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3 mai 2025
par Ndongo Samba Sylla
QUI A PEUR D’UNE MONNAIE NATIONALE POUR LE SÉNÉGAL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné. Rester dans le franc CFA, c’est souscrire une assurance sous-développement. En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique
Depuis que le candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye a évoqué l’idée d’une monnaie nationale, les réactions catastrophistes et démagogiques, typiques de l’esprit françafricain, n’ont cessé de pleuvoir. Beaucoup d’experts autoproclamés et de « gens d’expérience » ont dit des choses - qu’ils ne maîtrisaient pas ou de nature biaisée - dans le seul but de défendre le statu quo économique et monétaire. De mon point de vue, cette proposition courageuse et lucide est salutaire pour le Sénégal compte tenu de son nouveau statut de pays exportateur d’hydrocarbures, du bilan désastreux de la zone franc et de la chimère qu’est le projet de monnaie unique CEDEAO. Nonobstant la tentative de sabotage des présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, ce dernier projet revient à dire : voulez-vous du naira comme monnaie unique régionale ? Il ne s’agit pas pour moi de réitérer mon plaidoyer pour une monnaie nationale sénégalaise mais plutôt de répondre à des questions que la plupart de nos compatriotes soucieux de progrès économique pour eux-mêmes et les futures générations ne peuvent manquer de se poser.
Avoir une monnaie nationale est-ce quelque chose d’exceptionnel ?
Non, c’est la norme partout à travers le monde. Tous les pays africains disposent de leur propre monnaie nationale, à l’exception des quatorze pays qui utilisent le franc CFA. Soit un total de 40 pays souverains sur 54. Même s’il est nominalement national, le franc comorien fonctionne comme le franc CFA car il est sous le contrôle du Trésor français.
Les unions monétaires rassemblent des États souverains qui partagent une même devise émise par une banque centrale commune. Elles ont connu leur apogée dans la période coloniale. Il n’en existe que quatre aujourd’hui : le bloc CFA en Afrique de l’ouest ; le bloc CFA en Afrique centrale ; l’Union monétaire des Caraïbes Orientales ; la zone euro. La zone euro est la seule union monétaire en activité qui ait vu le jour dans la période « postcoloniale ». D’ailleurs, selon Benjamin Cohen, la zone euro est une anomalie historique : « Jamais auparavant, dans l’histoire moderne, un groupe d’États totalement indépendants n’a volontairement accepté de remplacer les devises nationales existantes par un type de devise nouvellement créé. »
Au total, c’est moins de 7 % de la population mondiale qui vit dans une union monétaire. Le principe « un État, une monnaie » est donc la norme. Les unions monétaires sont l’exception.
Une monnaie nationale est-elle une démarche aux antipodes du panafricanisme ?
Non. La monnaie étant la créature et l’instrument d’un État, une cohérence s’impose : soit elle est nationale, soit elle est fédérale. La vraie « balkanisation » n’est pas dans la pluralité monétaire, qui est rationnelle tant que la politique économique demeure au niveau national, mais dans l’absence de coordination en matière diplomatique, militaire, industrielle, de vente des matières premières, etc.
Ceux qui pensent que battre monnaie va à l’encontre de l’intégration africaine devraient songer à laisser la politique budgétaire et fiscale de leur pays être décidée par un pays tiers…au nom du « panafricanisme » ! Un État qui n’est pas prêt à se dissoudre dans un ensemble politique plus large, et à renoncer à sa souveraineté fiscale, ne devrait pas se priver de sa monnaie nationale.
En attendant d’avoir un État fédéral régional ou continental, il est possible d’avoir un système de monnaies nationales solidaires, comme l’ont défendu Samir Amin, Joseph Tchundjang Pouemi et Mamadou Diarra.
Pourquoi battre monnaie est-il associé à la souveraineté politique ?
Citons feu l’économiste britannique Wynne Godley qui écrivait en 1992 :
« Le pouvoir d'émettre sa propre monnaie, de faire des tirages sur sa propre banque centrale, est l'élément principal qui définit l'indépendance nationale. Si un pays abandonne ou perd ce pouvoir, il acquiert le statut de collectivité locale ou de colonie. » Wynne Godley, Maastricht and All That, London Review of Books, 1992
La monnaie doit-elle être adossée à quelque chose, à l’or par exemple ?
Depuis le début des années 1970, nous vivons dans un monde de monnaies fiduciaires. Les monnaies existantes ne sont adossées à aucun métal. Leur valeur découle de la puissance des États qui les émettent, et notamment de leur capacité à prélever des impôts et taxes dans leur unité de compte. La notion de « viabilité » d’une monnaie ne fait pas grand sens. Ce qui « garantit » la « viabilité » d’une monnaie est ce qui garantit la viabilité d’un État. Tout État qui s’estime viable sur les plans économique et institutionnel devrait être capable de battre monnaie.
Le Franc CFA est-il une monnaie indépendante ?
Non. C’est une monnaie créée par le ministère français des Finances en 1945 et qui est toujours sous son contrôle. Les banques centrales qui émettent le franc CFA n’ont donc jamais eu d’expérience de gestion d’une monnaie indépendante de l’ancien colonisateur et qui évolue en régime de change flexible.
