TROIS MÉTHODES DE CONTRÔLE DE L’ÉTAT APR
EXCLUSIF SENEPLUS - La clef de voute du système de contrôle du parti Etat est bien entendu Macky Sall qui est devenu plus que ses prédécesseurs, le « monarque républicain » dont la Constitution lui a taillé le manteau
L’appareil politique qui gouverne ce pays, et qui sur ce point comme sur bien d’autres est resté le même de Senghor à Macky Sall, dispose d’une véritable méthode pour légitimer ou justifier ses pratiques et manquements et les rendre acceptables et conformes à la « bonne gouvernance démocratique ».
Chaque membre du gouvernement, chaque haut responsable de l’administration, chaque membre de la coalition alliée, dotée pour ce faire d’une sinécure, participe à l’effort de légitimation et d’enfumage.
Des discours utilisant toutes les ficelles de la rhétorique à la répression policière et à l’emprisonnement, tout est mis en œuvre pour que force reste à l’Etat APR.
1-La manipulation rhétorique
Un exemple récent est le discours de monsieur le Garde des Sceaux, ministre de la Justice Me Malick Sall, devant la 22ème session ministérielle du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent et le Financement du Terrorisme en Afrique de l’Ouest (GIABA) tenue le 2 décembre dernier.
« La bonne gouvernance est saluée à la Commission des Nations-Unies. Ce jour-là, les résultats du Sénégal lors des élections ont été les meilleurs. Nous avions pris la première place de la bonne gouvernance devant la France, les Etats-Unis et tous les Etats africains avec une moyenne de 188 votants sur 190. Si ce forum a donné cette note, c’est parce qu’au Sénégal, on pratique la bonne gouvernance... Notre pays est gouverné dans la transparence même si aucun système n’est parfait…».
Monsieur le ministre use là d’une ficelle rhétorique connue : un argument d’autorité, un argument qui s’impose du fait qu’il est émis ou confirmé par une référence dont l’autorité atteste de la véracité de l’argument.
« Puisque c’est la « Commission des Nations Unies » qui le dit, donc le Sénégal pratique bien « la bonne gouvernance... est gouverné dans la transparence. »
Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit du biais : l’autorité convoquée ici n’est ni la Commission des Nations Unies pour l’Afrique ni le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) comme l’orateur le laisse implicitement supposer.
Il s’agit en réalité du Conseil des Droits de l’Homme auquel l’Assemblée Générale des Nations Unies a élu le 13 Octobre notre pays en même temps que 14 autres membres, dont le Gabon, la Cote d’Ivoire et le Mali pour un mandat de 3 ans.
Le Conseil des Droits de l’Homme est une instance régulière des Nations de 47 membres, répartis géographiquement selon une clef qui attribue 13 membres au « Groupe des Pays d’Afrique » et qui sont renouvelés tous les 3 ans par un scrutin à la majorité des voix de l’Assemblée.
On le voit donc l’élection d’un pays, quel que soit le nombre de voix obtenue, n’a donc strictement rien à voir avec son score en matière de bonne gouvernance et de transparence. On pourrait tout au plus arguer que le Sénégal en obtenant un si grand nombre de voix entretient une coopération amicale avec beaucoup de pays du monde.
En matière de bonne gouvernance, il faudrait se référer à l’Indice de la Bonne Gouvernance de la Fondation Mo Ibrahim dont l’édition 2019 lasse notre pays au 9eme rang en Afrique.
Quant à la « transparence », consultons donc le Forum Civil, l’organe de la société civile sénégalaise dédié au suivi de la transparence de la gouvernance publique qui appelait le gouvernement encore le 4 juillet dernier à, notamment « publier les rapports des corps de contrôle sur la gouvernance (IGE, Cour des Comptes, OFNAC, ARMP, etc.), faire toute la lumière sur l’affaire de trafic de drogues et celle relative à la gestion des ressources naturelles, notamment l’affaire PÉTROTIM… ».
Consultons également l’Inspection Générale d’Etat (IGE) qui est chargée et tenue par la loi (loi n° 2011-14 du 08 juillet 2011) d’établir et de présenter des rapports annuels sur la gouvernance et la reddition des comptes.
Or nous savons maintenant que c’est seulement le 14 juillet 2020 que l’IGE a remis au président de la République ses rapports couvrant la période de 2016 à 2019.
Autre manipulation rhétorique
La réponse de M. Amadou Hott, ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération au commentaire du député de l’opposition Mamadou Diop Decroix sur « l’économie (du Sénégal) extravertie et détenue par des étrangers », lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale examinant le budget de son ministère pour 2021, est un autre exemple de manipulation rhétorique.
Le discours use ici à la fois d’un argument d’autorité et d’amalgame.
Le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération, compte sur son autorité de ministre parmi les plus cotés du gouvernement et son CV de banquier et financier reconnu qui en impose à la plupart des députés pour leur faire avaler ainsi qu’à l’opinion ceci :
« 74% des entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de francs CFA sont détenues par les opérateurs économiques locaux …les entreprises étrangères représentent 26% du secteur privé sénégalais et paient plus de 400 milliards de francs CFA à l’Etat du Sénégal par an, en guise d’impôts et des taxes. Et ce montant n’inclut pas les salaires et les cotisations sociales dont bénéficient les employés des entreprises étrangères ».
