cop 21 ?
Concernant les accords issus de la Cop 21 et la façon dont ils se sont traduits sur le terrain, personnellement, je pense qu’il reste beaucoup d’efforts à faire. On est sorti de la Cop 21 avec des accords fondamentaux sur le climat qui prévoient de maintenir le réchauffement climatique au maximum à 2°, à partir de 2020, avec tout en ensemble de politiques chiffrées pour accompagner cet objectif. Malheureusement, les manifestations du dérèglement climatique tels l’érosion côtière, les inondations, les maladies émergentes telles que Zika continuent de menacer la vie de millions d’hommes et de femmes, particulièrement en Afrique, sans que des interventions diligentes ne soient notées sur le terrain.
Est-ce que le Sénégal parvient à capter les fonds dédiés à l’environnement ?
Il me semble qu’à ce jour, nous ne sommes pas parvenus à capter ces fonds. La ministre française de l’Ecologie et du Développement durable, Ségolène Royal, vient d’effectuer une visite en Afrique de l’Est à ce sujet. Mais pour le moment, les projets qui sont élus aux différents fonds ne concernent pas vraiment l’Afrique de l’Ouest. Dix milliards de dollars ont été annoncés, lors de la Cop, pour l’initiative africaine pour les énergies renouvelables. Premièrement, il s’est agi de d’établir une liste de projets d’énergie renouvelable sur le continent africain, avec à la clé un débat sur qui doit être maitre d’œuvre pour la gestion de ces Fonds. La Banque africaine de développement (Bad), déjà très engagée dans le financement des énergies renouvelables, notamment au Maroc et au Kenya, est pressentie par plusieurs chefs d’Etat pour administrer les fonds. Beaucoup d’autres annonces ont été faites lors de la Cop en faveur du contient africain. Mais on ne voit pas encore, pour le moment, ces projets démarrer concrètement. Il est à noter que dans le schéma de financement de ces projets le rôle capital attendu du secteur privé. Mais à ce jour, l’initiative du privé demeure très faible.
Les acteurs publics comme du privé n’ont pas pu, à mon sens, développer assez de synergie pour exploiter au mieux les accords issue de la Cop 21. L’Afrique est particulièrement concernée, quand on sait que c’est elle qui subit, plus que tout autre, les contrecoups du dérèglement climatique. Il nous appartient d’innover à ce niveau. Les collectivités locales par exemple devraient s’impliquer davantage dans le financement des énergies renouvelables. Ceci cadrerait bien avec la dynamique Pôle-Territoire envisagée dans la reforme dite l’Acte III de la décentralisation. Aujourd’hui, en ce 21 Siècle, pas moins de 300 millions de personnes en Afrique de l’Ouest vivent sans électricité. Or, sans électricité, il ne peut pas y avoir de prospérité. L’accès des populations rurales à une énergie moderne et accessible est un vrai challenge. Ce défi ne sera relevé qu’à la condition de concevoir des modèles de financements innovants dans le secteur de l’énergie en général, de l’électrification rurale en particulier.
Maintenant, quelles sont les attentes pour la Cop 22 prévues dans moins de 2 mois au Maroc ?
La Cop 22 va être une occasion de faire le bilan de la mise en œuvre des accords conclus lors de la Cop 21, notamment dans la période 2016-2020. Deux événements majeurs sont attendus par les acteurs : L’agora des parlementaires qui mettra le focus sur l’importance du cadre institutionnel dans la transition énergétique et du rôle primordial des parlementaires et conseillers économiques pour asseoir la gouvernance verte. Leur engagement sur ces questions est aux côtés des pouvoirs exécutifs pour l’atteinte des objectifs de développement durable par une meilleure prise en charge des questions climatiques. Un autre thème d’importance majeur y sera débattu : Femmes et Climat. Ce thème revêt une importance capitale, au regard du rôle des femmes dans nos économies et des impacts du changement climatique dans leurs activités.