L’AUTORITARISME DU COLONEL ALIOUNE GUÈYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Babacar Sidibé, une des victimes du redéploiement polémique au prytanée militaire de Saint-Louis, réagit à la récente sortie du colonel Guèye à la RTS. Chaîne qui a notamment refusé de donner la parole au collectif des redéployés
Le prytanée militaire Charles Ntchoréré de Saint-Louis (PMS) traverse une crise sans précédent dans son histoire. Une mesure de redéploiement arbitraire du Colonel Alioune Guèye ciblant 16 professeurs a créé une fronde de ces derniers qui ne comptent pas sortir du PMS sans faire prévaloir leurs droits. Une victime de cette mesure, le professeur de Lettres Babacar Sidibé, qui a fait 17 ans dans l’établissement, réagit par rapport à la sortie récente du colonel Guèye à la RTS. Laquelle a refusé de donner la parole au collectif des enseignants redéployés.
SenePlus : Le colonel Alioune Guèye, commandant du PMS, a expliqué, à la RTS, pourquoi il a pris cette mesure de redéploiement vous touchant, ainsi que 15 de vos collègues aussi. Votre réaction !
Babacar Sidibé : Il est vrai que quand on a des relations un peu partout, on peut les utiliser pour paraitre au journal de 20h de la RTS et y débiter des propos que Machiavel et Satan réunis voueraient aux gémonies, des propos pires que les twitt de Trump. Mais c’est se gourer lourdement que de croire que la vérité appartient à une chaine de télévision, que la vérité appartient à un 20h, que la vérité appartient à une heure d’écoute. Non. La Vérité appartient à celui qui sait, qui voit tout, ce qui est visible, ce qui est caché, celui qui ne dort pas, qui ne dort jamais. Je ne maitrise pas mieux qu’Alioune le verset « Ayatoul Koursiyou » du Saint Coran. La différence est que peut-être, moi, j’y crois alors que lui n’y croit absolument pas, sinon il n’oserait jamais se présenter à la RTS pour dire : « ces professeurs qui n’ont que cinq heures par semaine ». Celui qui sait tout, qui sait quelle a été l’intention d’Alioune lorsqu’il quittait son bunker (nous reviendrons sur ce mot) du PMS pour se rendre au 20h de la RTS, Dieu, celui l’Omniscient punit ce type de comportement. Alioune Guèye doit craindre Dieu qui châtie les menteurs.
C’est un colonel et il porte une tenue. Donc, il a le devoir de dire à l’opinion publique les faits tels quels. Depuis qu’il est à la tête du PMS, il a installé un climat d’animosité entre lui et le corps professoral. La preuve : à ma connaissance, il n’est jamais passé à la salle des professeurs les saluer ou prendre du café avec eux comme le faisaient régulièrement tous ses prédécesseurs. Son bunker, euh… son bureau est fermé aux professeurs et effectivement il ne cesse de leur répéter que s’ils ont quelque chose à lui dire, ils n’ont qu’à s’adresser au directeur des études. Récemment un des collègues concernés nous a dit qu’il s’est rendu à son bunker pour y déposer une correspondance. Il lui a signifié qu’il ne le reçoit pas, qu’il dépose son courrier au niveau du secrétariat et qu’il aille se faire voir chez le directeur des études. Drôle de façon de traiter des éducateurs !
Il soutient qu’il y a « des entorses au code de conduite de l’école, des absences répétées et injustifiées, des contestations, du déni d’autorité chez ces professeurs redéployés ». Est-ce avéré ?
