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4 mai 2025
EN FINIR AVEC L'HYPERPRÉSIDENTIALISME
Personnalisation du pouvoir, dérive présidentialiste, culte de la fonction... Le modèle senghorien montre ses limites. Il est temps pour le Sénégal de se doter d'un régime original, selon Jean Charles Biagui, enseignant-chercheur en sciences politiques
« Le Sénégal a connu un régime parlementaire en 1960. Les événements de 1962 ont entraîné l'adoption de la Constitution du 7 mars 1963 qui consacre un régime à caractère présidentiel. La Constitution du 22 janvier 2021 s'inscrit dans cette même perspective. Cela dit, si nous observons les faits, c'est-à-dire la réalité politique au Sénégal depuis au moins 1963, nous constatons que nous sommes bien loin d'un régime présidentiel dont l'idéaltype serait le régime présidentiel américain dans lequel il existe une séparation stricte des pouvoirs. Dans le cas du Sénégal, nous sommes depuis 1963 dans un régime présidentialiste. Autrement dit, un régime où l'équilibre des pouvoirs est rompu au profit d'un président de la République hégémonique C'est ce type de régime que certains appellent au Sénégal hyper-présidentialisme ».
Un régime dangereux pour la démocratie
« J'estime qu'il s'agit d'un régime dangereux pour la démocratie. Il explique dans une certaine mesure la personnalisation à outrance du pouvoir. Il donne un rôle central et unique à l'institution du président de la République. Ce dernier ressemble beaucoup à un monarque. Sa marge de manœuvre est incompatible avec un système qui se réclame de la démocratie contemporaine. Il est sollicité même pour baptiser un édifice public comme un stade. Les présidents sénégalais conjuguent beaucoup trop souvent la première personne du singulier. L'exacerbation des tensions dans la perspective des élections présidentielles est aussi liée au type de régime que nous avons. Les acteurs politiques en particulier, les candidats comprennent bien qu'ils auront un immense pouvoir en accédant à la magistrature suprême. Les Sénégalais auraient dû refuser de poursuivre dans cette dynamique lors du référendum constitutionnel de 2001. Malheureusement, ce dernier a consolidé le caractère présidentialiste du régime. Il est impératif de limiter les pouvoirs d'un seul individu si nous voulons arriver à une démocratie substantielle ».
Le choix n'est pas forcément entre un régime parlementaire et un régime présidentiel
« D'un point de vue institutionnel, le Sénégal est malheureusement toujours dans un mimétisme incompréhensible pour un pays qui célèbre souvent avec une grande fierté son indépendance. Il est urgent de prendre des initiatives pour avoir un régime original. Le nom de ce régime importe peu. Le choix n'est pas forcément entre un régime parlementaire et un régime présidentiel. Le plus important de mon point de vue est d'aller vers un équilibre ou un aménagement institutionnel qui tienne compte de l'exigence de la séparation des pouvoirs. Les pouvoirs actuels du président de la République pourraient être partagés entre le gouvernement et l'Assemblée nationale dans le cadre d'une révision constitutionnelle. Je pense à la nomination à certains emplois civils et militaires, à certains postes dans la haute administration, au choix des ambassadeurs... Dans le même ordre d'idées, il faut donner la possibilité à la Justice, à l'Assemblée nationale, aux citoyens de destituer le Président de la République pour des faits graves à travers des mécanismes qui prévoient les possibles cas d'abus. Aucun individu ne devrait être au-dessus des lois ».
LES CANDIDATS MIS AU DÉFI
L'épisode de report de l'élection décidé unilatéralement par Macky Sall a convaincu certains candidats de la nécessité d'en finir avec le « présidentialisme absolu ». Diallo, Khalifa ou encore Diomaye Faye proposent désormais des alternatives
Instauré par le président Léopold Sédar Senghor au lendemain de la crise de 1962, l’hyper-présidentialisme, globalement ce système présidentiel marqué par la trop grande concentration de pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat, est de nouveau rattrapé par le débat politique dans le cadre de la campagne électorale en cours. En effet, avec la tentative avortée de l’actuel chef de l’Etat et des députés du groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (Pds) de reporter jusqu’au 15 décembre prochaine la date de la présidentielle du 24 mars initialement prévue le 25 février dernier, certains candidats sont partis en croisade contre le maintien de ce système qui est de plus en plus décrié par des organisations de la société civile et des universitaires.