Même si les officiels français parlent de soixante-quatre ans de « coopération monétaire » (1960-2024) à propos du Franc CFA, ils n’ont jamais appris aux deux banques centrales de la zone franc comment fabriquer elles-mêmes leurs billets de banque et leurs pièces de monnaie. Ce qui se comprend. L’impression des signes monétaires de la zone franc constitue pour la Banque de France « près de la moitié de son plan de charges sur l’avenir », selon un de ses cadres.
La France garantit-elle le Franc CFA ?
On entend souvent dire que c’est la France qui « garantit » le franc CFA. C’est une vue de l’esprit. La « garantie » est une promesse de prêt du Trésor français vis-à-vis des deux banques centrales qui émettent les francs CFA. Or, le système franc CFA est paramétré pour que cette « promesse », cette « garantie », ne soit jamais mise à exécution. Résultat, au lieu que le Trésor français prête des devises aux deux banques centrales, c’est le contraire qui a prévalu de 1960 à 1980 et de 1994 à aujourd’hui. Autrement dit, ce sont les pays africains qui mettent à la disposition du Trésor français une partie de leurs devises à des taux avantageux.
Les pays CFA et leurs élites sont-ils si aliénés au point de ne pouvoir jamais envisager leur indépendance vis-à-vis du Trésor français ?
Oui, jusque-là. Les 14 pays qui utilisent le franc CFA ont une population de plus de 200 millions. Leurs dirigeants, leurs financiers et économistes pour la plupart, ont considéré jusque-là qu’ils sont incapables de faire quoi que ce soit sans le Trésor français qui, pourtant, ne leur apporte rien…sinon une discipline collective qui s’est avérée ruineuse sur le plan économique sur le long terme.
Par contraste, notons que les Seychelles avec 100 mille habitants ont une monnaie nationale qui évolue en régime de change flexible. Leurs taux d’intérêt directeurs sont parmi les plus faibles au monde malgré les nombreux chocs que subit le pays. De 1976 à 2022, les Seychelles n’ont eu une balance commerciale excédentaire qu’une seule fois : en 2003 ! Une expérience à méditer pour ceux qui disent que le Sénégal ne peut pas avoir de monnaie nationale tant qu’il n’aura pas de surplus commerciaux ! En 1960, les Seychelles avaient un revenu réel par habitant trois fois supérieur à celui du Sénégal. En 2022, l’écart est passé de trois à dix.
Le Franc CFA est-il compatible avec la souveraineté nationale ?
Non. La preuve est que le système franc CFA peut être utilisé par la France et ses alliés africains pour asphyxier financièrement les gouvernements dissidents, en leur privant l’accès à leurs comptes auprès de la banque centrale et au marché financier régional. En 2011, la Côte d’Ivoire, sous Laurent Gbagbo, a été victime de ces mesures illégales tout comme le Mali, sous Assimi Goïta, en 2022 et le Niger depuis juillet 2023. Ce type de sanction est impossible à mettre en œuvre dans les pays qui disposent de leur monnaie nationale.
Instrument de protection des intérêts français, le franc CFA est donc également un outil de répression contre les dirigeants qui ne se plient pas à la discipline françafricaine.
Le Franc CFA a-t-il facilité le commerce entre ses pays membres ?
La réponse est non. Entre 1995 et 2021, les échanges au sein la CEMAC sont de l’ordre de 1,5 % du commerce extérieur des pays membres malgré le partage d’une même monnaie depuis 1945. Le commerce intra-zone est plus élevé en zone UEMOA (13,6% sur la même période), du fait notamment des spécialisations économiques différentes et de la dépendance des pays enclavés vis-à-vis des pays côtiers.
Le Franc CFA est-il surévalué ?
Oui. Le franc CFA est né surévalué, c’est-à-dire sa valeur externe ne se justifie pas au regard des caractéristiques économiques des pays qui l’utilisent. Cette surévaluation est chronique. Dans le tome 3 de son histoire de l’UMOA, page 47, la BCEAO note que le franc CFA a été surévalué dans tous les pays membres selon des proportions variables entre la fin des années 1960 et 1994. Ce qui, selon son propre constat, a « fortement entamé la compétitivité de la zone dans la mesure où les coûts de production restaient élevés ».
Une monnaie surévaluée agit comme une subvention pour les importations et comme une taxe sur les exportations. Ali Zafar, ancien économiste de la Banque Mondiale, dans un récent ouvrage, montre que le franc CFA demeure encore largement surévalué. Utiliser le franc CFA, selon lui, c’est comme courir un marathon avec un frigo sur le dos.
Les déficits commerciaux chroniques des pays de l’UEMOA ont donc partie liée avec le système CFA qui pénalise leur compétitivité et les prive de financements, tout ceci au nom de la défense de la parité vis-à-vis de l’euro.
Le Franc CFA a-t-il favorisé l’attractivité économique des pays qui l’utilisent ?
Non. Jusqu’en 2018, le Ghana, dont la monnaie, le cedi, est réputée moins stable que le franc CFA, a enregistré un stock d’investissements directs étrangers (IDE) entrants supérieur à celui de tous les pays de l’UEMOA réunis. En Afrique centrale, en termes de stock d’IDE entrants, le Congo est le seul pays de la zone franc plus « attractif » que la République démocratique du Congo dont la monnaie est dollarisée.
