COVID, NOTRE BUL FAALE HÉDONISTE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - Fini les différences géographiques, économiques, culturelles et sociales ; place à une réalité qui, n’en déplaise à toutes les formes de séparatisme, nous rappelle que nous constituons une humanité commune
#SilenceDuTemps - La survenue d’une troisième vague dénommée Delta a craquelé la vitrine de la bonne gestion de la pandémie de la Covid-19 par le système de santé du Sénégal. Et pourtant, rien ne semble perturber nos compatriotes dans leur grande majorité. En dépit du nombre plus important de morts, de contaminés, de cas graves, ils continuent en effet de voguer à leurs occupations dans une tranquillité étrange. Au milieu du ballet strident des ambulances et des processions en direction des cimetières toutes sirènes déployées, ils ne se gênent pas de dérouler une attitude « bul faale » bien loin d’être visitée par l’angoisse. Abonnés au « no stress », ils donnent le sentiment de nager dans les eaux calmes d’un hédonisme insouciant. Aussi s’adonnent-ils à des rassemblements lors d’évènements heureux ou malheureux, devisant en groupes compacts autour de séances de thé, de jeux de société ou autres convivialités. Sans compter cette façon singulière d’exposer le masque sous le menton, en dessous du nez, de la bouche.
Et curieusement, ce n’est nullement la traduction d’une irresponsabilité encore moins « l’habitude du malheur » qui plombent une perception convenable de la situation sanitaire, mais une conviction portée par une foi tenace dans le fait que, c’est « Dieu qui donne la vie et qui la reprend ». Aucune raison de se laisser saisir par la peur panique puisque, point de Corona ou autres virus qui tuent.
Ce qui apparaît alors pour d’aucuns comme un dévoilement du destin
devrait peut-être inciter à « économiser Dieu » (thème d’une conférence prononcée à Dakar par Paulin Hountondji) car en s’abandonnant ainsi, l’on feint d’oublier comme le rappelle le théologien allemand Martin Luther que si « Dieu nous donne des noix, il ne nous les casse pas ». Il nous revient donc de trouver les outils pour y faire. Ce que le Pasteur Martin Luther King avait bien cerné, lui qui indiquait que « la vraie compassion ne consiste pas à jeter une pièce à un mendiant, mais à « comprendre la nécessité de restructurer l’édifice-même qui produit des mendiants ».
Sans compter, faut-il le souligner, qu’une telle attitude qui flirte avec la défausse est en complet déphasage avec ce chambardement qui a secoué le monde. À l'échelle de la planète-terre, nous voilà donc toutes et tous concernés. Fini les différences géographiques, économiques, culturelles et sociales ; place à une réalité longtemps occultée et qui, n’en déplaise à toutes les formes de séparatisme et d‘exclusion, nous rappelle énergiquement que nous constituons une humanité commune. Tel est le grand rappel à l’ordre de la pandémie.
Aussi, en imposant un peu partout dans le monde le confinement, les mesures de distanciation sociale, en contrôlant la mobilité des personnes, a-t-elle en effet fracassé nos prétentions, embrumé nos horizons. Elle nous a ainsi ramenés à une réalité souvent ignorée et qui nous revient en boomerang, à savoir que nous sommes peu de chose.
Toutefois convient-il de le rappeler, la pandémie s’est dévoilée sous la forme d’une inversion étrange qui continue d’interroger. Contrairement à l’hécatombe annoncée, les pays les plus impactés ne sont pas ceux du sud, mais bien ceux nantis du nord comme en ont attesté les images que les télévisions ont déversées dans nos salons, nous les montrant complètement submergés, paniqués, débordés, les urgences des hôpitaux surchargés, les obligeant à parer aux plus pressés, etc.
Pour autant, même si les Dieux ont semblé pencher du côté des laissés-pour-compte, faisant vaciller la balance des inégalités, épargnant le continent africain des hécatombes annoncées, refusant de les atomiser là où certains regards les avaient assignés d’office, cela ne devrait pas donner le sentiment d’une protection exogène. Encore moins amener à se satisfaire d’une sorte de revanche faisant dire à d’aucuns : « Ah ces occidentaux qui se prenaient pour des héros, les voilà réduits à zéro par Dieu ».
Drôle de période que celle de cette pandémie qui occasionne un vrai charivari dans nos modes d’être, faisant flotter par moment comme un air de folie douce, sorte de dérivatif qui permet d’enjamber les inquiétudes du quotidien pour les noyer dans le merveilleux. Si ce ne sont pas des idées complotistes, ce sont d’autres, plus fantaisistes, encore qui sont portées au pinacle, à l’image de cette histoire surgie de nulle part et qui se retrouve au cœur de conversations sous la baguette magique de sa « majesté Thierno Koukandé ». Ce dernier s’était promis de fendre la mer le jour de l’Achoura pour permettre aux jeunes, diplômés chômeurs notamment, de pouvoir ainsi rejoindre l’Europe pour y tenter leur chance. À pied ? En voiture ? En train ? Nul ne sait ! Un grand n’importe quoi finalement. Et bien sûr, le pouvoir dont il se targue est selon ses dires « un don de Dieu ». Que quelqu’un puisse ainsi délirer et que cela puisse être relayé par des médias soumis à la tyrannie « fait-diversière » en dit long sur le niveau du débat actuel. Au passage, cela nous fait prendre conscience que nous ne sommes toujours pas vaccinés contre la désertion de la rationalité. À l’image de l’épisode Sharifou (1) qui avait défrayé la chronique, Selbe Ndom (2) et ses prédictions de crach d’avion qui avaient amené les étudiants à quitter précipitamment l’université le jour indiqué. Désespérant !
À l'évidence, tout cela nous interpelle et nous oblige à un recentrage sur nous-mêmes et à nous réconcilier avec la pensée critique. Cela est d’autant plus à notre portée qu’on constate dans ce pays une formidable énergie souterraine, une énergie sourde, bridée, piaffant d’impatience de pouvoir exprimer toutes ses potentialités pour peu que l’État organise les conditions de son déploiement.
Vieux Savané est journaliste et directeur de publication de Sud Quotidien. Ancien professeur de philosophie, il a collaboré à différentes publications, notamment « Set Setal, la seconde génération des barricades ». Sud Éditions, Collections Ruptures.1991 avec Boubacar Boris Diop et Idy Carras Niane.
1. Cheikh Sharifou, 5 ans, de nationalité tanzanienne, présenté comme un enfant prodige avait défrayé la chronique en mai 1999 à Dakar. De lui on a dit qu’il a prononcé le nom de Dieu à sa naissance, s’est sevré lui-même.
2. Selbe Ndom qui était présenté comme une voyante ayant prédit la chute d’Abdoulaye Wade, de l’ancien roi des arènes Yekini avait selon certains médias, prédit un crash d’avion le 18 juillet 2012. Malgré son démenti, le jour dit l’université avait été désertée.