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10 mai 2024
CAP SKIRRING, L'INDUSTRIE TOURISTIQUE PEINE À SE RELEVER
Touchée de plein fouet par l’arrêt du tourisme dû, en partie, à la crise sanitaire, la région de la Basse-Casamance oscille entre nostalgie d’une époque qui semble révolue et amertume face au sort qui s’acharne
Longtemps prisée des vacanciers en mal de soleil, la côte casamançaise a, durant des décennies, accueilli des touristes venus du monde entier. Touchée de plein fouet par l’arrêt du tourisme dû, en partie, à la crise sanitaire, la région de la Basse-Casamance oscille entre nostalgie d’une époque qui semble révolue et amertume face au sort qui s’acharne.
Le ton est donné sur la route menant au Cap Skirring, capitale du tourisme balnéaire casamançais. Au milieu de la généreuse végétation, serpente la route régionale quasi vide de tout trafic. Ici, le bétail broute paisiblement. Quelques badauds en mobylette, canne à pêche à la main, cherchent le meilleur coin de pêche dans un des innombrables bolongs, caractéristiques du paysage de la Basse-Casamance. À l’image de l’agriculteur qui attend le retour des pluies, le secteur touristique et toute une région ont également les yeux rivés vers le ciel, espérant la réouverture des liaisons aériennes. Les acteurs sont dans l’attente du retour de touristes pour faire redémarrer un secteur économique en panne. En effet, depuis mars dernier, avec la fermeture des principaux hôtels à cause de la pandémie de la Covid-19, c’est toute une région qui est en mal d’activités. Arrivé au Cap, l’ambiance reste toutefois rythmée. Si les touristes ont, pour la plupart, déserté les côtes paradisiaques, les populations vivant sur place continuent leurs activités.
Les stigmates d’une crise qui ne dit pas son nom sont bien visibles. Certains établissements ont leurs portes closes et d’autres réussissent péniblement à attirer en terrasse quelques clients qui restent les bras ballant devant leur café. Il faut aussi aller au marché artisanal pour mesurer toute l’ampleur des conséquences de l’absence d’activités liée au tourisme. Pas sur les étalages de produits artisanaux et artistiques, mais sur le visage des vendeuses et vendeurs qui, derrière des sourires commerçant de façade, cachent, avec douleur, leur dépit qui ne cesse de croitre.
À la fois haut lieu du savoir-faire artisanal casamançais et symbole de l’économie touristique locale, le marché artisanal de Cap Skirring, autrefois fourmillant de curieux d’origines diverses, est, aujourd’hui, vide de toute vie. Dans les dédales couverts du marché, seuls les chats errant se baladent à la recherche d’un coin d’ombre pour se mettre à l’abri du soleil au zénith. Pourtant idéalement placé à quelques dizaines de mettre du Club Med, en plein centre-ville, l’endroit est devenu, aujourd’hui, un marché fantôme. Plus loin, alors que la route débouchant sur le port se termine, les bateaux des pêcheurs artisanaux ont leurs drapeaux en berne à l’image de toute une industrie également impactée par la baisse du nombre de touristes. Quant aux légendaires plages de sable blanc immaculé, elles sont aussi dénuées de toute forme de vie humaine. Seul le bruit des vagues, venues s’échouer sur la plage, remplit l’espace sonore.
Nostalgie d’une époque révolue
Aux parfums de la Casamance, mélange de menthe sauvage et de feuilles de « kinkéliba », se mêle celui de la nostalgie. Propriétaire du restaurant « La Carpe Rouge », ouvert en 2000, René connait bien l’histoire de la localité. Il rappelle que Cap Skirring a connu son essor avec l’arrivée du Club Med en 1973. « Avant, c’était un village de pêcheurs ; il n’y avait presque rien », narre l’homme. Au paroxysme de l’industrie touristique qui remonte à la fin des années 2000 début 2010, Cap Skirring grouillait quasi continuellement de touristes, se souvient le restaurateur. Avec une « petite saison » qui s’étalait de mai à octobre et une grande saison de novembre à avril, l’affluence ne désemplissait pas, se rappelle-t-il. C’est en 1993 que le Club Med a connu, pour la première fois, un arrêt d’activités. Depuis mars 2020, il est à nouveau fermé. Quant au restaurant de René qui a pignon sur rue dans le centre-ville de Cap Skirring, il reste toutefois ouvert. Il tente d’attirer quelques touristes venus de Dakar pour profiter des plages de sable blanc et du beau paysage qu’offre la belle région de la Casamance. Côté gastronomie, René décrit, avec le sourire en coin, le processus de décortication des crabes et la recette dont il garde le secret. Son regard est pétillant au souvenir de cette période où il faisait du crabe pour des groupes de plusieurs dizaines de touristes. Depuis, le restaurateur a été obligé de mettre au chômage certains de ses employés. « On ne fait même pas 30 % du chiffre d’affaires d’avant la crise. Le tourisme draine 75 % de l’emploi de la région », ajoute-t-il, déplorant que les gens soient « résolus à vivre de petits moyens ». « Personne n’est indemnisé, l’État ne fait rien » déplore-t-il le cœur plein d’amertume. « Heureusement que le couvre-feu n’a pas encore été décrété dans la région », commente René. «Cela aurait été terrible pour les gens », confie-t-il. Le restaurateur dit être dans l’attente d’une éventuelle exonération d’impôts de la part de l’État. Dans la région, beaucoup d’acteurs rencontrés estiment que le secteur touristique, impacté par la pandémie, n’a pas été bien géré. Toutefois, les Casamançais pourront toujours compter sur la nature foisonnante comme ressource en période de vache maigre, comme c’est le cas actuellement.
Amertume
Maurice est un jeune artiste peintre officiant dans le village artisanal de Cap Skirring. Le regard dépité, la tête baissée, il craint des lendemains incertains. « Si la situation actuelle continue, je vais déposer mes pinceaux », menace-t-il. Ce témoignage n’est guère isolé. « L’artisanat est presque mort », s’alarme-t-il. Pour Paco, voisin de stand de Maurice, il faut plus de soutien. Le prêt mis à disposition par l’État n’est pas véritablement utile, selon lui. Il dit ressentir un sentiment « d’injustice et d’amertume ». Augustin Diatta, président des Syndicats du tourisme en Casamance, reconnait, lui aussi, la portée limitée des prêts. Il estime que les emprunts d’une durée de trois mois ne servent pas à grand-chose, d’autant plus que la crise sanitaire persiste toujours. Augustin souligne que le tourisme reste l’une des premières industries en termes de création d’emplois directs et indirects. Au Cap Skirring, les habitants sont contraints de diversifier leurs activités afin de pouvoir s’adapter au difficile contexte.
Babacar, un gérant d’hôtel, dénonce la floraison de ce qu’il appelle «les résidences secondaires», comme les appartements meublés. Une pratique qui, à son avis, contribue à rendre la situation beaucoup plus difficile. Les perturbations notées dans le tourisme ne sont pas sans conséquences. Aujourd’hui, des jeunes, pour survivre, ont dû migrer vers les autres villes du pays. Paco, le ton presque exténué, confie que beaucoup de ses camarades trainent ou tentent de se débrouiller pour trouver des activités alternatives. Augustin Diatta, quant à lui, se veut optimiste sur l’impact du vaccin sur le retour des touristes. « Les gens veulent voyager et changer d’air », avance-t-il. Tout en restant prudent, le président des Syndicats du tourisme en Casamance préconise un retour progressif des touristes.
LES ÉMIRATS ARABES UNIS AVANCENT LEURS PIONS AU SÉNÉGAL
Les investissements émiratis se multiplient dans le pays, comme en témoigne le projet de port en eau profonde de Ndayane piloté par l’opérateur Dubaï Port World
Le groupe émirati Dubaï Port World (DP World) va investir plus de 840 millions de dollars pour réaliser la première phase du port en eau profonde de Ndayane, à 70 kilomètres de Dakar, la capitale sénégalaise. L’accord pour la construction de ce port et de sa zone économique spéciale sur 1 200 hectares a été signé fin décembre 2020 avec le troisième exploitant portuaire mondial, concrétisant « le plus important investissement privé de l’histoire du Sénégal », comme s’en est aussitôt félicité le président Macky Sall.
Du côté du Sénégal, ce projet ambitieux traduit la volonté du pays de diversifier ses partenaires étrangers. « Nous avons beaucoup travaillé avec la France et l’Occident. En 2000, nous nous sommes aussi tournés vers la Chine, puis vers la Turquie et maintenant le Moyen-Orient », résume Khadim Bamba Diagne, enseignant chercheur au laboratoire d’analyse de recherche économique et monétaire.