Toutefois, les pays CFA font souvent face à des taux d’intérêt moins élevés sur les marchés financiers internationaux comparés à la plupart de leurs homologues. Cet avantage apparent pose problème : pourquoi ces pays qui se sont surendettés dans les années 1980 au point de forcer en 1994 une dévaluation – évitable si la France avait activé sa « garantie » – sont si prompts à se réendetter en monnaie étrangère ? En fait, dans le cas de l’UEMOA, tous les pays membres sauf la Côte d’Ivoire, pour certaines années, ont des balances commerciales et des balances courantes déficitaires : ils perdent des devises. Cette situation ne peut durablement coexister avec un régime de parité fixe immuable qu’à la condition de mettre le frein sur le crédit intérieur et de renforcer la dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur (s’endetter en monnaie étrangère et attirer vaille que vaille l’investissement direct étranger).
Les deux blocs franc CFA sont-ils des « zones monétaires optimales » ?
La littérature sur les « zones monétaires optimales » s’intéresse aux conditions idéales qui font de l’unification monétaire une alternative plus avantageuse au plan microéconomique (réduction des coûts de transaction) que l’usage de monnaies nationales. Aucune étude ne montre que les deux blocs CFA répondent chacun à la définition d’une zone monétaire optimale. Comme l’expliquent les économistes Christina Laskaridis et Jan Toporowski, « la plupart des auteurs qui [ont étudié cette question] concluent que la zone franc ne peut être évaluée en termes de zone monétaire optimale [...] Les raisons de la création et de la pérennité de la zone franc s'expliquent plus adéquatement par des motifs politiques que par des motifs économiques ».
Autrement dit, l’UEMOA et la CEMAC n’ont pas de justification économique. C’est la politique (la « Françafrique) qui explique leur survivance.
Rappelons que la zone franc (en réalité « zone du franc français ») a été créée pour permettre à la France de s’ajuster dans un monde dominé par le « privilège exorbitant » du dollar américain.
Le paradoxe, et ce n’est pas l’un des moindres : bien que les pays de l’UEMOA fassent déjà partie d’une zone monétaire, ils ont jusque-là échoué à remplir collectivement les critères pour faire partie de la zone monétaire entrevue par la CEDEAO !
Le Franc CFA a-t-il permis une « stabilité monétaire » ?
Oui. C’est là l’argument majeur des partisans du franc CFA qui auraient connu une dépréciation de sa valeur externe et interne plus limitée que la plupart des pays africains. Ceci est une conséquence de l’arrimage à l’euro. L’escudo cap-verdien arrimé à l’euro a donné des résultats similaires sur ce point précis. Les pays CFA n’ont donc aucun mérite pour cela. Le Franc CFA, c’est de l’euro déguisé. C’est pourquoi il est logiquement « prisé » des pays voisins. Il est même ridicule de se vanter de cet état de fait. Selon les données de la Banque mondiale, entre 1996 et 2019, le Sénégal a eu un en moyenne annuelle un taux d’inflation (mesuré par l’indice des prix à la consommation) de 1,3%, le même que la France. À l’échelle mondiale, le Sénégal n’a été « devancé » que par le Japon, pays dans une situation de léthargie économique depuis les années 1990. La plupart des pays dynamiques comme la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, le Brésil, etc. ont connu des taux d’inflation supérieurs à celui du Sénégal. Qui peut croire que cette « exception sénégalaise » est due à une quelconque maîtrise économique ? Un ami économiste espagnol a l’habitude de dire que les pays CFA utilisent l’euro mais sans être invités à la table au niveau de la Banque centrale européenne.
Peter Doyle, ancien économiste du FMI, a donné l’exemple de l’Eswatini (ex-Swaziland) qui a un taux de change fixe avec la monnaie sudafricaine. Dans les années 1960, l’Eswatini avait environ le même niveau de revenu réel par habitant que le trio Niger, Burkina Faso et Mali. 50 ans plus tard, l’Eswatini, avec des taux d’inflation comparativement plus élevés, a enregistré un niveau de réel par habitant cinq fois supérieur.
Le Franc CFA a-t-il favorisé le développement économique ?
Non. La Côte d’Ivoire est le pays le plus grand par la taille économique dans la zone franc. Selon les indicateurs de la Banque mondiale, son meilleur niveau de PIB réel par habitant remonte à 1978, niveau qui n’a toujours pas été « rattrapé ». Les sept autres pays de l’UEMOA sont classés parmi les Pays les Moins Avancés (PMA), catégorie créée dans les années 1970. Le Sénégal a rejoint cette catégorie en 2000 et n’en est toujours pas sorti. En effet, c’est en 2014 que le Sénégal a retrouvé son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui date de 1961. Quant au Niger, son PIB réel par habitant de 2022 est inférieur de 37% à son meilleur niveau qui date de 1965 ! La Guinée-Bissau, ex-colonie portugaise a obtenu son meilleur niveau de PIB réel par habitant en 1997, année de son entrée dans l’UEMOA. Depuis lors, son appauvrissement a été le prix à payer pour mettre fin à son record impressionnant d’instabilité macroéconomique et politique !