Le Sénégal devrait-il tourner la page du système présidentiel instauré par le président Léopold Sédar Senghor au lendemain de la crise de 1962 ? S’il est difficile de trancher cette question, force est de reconnaitre que tel un serpent de mer de la politique au Sénégal qui ressurgit à la veille de chaque élection présidentielle depuis 2012, le débat sur l’hyper-présidentialisme s’invite à nouveau dans la campagne électorale en cours pour la présidentielle du 24 mars prochain. En effet, depuis le lancement de cette campagne électorale le 10 mars dernier, certains candidats en piste pour cette élection, prenant la relève des organisations de la société civiles et des universitaires, agitent de plus en plus cette question de réforme des institutions avec en toile de fond la réduction des pouvoirs du président de la République. Se basant sur la tentative avortée de l’actuel chef de l’Etat et des députés du groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (Pds) de reporter jusqu’au 15 décembre prochain la date de la présidentielle du 24 mars initialement prévue le 25 février dernier, ces candidats dénoncent les limites de ce système instauré par le premier président de la République du Sénégal, feu Léopold Sédar Senghor au lendemain de la crise de 1962. En effet, selon eux, ce mode de gouvernance fragilise les institutions au profit du président qui concentre l’essentiel des pouvoirs.
Parmi eux, nous pouvons citer le candidat de la coalition Tekki 2024, Mamadou Lamine Diallo. Dans le pilier 2 intitulé : « Réconcilier le Sénégalais avec ses Institutions » de son programme de gouvernance dénommé « Agenda de redressement national du Sénégal », le candidat de la coalition Tekki 2024 s’engage s’il est élu à proposer dès sa prise de fonction des reformes basées sur le modèle des Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) pour arriver à un rééquilibrage des pouvoirs entre les institutions de la République. « Il nous faut renforcer le modèle démocratique sénégalais en réduisant les pouvoirs du président de la République, et en rééquilibrant les pouvoirs à la fois législatif, exécutif et judiciaire. On a vu ce que ça donne d'avoir un présidentialisme absolu, avec les difficultés que nous avons eu pour pouvoir aller à l'élection présidentielle : le fameux coup d'État constitutionnel du 3 février du président Macky Sall », a déclaré Mamadou Lamine Diallo en faisant référence à l’abrogation du décret convoquant le corps électoral par le chef de l’Etat à l’origine du chamboulement du processus électoral en cours.
Outre le candidat de la coalition Tekki 2024, celui de la coalition « Khalifa Président », Khalifa Ababacar Sall semble également dans cette dynamique. La preuve, lors de son passage dans la Petite côte (département de Mbour), l’ancien maire de Dakar a clairement affirmé son intention s’il est élu de « mettre en place des institutions fortes pour que n’importe quel président de la République ne puisse les utiliser pour combattre des adversaires » en se référant sur le modèle des Assises nationales. Autre candidat qui s’est également engagé en faveur des réformes pour en finir avec l’hyper-présidentialisme, le candidat Bassirou Diomaye Faye. Lors de la conférence de presse de présentation de son programme politique qu’il a coanimée avec son ami et leader, Ousmane Sonko, le candidat de la coalition « Diomaye président » a fait part de son intention de mettre fin à ce système « dommageable pour l’économie, la paix et la stabilité du pays ». C’est ainsi qu’il a annoncé des réformes qui devraient aboutir à la suppression de la Primature et l’instauration d’un poste de vice-président dont l’occupant devrait être «élu en tandem avec le président de la République» lors de la présidentielle de 2029.