Avec 43 % du stock d’investissements directs étrangers, la France demeure le premier investisseur dans le pays, mais son poids s’effrite face à ces nouveaux arrivants.« Multiplier les partenaires financiers permet au Sénégal d’apprécier les offres et de choisir en fonction de ses propres intérêts », continue l’économiste.
Le chef de l’Etat s’est d’ailleurs voulu rassurant sur les implications en termes de souveraineté de cet investissement sans précédent. Le Sénégal, a-t-il assuré, « sera actionnaire dans la société concessionnaire, comme il l’est désormais pour les autoroutes à péage ».
« Hub logistique international »
Le partenariat avec les Emirats arabes unis date de 2008, quand DP World a été choisi pour gérer le port autonome de Dakar. « Au total, 125 milliards de francs CFA [190,5 millions d’euros] ont été mobilisés pour acquérir du matériel et des équipements performants, et pour renforcer la compétitivité de Dakar en Afrique de l’Ouest », détaille Ali Sultan Rashid Alharbi, ambassadeur des Emirats au Sénégal, fier de préciser que 500 emplois permanents ont été créés, principalement occupés par des Sénégalais.
Le futur port à conteneurs est censé décongestionner la capitale sénégalaise et lui permettre de délocaliser le trafic des camions à destination du Mali, pays dépendant de Dakar pour ses importations.
Avec ce terminal, le Sénégal ambitionne de devenir un « hub logistique international ». Et mise pour cela sur le savoir-faire des Emirats, véritable plate-forme entre l’Afrique et l’Asie. Il vient ainsi d’adhérer à l’initiative Passeport logistique mondial, portée par Dubaï, dont l’objectif affiché est de renforcer le commerce sud-sud en connectant les zones de fret.
WAÏYYENDI M'A TUER, L’HISTOIRE DES COUPS BAS DANS LA SPHÈRE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE EN AFRIQUE
Ousseynou Nar Gueye met en scène une réalité qu’il connait très bien à travers une belle histoire dont l’architecture est réussite. Il y a un excellent lien entre les différents secteurs d’activités dans ce texte et l’auteur
Né en 1972 à Yaoundé au Cameroun, d’un père bijoutier et consul honoraire du Sénégal, Ousseynou Nar Gueye est un ingénieur de projets, expert en propriété intellectuelle, éditorialiste et communicant. Ces qualités, vous les retrouverez dans l’œuvre du Sénégalais parce qu’elles lui collent à la peau. Expert de l’organisation des producteurs phonographiques du Sénégal, on le retrouve également au Conseil National du Patronat du Sénégal dans l’industrie musicale. Ousseynou Nar Gueye a publié sa première nouvelle dans le cadre du concours mondial «3 heures pour écrire », organisé par l’association française Presse en 1999, ou il se classe troisième de la sélection « Français Langue étrangère. ‘’Waïyyendi m'a tuer*" qui vient de voir le jour en cette année 2021 est en coédition avec la librairie numérique et kiosque digital "Youscribe proposé par Orange".
Résumé
Dans ‘‘Waïyyendi m’a tuer*’’, Karbala est le bras droit de Waïyyendi, qui est la star du ‘‘champ des chants à rythme ternaire’, musique que seuls ses habitants savent apprécier et danser, en raison de son caractère syncopé, qui agit comme un exorcisme sur eux et leurs angoisses existentielles au pays de Nittie, sur le continent dénommé la Négritie. L’intrigue débute dans ce roman quand Karbala s’oppose à deux co-sociétaires de son patron au sein d’une association sur la question de la stratégie pour la loi sur la rétribution indirecte des chants. Karbala s’oppose aussi à son patron Waïyyendi quand celui -ci prend le parti des sociétaires en question. Dès lors, Karbala réclame le paiement d’une ‘‘hache d’argent’’ à Waïyyendi, et de diverses prestations aux deux autres co-sociétaires, Baaboune Kathé et Akiboul. Dans un retournement de situation, il s‘ensuit un procès intenté par les trois contre Karbala. Karbala gagne le procès. Et il se met à harceler les trois protagonistes pour être payé. Des fans fortunés de Waïyyendi paient des sbires, actionnés par l’homme d’affaires Badoulaye, pour faire taire définitivement Karbala et le tuer. La seule issue pour Karbala pour échapper est de devenir ‘’fou’’. C’est l’histoire de cette chasse à l’homme contre Karbala que Ousseynou Nar Gueye raconte avec beaucoup d’images dans son texte.
Parlons de son texte…
Le roman d’Ousseynou Nar Gueye aborde les thèmes de l’amour, de l’amitié, de la politique et des luttes pour le pouvoir temporel. L’amitié est ici traitée comme une valeur suprême qui une fois trahie peut donner lieu à toutes les révoltes des concernés. L’amour est exposé comme un moteur essentiel à l’activité sociale et professionnelle, dont il est l’aiguillon. La description de personnages inspirés de personnalités politiques contemporaines donne lieu à une analyse de la société dans laquelle vivent les protagonistes du roman, société qui n’en ressort pas grandie mais pour laquelle malgré tout, on sera tenté de garder de la tendresse, pour ses travers, pesanteurs et tabous, finalement risibles et attachants.
‘’Waiyyendi m’a tuer*’’ ce roman de 128 pages est en réalité un véritable instantané des faits qu’on rencontre fréquemment dans le milieu de la propriété intellectuelle dans le domaine de la musique ou parfois les médias jouent un véritable rôle de propagande.
Ousseynou Nar Gueye qui connaît bien ce milieu de la propriété intellectuelle met en relief un conflit qui en réalité continue de faire rage en Afrique. Quand le Sénégalais évoque la notion de propriété, nous essayons de le voir dans un sens plus grand et large avec les problèmes du foncier qui continuent de faire des malheureux comme Karbala.
Ousseynou Nar Gueye à la page 12 commence son récit ainsi : « Avec les faits, plus on fait bref et mieux c’est. Seule valait la peine d’être contée l’histoire, c’est-à-dire l’histoire derrière les faits ». Ousseynou Nar Gueye à travers cette histoire met en relief le conflit sur la perception de la notion de propriété intellectuelle. Son récit à la page 15 montre cela. « la propriété, c’était le vol. Kadd, le grand fromager avait compris avant tout, au fil de ses pérégrinations mondiales, que non, la propriété ne pouvait être le vol ; la propriété était le début de la civilisation… Waïyyendi, grand Kadd-fromager l’avait écouté, puis avait dit : - Tu es le premier, en ce Champ des Chants ternaires du pays de Nittie, qui me décrit aussi bien que je l’ai compris, que la propriété est la loi qui seule peut fonder une société et civiliser les rapports entre nous ».
Je veux ici emprunter les mots de Darren Olivier qui disait que « la plupart des praticiens en la matière de propriété intellectuelle ignorent tout de la manière dont est assurée l’application des droits de propriété intellectuelle en Afrique ». Dès lors, il en résulte que les investissements de propriété intellectuelle sur le continent sont vus avec une certaine appréhension ou que l’Afrique donne l’image d’un endroit où le respect des droits de propriété intellectuelle n’est pas une condition pour faire des affaires. L’œuvre d’Ousseynou Nar Gueye le démontre nettement avec un rapport de fort et de faiblesse entre Karbala et Waiyyendi.
Si on suit bien les faits rapportés par Ousseynou Nar Gueye a ce romain « Waiyyendi m’a tuer* » il est clair qu’il y a des changements car on s'aperçoit que Karbala gagne son procès où il n’était pas demandeur. Gueye entame bien ces orientations lorsqu’ ‘il veut pointer du doigt un fait. Par exemple, il parle ici de l’ignorance du consommateur culturel face aux complots contre les personnes créatrices de concepts qu’on peut identifier comme des « Karbala ». « Le grand public ne le sait peut-être pas mais dans les salons feutrés où les réputations se font et se défont, en une formule lapidaire, et où siègent les rois autoproclamés de la société, beaucoup aujourd’hui sont traités comme « Karbala », de ‘‘fou à lier’’ par les rois de l’arbitrage des élégances sociales. Les coups bas y sont réels dans cette sphère de la propriété.
Les médias….
En sa qualité de journaliste, Gueye fait bien de parler du rôle des médias et surtout de leur impact négatif à fabriquer une opinion publique grâce à la « Une » d’un journal. Il le dit ici clairement. « La véritable faute de ‘‘Fitt La Flèche’’ (un quotient) pour ce photomontage n’était point morale, mais d’abord déontologique. Car, disait l’éminent bobardier, dans des propos repris par une gazette au nom lunaire : ‘‘le photomontage n’était pas mentionné comme tel sur la photo’’. Ousseynou Nar Gueye se sent beaucoup plus à l’aise quand il parle de la musique, de la propriété intellectuelle et de la pratique du journalisme dans ce vaste champ des droits d’auteurs. Car ces sont des questions qu’il a dans le sang.
