POURQUOI FAISONS-NOUS CE QUE NOUS FAISONS
EXCLUSIF SENEPLUS - Comme nous ne savons pas comment influencer les comportements, nous nous bornons à répéter : “lavez-vous les mains”, “porter les masques”, si nous ne baissons pas les bras tout bonnement. Cela n‘est pas suffisant
Pourquoi les gens ne font-ils pas une chose aussi simple que porter un masque qui peut leur sauver la vie ? Pourquoi les gens prennent-ils des pirogues pour rejoindre l’Europe au prix de leurs vies ? Pourquoi les gens refuseraient-ils un vaccin qui peut leur sauver la vie ? Telles sont les questions récurrentes qui taraudent nombre de spécialistes en analyse comportementale.
Prenons le cas du port du masque : une petite enquête de trottoir fait ressortir plusieurs raisons différentes derrière ces comportements que nous qualifions d’inciviques : certains ne croient pas à l’existence de la maladie. Pour eux, c’est un vaste complot ourdi par des forces occidentales pour nous vacciner et nous faire disparaitre ; pour d’autres, cela représente juste un inconfort pour respirer, mais suffisant pour ne pas porter de masque ; il y en a pour qui la maladie semble si lointaine, qu’ils ne se sentent pas concernés. “Je ne connais personne de mon entourage immédiat qui en soit mort”, te rétorquent-ils ; “Dieu est aux commandes. Je mourrai quand je dois mourir”, disent certains ; “Nous sommes une terre de protégés de Dieu, rien ne nous arrivera”, disent d’autres, etc.
Pour résoudre ce problème comportemental, c’est-à-dire amener les gens à porter le masque, il faut s’intéresser à toutes les composantes du comportement actuel et les résoudre toutes ensemble.
Un volet important pour combattre la maladie passe par un changement des comportements. Ce n’est pas seulement une question de médecine et de remparts coercitifs. Comme pour le Sida, où 90% des communications dans les séminaires mondiaux étaient axées sur comment vivre avec la maladie, sur les progrès réalisés en matière de découverte de médicaments et seulement 10%, sur comment influencer les comportements pour ne pas attraper la maladie, ici et ailleurs, pour la Covid-19, on se focalise aussi sur comment préserver le nombre de lits pour ne pas exploser les systèmes de santé, laissant en bord de route le changement des comportements. Nous voilà face à une maladie qui infecterait peu de personnes si seulement on se comportait différemment.
Comme nous ne savons pas trop comment influencer les comportements (c’est difficile en effet) nous nous bornons à répéter les messages inaudibles de “lavez-vous les mains”, “porter les masques”, respecter la distance sociale”, si nous ne baissons pas les bras tout bonnement. Cela n‘est pas suffisant.
Le vrai problème de l’homme en réalité est qu’il pense. Nous sommes en permanence dans une boucle : nous observons, nous pensons, nous établissons des conclusions et enfin sur cette base nous agissons. Telle est notre prison mentale. Si vous voulez changer la façon d’agir, il vous faut changer la façon de penser qui mènera à des conclusions mentales différentes qui, à son tour, aboutira à un comportement différent. C’est tout l’art du coach, agent de changement.
Il me revient en mémoire cette citation de W. Rogers : “Qu’il y aurait 3 sortes d’individus ; ceux qui apprennent par les livres, une autre catégorie d’individus qui apprennent à partir de l’observation et enfin les autres - et ils sont nombreux - qui doivent uriner sur un câble électrique dénudé pour apprendre par eux-mêmes.”
Nos candidats à l’émigration feraient sans nul doute partie de cette dernière catégorie : ils n’apprennent pas par les médias et les publications que l’Europe est en récession, qu’elle se recroqueville sur elle-même et que les politiques sociales n’y sont plus avantageuses. Ils n’apprennent pas par l’observation de ce qui s’y passe : la maladie fait rage là-bas plus qu’en Afrique et que ceux qui y sont établis perdent leurs jobs et ne travaillent plus. À quoi bon y aller au péril de sa vie ? Ils veulent y aller conformément à ce qu’ils croient et ne changeront d’avis que lorsqu’ils s’en rendront compte par eux-mêmes. Peu leur chaut ce qu’on leur dira.
Pour les convaincre de ne pas tenter l’aventure, donc de changer de comportement, il faudrait avant tout qu’ils le veuillent et cela signifie qu’ils doivent penser différemment. Comme pour le port du masque, c’est une tâche difficile. Ils résisteront à toutes tentatives de changer leur point de vue. Leurs raisons seront aussi diverses. Ils s’agripperont à toutes sortes d’arguments : économiques, sociales et autres pour ne pas rentrer en dissonance avec leurs croyances. Changer est juste difficile.
Le cœur du phénomène de pourquoi les gens résistent aux efforts que l’on déploie pour leur faire changer de point de vue, malgré toutes les évidences qui militeraient à ce qu’ils le fassent, repose sur la notion de : pourquoi les gens font ce qu’ils font ?
À la place de la classique méthode essai/erreur, Dr Bandura de Palo Alto nous dit que l’homme peut apprendre en observant les autres en action, c’est ce qu’il appelle : l’expérience par procuration. Observer les autres en action serait la chose la plus proche de notre expérience personnelle. Les pensées qui affectent le comportement sont composées de mini cartes mentales de cause/effet : “Si je prends la pirogue, j’arriverai en Espagne et j’échapperai à cette vie sans sens que je mène ici”. “Si je prends la pirogue, je meurs en mer” sont deux cartes mentales qui induisent des comportements différents.
Les gens choisissent leurs comportements sur la base de ce qu’ils pensent qu’il leur arrivera comme résultats.
Si on veut changer un comportement et n’importe quel comportement du reste, il faut impérativement changer les cartes cause/effet. Pour cela, il faut comprendre les cartes mentales existantes. Qu’est-ce qui fait que les gens prennent la mer en pirogues ? Qu’est-ce qui fait que les gens ne portent pas de masque ? Qu’est-ce qui fait que les gens continuent à aller dans des cérémonies de tout genre ? Il faudra leur poser les questions, recueillir leurs réponses et surtout ne pas répondre à leur place.
Plutarque a dit quelque part que “le cerveau de l’enfant n’est pas un vase qu’il faut remplir, mais un foyer qu’il faut échauffer”. Le remplir consisterait à y semer des cartes mentales préétablies, l’échauffer c’est lui donner les moyens de pouvoir changer de cartes mentales, autrement dit de pouvoir penser différemment si le besoin s’en faisait sentir. Deux conditions sont nécessaires pour que les gens adoptent cette voie de changement de comportement : qu’ils estiment que cela en vaut la peine et qu’ils soient capables de le faire. Sans cela, peine perdue.
Il faudra enfin leur apprendre à dompter leurs biais cognitifs, car ces derniers peuplent la plupart de leurs croyances. Si nous prenons la théorie du complot souvent invoquée par nos concitoyens pour nier la maladie et légitimer ainsi la transgression du port de masque, nous constatons que le “biais de négativité” s’exerce à fond. Notre imaginaire a une propension tournée plus vers la malveillance que la bienveillance. Notre quotidien n’est-il pas plus peuplé de “raab”, de “djinns”, de “liguey bou bon” et autres pratiques maléfiques que de divinités clémentes et d’actions de grâce ? Cela expliquerait en grande partie notre prédisposition au complotisme, une routine bien commode pour expliquer les malheurs qui nous tombent dessus ou qui nous guettent et notre difficulté à convaincre certains citoyens de porter le masque, de renoncer aux voyages en mer et demain de se faire vacciner.