ANTOINE DIOME, UN SUSPECT AUX COMMANDES
Considéré comme un membre clé du commando judiciaire qui a eu raison des destins politiques de Karim et Khalifa, le ministre de l'Intérieur est accusé aujourd’hui de vouloir chercher des poux à Ousmane Sonko, pour l’écarter du chemin de la présidence
Considéré comme un membre à part entière du commando judiciaire qui a eu raison des destins politiques Karim Wade et de Khalifa Sall, Antoine Felix Abdoulaye Diome est accusé aujourd’hui de vouloir chercher des poux au leader de Pastef, Ousmane Sonko, pour l’écarter du chemin qui mène à la présidence.
Ça dure peu, mais cela commence à faire beaucoup. A la tête du ministère de l’Intérieur, Felix Antoine Diome n’a bouclé que 65 jours. Et déjà, il fait parler de lui, à travers une note signée le samedi 2 janvier dernier qui a suscité de vives critiques et soulevé une vague d’indignation au sein de l’opposition politique. Par voie de communiqué, le ministre de l’Intérieur a fait savoir à Pastef/Les Patriotes qu’il s’exposait «à la dissolution», comme «tout parti politique qui reçoit des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal». Une sorte de mise en demeure, piqûre de rappel à toute formation politique qui oserait passer outre les dispositions des articles 3 et 4 de la loi 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques, modifiée. En cause : une campagne de levée de fonds internationale lancée le même jour par Pastef. Elle aurait déjà permis de récolter plus de 125 millions de F CFA et 80 millions de promesses de dons avec une large contribution des Sénégalais de la diaspora. Ainsi, pour beaucoup de militants et sympathisants du leader de Pastef, Ousmane Sonko semble être la nouvelle cible de Felix Antoine Diome. La première dans ses costumes de ministre de l’Intérieur, mais le dernier de la liste d’opposants sur qui plane le glaive de Diome qui aurait comme mission de briser les ambitions politiques de tous les potentiels challengers de Macky Sall. Une accusation à tort ou à raison qui tient de la saga judiciaire de l’actuel patron de la Place Washington. Un procureur, ancien parquetier et agent judiciaire de l’Etat, qui a été au cœur de tous les grands dossiers politico-judiciaires qui ont mis aux prises le régime de Macky Sall et ses plus farouches adversaires.
Karim, Khalifa et peut-être Sonko
Présidente du mouvement national des femmes de Pastef, dénommée «Djiguénou Pastef», Maïmouna Dièye n’y va pas par le dos de la cuillère. Pour la «Patriote», l’actuel ministre de l’Intérieur n’est ni plus ni moins qu’un homme de main du Président, chargé de faire le sale boulot. «Il est bien évidemment l’un de ses bras armés. Et Antoine Félix Diome n’est pas à sa première tentative. Mais dans cette ‘’affaire Pastef’’, il doit comprendre et il va comprendre qu’on ne joue pas avec les outils de la République. Si une décision devait être prise, il y aurait un aspect juridique à respecter. Ce n’est pas à lui de prendre la décision. Même dans la manière de faire, il ne respecte pas les normes. Il aura beau être le bras armé, avec Ousmane Sonko, il ne réussira pas ce qu’il a fait aux autres.» Quoi exactement ?
Un coup dans le rétroviseur renvoie l’image du tenace Procureur spécial adjoint de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui avait mené à la trappe, dans le cadre de la traque aux biens mal acquis, l’ancien ministre d'État, ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures de 2009 à 2012, Karim Wade, condamné à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite. C’était le lundi 23 mars 2015. Deux mois avant sa nomination comme Agent judiciaire de l’Etat (Aje), le 17 juin 2015. De procureur, Antoine se retrouve avocat teigneux attaché à défendre bec et ongles, contre vents et marées, les intérêts financiers de l’Etat. «Mais aussi politiques de son chef», accusait à l’époque le Pds.