Ousseynou Nar Gueye sait jouer avec les mots surtout les figures de styles qu’il adorait sans doute dans ces années de collège au Cameroun et au Sénégal. Dans une écriture aux scansions parfois hypnotiques, ‘‘Waïyyendi m’a tuer*’’ fait la part belle à l’onirisme, dans un style gourmand de mots et de créations métaphoriques inspirées du wolof ; avec un goût prononcé pour le troussage de la langue française. Ousseynou Nar Gueye utilise beaucoup de style qui donne un certain humour à son récit. « La bouche de Waïyyendi parlait à mon oreille. La bouche de Waïyyendi, mon oreille ; ma bouche, l’oreille de Waïyyendi » ou encore « Aventure journal et journal d’aventure ».
En conclusion, Ousseynou Nar Gueye avait raison de dire « Ce qui était à Dieu avait été rendu à Dieu. Ce qui était à César, que Baaboune avait pris, n’était point rendu à César. Car seul Waïyyendi était César, dans le Champ des Chants de Nittie. ». Une chose était sûr c’est que ce qui était à la terre retournait à la terre. Et « Baaboune et Karbala devaient s’expliquer devant Allah » même si « Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas » envers Baaboune et Karbala qui devait suivre son destin selon que Allah avait décidé.
Critique….
« Waïyyendi m’a tuer* » est en réalité le reflet des maux constants dans la rétribution dans la sphère de la propriété intellectuelle en Afrique. Ousseynou Nar Gueye met en scène une réalité qu’il connait très bien à travers une belle histoire dont l’architecture est réussite. Il y a un excellent lien entre les différents secteurs d’activités dans ce texte et l’auteur. En expert des questions de propriété intellectuelle, Ousseynou sait présenter les faits et en faire une histoire. Sa maîtrise de la technique rédactionnelle et sa connaissance de l’univers de la musique et des médias sont visibles. On le voit à travers cette première œuvre « Waiyyendi m’a tuer* ». Ousseynou réussit les prémisses avec brio. Ces observations sont pertinentes. Il est bien difficile d’admettre que Ousseynou a négligé de considérer les questions de propriété intellectuelle et de rétribution autour de la musique.
Personnellement je trouve que le sujet de la propriété intellectuelle et la rétribution en Afrique est un sujet d’actualité qui mérite d’être mis sur la table des débats. En tant qu’Ivoirien ‘’Wayyendi m’a tuer*’’ est aussi la photographie des nombreuses malheureuses contestations entre les artistes et le Bureau ivoirien du droit d’auteurs où les coups bas ne manquent pas dans la rétribution. Certains artistes sont morts sans avoir touché un seul sous de leur droit et parfois quand la distribution doit se faire… c’est là qu’il faille inviter la presse et la justice. Et ces choses-là Ousseynou Nar Gueye le sait et en est témoin. ‘’Wayyendi m’a tuer*’’ est une œuvre qui a toute sa place dans les bibliothèques des « grands écrivains » africains comme Senghor. ‘’Waïyyendi m’a tuer*’’ est un roman que je vous recommande. Son adaptation au théâtre ou au cinéma sera l’une des plus excellentes choses qui puisse arriver à cet excellent roman.
NDOULO, UN JOYAU EN DÉCADENCE
Jadis, premier comptoir arachidier du Baol, Ndoulo, commune d’arrondissement nichée dans le département de Diourbel, a perdu, aujourd’hui, de son lustre. Reportage
L’escapade commence à l’entrée de la commune. Nichée dans le département de Diourbel, à 15 km de la ville du même nom, la commune de Ndoulo, chef-lieu d’arrondissement, s’arrache doucement d’un difficile sommeil. Hormis les ronronnements des véhicules qui fréquentent cette localité traversée par la Rn3, Ndoulo baigne dans un calme plat. La localité tombée aujourd’hui dans l’anonymat, était jadis un lieu célèbre et célébré pour son comptoir arachidier. Le premier du Baol. Au temps des colons, cette localité était aussi traversée par le chemin de fer en allant vers Touba. La gare, dont les bâtiments sont aujourd’hui en état de délabrement très avancé, était le point de convergence de toutes les activités économiques. En ce lieu, le commerce de l’arachide était la principale attraction avec le «Séko», point de collecte et de vente des graines d’arachide, logé à 200 mètres de la gare. En tôle sur une fondation cimentée, les herbes la ceinturent en fines lianes grimpantes sur le toit, la porte cadenassée avec une chaîne mangée par la rouille montre visiblement que ce point de collecte est à l’agonie. A quelques mètres, un autre bâtiment construit en dur, mais aujourd’hui laissé à l’abandon, témoigne de la belle époque du temps des colons. Mais aujourd’hui, un seul point de collecte de cette spéculation, situé en face de la route nationale, à proximité de la gendarmerie, capitalise toutes les convoitises. A 200 mètres de la route nationale sur la piste rurale allant vers Gossas, deux baobabs surplombent la concession de Ousseynou Ndiaye faite de cases et d’un bâtiment dont les travaux sont à l’arrêt depuis plus de 6 ans.
«Les marabouts et les fonctionnaires sont les principaux responsables de l’état de décadence de Ndoulo»
Ousseynou Ndiaye, 82 ans, s’extirpe difficilement d’une des cases. Vêtu d’une tunique bleue sur un pantalon bouffant, Ousseynou Ndiaye n’a pas encore pris sa retraite, malgré son âge très avancé. Il est le chef de village de Thiaré Ndiaye, un patelin fondé vers les années 1800 par Bara Ndiaye, frère paternel de son père. Pour avoir grandi dans la contrée, l’homme est un patrimoine vivant de l’histoire de Ndoulo. «Autrefois, à Ndoulo, il y avait les Maures de Beyrouth, les colons et l’économie marchait à merveille, surtout avec l’arachide», embraie Ousseynou Ndiaye. Qui poursuit : «Au temps, les semences étaient acquises sous forme de prêt. Certains repartaient avec une tonne, d’autres avec la moitié (500kg), d’autres avec 150 kg, ainsi de suite. Bref, chacun recevait la quantité de spéculations qu’il pouvait cultiver. Mais cela n’est plus d’actualité. La faute aux fonctionnaires et aux marabouts. Ousseynou Ndiaye : «Ndoulo n’est plus ce qu’il était. Et les marabouts et les fonctionnaires sont les principaux responsables de cet état de décadence. Ils prenaient à crédit 3 à 4 tonnes d’arachides, mais ils ne remboursaient jamais leurs graines.». Assis par terre, les jambes étalées sur le sol de sa case qui lui sert de dortoir, le vieux cultivateur s’adosse à son lit en fer sur lequel est déposé un matelas en paille. «Seuls les besogneux paysans s’acquittaient à temps de leur dette. Au fil du temps, ces paysans n’avaient plus de semences à cause des marabouts et fonctionnaires qui ne s’acquittaient pas de leur dette», dénonce-t-il. Malgré son âge avancé, le vieux Ousseynou Ndiaye continue d’aller aux champs pour cultiver son quota de 12 kgs de semences, alors que dans sa jeunesse, Ousseynou pouvait en cultiver jusqu‘à 350 kgs. Une activité qui lui permet aujourd’hui de subvenir aux besoins de sa famille.