En Afrique centrale, le Gabon a actuellement un niveau de PIB réel par habitant inférieur de presque de moitié à son meilleur niveau qui date de 1976. Le Cameroun n’a pas encore « retrouvé » son meilleur niveau de PIB réel par habitant qui remonte à 1986. La Guinée équatoriale, petit pays pétrolier, qui a connu des taux de croissance économique monstrueux à la fin des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000 a vu son revenu réel par habitant diminuer de 59 % entre 2008 et 2018, alors que le pays n’est pas en guerre ou sous sanction…mais, par contre, utilise une monnaie arrimée à l’euro : le franc CFA.
Y a-t-il des pays pétroliers qui ont fixé leur monnaie à l’euro ?
Le FMI publie chaque année la classification des régimes de change et des cadres de politique monétaire à travers le monde. On constate que les seuls pays pétroliers et gaziers au monde à avoir fixé leur monnaie uniquement à l’euro sont les pays CFA. Ce « choix » qui défie le bon sens économique et qui est contraire aux intérêts de ces pays s’explique par des raisons politiques – la France a toujours voulu avoir un contrôle sur ses ex-colonies et avoir la possibilité d’acheter leurs ressources dans sa monnaie dans un monde dominé par le dollar américain. La conséquence, notamment pour les pays pétroliers en Afrique centrale, est la création de rentes pour le secteur financier français : ces pays sont dans l’obligation de convertir en euro la moitié de leurs réserves officielles de change et de les déposer auprès du Trésor français…alors que l’essentiel de leur commerce extérieur est libellé en dollar.
L’erreur qui est souvent commise est de considérer uniquement la destination géographique des échanges extérieurs et d’ignorer la monnaie dans laquelle ils sont facturés. Dans le cas du Sénégal et de ses homologues de l’UEMOA, la zone euro n’est pas la première destination à l’exportation mais la principale source d’approvisionnement. Ce qui s’explique : l’arrimage à l’euro fonctionne comme une « préférence commerciale » pour les produits européens et empêche le taux de change de jouer son rôle d’amortisseur des chocs.
Dans tous les cas, plus de 75 % du commerce extérieur de ses pays se passe dans des devises autres que l’euro et cette tendance va s’accentuer avec l’exploitation d’hydrocarbures dans des pays comme le Sénégal et le Niger.
La parité fixe à l’euro est un legs colonial. C’est la contrepartie de l’inexistante « garantie » française, soit un moyen pour Paris de continuer à avoir son mot à dire dans les affaires économiques, monétaires et politiques de ses anciennes colonies.
Est-il possible de se développer avec le Franc CFA ?
Jusque-là, la réponse est négative. Sur le long terme, la plupart des pays CFA ont soit décliné ou stagné sur le plan économique. La surévaluation du franc CFA, la rigidité de la parité fixe, les saignées financières que subissent ces pays et l’absence de financements adéquats sont autant de handicaps à déplorer. Un exemple édifiant est le suivant : au Sénégal, le secteur primaire – agriculture, élevage, pêche - qui occupe une proportion significative de la population active ne reçoit annuellement au titre des crédits bancaires de plus d’un an que 24-25 milliards de francs CFA. Oui, 24 et 25 milliards francs CFA. À titre de comparaison, les prêts que la BCEAO accorde à son personnel (plus de 3000 personnes) ont baissé en 2022 pour atteindre un peu moins de 43 milliards de francs CFA.
Epilogue….
Bref, rester dans le franc CFA c’est souscrire une assurance sous-développement (d’autant plus qu’on ne connaît pas de pays du Sud qui se soit développé en restant dans une union monétaire non fédéraliste et de surcroît contrôlée par l’ex-puissance coloniale). En sortir n’est pas promesse de développement. Tout dépend du modèle économique, comme les deux plus grands économistes africains à avoir réfléchi sur ces questions, Samir Amin et Joseph Tchundjang Pouemi, n’ont eu de cesse de le dire en leur temps.
Le propos est déjà long. Beaucoup d’autres choses pourraient être dites, notamment sur l’impossibilité d’une politique financière cohérente dans le cadre de la zone franc et la responsabilité du système monétaire et financier vis-à-vis du lancinant problème du chômage. Au fond, qu’est-ce que le chômage ? Si l’on part de l’idée qu’il décrit la situation de personnes désireuses de louer leurs services de travail en échange de la monnaie émise par l’État, on comprend dès lors que quand la masse monétaire est artificiellement restreinte pour défendre une parité fixe…on crée nécessairement du chômage. Comme l’écrit l’économiste américain Randall Wray :
"Il existe de solides arguments éthiques contre l'utilisation de la pauvreté et du chômage comme principaux outils politiques pour atteindre la stabilité des prix et des taux de change - d'autant plus que les coûts de la pauvreté et du chômage ne sont pas répartis de manière égale au sein de la population. Et même si la stabilité des prix et de la monnaie est désirable, il est douteux que l'on puisse le défendre comme un droit humain au même titre que le droit au travail."
Comme on le dit souvent, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. De la même manière, on ne peut libérer un esclave satisfait de sa servitude sucrée.