MACKY SALL ASSUME SES CHOIX
Le président défend sa décision controversée de report. Malgré les tensions, le chef de l'Etat assure que la démocratie sénégalaise est intacte. Il exclut toute remise en cause du franc CFA et met en garde contre une renégociation des contrats pétroliers
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 20/03/2024
Le président Macky Sall s'est entretenu le mardi 19 mars 2024 avec l'agence de presse Bloomberg et a défendu sa décision de reporter les élections législatives prévues initialement le 25 février dernier. Bien que cette décision ait plongé le pays dans la tourmente, il a assuré que la démocratie et les institutions sénégalaises demeurent intactes.
"Il est vrai que nous avons connu un mauvais début d'un mois environ", a-t-il déclaré depuis la capitale Dakar. "C'était une expérience difficile, mais qui nous renforcera malgré les incertitudes". Jusqu'au report du scrutin, invoqué en raison de questions entourant la validation des candidatures par le Conseil constitutionnel, le Sénégal était largement considéré comme l'un des derniers bastions de la démocratie dans une région secouée par une série de coups d'État ces dernières années.
La décision a cependant été condamnée par les critiques du président, qui y ont vu une "coupure constitutionnelle". Macky Sall a expliqué que le report et l'amnistie ultérieure accordée aux leaders de l'opposition et à d'autres impliqués dans la violence politique étaient nécessaires pour réconcilier une nation divisée, et que la normalité reviendrait après le vote du 24 mars prochain. "Je voulais vraiment léguer un pays réconcilié, un pays en paix, qui poursuit sa trajectoire de stabilité", a-t-il ajouté.
Lors de ce scrutin, les millions d'électeurs devront choisir entre l'ex-Premier ministre Amadou Ba, soutenu par le président sortant, et le candidat de l'opposition Bassirou Diomaye Faye, emprisonné avec d'autres détracteurs du gouvernement avant l'élection. Faye a depuis bénéficié de l'amnistie accordée début mars dans le but d'apaiser les tensions, tout comme le chef de file de l'opposition Ousmane Sonko. Aucun candidat ne devrait l'emporter dès le premier tour, selon les analystes, qui anticipent un second tour après la fin officielle du mandat de Macky Sall le 2 avril.
Emmanuel Kwapong, économiste à Standard Chartered Bank, a indiqué à Bloomberg qu'une victoire d'Amadou Ba assurerait une continuité des politiques et rassurerait les investisseurs, tandis qu'un succès de Bassirou Diomaye Faye pourrait avoir des implications significatives pour l'économie régionale et les plans du Sénégal de commencer à produire du gaz et du pétrole d'ici le troisième trimestre de cette année.
Macky Sall a par ailleurs assuré à l'agence de presse que "je ne pense pas qu'il soit vraiment approprié de parler de quitter le CFA. Les contrats pétroliers et gaziers peuvent toujours être améliorés, mais franchement, penser que nous pouvons changer les contrats déjà signés avec les compagnies serait impossible. Ce serait un tournant désastreux pour le Sénégal."
AMNISTIE FISCALE, ET APRÈS ?
Magnanimité ou manœuvre électorale? Si pour certains, l'amnistie fiscale accordée par le président à la presse est suspicieuse, d'autres appellent les journalistes à ne pas céder à la connivence
Une amnistie fiscale d’une valeur de 40 milliards FCfa et une réduction de moitié de la redevance télévisuelle qui passe d’un million à 500 mille F Cfa/mois. C’est la conséquence directe de l’audience accordée par Macky Sall aux patrons de presse le lundi 18 Mars.
Mais pourquoi une telle rencontre suscite-t-elle autant la controverse ? Sur les réseaux sociaux, les objections enflent. Massivement, l’on voit d’un mauvais œil cette «faveur» accordée aux médias à quelques jours de l’élection présidentielle. Pour la plupart des intervenants, l’occurrence est suspecte parce que, croit-on, le contexte et la perspective seraient très peu favorables au camp du pouvoir. L’on refuse de voir chez le président Sall un acte désintéressé qui témoignerait simplement de sa magnanimité.
Pour une partie de la presse acquise à la cause de pouvoir, il n’y a pas de problème. En ce qui concerne l’autre, il serait nécessaire et stratégique de «la faire adhérer». Ou en tout cas de la rendre moins «rebelle» et moins «malveillante». Ce sont là des opinions largement exprimées dans le débat qu’a occasionné l’audience.