Le fin stratagème des paysans pour échapper à leurs créanciers
Si les fonctionnaires et les marabouts sont mis au banc des accusés, ils ne sont pas les seuls «coupables». Les paysans aussi profitaient de la jurisprudence «dégâts» pour se défiler. Ousseynou Ndiaye : «Si un paysan subissait des dégâts dans son champ l’empêchant de rembourser, les autres en profitaient, arguant qu’ils avaient subi le même sort.» Une ruse qui a longtemps fait le bonheur des cultivateurs au détriment du comptoir arachidier. Perché sur son mètre 75, corpulence moyenne fourrée dans une djellaba grise, Cheikh Diouf dit Diadia sort de sa cantine en zinc en face de la route nationale n°3 (RN3). Agé de 68 ans, casque de cheveux blancs sous un bonnet, l’homme, marié et père de 7 enfants, paraît pressé. Mais à notre interpellation, visiblement très intéressé par le sujet, il prend la pose et en rajoute une couche : «Au temps, les paysans remboursaient de façon responsable, leur prêt. Mais avec le temps, profitant du fait que les plus grands débiteurs se débinaient quand il s’agissait de payer leur dette, ils ont, eux aussi, trouvé la parade. Ils prétextaient que leurs champs étaient frappés par une catastrophe et en profitaient pour se débiner. Les autres s’appuyaient sur ce prétexte pour échapper, à leur tour, au glaive du créancier.» Fils du premier autochtone dont le commerce rivalisait avec celui des Maures du Beyrouth à Ndoulo, Diadia Diouf a travaillé pendant 7 ans dans les points de collecte et traite d’arachide entre 1970 et 1977. Il poursuit : «Ils arguaient que si une telle personne ne peut pas s’acquitter de sa dette, il en sera de même pour tous les autres car ils peuvent tous subir le même sort.» Etant donné que les fonctionnaires et les marabouts ne remboursaient jamais les graines «empruntées» et que personne ne les obligeait à payer leur dû, les paysans ont adopté eux aussi ce stratagème. «C’est l’une des principales causes qui ont précipité la mort de ce comptoir arachidier», a regretté Cheikh Diouf. Inconsciemment ou pas, ces paysans ont aussi fortement contribué à la perte de ce joyau que constituait Ndoulo. Très nostalgique de cette belle époque, Cheikh Diouf souligne : «Jadis, dans un couple, l’homme recevait 100 kg de graines d'arachide et sa femme la moitié (50 kg) et là, le remboursement se faisait rapidement parce que le rendement suivait. Hélas ! Ce n’est plus le cas de nos jours. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un père de famille peut faire avec 6 à 8 kg de semences de graines d’arachide ? Ce sont des broutilles et la culture de l’arachide en pâtit grandement.» Au grand dam de la bourse du besogneux paysan.
UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP, LA DETRESSE DES ETUDIANTS
A l’université Cheikh Anta Diop, les étudiants vivent les aléas de la pandémie de la Covid-19. Les résultats des examens sont compromettants.
A l’université Cheikh Anta Diop, les étudiants vivent les aléas de la pandémie de la Covid-19. Les résultats des examens sont compromettants. Ils indexent l’introduction des enseignements à distance et regrettent que l’année universitaire tarde à s’achever. Ils angoissent pour l’incertitude dans laquelle ils sont plongés.
Lorsque les cours ont été arrêtés, en mars 2020, pour cause de pandémie, Abdoulaye Baldé, étudiant en première année de physique-chimique, était retourné dans son village, dans la région de Kolda. Six mois de vacances plus tard, il dit avoir connu un ‘’relâchement’’ dans la continuité des cours. Revenu pour la reprise des cours, il a ‘’juste eu deux semaines’’ de révisions, avant d’entamer les examens du premier semestre. Un semestre ‘’catastrophique’’ en résultats, dit-il.
Ce samedi 16 janvier, assis sur une table en plein air, près de l’Institut des sciences de la terre, l’étudiant, le regard plongé dans les lignes de son fascicule, espère être sauvé par les sessions de rattrapage.
Après un premier semestre qui s’est soldé par des notes compromettantes, ils sont nombreux, comme Abdoulaye, ces étudiants qui disent être ‘’découragés’’. Ils ne comptent plus que sur ces matières qu’ils doivent reprendre. Actuellement, c’est l’angoisse et l’incertitude. L’inquiétude est, cependant, plus pointue chez ceux qui doivent encore reprendre beaucoup de matières durant ces cessions de rattrapage. C’est le cas pour Abdoulaye. ‘’Moi, je dois reprendre quatre matières. Mais, il y en a qui feront six et ça te met la pression pour les révisions’’, révèle-t-il.
Mais cet étudiant et ses camarades sont dans une situation particulière. Ces pensionnaires, dont l’arrivée à l’université a coïncidé avec la survenue de la pandémie, se sentent un peu perdus. Arona est étudiant à la faculté des Sciences. Trouvé ce matin assis sous un arbre en train de réviser, le jeune homme d’une vingtaine d’années ne se retrouve plus dans cet environnement universitaire. ‘’Au début, quand je venais à l’université, tout se passait très bien. Je commençais à m’adapter. Ensuite, je suis rentré au village, à cause de la pandémie et, du coup, j’ai un peu laissé les cahiers. Cela s’est répercuté sur mes résultats’’, renseigne-t-il.
A la faculté des Sciences économiques et de Gestion, quelques étudiants sont assis dans le hall. Il est 11 h. Juste avant les marches qui mènent aux amphis, des tableaux d’affichage sont installés, montrant les résultats de la première session. Daouda, étudiant en 2e année, est en train de parcourir ces affiches qui laissent voir des notes compromettantes. L’abréviation SNV (semestre non validé) est celle qui est facile à repérer sur ces listes, contrairement à SV (semestre validé). Interpellé sur les résultats de cette année universitaire 2019-2020, Daouda, l’air angoissé, indexe le tableau : ‘’Voyez, les résultats de cette année sont catastrophiques.’’
Les étudiants du Master, eux, ne se sentent pas si touchés par ces problèmes qui angoissent ceux du premier cycle. Hamidou Diaw est l’un d’eux, à la faculté de Droit. Le jeune homme informe qu’ils n’ont pas fait de cours à distance. Et Mbène Kane, étudiante en Master II de lettres modernes, d’informer que ‘’tout s’est bien passé. On attend que la soutenance’’.
Si, d’habitude, dans les facultés, les étudiants déplorent les notes, cette année, ils sont nombreux à voir les cours en ligne introduits par les autorités universitaires, comme la cause de leurs mauvais résultats.
‘’Ces prétendus cours en ligne’’
‘’De mars à septembre, informe Abdoulaye Baldé, l’air agité, on nous a servi des cours en ligne. Une chose qui ne m’a pas arrangé, parce que j’étais au village. Les autorités avaient mis en place une plateforme pour avoir accès aux cours et jusqu’aux examens, certains n’ont pas eu ces cours’’. Comme cet étudiant en sciences physiques, les cours en ligne n’ont pas fait l’affaire de tous les étudiants.
Pour samba Ndiaye, étudiant en première année de philosophie, ces ‘’prétendus’’ cours en ligne ne leur ont pas apporté grand-chose, parce que, informe-t-il, ils ont été mis dans des plateformes auxquelles ils avaient des problèmes d’accès.
L’étudiant trouvé en train de lire les affiches au sein de son département pense que, sans la présence du professeur, ils ne peuvent rien faire. ‘’Nous ne sommes pas prêts à nous auto-éduquer’’, dit-il. Au Département de lettres modernes, Yacine Sène, étudiante en Licence III, se tient devant le secrétariat en train de manipuler sont téléphone. Elle est dans ce lot d’étudiants qui vivaient dans les zones rurales n’ayant pu avoir accès aux cours qui ont été mis en ligne. ‘’Depuis que la pandémie est apparue, les cours ne sont pas stabilisés. J’étais au village, donc, je ne pouvais pas toujours me connecter pour avoir accès aux cours. Quand je suis revenue ici à Dakar, j’ai trouvé le calendrier des examens affiché’’, renseigne cette jeune étudiante qui dit avoir eu de la chance, parce qu’elle reprend la Licence, mais ne parvient toujours pas à ‘’valider certaines matières’’.
Si ces étudiants ont eu des difficultés avec l’enseignement à distance, d’autres, par contre, pensent qu’il est temps de se familiariser avec. Rencontré à la faculté de Droit où il vient réviser, Cheikh Adramé Bayo, étudiant à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS), plébiscite les cours en ligne. ‘’La pandémie a eu raison de nos universités. Pendant qu’elles étaient toutes fermées, seule l’UVS continuait ses cours. Nous sommes à l’ère du numérique, poursuit-il. Donc, nous devons nous familiariser avec’’. Daouda, même s’il pense que les cours en ligne sont des facteurs explicatifs des mauvaises notes enregistrées cette année, voit l’enseignement à distance comme ‘’la seule alternative’’ pour mieux dérouler les cours et sauver l’année.
L’année 2019-2020 traine toujours
Dans beaucoup de facultés, à part la Fac de Médecine qui commence sa nouvelle année universitaire la semaine prochaine, d’après les étudiants, l’année universitaire 2020-2021 n’est pas encore entamée. Dans certains départements, les notes du second semestre tardent encore à être disponibles.
Selon Mbaye Sarr, étudiant à la faculté de Droit, à ce stade de l’année, ils n’ont que les résultats du premier semestre de la session normale, qui ne sont pas ‘’fameux’’. L’étudiant, comme ses pairs, doit encore attendre pour que les résultats du deuxième semestre soient disponibles, faire le rattrapage, s’il y a lieu, et enfin commencer une nouvelle année universitaire. Ce qui va ‘’occasionner un grand retard dans leur cursus’’, dit-il.