Le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération sait qu’on peut faire dire aux statistiques tout ce qu’on veut, entretient ici sciemment l’amalgame entre « entreprises sénégalaises » et « entreprises détenues par des opérateurs économiques locaux » pour nous faire croire que l’économie sénégalaise est constituée essentiellement et contrôlée par des Sénégalais.
Or même nous, Sénégalais ordinaires qui ne faisons de l’économie que comme M. Jourdain faisait de la prose, savons bien, nous voyons bien, que ce sont les entreprises étrangères et notamment françaises qui dominent l’économie de ce pays et qui en fait en constituent l’essentiel en termes de chiffres d’affaires et de bénéfices
Faut-il citer Orange, Groupe Mimran, Total, Shell, Sococim, Eiffage, Société Générale, BICIS, Attijariwaffa, Industries Chimiques du Sénégal, notamment qui figurent en tête des 100 plus grandes entreprises du Sénégal, selon le document du Doing Business ?
Ainsi que le rappelle l’économiste Demba Moussa Dembélé, ce qui caractérise l’extraversion d’une économie, c’est moins la nationalité de ses entreprises que la « dépendance de notre marché du point de vue du financement notamment avec le recours aux eurobonds (euroobligation), dépendance dans les assurances, les transports, l’énergie…»
Le ministre classe certainement comme « entreprise sénégalaise » la SONATEL dont plus de 35% des actions sont détenues par le gouvernement du Sénégal et les employés sénégalais et dont la direction est assurée par des cadres sénégalais.
Or, non seulement plus de 50% des actions de cette entreprise sont détenues par Orange et d’autres entreprises étrangères mais en outre, SONATEL n’est qu’une filiale de l’entreprise française Groupe Orange qui de ce fait joue un rôle déterminant dans sa gouvernance et ses décisions stratégiques, notamment en ce qui concerne les choix technologiques et financiers.
2-Répressions policières et emprisonnements.
La rhétorique de manipulation des ministres et autres responsables du régime s’adresse à ceux qui comme les députés APR et alliés, les citoyens non informés, sont complaisants ou naïfs.
Pour les autres citoyens, ceux de la société civile et les étudiants qui demandent des comptes sur la gouvernance, qui exigent des paiements qui leur sont dus, qui dénoncent la corruption et les crimes économiques et entendent exprimer ouvertement leur colère, les arguments sont d’une toute autre nature.
On leur oppose à ceux-là l’argument de la force : interdiction de manifestation publique, répression policière, arrestations et emprisonnements.
M. Guy Marius Sagna et les militants de Fraap, d’Aar Li Niu Bok et de Yen A Marre sont ainsi régulièrement jetés en prison chaque fois qu’ils manifestent sur la voie publique conformément à leurs droits de citoyens.
Les magistrats même ne sont pas épargnés dès lors qu’ils s’en prennent au statu quo ainsi qu’on a en fait l’expérience avec le juge Souleymane Teliko, par ailleurs président de l’Union des Magistrats du Sénégal, trainé devant l’inspection de l’administration de la justice.
Pour avoir dénoncé le « manque de respect des droits » de l'ancien maire de Dakar dans l'affaire de la Caisse d'avance de la mairie de Dakar.
3 – Le président tout puissant
La clef de voute du système de contrôle du parti Etat APR est bien entendu le président de la République qui est devenu plus que ses prédécesseurs, le « monarque républicain » dont la Constitution lui a taillé le manteau. Il concentre plus que jamais tous les pouvoirs de la République et est omnipotent du fait de l’allégeance de tous les vieux partis du PS, au PIT, à la LD, à Rewmi jusqu’au leadership du PDS.
A tel point qu’il ne s’encombre plus du Premier ministre croupion que le souci de la tradition si ce n’est l’équilibre des institutions lui aurait imposé.
Il ne s’embarrasse même plus de collaborateurs, ministres ou présidents d’institutions de la République, susceptibles d’émettre des opinions propres ou d’entretenir des ambitions de carrière.
Aussi sa personne fait-elle l’objet d’un culte tel qu’on n’en a pas connu dans ce pays depuis Léopold Sédar Senghor. Si bien qu’on invoque maintenant ouvertement « le 3eme mandat » et malheur à ceux de ses collaborateurs et alliés qui ne se montreraient pas enthousiastes à cette perspective.
On appelle publiquement à utiliser le sabre (littéralement) contre tous ceux qui auraient l’outrecuidance de s’opposer à lui. Ne voilà-t-il pas que le maire de Saint-Louis se propose de débaptiser le nom de la principale avenue de sa ville et la faire appeler « président Macky Sall » ?
La circonscription politique de Dakar fait-elle encore de la résistance face au parti Etat ?
Alors, la « ville de Dakar » sera supprimée et pour faire bonne mesure, l’institution même de « ville » sera abolie au Sénégal, « à partir de dorénavant et jusqu’à nouvel ordre », comme disait l’autre.
C’est Amadou Hampaté Ba qui disait : « Le pouvoir est comme de l’alcool. Après un premier verre, on est joyeux comme un agneau. Au second, c’est comme si on avait mangé du lion. On se sent si fort qu’on n’accepte plus d’être contesté. On veut tout imposer à tout le monde, comme le lion dans la savane. Au troisième verre, on est comme le cochon, on ne peut faire que des cochonneries… ».
Espérons que nous n’en soyons pas déjà au troisième verre…