Magnanimité ou acte sournois, toujours est-il que c’est aux journalistes de prendre leurs responsabilités en ne s’inscrivant pas dans une relation de connivence au détriment de la rigueur et de l’objectivité dans la relation des faits et le traitement de l’information. Nous le savons tous : les relations (interpersonnelles) et/ou les faveurs sont souvent de nature à conditionner les messages. Elles sont généralement perçues ici et là comme une sorte de prescription subliminale pour un regard… orienté.
En tout état de cause, ayons un préjugé favorable. L’on ne peut pas condamner toute la presse pour délit d’intention. La perspective pour notre pays est trop sérieuse pour qu’on se mette à jouer avec le feu.
Par Alioune TINE
VOIR LOIN, VOIR LARGE
On ne peut envisager la gouvernabilité de ce pays dans le long terme sans étudier les dysfonctionnements du présidentialisme exacerbé, (de droit divin) mais aussi le cumul entre la fonction de président de la République et celle de chef de parti
La période 2021-2024 est une séquence historique, politique et démocratique inédite dans l’histoire politique du Sénégal : pour la première fois un président de la République y organise une élection à laquelle il n’est pas candidat et le leader le plus populaire de l’opposition ne pourra pas y participer comme candidat parce qu’exclu par une condamnation de la justice pénale.
Au cours de cette séquence historique, la majorité et l’opposition ont essayé de conserver le pouvoir ou de le conquérir par tous les moyens, y compris par des moyens politiques non conventionnels.
C’est la raison pour laquelle on a failli tous frôlé la catastrophe, et il nous semble nécessaire d’en tirer les meilleures leçons.
Cette situation politique a créé une forte polarisation de la société sénégalaise. Toutes les normes de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains ont été transgressées, créant un lourd passif humanitaire. On a vécu une situation politique et sociale hors norme, une forme d’anomie et de perte de sens face auxquelles, par moment, on s’est senti tous impuissants.
Gaz et pétrole
Au cœur de cette problématique se trouve certes, la question récurrente de l’éligibilité et de la limitation des mandats présidentiels à deux, mais aussi l’aggravation des enjeux de pouvoirs au Sénégal avec la découverte du gaz et du pétrole qui aiguise de façon exacerbée tous les appétits. La lancinante question du retour comme par effet de boomerang du troisième mandat depuis 2012, semble être la conséquence de la découverte du pétrole et du gaz (rarement soulevée de façon explicite dans les débats publics).
Les raisons de ce recul sont étroitement liées à la crise structurelle du système démocratique sénégalais, de l’État de droit, de la gouvernance, des droits humains et la compétition sans merci exacerbée depuis 2011-2012 par les enjeux de pouvoir et les nouveaux enjeux géopolitiques liés à la découverte d’immenses ressources gazières et pétrolières.
Les crises et les violences politiques lors d’élections présidentielles ou d’enjeux de pouvoir élevés ont souvent donné lieu à des violences suivies de morts d’hommes, des détentions arbitraires, des cas de tortures, de destructions massives de biens publics et privés et donné lieu à des négociations pour trouver un consensus (1963, 1968, 1988, 1993, 2011).
Institutions
En réalité, le report du scrutin présidentiel initialement prévu le 25 février 2024 a provoqué un séisme politique sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal, considéré par l’écrasante majorité du peuple sénégalais comme un « coup d’État constitutionnel » qui a contribué à l’aggravation de la crise. Pour comprendre comment on en est arrivé là, il importe de porter un regard rétrospectif dans la durée sur les crises cycliques et structurelles qui ont scandé l’histoire du système politique et social du Sénégal.
Le report brutal et inconstitutionnel de l’élection présidentielle a ouvert la voie à diverses manœuvres politiques avec le « dialogue politique » et la loi d’amnistie très contestée par l’opinion sénégalaise, créant incompréhensions, cacophonies, prévisibles du reste chaque fois qu’une société est confrontée à de grands dilemmes et à des choix difficiles comme celui de la justice et de la paix. Si bien que toute médiation pour le dialogue politique, nécessaire pour une sortie de crise, était considérée comme suspecte pour la majorité de l’opinion. Quand on arrive à ce degré d’influence radicale, où personne ne croit plus à personne, on doit s’arrêter pour nous interroger sur notre société.