A la Fac de Science, contrairement à la faculté des Lettres, où beaucoup de départements envisagent de commencer la nouvelle année universitaire au mois de février, les étudiants doivent encore attendre. Trouvé à non loin de la faculté de Science, crayon en main en train de faire ses exercices, Ibrahima Diallo, étudiant en 2e de physique, attend encore ses résultats. Mais l’étudiant affirme comprendre la situation. ‘’On doit attendre encore, avant de commencer la nouvelle année. Mais c’est normal. La Fac de Science n’est pas comme les autres. Nous, on a eu deux mois de révisions, alors que pour d’autres, ç’a été un mois’’, dit-il, bégayant.
EXPANSION DE LA COVID ET ENSEIGNEMENT EN LIGNE, LE OUI, MAIS DES ENSEIGNANTS
Les professeurs du supérieur soutiennent que leur ministre de tutelle et le recteur de l’Ucad n’ont pas respecté les promesses tenues lors de la première vague.
Les enseignants veulent, certes, se lancer dans l’enseignement en ligne ou l’option bimodale, comme le suggèrent les recteurs des différentes universités publiques du Sénégal touchées par la Covid. Mais ils estiment qu’il y a, d’abord, des préalables. Interpellés par ‘’EnQuête’’, les professeurs du supérieur soutiennent que leur ministre de tutelle et le recteur de l’Ucad n’ont pas respecté les promesses tenues lors de la première vague.
La pandémie de la Covid-19 continue sa propagation dans les établissements scolaires du pays. Et les universités ne sont pas épargnées, notamment l’université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) et l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Aujourd’hui, pour éviter que le virus ne se propage davantage au sein des temples du savoir, les responsables universitaires veulent se lancer dans l’enseignement en ligne ou le système bimodal.
‘’L’UGB a déclaré ses cas, l’Ecole supérieure polytechnique qui se trouve au sein même de l’université Cheikh Anta Diop (Ucad) a déclaré son cas. Donc, vu le mode de propagation du virus, ce n’est pas un secret de Polichinelle de dire que le virus est à l’Ucad au niveau de toutes les facultés. C’est quelque chose qui est avérée. Le virus est là, il faudrait trouver des solutions et je ne pense pas que fermer l’université ou arrêter les enseignements soient une solution qu’il faut adapter. Donc, il faut trouver d’autres alternatives. Parmi elles, il y a forcément l’enseignement bimodal qui pourrait être une solution. Mais faudrait-il que cet enseignement soit décidé par ceux qui sont chargés de le faire’’, confie le chef du Département de gestion de la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’Ucad.
Contacté par ‘’EnQuête’’, le professeur Ibrahima Daly Diouf regrette que leur recteur fasse des annonces ‘’sans prendre la peine’’ de s’informer sur ce qui est ‘’possible d’être fait’’ par rapport à cet enseignement bimodal. Lors de la première vague, le chef du Département de gestion de la Faseg notifie que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation avait fait un accompagnement pour ce qui concerne les enseignants et les étudiants. ‘’Malheureusement, toutes les promesses n’ont pas été respectées. Au départ, il y avait des promesses qui avaient été faites. Mais, à l’arrivée, elles n’ont pas été réalisées. Dans ces conditions, il va être extrêmement difficile, à l’état actuel, de pouvoir dire que l’enseignement bimodal sera une réalité au niveau de l’université Cheikh Anta Diop. C’est aussi cela la vérité. Nous ne devons pas nous mettre là à faire des annonces. Nous sommes des spécialistes de la pédagogie. Il est important, aujourd’hui, qu’on comprenne que l’Etat doit mettre les moyens au niveau des universités publiques, pour nous permettre de ne pas fermer les classes. Sinon, nous allons droit dans le mur’’, souligne notre interlocuteur.
Si le Pr. Daly Diouf pense que le recteur est à pointer du doigt dans cette situation, son collègue du Syndicat unique des enseignants du Sénégal (Sudes), pense que ce dernier est innocent, dans cette affaire. ‘’Les conditions ne sont pas encore optimales pour l’enseignement bimodal. Mais il faut saluer, quand même, la mobilisation du recteur de l’Ucad et du personnel. Nous faisons de notre mieux, avec les moyens que nous avons. Mais il nous faudrait beaucoup plus de moyens et j’indexerai plutôt le ministre que le recteur. (…) Le gros problème, c’est vraiment le campus social où les étudiants vivent dans des conditions très difficiles, avec beaucoup d’étudiants. Cela va poser problème’’, soutient le Pr. Hady Ba.
Une pénurie de bureaux et d’équipements soulevée
D’après le responsable du Sudes à l’Ucad, l’autre grosse gêne, c’est le fait qu’à l’Ucad, dans beaucoup d’établissements, il y a une pénurie de bureaux et d’équipements. Donc, s’ils veulent faire de l’enseignement à distance et que les enseignants partagent un bureau à trois, quatre ou cinq, il sera, d’après le Pr. Ba, ‘’impossible’’ de faire des cours en simultané. ‘’Ce sont des problèmes qui vont se poser avec l’effectivité de l’enseignement à distance. Nous avons, au Sudes, dit depuis longtemps qu’il fallait recruter beaucoup plus d’enseignants et construire des infrastructures. Si nous avions des infrastructures, un système solide, la pandémie ne nous aurait pas posé de problème. Si tous les enseignants avaient des bureaux, disposaient d’ordinateurs performants, on pouvait faire l’enseignement à distance sans problème. Si tous les étudiants avaient des ordinateurs, l’enseignement à distance ne poserait pas de problème’’, renchérit-il.
A ce propos, le Pr. Hady Ba informe qu’ils avaient demandé au ministre et au recteur de faire de sorte que tous les enseignants reçoivent des ordinateurs portables, étant donné qu’ils allaient probablement basculer vers l’enseignement en ligne. ‘’Malheureusement, cela n’a pas été fait. Mais les syndicats y travaillent pour qu’on ait, pour chaque enseignant, non seulement un ordinateur portable, mais également un accès internet fiable. Le ministère nous a donné des modems Internet qui ne servent à rien. On a des modems Orange dont la connexion s’épuise en moins de deux jours. Ce qui n’est pas sérieux du tout’’, déplore-t-il.
En effet, l’enseignement bimodal doit obéir à un certain nombre de préalables, selon le chef du Département de gestion de la Faseg. ‘’On ne peut pas faire des annonces comme cela, sans pour autant qu’il y ait des infrastructures. L’enseignement bimodal ne consiste pas simplement à prendre un PDF, le mettre sur un site web et demander aux étudiants de consulter le fichier PDF, le télécharge et ils comprendront. Il y a des capsules qu’il faut faire pour expliquer les cours, une connexion internet qu’il faut mettre en place pour que les cours soient accessibles à tout le monde. Nous connaissons les réalités socio-économiques aussi bien des étudiants, mais également des enseignants’’, souligne, par ailleurs, le Pr. Ibrahima Daly Diouf.
Car, selon M. Diouf, l’enseignement bimodal signifie faire des capsules, en enregistrant son cours pendant une durée. ‘’Il faut qu’on puisse expliquer l’essentiel de chaque chapitre, donner des orientations aux étudiants pour qu’ils puissent les suivre. Pour un cours de 30 heures, il faut à peu près prévoir 7 à 8 capsules. Imaginez donc combien de capsules il faudra faire pour tous les cours ! Tout cela n’a pas été fait jusqu’à présent’’, dit-il.
D’ailleurs, il relève qu’à l’université, le corps professoral n’est pas seulement constitué d’enseignants. Il y a également des vacataires. ‘’Il faudrait un dispositif technique qui permettra de développer ces enseignements. Il faut permettre aux vacataires d’avoir accès aux plateformes, pour faire suivre aux étudiants les séances de travaux dirigés qui doivent obligatoirement être pris en compte. Ce qui va nécessiter une certaine connectivité pour les étudiants et les vacataires. Au niveau de la pédagogie, nous ferons avec ce qui est possible. Mais nous ne disons pas que nous n’allons pas faire un pas. Car à l’impossible, nul n’est tenu. L’impossible étant là, il faut mettre les moyens, avant de pouvoir passer à quelque chose. Or, ces moyens ne sont pas là’’, précise M. Diouf.
