«TOUTES LES TENTATIVES DE RECHERCHE DE PAIX SONT DANS L’IMPASSE»
RENE CAPAIN BASSENE SUR LA GESTION DE LA CRISE CASAMANCAISE SOUS MACKY SALL
Toutes les initiatives de recherche de paix sous le magistère du président Macky Sall, depuis maintenant 5 ans, sont dans un «cul-de-sac» total. C’est du moins la conviction du journaliste et observateur du conflit en Casamance, René Capain Bassène. L’auteur de trois livres sur la crise casamançaise dresse, dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, le bilan de la gestion du processus de paix par le régime actuel, de 2012 à nos jours. Qui plus est, il passe au peigne fin la situation d’accalmie qui règne présentement au Sud du pays.
En votre qualité de journaliste, écrivain et observateur de la crise en Casamance, pouvez-vous nous dresser le bilan de la gestion du processus de paix en Casamance, depuis que le président Macky Sall est à la tête de l’Etat du Sénégal ?
Dès l’entame de son mandat, le président Macky Sall avait clamé haut et fort, à qui voulait l’entendre, son désir et sa détermination de négocier avec le Mfdc pour un retour rapide de la paix en Casamance. Mieux, il est allé beaucoup plus loin que tous ses prédécesseurs en déclarant qu’il est prêt, dans le cadre des pourparlers, à rencontrer les combattants partout où ils le souhaiteraient, même si c’est au niveau de la planète Mars.
Son discours avait suscité un énorme espoir auprès des populations, un espoir renforcé par les déclarations des principaux chefs rivaux d’Atika, en l’occurrence César Atoute Badiatte, mais surtout Salif Sadio qui ont également exprimé leur souhait d’aller à la table des négociations afin de trouver une issue à la crise. Ils ont été suivis peu après par Ibrahima Compass Diatta qui, à son tour, avait exprimé son vœu d’aller à la table de négociations avec l’Etat du Sénégal.
A l’image des principaux chefs d’Atika, l’aile combattante du Mouvement, les leaders des ailes politiques et civiles ont tour à tour annoncé leur disposition à se retrouver avec l’Etat du Sénégal afin de discuter des modalités de sortie de crise.
Cette situation, offrait du coup au régime de Macky Sall une opportunité jamais obtenue par ses prédécesseurs dans le cadre de la recherche de la paix. En effet, c’est pour la première fois de l’histoire du conflit en Casamance, que le Mfdc, dans l’ensemble de ses composantes, accepte de s’ouvrir au dialogue en faveur du retour de la paix.
Pourquoi donc, malgré une situation aussi favorable, l’Etat et le Mfdc ne sont toujours pas parvenus à se retrouver au tour d’une table de négociation ?
La réponse est qu’à mon avis, le régime actuel n’a tout simplement toujours pas défini de contenu à donner au processus de dialogue, et n’a également toujours pas élaboré une feuille de route sur comment il compte s’y prendre par rapport aux négociations en faveur du retour de la paix en Casamance. Et tant que cette situation perdurera, tant que l’Etat ne parviendra pas à se doter d’un schéma clair sur comment négocier, par où commencer et avec quels intermédiaires clairement identifiés il faut entrer en contact avec le Mfdc, on restera toujours au stade de départ. Autrement dit, aux déclarations de principe du genre «Je suis prêt a négocier, je tends la main au Mfdc» ou encore «Je suis prêt à dialoguer, je reçois la main tendue du président Macky Sall». Mais, après, aucun acte concret de la part de l’une ou l’autre des parties en conflit en vue de l’ouverture d’un véritable processus de négociations.
Ce manque de feuille de route fait que le régime actuel est en train de répéter les mêmes erreurs que ses prédécesseurs concernant la méthode de négociations. Il est dans la même logique qu’Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui consiste à se servir à la fois de plusieurs intermédiaires ou démarcheurs pour nouer le contact avec le Mfdc.
Je le dit parce qu’il y a sur le terrain plusieurs groupes aux démarches et méthodes différentes qui travaillent sur une même cible, le Mfdc, et qui se livrent une rivalité indescriptible pour soit disant une même cause : celle de parvenir à une paix définitive en Casamance. Tous se disent envoyés par le président Macky Sall pour aider à rechercher la paix en Casamance. Mais, c’est des groupes qui sont en train de retarder le processus de paix à travers les actes qu’ils posent.
Ce que je déplore, dans cette histoire de «démarcheurs ou colporteurs» de la paix, est qu’ils se livrent à une rude concurrence. Chacun développe contre l’autre une politique de dénigrement dans l’objectif de l’anéantir aux yeux du Mfdc et des autorités sénégalaises. Il n’existe aucune complémentarité, ni connexion, entre ces groupes qui pourtant prétendent travailler au nom du président de la République Macky Sall, en faveur du retour de la paix en Casamance.