Ce que les prochaines autorités publiques doivent éviter à tout prix c’est le discrédit de la parole donnée.
Il faut préciser qu’au regard du droit international pénal, la loi d’amnistie ne permet jamais d’exonérer les crimes internationaux imprescriptibles et les crimes de sang (tortures, crimes contre l’humanité, génocides, crimes de guerre).
Les questions graves et sérieuses de l’impunité pourraient trouver une solution dans un mécanisme qui accompagnent la loi d’amnistie, notamment une Commission Paix, Vérité, Justice, Réconciliation, Pardon, Réparation des Victimes pour purger les cœurs et les esprits et les laver de tous les ressentiments, de toutes les haines et de toutes les revanches.
On ne peut envisager la gouvernabilité de ce pays dans le long terme sans étudier les dysfonctionnements du présidentialisme exacerbé, (de droit divin) mais aussi le cumul entre la fonction de président de la République et celle de chef de parti, car la responsabilité massive de tout ce qui s’est passé incombe d’abord aux décisions souvent hors-la loi et impunies du Président de la République.
Redistribution
La prise en charge des préoccupations essentielles des populations les plus marginalisées notamment les jeunes et les femmes qui représentent l’écrasante majorité de la population du Sénégal, notamment les préoccupations liées à l’éducation, à la formation et à l’emploi sont pour le Sénégal et la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest le défi à relever pour les années qui viennent.
Il est inadmissible et dangereux que les jeunes et les femmes continuent à être marginalisés, continuent à ne voir aucun horizon, aucun futur pour leur épanouissement et leur bien-être et qui se sentent si mal et sans espoir aucun sur le continent au point de risquer leur vie pour un ailleurs où ils ne sont d’ailleurs pas désirés.
Se pose ici la question de la redistribution des ressources naturelles aux citoyens sur toute l’étendue du territoire national, comment mettre en œuvre de façon concrète la disposition de la Constitution disant que « les ressources appartiennent au peuple ».
Concernant les fractures territoriales, elles sont abyssales quand on compare Dakar au reste du pays. Dakar une capitale saturée, polluée, défigurée et de moins en moins vivable, réceptacle de toutes les vieilles voitures d’Europe, n’a pratiquement plus d’espace pour que les humains eux-mêmes puissent se promener en paix et en toute tranquillité, en dehors de quelques rares espaces aménagés de la Corniche.
Le débat sur le changement de la capitale est un grand débat qu’il faut mener aujourd’hui, parce que posé avec juste raison parle président Abdoulaye Wade en 2000, il a été escamoté et oublié. Il faut reprendre ce débat et créer une capitale au centre du pays et tisser une toile d’araignée avec les chemins de fer et toutes les formes d’infrastructures sur l’ensemble du territoire national, envisager de grands travaux qui permettent de trouver de l’emploi pour les jeunes. Transformer le pays dans la durée, relier le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, corriger dans la durée les fractures territoriales et les fractures ethniques émergentes, qui il faut bien le reconnaître sont connectées.
État et confréries religieuses
La question de l’État du Sénégal et de ses rapports avec les confréries religieuses est un des legs de l’État colonial. Car les confréries religieuses, de sensibilité soufie par leur influence sur les populations sénégalaises fonctionnent d’une certaine manière comme les références idéologiques, axiologiques et spirituelles pour la plupart des populations sénégalaises.
Mais avec l’influence grandissante d’une nouvelle sensibilité religieuse de nature wahabite ou salafiste promue par des puissances arabes émergentes du Golfe et du Moyen-Orient, qui considère d’ailleurs les confréries religieuses soufies comme des déviances constituent de nouveaux défis pour toute la sous-région qui méritent réflexion. D’où l’intérêt aujourd’hui de repenser la question de la laïcité au Sénégal et de lui trouver un contenu consensuel qui permette à chaque citoyen d’exercer librement et en toute sécurité sa croyance.