L’accès à Internet ‘’un très gros problème’’ pour certains étudiants
En plus de l’équation des enseignants vacataires, il estime qu’il faut d’abord garantir aux étudiants l’accès à une bonne connexion Internet. Il rappelle, ainsi, que durant la première vague, pour tous les Masters 2, les enseignements étaient en bimodal. Ils ont commencé avec eux, parce qu’ils se sont dit que ces étudiants ont atteint un niveau de maturité. Ils maitrisent l’outil informatique. Ils ont tous presque un ordinateur qui leur permet de pouvoir suivre les enseignements. ‘’Le constat est que ces Masters 2 rencontrent des difficultés pour continuer à suivre les cours à distance et en bimodal. Parfois, ils sont en distance ou en bimodal. Parce que le coût de la connectivité est extrêmement élevé. Selon eux, lorsqu’ils achètent un pass de 2 000 F CFA, ils l’utilisent pour un seul cours. S’ils ont une trentaine de cours, combien de pass devront-ils acheter et avec quel argent ?’’, signale le chef du Département de gestion de la Faseg.
Dans l’hypothèse où les universités devraient être fermées, le Pr. Hady Ba affirme, également, que l’accès à Internet poserait un ‘’très gros problème’’ pour certains étudiants. Car si les campus sociaux sont fermés, ils iront dans leur foyer et il y a des cas d’étudiants qui sont dans des villages où il n’y avait pas accès à Internet. ‘’Nous en avions parlé au ministre. Nous lui avons demandé de travailler avec l’Agence de l’informatique de l’Etat pour que dans les villages où il y a des étudiants, qu’on ait de petites antennes pour qu’ils aient accès à Internet. Malheureusement, rien n’a été fait en ce sens. A l’université, il y a quand même un réseau Internet qui a été mis en place. Maintenant, est-ce que ce réseau tiendra la charge, si nous devions faire de l’enseignement à distance de manière continue ? C’est un problème qui va se poser, si tout le monde devait être en ligne’’, s’interroge le responsable du Sudes.
Et pour les nouveaux bacheliers, le Pr. Ibrahima Daly Diouf est catégorique : ils ne peuvent pas démarrer dans ces conditions avec eux. ‘’Ils vont obligatoirement aller vers le présentiel. Même à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS) où ils font carrément du virtuel, il y a toujours un temps d’adaptation qui est prévu dans leur cursus. Les étudiants qui viennent d’avoir leur baccalauréat reçoivent des ordinateurs. On leur permet d’avoir accès à Internet. On lui explique la plateforme, il y entre pour se familiariser avec l’outil informatique avant de démarrer les cours. Dans nos universités où nous ne sommes pas le virtuel, si on veut aller vers le bimodal, cela risque d’être impossible avec les nouveaux bacheliers’’, relève le chef du Département de gestion de la Faseg.
L'UFA, UN GOUFFRE FINANCIER
Les détails de la gestion financière des chantiers de l’Université du futur africain ne seront jamais connus. Alors que près de 25 milliards F Cfa ont été investis dans ce projet mort-né, laissé à l’abandon, plus de 15 ans après son lancement
L’Université du futur africain (Ufa) ne verra jamais le jour. Son budget officiel, chiffré à 24 milliards 51 millions 387 mille 990 francs Cfa, provient de diverses sources de financement. En effet, la disponibilité d’une enveloppe financière de 15 millions 910 mille 366 dollars Us (environ 8 milliards) tirés des Fonds taïwanais, dans le cadre de la Convention quinquennale (2001-2005) entre le Sénégal et Taiwan, a été mise à profit pour démarrer le projet. Le 8 août 2005, le gouvernement avait reçu des mains de l’ambassadeur de Taiwan à Dakar un chèque représentant le financement du projet pour l’année 2005. Ministre des Affaires étrangères d’alors, Cheikh Tidiane Gadio avait facilité l’adhésion de la Chine au financement de l’Ufa. Après la rupture des relations avec Taipei. Mais jusqu’ici, on ne connaît pas la valeur de la contribution financière de l’Empire du milieu.
Gadio n’a pas voulu répondre à nos appels pour éclairer le rôle de la Chine dans le financement de ce mégaprojet de Wade. D’après le rapport 2014 de l’Inspection générale d’Etat (Ige), il y a eu un «défaut de textes législatifs et réglementaires» portant création de l’Ufa. Même avec le décret n° 426 en date du 30 janvier 2003 portant nomination d’un chargé de mission à la présidence de la République, en l’occurrence Papa Mohamed Camara, coordonnateur de l’Ufa. Malgré tout, l’Ige avait relevé «l’inexistence d’un personnel spécialement affecté à l’organisation administrative, à la gestion comptable et à la coordination des activités de l’Ufa».
Par ailleurs, les vérificateurs de l’Ige avaient aussi constaté que «toutes les opérations financières ont été menées dans l’ignorance totale des règles qui régissent la commande publique». De plus, ont-ils déploré, «les études architecturales ainsi que les travaux de construction ont été attribués par entente directe, sans concurrence, en dehors des procédures d’appel d’offres prévues en la matière». Pour l’Ige, «le recours abusif aux dispositions dérogatoires du décret n° 97-632 du 18 juin 1997 portant réglementation des marchés du Pcrpe a impacté négativement les procédures de sélection du cabinet d’architecture Atépa, de l’entreprise Zakhem constructions pour la construction des ouvrages et du Bureau Veritas chargé du contrôle technique des mêmes ouvrages. Les autorités du Pcrpe, au moment de la signature de l’avenant n° 1 du 24 juin 2002 avec le cabinet Atépa et du contrat du 2 novembre 2002 avec le Bureau Veritas n’ont pas tenu compte des dispositions du décret n° 2002-550 du 30 mai 2002 portant Code des marchés publics, alors en vigueur».
A l’époque, Pierre Goudiaby Atépa avait organisé une conférence de presse pour battre en brèche les arguments de l’Ige. Contacté, l’architecte n’a pas répondu à nos appels et messages. Dans un communiqué publié au lendemain de la publication des rapports de l’Ige, Atépa relevait que le contrat de base ne concernait que les études architecturales, fixées sur la base d’un taux de 5% du montant provisoirement évalué des travaux. Le cabinet Atépa s’est vu confier par la suite les études techniques, le contrôle et la surveillance du chantier. Sur un montant provisoire des travaux arrêté à 14 milliards, l’architecte aurait reçu 1,4 milliard, soit 10%. Atépa souligne avoir juridiquement le droit de réclamer 3 milliards, car au final le coût global du projet a été évalué à 30 milliards.
Le régime de Wade n’a jamais éclairé les Sénégalais sur la gestion des travaux de cette université qui est restée en l’état de chantiers. Idem pour le régime de Macky Sall qui n’a pas voulu poursuivre l’œuvre de son prédécesseur.
L'INPG SUR LE SITE DE L'UNIVERSITÉ DU FUTUR AFRICAIN
Avec l’érection de l’Institut national du pétrole et du gaz, les bâtiments de l’Ufa, qui ont coûté près de 25 milliards F Cfa, seront rasés pour une nouvelle infrastructure estimée à 20 milliards
Lors du Conseil des ministres du 30 décembre dernier, le président Sall avait décidé de parrainer l’Université du futur africain à Abdoulaye Wade. Avec l’érection sur le même site de l’Institut national du pétrole et du gaz, les bâtiments de l’Ufa, qui ont coûté près de 25 milliards F Cfa, seront rasés pour une nouvelle infrastructure estimée aussi à 20 milliards.
Macky Sall multiplie les décrets de parrainage : Pierre Ndiaye pour l’Ecole nationale de la statistique et de l’analyse économique, Seyda Mariama Ibrahima Niasse pour le Daara moderne public de Taïba Niassène, Abdoulaye Wade pour l’Université du futur africain… Sans doute marqué par la disparition de personnalités publiques dans ce contexte de flambée des cas de coronavirus, le président de la République a décidé d’honorer de son vivant Abdoulaye Wade, en lui parrainant l’Université du futur africain (Ufa). La décision a été prise lors du Conseil des ministres du 30 décembre 2020. Une annonce somme toute surprenante au regard du sort réservé à cette Université dont les travaux avaient débuté en 2005. Mais les bâtiments seront rasés. Sur le site sera érigé l’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg).
A l’époque Premier ministre, Macky Sall était chargé de concrétiser les grands travaux de Me Wade. Après son élection en 2012, il n’a pas souhaité achever cette Université qui sera enterrée en même temps que le régime de Wade. A quelques encablures de l’Ufa, il a décidé d’ériger l’Université Amadou Makhtar Mbow. Ce vieux projet cher au Président Wade est à l’abandon depuis une quinzaine d’années. Il faut arpenter une piste latéritique pour dénicher les bâtiments situés à Sébi-Ponty dans le village de Dény Malick Guèye, situé dans la commune de Diamniadio, à une quarantaine de kilomètres de Dakar.