LE SÉNÉGAL DE MACKY SALL ENTRE LUMIÈRES ET OMBRES
Il a transformé le visage de Dakar et construit une nouvelle ville. Pourtant, de nombreux Sénégalais estiment être exclus du progrès. Alors que Macky Sall s'apprête à céder sa place, son action laisse un goût d'inachevé
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Douze ans après son accession à la magistrature suprême, Macky Sall laisse derrière lui un Sénégal transformé sur le plan des infrastructures mais aux profondes fractures sociales et démocratiques, selon les analystes interrogés par l'AFP. Alors qu'il s'apprête à quitter le pouvoir fin mars à l'issue de l'élection présidentielle, retour sur son bilan contrasté.
Sur les nombreux chantiers qui maillent désormais Dakar, la capitale méconnaissable, travaille Ismaïla Bâ, peintre en bâtiment de 36 ans. Pourtant, il se sent exclu du changement opéré sous la présidence Sall. "Je gagne à peine 9 euros par jour. Il m'est impossible d'envisager d'habiter dans ces nouveaux immeubles", déplore-t-il. Locataire avec sa famille dans le populaire quartier de Ouakam, il doit déjà s'acquitter de 122 euros mensuels de loyer, somme que son propriétaire menace d'augmenter. Pour arrondir ses fins de mois, il vend aussi du café et pratique la coiffure. Comme lui, de nombreux Sénégalais estiment être laissés pour compte de la croissance, profitant avant tout à une minorité bien nantie.
Pourtant, impossible de nier l'ampleur des chantiers menés sous Macky Sall. "Le pays dont j'ai hérité était véritablement vétuste" a-t-il déclaré, revendiquant une "transformation structurelle" du Sénégal. Il peut se targuer d'infrastructures majeures comme la nouvelle ville de Diamniadio, le train express régional, de nouveaux aéroports, autoroutes ou hôpitaux. Ces réalisations lui "permettent d'entrer dans l'histoire du Sénégal", concède le philosophe Souleymane Bachir Diagne sur RFI.
Pour autant, un Sénégalais sur trois vit toujours sous le seuil de pauvreté selon l'Agence nationale de la statistique (ANSD), soit 37,8% de la population. Bien que cette proportion ait diminué de 5 points depuis 2011, les inégalités sociales restent criantes. L'économiste Cheikh Bamba Diagne accuse le président d'"oublier la qualité de vie" au profit des seules infrastructures. Le chômage dépasse les 20% quand l'inflation atteint des sommets. Et pour relever ces défis économiques et sociaux, le déficit et la dette publique ont flambé. Cette dernière représente désormais 69,4% du PIB contre seulement 40% en 2012.
Sur le plan politique, Macky Sall laisse également un héritage controversé. Ces trois dernières années ont été marquées par une forte contestation populaire, réprimée dans le sang, et des dizaines de morts selon les ONG. Le report in extremis de l'élection présidentielle n'a fait qu'accroître la défiance envers le pouvoir. L'intellectuel Felwine Sarr dénonçait déjà dans Jeune Afrique les "procédés de fermeture de l'espace public" inhérents à sa gouvernance. Certains lui reprochent aujourd'hui une "dérive autoritaire", à l'image du slogan "Macky Sall dictateur" scandé dans la rue.
Malgré sa volonté affichée de transformer le Sénégal, force est de constater que le bilan économique, social et démocratique de Macky Sall, qui quittera le pouvoir en mars, demeure ambigu. Si les infrastructures ont changé le visage du pays, les fractures sociales et politiques peinent à se résorber. Son héritage préoccupe aussi bien les partisans d'un renforcement de l'État que les défenseurs d'une démocratie apaisée.
”SURSAUT CITOYEN” PRÔNE UN RÉAMÉNAGEMENT DU DISPOSITIF DE CONTRÔLE DE L’ÉTAT
Selon la plateforme, le Pacte est une initiative qui cherche à rassembler les citoyennes et les citoyens sénégalais à la sauvegarde et à l’approfondissement de la démocratie et du progrès social.
Des acteurs de la plateforme ”Sursaut citoyen” œuvrant pour la mise place d’un Pacte national de bonne gouvernance démocratique ont préconisé, lundi à Dakar, un réaménagement du dispositif de contrôle des actions de l’Etat en vue d’améliorer la transparence dans l’exécution des politiques publiques.
”Pour la bonne gouvernance, il faut un réaménagement du dispositif de contrôle de l’Etat. Cela est très important parce que c’est une des conclusions majeures de la Commission nationale de la réforme des institutions (CNRI) qui reprend et renforce les Assises nationales en prévoyant un système de contrôle de la base au sommet”, a déclaré Mamadou Lamine Loum, ancien Premier ministre du Sénégal.
M. Loum intervenait à l’ouverture du ”quartier général” de la plateforme ”Sursaut citoyen” dont l’objectif est de mobiliser les citoyens après l’élection présidentielle pour la mise en œuvre du pacte dans les premiers 200 jours.
”Cette réforme permettra de mieux contrôler les services de l’Etat avec des règles qui permettront de faire des contrôles approfondis”, a indiqué l’ancien PM, estimant que cette mesure structurante pouvait éviter au Sénégal certaines difficultés rencontrées durant ces dernières années.
