LE SENEGAL FACE AUX BLOCAGES DE SON DEVELOPPEMENT
Le blocage du développement au Sénégal n’est pas le fruit du hasard. Il résulte d’une combinaison toxique entre perte des valeurs, effondrement éducatif et gouvernance déconnectée des réalités populaires.

Le Sénégal, longtemps cité en exemple pour ses valeurs humaines, sa démocratie apaisée et la qualité de ses élites, traverse aujourd’hui une période d’inquiétante régression. Loin d’être un cas isolé dans un monde en mutation, notre pays présente des particularités internes qui freinent sérieusement son développement. A travers l’effritement des valeurs, la crise de l’éducation et la politisation à outrance de la gouvernance, les symptômes d’une société en perte de repères apparaissent. Il est urgent de poser un regard lucide sur ces réalités pour ne pas compromettre l’avenir des générations futures.
L’effritement des valeurs fondamentales : le miroir d’une jeunesse désorientée
Le Sénégal est avant tout un pays de croyants. A travers l’islam et le christianisme, deux religions monothéistes qui appellent à la crainte de Dieu, à la droiture et au service du bien commun, les fondations morales du pays ont longtemps façonné une société respectueuse, disciplinée et solidaire. Cependant, cet équilibre fragile est aujourd’hui menacé. L’observation quotidienne, notamment à travers les comportements des jeunes sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok, révèle un profond changement de mentalité. Entre défis vulgaires, glorification de la violence, de la provocation et du matérialisme effréné, la jeunesse semble évoluer dans un espace où la quête de visibilité prime sur la quête de valeurs.
TikTok, Instagram, Facebook sont devenus de véritables vitrines d’une société en perte de repères, où la recherche du sensationnel l’emporte sur le respect de soi et des autres.
La pudeur, autrefois un pilier de l’éducation, cède la place à l’exhibitionnisme ; la modestie est remplacée par la vanité ; l’effort par l’illusion d’une réussite facile et immédiate.
Ce délitement des repères n’est pas anodin. Une société qui perd son ancrage spirituel et moral devient vulnérable à toutes les dérives, sociales comme politiques.
Sans boussole éthique, le développement devient un mirage, car aucune infrastructure matérielle ne saurait remplacer la solidité des âmes et des consciences.
2. La crise de l’éducation : la grande défaite silencieuse
Si l’éducation a longtemps été l’orgueil du Sénégal, elle est aujourd’hui l’un de ses plus grands échecs. Trois dimensions majeures illustrent cette dégradation :
2.1. L’appauvrissement intellectuel
Le niveau de culture générale, de curiosité intellectuelle et de goût pour l’effort a fortement baissé. Nombreux sont les jeunes qui abandonnent précocement les études, convaincus que l’école n’est plus une voie vers la réussite.
Selon les statistiques, près de 40% des jeunes de 15 à 24 ans au Sénégal n’ont pas terminé le cycle fondamental, accentuant une pauvreté intellectuelle qui limite gravement leur capacité à s’adapter à un monde de plus en plus exigeant.
2.2. La méconnaissance des institutions
L’ignorance des mécanismes de fonctionnement d’un Etat de Droit est préoccupante.
Beaucoup de jeunes ne savent ni comment fonctionne l’Assemblée nationale, ni quel est le rôle des collectivités locales, ni même quels sont leurs droits fondamentaux. Or, un citoyen qui ne connaît pas les lois est un citoyen incapable de défendre ses libertés ou de contribuer efficacement à la construction démocratique.
2.3. La vulnérabilité face aux manipulations
Privés d’une base solide de connaissances, les jeunes deviennent des proies faciles pour toutes formes de manipulation : politique, religieuse, économique.
La propagande trouve un terrain fertile dans l’ignorance ; les promesses irréalistes séduisent là où l’esprit critique est absent. En harmonisant ces trois points, il devient évident que sans éducation de qualité, aucun progrès durable n’est possible.
Le savoir est non seulement un outil de réussite individuelle, mais aussi un rempart contre les dérives collectives.