État impartial
Cette crise a également créé des tensions entre les différentes institutions, notamment entre le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Avec la crise que nous avons traversée, tous les seuils critiques en matière de démocratie, d’État de droit et de droits humains ont été franchis.
Le paradoxe de cette séquence politique, c’est que la justice qui est au centre des polémiques, et des débats a été à la fois un remède parce qu’après tout, c’est le Conseil constitutionnel et la Cour suprême qui ont sauvé le processus électoral. La justice a été aussi une espèce de poison car tout au long de la crise on a dénoncé avec juste raison une justice partisane, genre « Coumba am ndeye Coumba amoul ndeye ». Repenser la justice au Sénégal doit être une nécessité absolue.
D’où l’intérêt de revenir sur toutes les pathologies démocratiques et institutionnelles et les crises que ce pays a traversées et qui lui ont permis tout au long de sa trajectoire et dans le passé de trouver des anticorps qui lui ont permis d’avancer et d’avoir sa propre immunité démocratique, comme toutes formes de sociétés démocratiques dans le monde.
Mais la spécificité de la crise que le Sénégal traverse depuis 2021 est révélatrice d’une vulnérabilité toute particulière, et des menaces sur l’État, la Nation, le Vivre ensemble et le Contrat social. Cette vulnérabilité est perceptible avec l’émergence de la haine, des ressentiments et d’une défiance radicale vis-à-vis des institutions et qui constituent de véritables poisons qui gangrènent le champ politique et le champ social sénégalais. Si on y prend garde, le Sénégal pourrait connaître dans le futur un sérieux problème de gouvernabilité ou pire le sort de certaines démocraties de la sous-région qui se sont effondrées.
La grande question aujourd’hui c’est la gouvernabilité, les formes de gouvernement et la question centrale d’un gouvernement démocratique, républicain et impartial dans les années qui viennent dans le contexte où le pays change de statut avec l’exploitation du gaz et du pétrole, dans un contexte où les relations internationales changent à une grande vitesse avec une compétition de plus en plus accrue des grandes, des moyennes et des puissances émergentes qui cherchent à exercer leur influence dans les pays de la sous-région.
Mais aussi de la disruption sur l’ensemble des aspects de la vie politique, économique et sociale et même familiale ou individuelle que va inéluctablement entrainer l’Intelligence Artificielle dans les années qui viennent, si l’on n’anticipe pas ces risques et ces menaces dès maintenant.
Comment faire des pays africains non pas seulement de simples objets de géopolitique mais des sujets et des acteurs à part entière capables de défendre leurs intérêts stratégiques dans le cadre d’union régionale comme la CEDEAO ?
Comment faire face aujourd’hui aux risques de désintégration de la CEDEAO face à la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) ? En dépit de tout ce qu’on peut penser, cela pose des questions et des défis sur lesquels il serait mal venu de rester indifférent, notamment la question majeure de la souveraineté sécuritaire qui se pose pour tous les pays africains et pour la région
Par Vieux SAVANÉ
LA VÉRITÉ DES URNES N’EST PAS CELLE DES FOULES
La guerre des foules fait rage, même s’il est hasardeux de se focaliser sur la capacité de mobilisation de tel ou tel camp pour subodorer d’une victoire ou d’une défaite à venir
Assurément, jusqu’au bout tout aura été inédit dans cette course à l’élection présidentielle. Après l’arrêt brutal du processus à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale, l’organisation avortée du dialogue qui s’en est suivi, voilà qu’avec le vote d’une amnistie et l’élargissement de prison de Ousmane Sonko, président de l’ex Pastef et son adjoint Bassirou Diomaye, candidat de la coalition Diomaye Président, la campagne électorale emprunte un nouveau tournant.
