DE DAKAR À SAINT-LOUIS, L'HÉRITAGE COLONIAL EN QUESTION
À Saint-Louis, ex-cité coloniale construite en partie sur une île, Faidherbe semble jouir du don d’ubiquité. Au-delà de la statue, il faut passer par le célèbre Pont Faidherbe pour accéder à la ville

Entre les «crimes» de Louis Faidherbe, visage de la colonisation française en Afrique occidentale dont la statue trône toujours à Saint-Louis, et l’héritage colonial qui se vit au quotidien dans les rues et avenues aux noms français, la question coloniale refait surface au Sénégal, favorisée par un mouvement international contre le racisme.
Le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd le 25 mai par un policier blanc à Minneapolis a ravivé la douleur des souvenirs coloniaux et insufflé une seconde jeunesse aux résistances contre les racismes présumés à travers le monde, notamment en Afrique.
L’opération de «débaptisation» des ponts et artères d’Abidjan arborant les noms de personnalités françaises fera-t-elle des émules à Dakar ? Du boulevard général de Gaulle, lieu de célébration de la fête d’indépendance du 4 avril, à l’avenue Faidherbe, en passant par (Jules) Ferry, (Georges) Pompidou, Parchappe, Parent, Carnot, (Jean) Jaurès, etc., dans la capitale ou d’autres grandes villes du Sénégal, des figures coloniales (ou françaises post-coloniales) demeurent très présentes.
Débaptiser les noms des rues coloniales «ne fait pas recouvrer sa dignité», rappelle un internaute. Une façon d’arbitrer entre ceux qui appellent de leurs vœux une sénégalisation, ou africanisation, des espaces urbains; et ceux, plus prudents, qui estiment que la question ne se pose pas en termes de «dignité» puisqu’il s’agit d’un legs de l’histoire du pays qu’il faut accepter, fût-il colonial. Selon le Pr Iba Der Thiam, historien et ancien ministre de l’Éducation nationale, les Sénégalais ont raison de poser ce débat.
«J’estime que la question n’est pas encore posée véritablement. Quand les hommes politiques la poseront et en feront un consensus pour ensemble agir, on pourra en sortir.»
Au Sénégal, la question coloniale reste un sujet clivant et épisodique dont l’évocation tourne souvent autour d’une figure centrale de la colonisation française: Louis Faidherbe. Gouverneur général de la colonie du Sénégal par deux fois (entre 1854 et 1865), il est omniprésent dans le quotidien des Sénégalais au travers de puissants symboles que le temps et les événements ne contrarient que rarement.
«Faidherbe a mis en place les bases idéologiques de l’occupation française du Sénégal et de l’Afrique occidentale. Il était le grand acteur de cette entreprise coloniale qui ouvrait une ère d’oppression et d’assujettissement. Son action montre qu’il n’y a pas de "colonisateur de bonne volonté". Un colonisateur est un acteur d’une idéologie dominante et meurtrière», explique à Sputnik l’universitaire sénégalais Khadim Ndiaye, chercheur en Histoire qui vit à Montréal.
À l’heure où des statues qui représentent des «colons» et/ou des «racistes» tombent ou sont promises à la démolition, celle de Faidherbe ne semble pas prête de finir en poussière.