3. Le poids d’une gouvernance tournée vers elle-même : la détérioration du niveau de vie
A cette crise morale et éducative, s’ajoute la défaillance de la gouvernance.
Les priorités politiques semblent souvent éloignées des besoins fondamentaux de la population.
Niveau de vie : une pauvreté persistante
Malgré des taux de croissance macroéconomiques parfois positifs, près de 37, 8% de la population sénégalaise vivent sous le seuil de pauvreté selon l’Ansd (2023).
Cette pauvreté structurelle signifie un accès limité à une alimentation suffisante, à un logement décent et à des opportunités économiques viables.
Santé : des défis majeurs
Le système de santé reste sous-développé :
• Le Sénégal dispose de 0, 8 médecin pour 10 000 habitants, bien en dessous du seuil recommandé par l’Oms.
• Les infrastructures hospitalières, surtout en milieu rural, sont insuffisantes et souvent mal équipées.
• L’accès aux médicaments essentiels reste un défi pour de nombreux citoyens.
Education : un moteur en panne
Avec un taux d’alphabétisation de 57, 7% (Ansd, 2023), le Sénégal est encore loin d’atteindre les standards nécessaires pour un développement compétitif à l’échelle mondiale.
Le manque d’enseignants formés, les grèves récurrentes et l’insuffisance d’infrastructures freinent encore l’accès à une éducation de qualité.
Inflation : une pression intenable
Après avoir atteint un pic historique de 14, 10% en novembre 2022, le taux d’inflation au Sénégal est redescendu à 1, 80% en janvier 2025, contre 0, 80% en décembre 2024.
Malgré ce recul, les effets cumulés restent visibles : les denrées alimentaires de base ont vu leurs prix exploser de 20 à 30% ces dernières années, fragilisant durablement les ménages.
L’urgence d’un sursaut collectif
Le blocage du développement au Sénégal n’est pas le fruit du hasard.
Il résulte d’une combinaison toxique entre perte des valeurs, effondrement éducatif et gouvernance déconnectée des réalités populaires.
Face à cette situation, il n’y a qu’une seule voie : un sursaut national.
Retrouver nos repères éthiques, investir massivement dans l’éducation de qualité et exiger une gouvernance centrée sur l’humain, telle est la seule trajectoire possible pour sauver l’avenir de notre jeunesse et garantir un développement véritablement durable.
Le destin du Sénégal n’est pas scellé. Il dépend de notre capacité à comprendre les erreurs du présent pour mieux construire l’espoir de demain.
Addendum
Traditionnellement, un régime nouvellement installé se glorifie de créer de l’emploi. Avec ce pouvoir, c’est tout l’inverse. Le Président Bassirou Diomaye Faye est-il réellement informé des pratiques de ses ministres ? Alors qu’il place, ce jeudi 24 avril 2025, l’emploi et l’employabilité au centre des priorités nationales, appelant à l’unité pour réduire un chômage qui atteint 20, 3%, son ministre de la Communication signait, à peine deux jours plus tôt, le 22 avril 2025, un arrêté lourd de conséquences.
Sous prétexte d’appliquer le Code de la presse, cet arrêté impose l’arrêt immédiat de la diffusion, de la parution et du partage de contenus pour tous les médias dits «non conformes».
Concrètement : des centaines de jeunes journalistes, techniciens, créateurs de contenus sont menacés de chômage, dans un secteur déjà éprouvé.
Paradoxe brutal : pendant que le chef de l’Etat promet de créer de l’emploi, son gouvernement organise, en silence, des fermetures massives qui étouffent l’initiative privée et tuent la créativité des jeunes. Et le Cnra dans tout ça ? Quel est son rôle ? Le ministre sait-il réellement ce qui est de son ressort ?
Comment construire un Sénégal souverain, juste et prospère en précipitant sa jeunesse dans le chômage et en muselant ses talents ?
Un pouvoir qui craint les journalistes est un pouvoir qui doute de sa propre légitimité.
Ramatoulaye Seck est journaliste.