DU SENS DE L'AFRIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – En Algérie, j'ai souvent été traitée de « négresse » et associée à « Rasde ». Enfin c’est ce que j’entendais. Il s’agissait de R.A.S.D. Noire, je ne pouvais être qu’une Sahraouie, à leur entendement
Jour 63 et J-3
#SilenceDuTemps - Afrique
D’où vient donc ce nom ? Apparemment les Romains appelaient Afrique, le nord du continent uniquement, le mot provenant d’une tribu berbère vivant près de Carthage !
Ironie du sort, cette partie-là qui se sent la moins concernée … Les Tunisiens rêvent d’être de l’Europe, « lorgnant » sur cette mer Méditerranée qui aujourd’hui les en sépare, les Marocains bien que de retour dans l’Union Africaine depuis peu, gardent cette « mesure de distanciation » avec l’Afrique. Qui n’a pas entendu un, deux, mille … millions de Marocains dirent « nous et les Africains… », jurant la main sur le cœur qu’ils sont africains !
Durant mes vacances en Algérie (voir la J 58) souvent traitée de « négresse » et associée à « Rasde », enfin c’est ce que j’entendais persuadée que c’était la traduction de négresse en arabe. Eh bien non, il s’agissait de R.A.S.D. Noire que j’étais, je ne pouvais être qu’une Sahraouie. Dans la bouche de ceux qui me l’envoyaient était-ce du racisme, de l’ignorance. Quo iqu’en dise Charles de Praia, je ne pouvais passer pour une Algérienne.
Oui, aujourd’hui c’est la journée Internationale de l’Afrique. Et d’ailleurs qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Existe-t-il une journée internationale de l’Amérique, ou de l’Europe ou de … ? Les informations du 13h 00 à la radio se sont contentées de signaler que c’était aujourd’hui. Aucun commentaire ! Ne lisant pas les journaux, je ne saurai pas si un média s’en est saisi, en tout cas rien dans la revue de presse. Attendons les journaux TV du 20h 00 !
« Afrique mon Afrique … », celle des fiers guerriers, évoquée par notre grand poète David Diop en 1956 et « dont les fruits ont peu à peu l’arrière saveur de la liberté ». Un « peu à peu » toujours pas vraiment au rendez-vous.
Ismaila Lô, notre chanteur folk, crie haut et fort son sentiment pour l’Afrique « Jaam’U Africa ». J’arrive en 2005 à Jo’Burg, un soir dans un café-concert je suis « scotchée », cet air qui résonne m’est familier :« d’ici où d’ailleurs nous sommes les enfants d’Afrique … levez-vous enfants d’Afrique pour construire le pays … »
D’entendre ce chant à l’autre bout de l’Afrique me fait chaud au cœur et me conforte dans l’idée que la musique est un bon véhicule unificateur.
Avec le président-poète, l’Afrique est largement présente et transversale dans tous ses écrits. Une auteure dit de sa poésie qu’elle est « une intimité sensuelle et mythique que le poète communique à travers …et par des allusions historiques et ethnologiques… dans une connivence d’un savoir préalable de la réalité africaine ». Certes mais qui ou quoi croire ? l’Afrique qu’il nous livre à son départ, vient contrebalancer tout cela !
Christiane Taubira lors des « Ateliers de la pensée à Dakar 2019 » dit : « il s’agit de nous réparer nous-mêmes et de réparer ceux qui en ont besoin aujourd'hui dans la panique où ils se trouvent ». Madame Taubira qui durant des dizaines de minutes, sans notes a tenu en haleine un jeune (et moins jeune d’ailleurs) public dakarois sur la traite de l’esclavage et a expliqué pourquoi et comment les Africains doivent vaincre cette histoire. Sacrée bonne femme !
Un peu ce que dit Jean-Paul Sartre dans sa préface de « Orphée noir » publié en 1948 et s’exprimant en soutien au peuple noir d’Afrique : « … et puisque l’on opprime dans sa race et à cause d’elle, c’est d’abord de sa race qu’il lui faut prendre conscience … »
Alors il s’agit de nous, et rien que nous ! sinon… « Salut Afrique-mère ! »
Jour 64 et J-2
40 ans déjà …
« Une journée particulière » ce 26 mai 1980 … comme au cinéma !
Trois jours avant :
« Bien sûr Mamina, j’ai demandé à mon Docteur, pas de risque je peux y aller »
Je venais de faire le plus grand mensonge de ma vie !
Et me voilà donc partie en famille, mari et amis pour un long week-end de la Pentecôte à la Somone.