Pouvez-vous nous donner, alors, la situation exacte du processus de paix en cours en Casamance ?
Absolument, rien n’a bougé sur le terrain, le processus est en panne sèche car dépourvu de tout contenu et de feuille de route. On est encore au point mort.
Si on vous comprend bien, les démarches des acteurs de paix n’ont produit aucun effet sur le retour de la paix en Casamance ?
Je dirais que leurs démarches sont stériles. En réalité, ces acteurs cherchent à faire croire à l’opinion, aux autorités et surtout aux bailleurs de fonds qu’ils sont en contact direct avec les combattants, avec qui ils entretiennent de très bonnes relations ou qu’ils sont sur la bonne voie en direction des négociations, alors que cela n’a souvent pas été le cas. Je précise que de nos jours, aucun contact sérieux n’est établi entre un quelconque acteur et l’aile combattante du Mfdc, encore moins entre un médiateur et une faction de l’aile politique, laquelle a d’ailleurs toujours été contournée par les acteurs de paix.
A partir de 2015, les portes du maquis se sont subitement fermées et hermétiquement refermées aux “Messieurs Casamance“ et autres ”facilitateurs“. Ils n’ont plus la possibilité de rencontrer officiellement les combattants pour leur parler de leurs projets. Ils sont tous dans l’impasse car bloqués. Cependant, ils sont tous en train de tenter par tous les moyens de contourner ou faire lever ce blocus afin de pouvoir reprendre leurs activités et continuer à exister. C’est dans ce cadre qu’il faudra inscrire les agissements des uns et des autres dont certains ont prétendu avoir retrouvé la confiance et la bénédiction totale de toutes les factions combattantes et politiques du Mfdc au point de faire d’eux les interlocuteurs incontournables, pour d’abord leur unité et ensuite pour le rapprochement des parties en conflit. Ces acteurs veulent faire croire à l’opinion qu’ils n’ont pas été demandeurs, mais qu’ils ont été choisis parmi tant d’autres par le Mouvement indépendantiste pour jouer le rôle de médiateurs. Ce qui se révèle être une contre-vérité absolue.
Comment donc expliquez-vous cette période d’accalmie qui règne en Casamance ? N’est-elle pas le fruit des démarches de ces acteurs ?
Je souligne que l’accalmie qui prévaut sur le terrain en Casamance n’est pas chose récente. Elle ne date pas de 2012. C’est une situation qui est clairement constatée à partir de l’an 2000 et qui, avec le temps, s’est positivement renforcée au grand bonheur des populations civiles. Et malgré les nombreuses déclarations des uns et des autres qui voient en cette accalmie le résultat de leurs efforts, ce calme très précaire et fragile ne repose sur absolument rien de solide. Il peut fondre à tout moment.
Pourquoi le dites-vous ?
Je voudrais bien qu’on me dise qui a négocié l’obtention de cette accalmie, avec qui l’a-t-elle négociée ? Quand et où ? Quelles ont été les clauses ? Et qui ont été les garants ? Je souhaiterais également qu’on me dise si accalmie est égale à paix ? Pourquoi les acteurs de paix se glorifient-ils de cette accalmie ? Est-elle la solution idéale pour la Casamance ? C’est pour dire que contrairement à la majorité de l’opinion, je ne me félicite pas de cette accalmie et cela peut étonner voire même choquer certains. En vérité, cette accalmie ne repose sur absolument rien de solide, et qu’elle représente pour moi un couteau à double tranchant. Si on l’exploite bien, elle peut nous conduire rapidement vers cette paix tant désirée. Mais si on s’y prend mal, elle peut engendrer une reprise des hostilités dans la pire des formes. En Casamance, nous vivons une situation de paix armée car, sur le terrain, aucun cantonnement stratégique n’a était levé aussi bien du côté de l’armée que de celui d’Atika. Bien au contraire, chaque protagoniste ne cesse de se réorganiser davantage tout en restant vigilant et très bien concentré pour éviter tout effet de surprise de la part de l’ennemi.
Ils se surveillent très étroitement comme c’est le cas de nos jours au Nord du département de Bignona où, depuis la crise postélectorale en Gambie, militaires sénégalais et combattants du Mfdc sont aux aguets. Le moindre incident suffirait pour engendrer un affrontement sanglant. Comment, dans ces conditions, pouvons-nous dire que nous sommes en situation de paix ? Il faut qu’on arrête de dormir sur nos lauriers et de cesser de croire qu’il y a la paix, parce qu’on n’entend plus de détonations d’armes. La Casamance est en train de traverser un climat assez confus de ni paix ni guerre et qu’on en est encore et toujours à ce stade. Toutes les tentatives de recherche de paix sous Macky Sall sont dans l’impasse totale.