Le Pacte vise aussi à lutter contre les violations des droits et libertés démocratiques, contribuer à l’amélioration de la qualité du débat public et politique par l’éthique, la pensée critique et l’argumentation rationnelle et fondée sur des faits probants.
Selon la plateforme ”Sursaut citoyen”, le Pacte est une initiative qui cherche à rassembler les citoyennes et les citoyens sénégalais, de toutes générations et de toutes professions et sensibilités, vivant à l’intérieur du pays comme dans la diaspora et attachés à la sauvegarde et à l’approfondissement de la démocratie et du progrès social.
”La diversité recherchée y est considérée non pas comme un problème mais en tant que ressource et opportunité pour enrichir et renforcer la réflexion et l’action. Ce qui exige le règne d’un esprit d’ouverture et de tolérance de la part de chacun ainsi que le respect de ce qui rassemble tous et toutes dans une même plateforme”, renseigne le document de la plateforme ”Sursaut citoyen”.
LE CADEAU D’AU REVOIR DE MACKY SALL À LA PRESSE SÉNÉGALAISE
Le chef de l’Etat a décidé, lundi, d’éponger la dette fiscale des entreprises de presse du Sénégal estimée à plus de 40 milliards de francs CFA.
Le chef de l’Etat a décidé, lundi, d’éponger la dette fiscale des entreprises de presse du Sénégal estimée à plus de 40 milliards de francs CFA, a appris lundi l’APS auprès du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (CDEPS).
Macky Sall a fait cette annonce au cours de son échange avec les membres du CDEPS.
‘’Au courant de l’audience, le président Macky Sall, a annoncé sa décision d’éponger la dette fiscale des entreprises de presse du Sénégal’’, selon un responsable de l’organisation patronale ayant pris part la rencontre, rappelant que cette enveloppe est estimée à plus de 40 milliards de francs CFA.
Il signale que les télés et radios devront payer mensuellement 500 mille francs à la société Télédiffusion du Sénégal (TDS) au titre de la redevance au lieu d’un million de francs CFA.
LE MESSAGE DE KARIM À SES HOMMES «POUR LA SUITE DU COMBAT»
Aphone depuis quelques temps, Karim Wade vient de reprendre la parole. Le fils de l’ancien président a tenu à adresser un message aux militants, les sympathisants du Parti démocratique sénégalais.
Karim Wade veut remobiliser les troupes. Dans un message qui a été adressé à ses partisans, il leur demande de rester mobilisés pour la suite du combat.
Aphone depuis quelques temps, Karim Wade vient de reprendre la parole. Le fils de l’ancien président a tenu à adresser un message aux militants, les sympathisants du Parti démocratique sénégalais (Pds) et les membres de sa coalition K24, ainsi qu'aux alliés.
Les remerciant pour leur soutien indéfectible, il leur demande, cependant, «de rester mobilisés pour la suite du combat», qui sera déterminée en rapport avec leur Secrétaire Général National, Maître Abdoulaye Wade.
Un message qui intervient trois jours après la décision de la Cour suprême qui a déclaré irrecevable le recours du Pds et de ses alliés du Fdpei. Un recours qui attaquait le décret de convocation du collège électoral pour faire annuler l’actuel processus devant mener au scrutin de dimanche.
SEYDI GASSAMA DÉNONCE LES MENACES DE MOUSSA BOCAR THIAM ENVERS LES ARTISANS WOLOF À OUROSSOGUI
Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le ministre met en garde les artisans et commerçants Wolofs contre toute intension de voter pour l’opposition.
Le directeur d'Amnesty Sénégal, Seydi Gassama a dénoncé les propos du ministre de la communication Moussa Bocar Thiam envers des artisans et commerçants Wolofs installés à Ourossrogui. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le ministre met en garde les artisans et commerçants Wolofs contre toute intension de voter pour l’opposition.
« Je ne m’adresse pas à ceux qui sont du côté d’Amadou Ba. Mais plutôt à mes parents Wolof, les commerçants, les menuisiers, le maçons, qui sont à Ourossogui et qui sont déterminés à voter contre Amadou Ba, c’est à eux que je m’adresse, vous n’avez pas le droit de voter quelqu’un d’autre qu’Amadou Ba à cette élection. Si vous vous votez pour l’opposition, c’est faire reculer la localité », a-t-il averti.
Des propos que Seydi Gassama considère comme un déni du droit au vote e appelle les démocrates à les condamner. « Encore une nouvelle dérive de Moussa Bocar Thiam qui dénient aux wolofs, commerçants et ouvriers établis á Ourossogui le droit de voter contre le candidat qu’il soutient. Ces propos, enrobés de menaces, doivent être condamnés par tous les démocrates », a-t-il dénoncé sur son compte X.
AMNISTIE, DIX ÉLÉMENTS DE LA “FORCE SPÉCIALE” LIBÉRÉS
“Le juge a déjà sorti son ordonnance. Toutes les personnes arrêtées dans cette affaire sont mises en liberté provisoire d’office, à la suite de la loi d’amnistie“, a précisé Me Moussa Sarr.
Les membres de la “Force spéciale”, Pape Mamadou Seck et Cie, ont tous été libérés, à la suite de la loi d’amnistie, selon Me Moussa Sarr. “Le juge a déjà sorti son ordonnance. Toutes les personnes arrêtées dans cette affaire sont mises en liberté provisoire d’office, à la suite de la loi d’amnistie“, précise leur avocat.