Une forme incroyable, j’avais. Tous installés dans cette magnifique maison de campagne pour 3 jours de « farniente »
Samedi et dimanche, très affairées mon amie Anta et moi, à gérer l’organisation. Je me souviens du fameux Yassa préparé la veille que nous avons dégusté dimanche au déjeuner.
Sûrement sieste pour les uns, balade sur la plage ou encore jeux de société pour les autres. Je me souviens surtout de certains d’entre-nous bien fatigués par ce repas très arrosé.
La forme ne m’aura pas quitté ces deux jours-là.
Je me suis couchée dimanche sans pouvoir dormir. Vers minuit quelques légères douleurs, je réveille Anta qui elle, venait d’avoir 8 mois plus tôt un bébé. Elle devait donc m’être de bon conseil, « tu calcules les espacements entre deux douleurs et on avise en fonction »
Montre en main, me voilà concentrée à l’écoute de mon corps, tout semble s’accélérer.
On réveille les concernés avec beaucoup de difficultés, les filles décident de revenir sur Dakar malgré les idées tout aussi fumeuses les unes que les autres de « nos gars » complétement à l’ouest disant au contraire « il n’y a pas le feu, à la Somone c’est tout à fait possible… je connais la matrone … » ou encore « mon ami le Dr Le Blanc est là aussi … »
Bref, il est 3h. du matin, en route sur Dakar, directement à la « clinique Yamilé » ; le Dr de garde, un ami, m’examine :« pas de problème, c’est une fausse alerte » et je m’entends lui demander :« alors je peux retourner à la Somone ? ». Il est 5h.
Anta qui conduisait, propose quand même que nous rentrions chez nous et on verra ensuite dans la matinée.
Je rentre donc à la maison avec mon cher, tendre et…insouciant mari, qui dormait à l’arrière de la voiture durant tout le voyage.
Bien entendu, je perds les eaux vers 9h. Me revoilà de retour à la clinique, à 5 mn de la maison, où j’ai été littéralement séquestrée, Dr m’avouant qu’il avait ordre de mon Dr. Fredy de ne surtout pas me laisser partir au cas où je pointerai mon bout du nez.
Ce n’était point une fausse alerte et j’ai passé toute la journée à …attendre.
Mamina qui tenait à être présente dans tout le processus. Grand-mère et surtout infirmière sage-femme, pas question de ne pas y être.
Le moment venu dans la salle d’accouchement, elle est scandalisée de ces méthodes « modernes ». Elle qui a donné vie à de gros bébés, en pleine brousse, sans aucun moyen, juste de la méthode, sans aucune déchirure, elle est meurtrie mais ne dit mot, de voir que Dr. Fredy, particulièrement compétent au demeurant, qui me prévient qu’il va faire une épisiotomie pour ce petit bout qui arrive finalement à 21h ce lundi de Pentecôte et pèse 2, 300 Kg.
La délivrance, le bonheur, fatigue et souffrances … oubliées.
Yalis est là, toujours calme, si calme même que je demande au pédiatre si c’est normal. « En général on me consulte pour le contraire », me rassure-t-il.
De merveilleuses années que j’ai gérées en étant souvent papa et maman, mais c’est hélas le cas de tant d’entre nous.
Voyant s’annoncer un départ vers d’autres lieux pour la « bonne cause », voyant des mamans complètement effondrées après le départ de leur enfant, j’ai pris mon élan et m’y suis préparée deux ans avant, rompant petit-à-petit avec les habitudes de cohabitation étroite. J’ai mis surtout la mère Mich’ dans le dossier. Elle a su, grâce à sa personnalité grandement ouverte l’introduire au mieux dans sa nouvelle vie, à Toulouse en l’occurrence. Yalis y a trouvé tatas et amies qui l’ont aidée à faire son nid et toujours sans poser de problème.
Quoi de plus rassurant pour nous ici.
Et cela continue et continuera sans aucun doute.
Je me réjouis de savoir combien son prénom, d’origine Sérére de la Petite côte a fait des petits. Yalis, déformation de « Yaye Lis » ou Yaye Louise » plutôt, comme beaucoup de nos prénoms d’origines diverses que nous avons sénégalisé.
On trouve les « tuurondo » chez les amis/familles Diatta, Ngom … dans les Pyrénées une Yalis blonde aux yeux bleus, une autre Gwada aux Antilles et la dernière d’une union Bambara et Bassa du Cameroun. Qui dit mieux !
Je me promets de faire un arbre généalogique des Yalis, ça devrait être sympa, non !