«Tony n’est pas un enfant de chœur, il n’agit pas pour amuser la galerie»
Ses positions tranchées dans le procès de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar reviennent encore, toutes neuves. Inflexible, l’Aje n’a cessé d’acculer Khalifa Sall, l’opposant à Macky Sall le plus gênant au temps, accusé d’avoir profité de ses fonctions pour détourner 1, 8 milliard de FCfa de la régie d’avance de la mairie de Dakar. Au terme d’un procès qui aura duré près de deux (2) mois et demi, Khalifa Ababacar Sall, incarcéré le 07 mars 2017, a été condamné, le vendredi 30 mars 2018, à 5 ans de prison ferme et à une amende pénale de 5 millions de FCfa, sans dommages et intérêts. Deux combats, deux victoires pour Antoine Félix Diome. Et peut-être une troisième contre le leader de Pastef ? «Ousmane Sonko ne peut aucunement être inquiété, insiste Maïmouna Dièye. Il est le président d’un parti légalement constitué, bien structuré. Ce n’est pas ce petit communiqué qui va nous empêcher de continuer notre collecte. Nous avons un travail bien entamé qui va nous permettre de relever le défi lors des prochaines joutes électorales. Je dénote dans ses mots une peur qui frise même l’hérésie, parce qu’il faut être quelqu’un qui n’a rien compris pour faire un tel acte. Pour un ministre de l’Intérieur, menacer à un parti qui respecte les règles du jeu, qui tient son bilan chaque année, un parti qui fonctionne dans la transparence, cela prouve qu’il y a de la panique de leur côté. Cette décision montre qu’ils ne savent plus où donner de la tête.»
Mais pour des intimes et membres de la grande famille judiciaire qui ont pratiqué l’ancien procureur, c’est méconnaître Antoine Felix Abdoulaye Diome que de penser qu’il parle dans le vent, agit pour amuser la galerie. «Tony (Antoine Diome) n’est pas un enfant de chœur. Il n’est pas, non plus, un petit procureur comme le caricaturent certains hommes politiques. C’est un grand procédurier, un homme méthodique qui agit en conséquence. S’il engage une guerre, c’est pour la gagner. Il est loin de ces combattants qui changent de monture au milieu du gué. Nous savons qu’il a la confiance de Macky Sall et si le Pastef ne fait pas attention, il risque d’avoir des surprises», explique-t-on.
Enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, Moussa Diaw décèle le danger dans la façon ciblée que le ministère de l’intérieur a voulu effectuer sa mise au point. «C’est un communiqué ciblé, orienté vers le Pastef. Si c’était un communiqué pour l’ensemble des partis politiques, on aurait compris que c’est un avertissement pour les recadrer. Il y a une mise au point, il faut attendre la suite et voir si cela va aller plus loin de la part du Gouvernement.» Pour savoir si oui ou non le ministre de l’Intérieur mettra sa menace en exécution.
«Il n’obéira pas aux lois, mais à son chef, Macky Sall»
Mais en attendant cette décision qui promet des lendemains troubles, le député libéral Toussaint Manga est sûr d’une chose : entre le ministre de l’Intérieur et l’opposition, il se pose désormais un problème de confiance. «Avec Antoine Diome, le pays risque de basculer dans la violence. Il a joué un rôle pour écarter Karim Wade et Khalifa Sall. Aujourd’hui, il vient pour une autre mission commandée. Certainement c’est pour Ousmane Sonko. Il est trempé jusqu’au cou dans les plus grands scandales politico-judiciaires qui ont écarté des candidats à l’élection présidentielle. Felix Antoine Diome ne peut pas être la personne ressource qui pourra paisiblement organiser des élections dans ce pays. Nous n’avons pas confiance en lui», soutient le parlementaire. Selon le responsable du Parti démocratique sénégalais, l’acte posé par le ministre l’Intérieur contre Pastef ne va nullement dans le sens de décrisper l’atmosphère politique. «Et c’est la preuve que l’appel au dialogue du Président Macky Sall n’a jamais été sincère. Il est temps de s’unir, de rassembler toutes les forces pour s’opposer à cette manière de faire la politique et cette façon de vouloir écarter des candidats en cherchant à dissoudre leurs partis politiques. Il faut que l’opposition mène des actions concrètes sur le terrain pour montrer au président Macky Sall qu’il n’est pas libre de faire tout ce qu’il veut en utilisant son ministre de l’Intérieur comme bras armé. Ce ministre est dangereux pour la stabilité du pays», ajoute Toussaint Manga.
Pour Moussa Taye, conseiller politique Khalifa Sall, le maire déchu de Dakar, l’opposition doit par conséquent, dès à présent, s’organiser pour exiger le départ de Felix Antoine Diome. «J’invite tous les démocrates du pays à récuser sa nomination et à exiger son départ parce qu’il est un danger pour notre pays à la tête du ministère de l’Intérieur. Il n’obéira pas aux lois, mais il obéira à Macky Sall. Il est pire que le bras armé. Il est devenu la face la plus hideuse du régime de Macky Sall et il doit quitter ce ministère.» ça, c’est une autre paire de manches.