L’architecture, qui porte la signature de Pierre Goudiaby Atépa, conseiller du Président Wade à l’époque, émerveille le visiteur. La forme en arc de triomphe du bâtiment administratif qui fait office d’entrée du campus rappelle la Rome antique. Sur place, un vent frisquet caresse les visages. Le silence est déchiré par le gazouillement des oiseaux qui se posent sur le faîte des pavillons. En toute tranquillité !
Dans «Ruines d’utopies : l’Ecole William Ponty et l’Université du futur africain» de la revue Politique africaine, Papa Mohamed Camara, chargé du projet (Wade lui avait confié l’érection de cet édifice à l’époque), expliquait en 2013 que les colonnes de l’arc rappellent l’héritage de l’Egypte ancienne. Inspirée de plusieurs civilisations anciennes, l’architecture invite à représenter la renaissance africaine. Il fallait franchir cette arche pour atteindre le principal édifice du campus qui devait accueillir, au cœur du site, la bibliothèque centrale. Cette bibliothèque épousait la forme de pyramide inversée qui symbolisait la connaissance acquise par les étudiants au fil de leurs études, tout en empruntant à la symbolique pyramidale représentative le triomphe du panafricanisme, dont l’accès était désormais acquis par voie numérique.
Quelques bureaux administratifs jouxtent l’entrée et rappellent les grandes universités occidentales. 50 mètres plus loin, une petite pièce devait abriter les vigiles assurant la sécurité de l’établissement d’enseignement supérieur. L’endroit, transformé en dépotoir d’ordures, est devenu un havre de paix pour chiens, chats et animaux errants. Les fenêtres ont disparu. En revanche, la peinture garde un peu d’éclat sur des bâtiments qui résistent à l’usure du temps.
En cette matinée entourée d’un peu de fraîcheur, quelques ouvriers d’une entreprise privée, qui a bénéficié d’un contrat de sous-traitance, s’activent dans la mise en place de lignes électriques. En face d’eux, 4 containers sont posés sur une herbe sèche. Casque et gilet de chantier, Mor explique les raison de la présence de son entreprise. «On veut installer l’électricité et le matériel de bureau pour équiper les bureaux de chargés du chantier de la construction du projet qui doit être érigé», développe-t-il sans véritablement connaître l’identité du projet.
Dans le sillage de l’ex Ecole normale William Ponty -située à quelques km – et où Me Abdoulaye Wade et plusieurs chefs d’Etat africains ont été formés comme instituteurs, l’Ufa était appelée à être un creuset du savoir. Une école d’administration et de commerce, dispensant des cours d’administration publique, de gestion de la santé, de chimie, d’agriculture et d’ingénierie civile, d’électronique et de robotique, etc. Tous ces enseignements avaient la même vocation à développer les compétences techniques nécessaires au développement du continent africain. Au centre de l’aire de l’Ufa de 300 ha, l’amphithéâtre, logé au centre de ce complexe, a été dessiné pour rappeler la Grèce antique, «regarde» l’Ecole William Ponty toute proche. En face a été érigée la bibliothèque en forme aussi de pyramide, qui devait être l’une des plus grandes d’Afrique, d’après les rêves du Président Wade.
Wade, parrain d’une université fantôme
Quant aux pavillons, ils ont été tous construits par des chefs d’Etat étrangers qui en avaient fait la promesse lors d’un séjour au Sénégal. Ils ont tous eu droit à une visite guidée sur le site par le Président Wade. Sur place, les exposés de Me Wade et des techniciens fascinent généralement l’hôte auquel est offerte la possibilité de construire un pavillon qui porterait son nom. Séance tenante, le chef d’Etat étranger promet devant tous de dégager les moyens pour la construction d’un pavillon. Le Président Teodoro Obiang finança la Maison de la Guinée Equatoriale, le roi du Maroc Mohamed VI le promettait le Grand amphithéâtre Hassan II, du nom de son père. Quant à Jacques Chira, Président français de l’époque, il apporta les fonds nécessaires à la fondation du Pavillon Jacques Chirac. Les Nations unies furent également sollicitées afin de financer ce qui devait être la Maison de l’Onu, comme l’indiquent les publications promotionnelles qui font en outre référence aux fonds à venir des Etats-Unis ou des organisations internationales telles que le G8 et l’Union européenne. Ces rêves vont s’envoler avec l’érection sur le site de l’Institut national du pétrole et du gaz. Mais on ne sait où sera installée l’Université du futur africain.
LES ENSEIGNANTS DE L’UGB PARLENT DE LEUR VECU
Intervenant, hier, lors d’un colloque sur le sujet, le directeur adjoint de l’UFR Lettres et sciences humaines de l’UGB, le Pr. Magatte Ndiaye, et son collègue Khadim Rassoul Thiam ont partagé leur vécu durant la première vague
Comme leurs collègues de l’Ucad, les professeurs de l’université Gaston Berger de Saint-Louis seront obligés d’aller vers le e-enseignement, si le virus continue sa propagation au sein de leur établissement. Intervenant, hier, lors d’un colloque sur le sujet, le directeur adjoint de l’UFR Lettres et sciences humaines de l’UGB, le Pr. Magatte Ndiaye, et son collègue Khadim Rassoul Thiam ont partagé leur vécu durant la première vague.
Au début des années 2000, l'université sénégalaise appréhendait le télé-enseignement, selon le directeur adjoint de l’UFR Lettres et sciences humaines de l’université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB), comme une ‘’modalité trop sophistiquée’’, ‘’exigeante’’ et ‘’non appropriée’’, à la fois dans le contexte de recentrement de la pédagogie sur l'apprenant. ‘’Il était, en vérité, et peu convenable, que la transmission des connaissances et des savoirs se fassent, pour faire simple, dans un espace d'échange aussi virtuel que distant entre l'enseignant et l'enseigné. Ainsi, le déroulement des processus didactiques et pédagogiques requiert, à priori, qu'un dialogue permanent s'instaure entre les deux protagonistes dans un espace physique. Cette conception, si réductrice soit-elle, a longtemps orienté la formation des formateurs dans les anciennes et même dans une large mesure, d'une nouvelle école normale supérieure. D'où la réticence compréhensive de beaucoup d'enseignants à l'égard des enseignements à distance’’, explique le professeur Magatte Ndiaye.
Aujourd’hui, le directeur adjoint de l’UFR Lettres et sciences humaines de l’UGB reconnait que la situation est toute autre, face à la crise sanitaire. Donc, ils sont obligés d’aller vers l’enseignement en ligne. De par son expérience de chargé de la pédagogie depuis trois ans au sein de son UFR, en matière d'effectifs, tant des enseignants que des étudiants, le Pr. Ndiaye affirme que les avantages suivants sont loin d'être ‘’accessoires’’. ‘’Un, la programmation non-contraignante des enseignements. Deux, la gestion flexible de l'espace virtuel extensible dans la mesure du possible. Et, de trois, une meilleure accessibilité des supports et contenus des cours, la possibilité de partage direct d'enregistrements des séances diffusables immédiatement, etc.’’, liste-t-il.
A cela, il s'ajoute à ces avantages, d’après le Pr. Ndiaye, une certaine rationalisation des dépenses récurrentes, relatives aux déplacements et à l'hébergement des intervenants extérieurs, qui pesaient lourdement dans le budget de leur UFR. ‘’Il faut dire que depuis des années, nous réduisons de manière importante les dépenses axées sur la prise en charge des intervenants externes que nous appelons vacataires. Et sur les dépenses des participants des membres du jury aux thèses, parce qu’il y a beaucoup de thèses qui s'organisent maintenant en ligne. En tant qu'université tournée vers l'extérieur, si nous faillons à cette exigence des temps nouveaux, nous risquons de rater, malheureusement à de très grandes vitesses, l'enseignement version XXIe siècle’’, renchérit-il.
Si le Pr. Magatte Ndiaye se réjouit de l’enseignement en ligne, son collègue, le Pr. Khadim Rassoul Thiam, soutient, lui, que le processus décisionnel durant la première vague a été ‘’confus’’. ‘’Il faut le reconnaître. Nous avons subi des décisions. C'est-à-dire, c'est l'autorité qui nous a imposé l’enseignement à distance et qui nous a imposé aussi l'arrêt de toutes les activités et la fermeture du campus. C'est l'autorité qui nous a imposé de reprendre la pédagogie à distance, en attendant que les conditions permettent la reprise des enseignements en présentiel. Tout ceci s’était mal passé, parce qu'on était mal préparé. Nous avons rencontré d'énormes difficultés pratiques, à l'instar des autres universités sénégalaises, parce que, dans ce contexte, seule l'UVS était prête à fonctionner’’, soutient-il.
