ALEX ET CIE DEMANDENT LA GRACE
APRES PRES DE VINGT ANS DE PRISON

Membres du célèbre gang de la fin des années 90 qui écumait de nombreuses localités du pays, Alassane Sy alias Alex, Ifra Ba et Oumar Ndary Sow, Mamadou Fily Sané, Pape Ndiaye ont décidé de briser le silence, après 18 ans de détention, et de décrire la détresse morale et physique qu’ils vivent toutes ces années derrière les barreaux. Dans une lettre articulièrement poignante qu’ils ont adressée à Malal Talla et ses amis du mouvement «Y en a marre», les acolytes de feu Alioune Abatalib Samb alias Ino font un vibrant plaidoyer pour leur libération et demandent aux «Y en a marristes» d’être leurs avocats auprès de l’opinion et de l’Etat. Alternant confessions émouvantes et mea culpa public, Alex et ses compagnons de galère ont terriblement soif du pardon du législateur, de la société et du peuple, et se nourrissent d’espoir de voir bientôt le bout du tunnel. «L’As» s’est procuré la copie de la bouleversante lettre et la publie in extenso pour ses lecteurs.
Dakar le 8 juillet 2016
CHERS «Y EN A MARRISTES »…
Cher Malal Talla
Nous, détenus de la bande à «Alex et Inno», avons décidé, après une très longue et profonde réflexion, de nous rapprocher de vous et de votre mouvement «Y en a marre» auquel et dans lequel nous adhérons de la plus déterminée des manières, pour vous faire savoir que nous avons pris la ferme décision de vous mêler à notre cause, car pour nous il est temps. En effet, rien de votre combat ne nous est étranger, car nous vous suivons depuis et toujours ; même si dans la profondeur de nos geôles, nous luttons (…) pour d’abord sauvegarder nos vies, mais surtout pour ne pas sombrer dans la déprime. Et ainsi nous mettre à l’abri de toute folie mentale, intellectuelle ou même morale, fusse-t-elle passagère ou même définitive.
Car ce bon sens, à l’avenir, sera pour nous «une arme» dont nous devons nous servir à bon escient dans le but d’éclairer la lanterne de toute la Nation sénégalaise par rapport à notre séjour carcéral ; car toute la vérité doit éclater au grand jour.
Pour ce faire, nul autre que vous ne peut être notre porte-voix… Nous vous savons déterminés à toujours jouer un rôle prépondérant dans toute lutte juste. Lutte que vous menez et avez toujours menée tel un artisan jusqu’à l’aboutissement d’une éclatante victoire.
Cependant, nous ne nous blanchissons pas totalement de tout ce qu’on nous a reproché ; certes nous avons commis des erreurs de jeunesse qui nous ont souvent amenés à nous approprier les biens d’autrui ; mais nous ne sommes jamais allés plus loin que cela.
Nous vous assurons (en tant que réels amis) que dans toute notre histoire diabolisée médiatiquement, beaucoup de zones d’ombres et d’incertitudes doivent être élucidées pour la Vérité, Rien que la Vérité.
Ils nous ont peints comme de vulgaires «assassins» alors que nous N’AVONS JAMAIS TUE PERSONNE.
Vous pouvez très bien vérifier cela, si vous vous rapprochez des registres du tribunal. Cher Malal, aucun document, alors là aucun, ne pourra être brandi par quiconque qui essayerait de nous rendre «coupables» d’un quelconque crime de sang. (…) Comme nous vous l’avons affirmé plus haut, nous prenons le gage de reconnaître nos erreurs face à la société sénégalaise à laquelle nous appartenons (bien sûr !!!) et d’aller même plus loin, jusqu’à nous agenouiller devant cette société, uniquement pour solliciter et surtout implorer son pardon. Cela nous l’espérons par et avec votre voix ; et nous vous prions d’être nos humbles représentants devant notre société. Vous êtes nos ambassadeurs et nous voulons que tout le monde sente la douleur profonde qui nous anime et nous meurtrit en ce moment ; tellement nous aimerions nous faire pardonner face à nos erreurs passées et vous jurons que plus jamais cela ne se reproduira. Et nous ne rêvons que de lui apporter (à cette société) notre pierre et notre active participation à l’édifice qu’est notre cher Sénégal.