La guerre des foules fait rage, même s’il est hasardeux de se focaliser sur la capacité de mobilisation de tel ou tel camp pour subodorer d’une victoire ou d’une défaite à venir. Il est même à se demander si ce ne sont pas les mêmes foules qui se retrouvent, au gré des meetings et des cortèges, étant entendu que le temps de la campagne est un moment particulier pour sortir certaines contrées de leur torpeur en y apportant de l’animation et l’opportunité de bénéficier des largesses des candidats, à coup d’argent, de tee-shirts et autres gâteries.
La foule ne saurait donc à elle seule être une mesure d’appréciation des forces politiques en présence. Si tel était le cas, le Sénégal n’aurait pas connu deux alternances démocratiques puisqu’à vue d’œil et de télévision, il n’y avait pas photo avec les foules que drainaient les cortèges des anciens candidats à la présidentielle, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. La vérité des urnes n’étant pas celle des foules bigarrées et exaltées, il a fallu se rendre à l’évidence avec leurs défaites respectives en 2000 et 2012. Une autre donne est celui des inscriptions avec notamment les primo-votants. Se sont-ils majoritairement inscrits ? Ont-ils majoritairement retiré leurs cartes électorales ? Rien n’est moins sûr puisque des préfets de région attirent déjà l’attention sur les milliers de cartes d’électeur en dormance dans les commissions de distribution. Quoi qu’on en dise, ce sont là un certain nombre de paramètres qui vont influer sur l’issue des élections.
L’autre paradoxe qui travaille cette élection présidentielle est qu’ils sont 19 candidats à sillonner le pays en quête des suffrages de leurs compatriotes. Un record jamais atteint comme pour signifier l’attractivité de la fonction présidentielle, chacun essayant de se positionner au mieux dans une future « guerre des places ».
L’ego hypertrophié, nombre d’hommes et de femmes politiques demeurent sensibles aux manifestations furieuses et décadentes des attributs du pouvoir, faisant dire à une observatrice avisée qu’ « ils donnent l’impression que même Dieu est plus modeste qu’eux ».
A se demander alors si la rupture tant souhaitée est encore possible avec de tels travers ? Est-il seulement permis de rêver d’un président, avec les traits tirés, tendu et soucieux, les cheveux blanchis, tout occupé à sortir les Sénégalais de la pauvreté, refusant avec force cette « Comédie du pouvoir » qui se joue dans le ballet des va et vient des membres du gouvernement presque au complet, s’agglutinant à l’aéroport pour saluer « le grand patron», au départ et au retour de voyage. Va-t-on avoir un président de la République garant de la Constitution qui va défendre la laïcité, les libertés individuelles et collectives, promouvoir l’égalité entre hommes et femmes ? Va-t-on enfin voir un président qui veille au strict respect de la séparation des pouvoirs, refuse d’instrumentaliser la justice en mettant le coude sur des dossiers sensibles?
Dans leur grande majorité, nos compatriotes qui ne veulent nullement être les dindons de la farce, semblent pourtant disposés à consentir à tous les sacrifices, à condition que le chef donne le la. Une disposition psychologique dans laquelle ils se trouvaient d’ailleurs suite à la première alternance démocratique, sauf qu’ils ont dû déchanter quand ils ont compris que le pouvoir s’organisait autour de ce que Me Abdoulaye Wade avait confié à un de ses plus proches collaborateurs : « nos problèmes d’argent sont maintenant terminés ». Une situation qui perdure puisque de nos jours encore, l’insulte à la bouche, le laxisme et le népotisme en bandoulière, on continue d’enfanter des milliardaires, pour ne pas dire des enrichis sans cause.
Au-delà de la nécessité de ne pas céder à un dégagisme ravageur, l’enjeu de cette élection présidentielle consiste à choisir une personne dotée de vision et d’expérience, loin d’être sous la fascination du pouvoir ni obnubilé par un second mandat, mais plutôt mue par une vision, un esprit de conquête et de sacrifice. Car il s’agit de refonder les institutions et de participer par l’exemple à la mise en orbite de la conviction selon laquelle seul le travail crée la richesse. Au risque de flirter avec le chaos, ne perdons donc pas de vue que ce pays, constitué de 75 % de jeunes, est tenaillé avant tout par l’urgence de l’espérance.