Cet arbre commencerait avec Yalis, prénom traditionnel d’une de mes belle-sœurs, que nous avons choisi sans hésiter, ton papa et moi.
On dit souvent que derrière les prénoms se cachent une personnalité. Toutes les Yalis ont vraisemblablement un point commun, à trouver alors ?
Jour 65 et J-1
Signé Réyane Deligné
Hier à Conakry, le « griot électrique » comme les Français l’appelaient avec affection, est entré en sa dernière demeure.
Mory Kanté, cher Mory, je suis triste, n’ayant pu te dire « au revoir » malgré les SMS whatsapp que nous avions pris l’habitude de nous envoyer, de temps en temps, que nous disions que même rares ces messages font du bien. Nous riions de tout et surtout de nous-mêmes !
Nous rappelant notre rencontre dans ce vaste temple des Beaux-Arts de Paris où tu m’as accueillie avec d’autres africains, étudiants plasticiens ou architectes.
Nous rappelant ces moments de joie où tu nous apprenais à chanter et surtout « à écouter différemment » la musique
Ton premier grand concert en France, j'y étais avec tous les potes. Nous avons fait « la claque » et sommes montés sur scène à la fin du spectacle, bousculant les conventions et les « gros bras » qui géraient la sécurité et tu les as invités à nous accepter. Quelle joie partagée !
Tu trouvais que j’avais quelques dispositions, tu m’as donc encouragée à faire en dilettante du théâtre, et surtout à commencer par prendre des cours de chant, cette voix dont on se sert comme d'un instrument.
C'était passionnant mais l'ambiance détestable car ces cours fréquentés par des jeunes qui se croyaient, se voyaient déjà en haut de l'affiche.
Je n’ai pas tenu deux mois, je t’ai senti déçu par mon manque de persévérance ; je ne sais quel « bobard » j’ai raconté, mais ce que je sais c’est que plus tard on en a bien ri !
Et puis rentré chez toi et moi, chez moi malgré la proximité, silence radio.
Quel plaisir d’entendre ta voix des années plus tard m’annonçant la naissance de ton premier enfant nommé Anna ! J’en ai encore les larmes aux yeux, ma première « Tuurondo ».
Et nos retrouvailles nous ont plus rapprochés. Mieux, nous avons trouvé une presque parenté. Te rappelant que j’étais un peu Guinéenne, je me souviens comment rapidement tu as retrouvé le village natal de mon arrière-grand-mère paternelle Yanconi, elle y avait encore de la famille. Ton village à toi étant très proche, t’engageant donc à t'occuper de temps en temps de cette descendance. Mieux cette histoire de famille aura inspiré certaines de tes belles mélodies. J’en suis très fière sans avoir fait grand-chose, et surtout touchée.
En fait, parenthèse de l'histoire familiale assez mystérieuse ici, peu glorifiante et ponctuée d'enlèvements, et même d'assassinats.
Chut, secret de famille.
Mes tantes ici nous ont toujours recommandé de ne surtout pas y aller ou sinon de ne pas se signaler au cas où.
Intriguée par tout cela, je profite d'un voyage d'études en Guinée pour y aller. Quel merveilleux pays, livré à lui-même…
Ne l’appelait-on pas la Suisse de l'Afrique ?
Le professeur qui m'accompagnait vers mon retour aux sources me fait remarquer que rien n'a vraiment bougé, belle nature inexploitée, pas valorisée, pas dominée lorsqu’elle déborde. « Scandaleux », me dit-il !
À elle seule elle aurait fait la richesse de toute notre région.
Faire 200 km dans un paysage sans infrastructures prend trois fois plus de temps…
Tant pis car je me délecte des paysages.
Et puis voilà notre histoire va s’arrêter, je garde en mémoire nos parties de rigolades, et surtout ta grande générosité, celle qui ne se voit pas mais se perçoit.
Mon « au revoir » sera posthume à travers cette belle prose « piquée » à Aimé Césaire que tu nous récitais des fois, lorsqu’empreint de nostalgie, tu avais l’impression qu’il parlait de ton chez toi.
« Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir – les volcans éclateront, l’eau nue emportera les taches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins – la plage des songes et l’insensé réveil ».
Au bout du petit matin … à nous revoir !
Jour 66 et J0
« Voilà, tu la connais l’histoire … »
Comme chantée par Barbara mais ici, tout autre chose. Juste 66 jours durant, parfois imposés, tous les jours depuis mardi 24 mars 2020.
Fini les envies, ma chère Geneviève de Marseille nous voilà rendu au même point.
Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle est administratrice.