Ces dix membres de la présumée “Force spéciale” ont été placés sous mandat de dépôt au mois de juin 2022 par le juge d’instruction du deuxième cabinet, Mamadou Seck.
Pape Mamadou Seck et ses amis étaient poursuivis pour complot contre l’autorité de l’Etat, acte de nature à occasionner des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en vue d’organiser des bandes en leur fournissant des armes, munitions dans le but de s’attaquer à la force publique, détention et transport de produits et substances incendiaires en vue de compromettre la sécurité publique et détention illégale d’armes à feu.
CHEIKH TIDIANE DIÈYE DÉNONCE L’UTILISATION DE L’ARGUMENT DE L’ARGENT PAR AMADOU BA
“C’est facile pour eux de mobiliser. Leur habitude, c’est de sortir beaucoup de milliards et d’aller chercher les gens partout où ils sont, les mettre dans des cars, leur donner de l’argent et des tee-shirts."
Les tirs groupés autour du candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar ne cessent d’augmenter depuis la conférence de presse conjointe d’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Ces derniers avaient alerté les Sénégalais sur la « fortune injustifiée » d’Amadou Ba. En tournée à Linguère le candidat Cheikh Tidiane Dièye proche d’Ousmane Sonko n’a pas manqué de lancer des pics au candidat de la coalition au pouvoir notamment Amadou Ba.
Cheikh Tidiane Dièye dénonce l’utilisation de l’argument de l’argent à outrance non sans appeler les Sénégalais à rompre avec ce système. “C’est facile pour eux de mobiliser. Leur habitude, c’est de sortir beaucoup de milliards et d’aller chercher les gens partout où ils sont, les mettre dans des cars, leur donner de l’argent et des tee-shirts. C’est facile car tous les partis au pouvoir ont mobilisé de la sorte. Ils sont en train de faire la même chose. Mais je ne vois pas comment lui candidat qui n’est pas même soutenu par son patron pourrait nous créer des difficultés“, a-t-il déclaré.
Le candidat estime que ce qui est en train de se passer autour de nous ce n’est pas seulement une élection au plan politique, mais une révolution citoyenne.
« Lorsque vous voyez ce qui se passe autour de la caravane Diomaye Président, c’est juste phénoménal. Une fois dans les urnes, j’invite les Sénégalais à sanctionner durement ce candidat de la continuité de Macky Sall qui a fait souffrir les Sénégalais durant ces 12 dernières années de son règne”, a-t-il lancé.
LES INVESTISSEURS SOUS TENSION AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances. Mais les appels du camp Sonko à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers inquiètent
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 18/03/2024
Les investisseurs internationaux observeront attentivement l'élection présidentielle au Sénégal, prévue le 24 mars, après les reports qui ont provoqué de vastes protestations dans le pays. Le Sénégal, habituellement l'une des démocraties les plus stables d'Afrique de l'Ouest souvent secouée par les coups d'État, a été agité par les tensions depuis début février, lorsque le président Macky Sall a tenté de reporter le scrutin qui était initialement prévu le 25 février de 10 mois, soulevant des craintes de recul démocratique.
Selon une analyse de l'agence Reuters, plusieurs éléments préoccupent les investisseurs :
Au niveau financier, le Sénégal a environ 4,2 milliards de dollars d'obligations internationales en circulation, dont deux émises en euros et trois en dollars américains. Pour les investisseurs détenant ces obligations, l'attention actuelle se porte sur le déroulement pacifique et équitable du scrutin présidentiel. "Le marché scrutera de près pour s'assurer que les électeurs pourront s'exprimer lors d'un vote crédible", a déclaré Yvette Babb, gestionnaire de portefeuille chez William Blair Investment Management, citée par Reuters.
Sur le plan économique, le Sénégal est généralement considéré comme un environnement favorable aux affaires, avec de bonnes perspectives de croissance grâce à des projets gaziers devant démarrer cette année, projets qui devraient faire bondir le PIB à deux chiffres d'ici 2025 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Le pays a obtenu 1,9 milliard de dollars de financement du FMI en octobre, une aide perçue comme une force de stabilité pour les finances publiques. L'arrimage du franc CFA à l'euro est également vu comme un atout pour contenir l'inflation.
Cependant, certains candidats populistes comme Ousmane Sonko pourraient remettre en question ces orientations. Ses appels à créer une nouvelle monnaie nationale et renégocier les contrats miniers et énergétiques inquiètent. Alors que les sondages officiels font défaut, son candidat Bassirou Diomaye Faye est perçu comme un sérieux challenger au président sortant Macky Sall. "Les populations demandent pourquoi l'investissement ne change pas leur vie", analyse Mucahid Durmaz, expert Afrique de l'Ouest chez Verisk Maplecroft, également cité par Reuters.
par Nioxor Tine
DE LA PREMIÈRE ALTERNANCE À LA FIN DU SYSTÈME
Le tollé suscité par le report de la présidentielle traduit l'exaspération de la population face aux dérives antidémocratiques du pouvoir. Derrière les manœuvres électorales, c'est la fin annoncée d'un régime oppressif qui se joue
Habituellement, l’élection présidentielle sénégalaise se tient le dernier dimanche du mois de février de la dernière année du mandat en cours. Cette année, elle va finalement se tenir avec quatre semaines de retard, après moult rebondissements liés à la volonté farouche du président sortant de différer la tenue du scrutin. Cela traduit-il une peur panique face au crépuscule du système d’oppression néocolonial déjà malmené dans les pays frères voisins ?