D’autre part, nous avons, grâce à notre humble enseignement acquis en prison, compris que la peine, qui est la concrétisation de toute sanction pénale par la loi du délit, a un but qui se qualifie de trois ordres. Elle est d’abord afflictive, ensuite infamante et enfin sanctionnatrice.
Et nous estimons que compte tenu de la longue détention dont nous avons été victimes et ayant ainsi passé dix huit (18) années de notre existence en prison, alors nul doute que nous avons, en purgeant notre peine, été frappés de ce but de la peine en tant que sanction judiciaire. Car le fait d’avoir été séparés de nos familles durant ces dix-huit années nous a atteint au plus profond de nos âmes. Et le pire est que presque la totalité de nos ménages a volé en éclats et nous n’avons plus de vie de famille. Pour la majorité, nos femmes nous ont abandonnés. Pour certains parmi nous, leurs filles sont mariées et sont devenues mères de famille avec des enfants. Donc, nous sommes devenus pères et grandspères, sans jamais voir nos petits fils… donc affectivement nous avons été atteints par la loi… Ces dix-huit années (18 ans) nous ont aussi atteint aussi au plus profond de notre âme… nous ne cessons de nous morfondre par rapport à notre passé. Et comme nous vous l’avons souligné plus loin, nous regrettons tout ce dont nous avions visiblement été responsables car nous sommes d’une manière ou d’une autre atteints par cette sanction infamante. Cependant nul ne peut douter de la longue détention que nous continuons de vivre et qui, depuis 1999, nous a privés de liberté et de laquelle découle l’éclatement de nos familles. Et nous pensons donc que nous avons subi cette privation de liberté dans la plus grande des douleurs. De tout le Sénégal, nous sommes les détenus les plus sanctionnés par la loi et nous pensons que le législateur sénégalais doit avoir assez de clémence à notre endroit, car nous avons subi tout le poids de la sanction qu’il nous a affligés.
Et nous le supplions, à travers votre voix et de celle de tous les «Y en a marristes», de beaucoup penser à notre cas. Nous sommes des Sénégalais et il ne nous reste que deux années pour boucler vingt ans en détention. Avec l’éducation et l’encadrement socioreligieux que nous avons suivis en prison, nous avons hâte de pouvoir en faire bénéficier à nos enfants et petits enfants.
Cher Malal, sachant notre temps libre assez court, nous pensons ne pas trop en abuser et espérons aussi avoir été compris. Et croyons ainsi que vous allez bien pouvoir transmettre notre Pardon à la Nation et au Peuple sénégalais et lui faire part de notre cri du cœur pour que nos idées et nos plaintes parviennent dans l’oreille la plus lointaine au fin fond du Sénégal. Il faudrait, par ailleurs, que les magistrats et juges sénégalais chargés des libertés conditionnelles soient plus professionnels dans leur décision et surtout revoient leurs manières. (…).
Qu’ils arrêtent la stigmatisation dont ils font montre à notre endroit. Nous ne sommes pas aussi mauvais qu’ils pourraient le penser. Lorsqu’ils ont jugé nos dossiers en cour d’assises, nous n’étions encore âgés pour la plupart que de 20 ans à 25 ans au plus. Il serait illogique qu’ils continuent de nous regarder à travers cette caricature de jeunes fougueux. Nous avons grandi et presque vieilli en prison et nous avons besoin d’user du peu de temps qui nous reste à vivre pour nous occuper de nos enfants et fonder de nouvelles familles, puisque nous faisons plus de quarante ans d’âge.
Enfin pour votre plus ample information, nous vous signalons que du grand groupe de Alex et de Ino, il ne reste que ceux dont les noms suivent :
-Alassane Sy (mandat de dépôt le 04 juin 1999) alias Alex
-Ifra Ba et Oumar Ndary Sow (mandat de dépôt le 07 juin 1999)
-Mamadou Fily Sané (mandat de dépôt le 07 juin 1999)
-Pape Ndiaye (mandat de dépôt le 20 février 2001)
Nous vous signalons aussi que Alioune Abatalib Samb dit Ino et Djiby Ba (tous les deux, mandat de dépôt le 04 juin 1999) sont décédés en détention.
Ainsi, nous ne pouvons que compter sur votre voix à travers «Y en a marre» pour que les média du pays sachent que cette médiation de mauvais aloi n’a heureusement pas sa raison d’être. Nous vous sommes très reconnaissants par rapport à ce combat et nous vous témoignons notre Fraternité éternellement.
Les Intéressés