« IL FAUT INCITER TOUT LE CORPS ENSEIGNANT…, A PRODUIRE DES RESSOURCES PEDAGOGIQUES NUMERIQUES »
Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, le Pr. Claude Lishou revient sur le processus, mais aussi sur les défis, face à la propagation de la pandémie de Covid-19 au sein des universités publiques du pays.
Les initiatives tendant à instaurer l’enseignement à distance au Sénégal existent depuis plus de 20 ans, selon le professeur titulaire de classe exceptionnelle à l’Ecole supérieure polytechnique (ESP) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, le Pr. Claude Lishou revient sur le processus, mais aussi sur les défis, face à la propagation de la pandémie de Covid-19 au sein des universités publiques du pays.
Aujourd’hui, l’expansion de la Covid-19 pousse certains établissements scolaires à aller vers les enseignements en ligne. Est-ce que pour le Sénégal, les universités publiques peuvent basculer vers le numérique, pour éviter la propagation du virus ?
Au Sénégal, cela fait déjà plusieurs années qu’il existe des initiatives, en ce qui concerne l’éducation soutenue par le numérique. On parle de e-éducation, e-enseignement, etc., quand le numérique soutient l’éducation, et plusieurs initiatives existent au niveau des établissements publics comme privés au Sénégal. Ces initiatives ont été aussi généralement accompagnées par des opérateurs d’assistance technique. Que ce soit l’Agence universitaire de la Francophonie, au niveau des universités, l’Ifef de l’Organisation internationale de la Francophonie, plus largement pour les écoles. Mais aussi toutes les coopérations bilatérales en matière de formation, qu’elles soient américaines, allemandes, japonaises, luxembourgeoises, etc., accompagnent un certain nombre de projets avec plus ou moins de succès, suite à leur évaluation. On peut citer l’AUF qui accompagne depuis plus de deux décennies maintenant les universités, en ayant formé par un dispositif qu’on appelait ‘’Transfer’’, les universitaires. Dans les formations Transfer, chacun venait avec ses propres cours pour qu’ils soient scénarisés, numérisés et les enseignants sortaient avec des passeports TICE.
En ce concerne l’OIF, l’Initiative de formation à distance des maîtres (Ifadem) est portée par l’Ifef. Elle se déroule dans plusieurs pays y compris le Sénégal. Le Réseau africain de formation à distance (Resafad) date depuis plus de 20 ans au sein du ministère de l’Éducation nationale. Les initiatives endogènes en matière de e-éducation foisonnent, portées par plusieurs organisations y compris sénégalaises. Aujourd’hui, il s’agit d’agréger l’ensemble de ces initiatives réussies à travers une stratégie nationale, basée sur une mutualisation. Seront mutualisées les ressources pédagogiques, les ressources humaines et les ressources financières.
Qu’en est-il des ressources humaines ?
En ce qui concerne les ressources humaines, la Fastef de l’Ucad (ex Ecole normale supérieure) doit jouer une partition importante au service de tout le système éducatif national. La mission de cette institution doit être techno-pédagogique soutenue par le numérique. C’est-à-dire que les programmes doivent permettre l’acquisition de compétences techniques en même temps que pédagogiques. Parce que la e-éducation a besoin de cette double compétence. C’est-à-dire, d’une part, elle va renforcer les capacités des enseignants du supérieur, mais aussi assurer la formation des éducateurs des autres ordres d’enseignement (secondaire ou primaire). L’idée, c’est vraiment de redonner à la Fastef ses lettres de noblesse et des moyens pour qu’elle puisse former massivement en techno-pédagogie les acteurs de l’enseignement.
Ainsi, le Sénégal disposerait de ressources humaines en quantité et en qualité. Mais si on estime qu’on a vraiment besoin de quelques milliers d’enseignants du primaire jusqu’à l’université, on imagine une stratégie de formation des formateurs et ces formateurs, à leur tour, vont former au niveau décentralisé, local les autres formateurs.
Et pour celles pédagogiques ?
Au niveau des ressources pédagogiques, il faut inciter tout le corps enseignant du primaire à l’université à produire des ressources pédagogiques numériques : des ouvrages, des polycopes, des sites de formation, etc. Il est important de promouvoir ce type de ressources dont l’impact sera déterminant avec une incitation des auteurs. Le ministère de l’Education nationale dispose d’une imprimerie qui fait encore du papier. Ce genre de structures doit entamer sa mutation en produisant des livres numériques dont la diffusion est plus aisée tant au niveau de l’impact que de la distribution. Ces ressources pédagogiques seront conçues en Licences ‘’creative-commons’’ en militant pour le mouvement des Ressources éducatives libres (REL). Dans l’ensemble du processus, le droit d’auteur et la propriété intellectuelle dans la conception et l’utilisation devront être respectés. Une telle attitude fait appel aussi à la générosité des acteurs. Des stratégies de mise en œuvre existent où l’État ou les institutions mettent en place pour ces enseignants un système de cession des droits d’auteur. C’est une pratique courante pour disposer de cours, d’ouvrages numériques. L’Ebad l’a expérimenté avec succès, avec un forfait de l’ordre de 500 000 F CFA qu’on donne à l’enseignant, plus un autre forfait de mise à jour quelques années après selon la matière.
Ainsi, l’institution peut déployer sa stratégie propre de diffusion gratuite aux étudiants. De discipline en discipline, on devrait aboutir à une banque de ressources numériques et à tous les niveaux.
Concernant l’aspect financier, que faut-il faire ?
Le troisième levier est la mutualisation des ressources financières. Là aussi, il y a des financements de l’Etat, de la coopération bilatérale, internationale. Au lieu que chaque institution déroule sa politique de financement de manière individuelle, on peut imaginer agréger les budgets pour avoir des masses critiques pour négocier des prix ou harmoniser des services pour le bénéfice d’un plus grand nombre, dans le respect des besoins spécifiques de chacun, mais dans une solidarité exprimée. Un grand service serait rendu à l’ensemble du système éducatif du pays, si les ministères en charge de l’éducation mettaient en place, suite à une sensibilisation généralisée, une politique d’incitation à la qualité, une véritable stratégie disruptive de e-éducation.
Tous les acteurs doivent également jouer leur partition. Le recteur de l’UGB propose un basculement conjoncturel vers l’enseignement à distance ; il a raison. Le recteur de l’Ucad veut un ancrage à la bimodalité ; il a tellement raison. Des universités comme l’université Amadou Mahtar Mbow, commencent directement, avec ce modèle. La vision de la rectrice est salutaire, pour ne citer que les acteurs universitaires, et l’avenir nous le dira.
Mais la plupart des enseignants ou étudiants pensent que les conditions ne sont pas encore réunies pour aller vers les cours en ligne…
Les étudiants posent le problème en termes de préalables ; les syndicats, dans leur rôle de sauvegarde des intérêts des enseignants, n’affichent pas leur adhésion à ce changement inévitable que nous dicte la crise. Les membres des syndicats, en particulier, enseignants éclairés, s’ils sont considérés comme des partenaires, sont au cœur de la réussite d’un projet national de e-éducation. Rien ne sera plus jamais comme avant. La crise est présente et un effort solidaire est de mise pour en amortir le choc. On ne peut pas imaginer, dans les semaines qui arrivent, qu’on puisse équiper tous les étudiants d’un ordinateur, même si l’équité d’accès à l’enseignement devra rester un principe à atteindre à tout prix. Il faut commencer par un bout. Il y a eu tellement d’opérations ; ‘’Un étudiant, un ordinateur’’, ‘’Un enseignant, un ordinateur’’, etc., et la plupart de ces dispositifs n’ont pas réussi et il faut l’avouer. Cela marche à peu près pour l’UVS qui a eu à l’introduire dans son processus de recrutement. Cela lui coûte très cher de pouvoir assurer à chaque étudiant un ordinateur et l’efficience devra être démontrée. On aurait pu imaginer une alternative, que ce mécanisme soit géré plutôt par la Direction des bourses qui veillera à la dotation, au recouvrement éventuel et que l’ordinateur doté soit exigé à l’école, à l’université, comme dispositif d’apprentissage obligatoire.
La solidarité au Sénégal est aussi une réalité qui aide au niveau des équipements. Le père ou la mère de famille, peut mettre à disposition leur smartphone, avec leur propre crédit pour leurs enfants, afin de suivre des cours en ligne. Cette sociologie particulière des usages renforce certains manquements et cela ne se passe pas comme cela ailleurs. On remarque aussi que les membres de la famille de la diaspora font des efforts pour doter les parents d’équipements informatiques. Il y a également des importations d’ordinateurs d’occasion à prix réduits à même d’assurer la mission d’acquisition de connaissances. L’ambition n’est pas de disséminer des ordinateurs d’occasion, mais on est en crise et il faut parer à l’urgence.