Si cette volonté de report injustifié a suscité un immense tollé au niveau international, elle a buté sur une désapprobation massive dans notre pays, même si elle n’a finalement été considérée que comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des violations itératives des normes et principes démocratiques.
Pourtant, les Assises nationales de 2008-2009, dans un remarquable exercice de prospective politique aux conclusions desquelles, le président Macky Sall avait fini par – ou fait semblant de – souscrire, avaient indiqué, entre autres pistes de solution, la refondation institutionnelle, l’émergence citoyenne et l’obtention / parachèvement de nos souverainetés politique, économique et monétaire.
Paradoxalement, depuis le début de la deuxième alternance, une lourde chape de plomb s’est abattue sur notre pays instaurant un autoritarisme pesant sur la vie publique en général et la scène politique, en particulier, tentant de faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers et de nous ramener à l’ère de la glaciation senghorienne (voire à celle de la sujétion coloniale).
On en est ainsi arrivé à un stade où des mesures antidémocratiques extrêmes ont eu droit de cité. Il s’agit, notamment de l’interdiction pour les partis politiques de l’opposition d’accéder à leurs sièges pour y tenir leurs réunions ordinaires, de la dissuasion de manifestations par des rafles systématiques de passants dans la rue, d’arrestations arbitraires de supposés militants de l’opposition dans leurs domiciles, de la dissolution du Pastef, 60 ans après celle du PAI….
Si cette stratégie d’asservissement du citoyen a pu prospérer, c’est parce que le régime du Benno-APR a procédé à une instrumentalisation des institutions et à une criminalisation de l’activité politique, avec comme point culminant, la cabale contre le leader du Pastef identifié comme un des principaux obstacles à la perpétuation du système néocolonial. Des lois ont été perverties, de telle manière que les infractions relatives au terrorisme ont été rendues vagues et floues, pour en élargir l’acception, notamment l’article 279-1, assimilant à des actes terroristes, les violences ou voies de fait commises contre les personnes et des destructions ou dégradations commises lors des rassemblements. Il y a aussi eu les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Cette législation liberticide sera corsée, au lendemain des émeutes ayant trait à l’affaire Ousmane Sonko – Adji Sarr. Au vu de ces rappels, on appréhende mieux cette obsession du pouvoir apériste à susciter et à entretenir une atmosphère de tension avec une interdiction systématique des manifestations doublée d’un déploiement massif et irréfléchi des forces de l’ordre suivi d’usage abusif de la force. C’est par ces prétextes et provocations, qu’on a embastillé, sans aucune enquête digne de ce nom, des milliers de jeunes gens présumés innocents, sans désigner un quelconque coupable pour tous ces crimes apparentés à des actes terroristes.
Force est de reconnaître, que face à cette réduction sans précédent des espaces civiques, les capacités de revendication, de protestation et d’indignation ont également diminué, avec une propension de larges secteurs de la société civile et de la presse à jouer à l’équilibrisme, se tenant à équidistance entre le bourreau et la victime. C’est donc dans une indifférence quasi-générale, que le régime du Benno-APR a reconduit, comme en 2019, le système inique du parrainage citoyen ainsi que l’éviction judiciaire de concurrents politiques et dénaturé notre processus électoral.
Adossé aux appareils sécuritaire et judiciaire et brandissant l’épouvantail d’un prétendu terrorisme salafiste, le président Macky Sall et les pontes du Benno-APR ont cru pouvoir prendre des raccourcis et s’exonérer de leurs tâches politiques dans un pays aux solides traditions démocratiques.
C’est ce qui explique cette monumentale bévue politique consistant à vouloir prolonger indûment un mandat arrivé à terme, sanctionnée par deux désaveux cinglants du juge électoral suprême qu’est le conseil constitutionnel. On assiste, depuis lors, à un repli désordonné de la coaltion Benno-APR, dont le patron s’est mué en « chantre de la réconciliation nationale », initiateur d’une « généreuse amnistie » votée le 6 mars 2024, avec une célérité, qui interroge sur l’unilatéralité du mode de prise de décision au plus haut sommet de l’Etat, qu’une certaine gauche fait semblant de ne découvrir que maintenant.
En réalité, le président actuel, écarté bien malgré lui, des prochaines joutes électorales par la limitation des mandats et échaudé par les exemples mauritanien et angolais, est en train d’assurer ses arrières. Mais il feint d’ignorer, qu’en garantissant l’impunité à ses collaborateurs zélés, surtout ceux coupables de graves et multiples violations des droits humains, il commet un affront à l’endroit des familles des victimes.
Électoralement et sociologiquement minoritaire, le Benno-APR, son candidat milliardaire et leurs affidés libéraux, socio-démocrates et ex-communistes ne sont plus en mesure de s’opposer à la profonde aspiration populaire au changement et à l’alternative politique tant attendue.