Ces propos m’ont honnêtement très surpris. Lors de notre première réunion à l’IA (Inspection d’académie, ndlr), le 1er octobre, quand j’ai pris la parole, j’ai dit au chargé des ressources humaines qui nous avait convoqués qu’au-delà de ma modeste personne, j’étais très surpris de voir autour de la table des collègues parmi les plus dévoués de l’école, assidus, calmes, travailleurs (je jure sur le Saint Coran que je ne le dis pas pour les défendre ; je sais ce qu’est le mensonge en islam et je sais que Dieu m’entend). Je ne veux pas tenir un discours que l’opinion va tenir pour partisan. Mais allez au prytanée militaire et demandez à tout professeur, tout chef de classe que vous rencontrez si messieurs Ndiawar Diop, Mamadou Lamine Dia, Samba Kaba Mbaye, Amadou Sèye, Djiby Kébé, Babacar Sidibé, Senor Guèye, Aziz Wade, Bineta Sall, Mame Dieynaba Ndiaye (qui vient juste de faire un an au prytanée militaire, en provenance du lycée de Mbacké), pour ne citer que ceux-là, ont eu à commettre des entorses au code de conduite de l’école, s’absentent de façon répétée et injustifiée ou contestent l’autorité. Parmi ces collègues, rares sont ceux qui sont en deçà de 16h par semaine ; peut-être les deux collègues d’espagnol et les deux collègues d’EPS qui étaient d’ailleurs les seuls à l’école : El Hadji Malick Diop et Aziz Wade. Donc la cellule d’EPS est décapitée. Presque idem pour les cellules de sciences physiques (ils étaient trois professeurs et deux sont concernés par la mesure : Keba Guèye et Dimélé Diouf (qui, au passage, a fait 27 ans au prytanée militaire ; il ne connait que cette école. Moi, j’ai fait 17 ans au prytanée militaire) et de mathématiques (sur les 7 professeurs de maths que compte l’école, 4 sont concernés par la mesure d’Alioune Guèye : Samba Kaba Mbaye, Amadou Sèye, Sounounou Diallo et Mamadou Lamine Dia).
Est-il vrai, comme il l'a soutenu, que la décision de redéploiement a été prise avec la collaboration et l'assentiment de l’IA ?
Lors de notre réunion à l’IA, on a clairement signifié que c’est un précédent au Sénégal, le fait qu’un chef d’établissement demande le redéploiement de 16 professeurs. Quand la liste leur est parvenue, ils étaient très surpris d’y voir les noms de Babacar Sidibé et Dimélé Diouf parce qu’ils savent ce que nous faisons régulièrement au niveau académique et qu’ils voient souvent nos noms dans la liste des professeurs convoqués pour la correction des examens et concours. Ils savaient également pour le discours d’usage du concours général de 2017. Donc s’il parle de la collaboration et de l’assentiment de l’IA, cela m’étonnerait fort d’autant plus que le chargé des ressources humaines et le secrétaire général de l’IA (qui, il faut le souligner, assure l’intérim car l’IA sortant n’a pas encore été remplacé ; il est à la retraite) nous ont dit qu’il a écrit ses rapports ; il les a envoyés au ministre des forces armées qui, à son tour, les a transmis au ministre de l’éducation. Celui-ci les a alors appelés pour leur demander de se pencher sur la situation au prytanée militaire. Dans son intervention à la RTS, il aurait même un peu remis en question l’autorité et la compétence de l’IA sur l’affectation des professeurs au prytanée militaire quand il dit que c’est dommage que ce soit l’IA qui y affecte les professeurs et qu’il faut qu’on revienne à l’orthodoxie qui voudrait que ce rôle soit dévolu à l’administration centrale. Enfin, il faut souligner que le secrétaire général de l’IA tenait vraiment à nous rassurer sur un point : l’IA n’avait absolument rien à nous reprocher, qu’il n’y avait point de griefs des autorités académique à notre encontre. Cela veut dire ce que cela veut dire par rapport à cette question.
Mais pourquoi ce comportement autoritaire à l’endroit des professeurs, ses premiers collaborateurs ?
C’est la grande question. Alioune, c’est sur un ton parfois ordurier qu’il s’adresse aux professeurs, et en plein conseil de classe. Je me rappellerai toujours ce « j’en passe et des meilleurs » qu’il leur avait lancé après une liste de griefs à la suite de la grave accusation de son adjoint qui disait d’un professeur qu’il massacrait les élèves pour pouvoir faire des cours particuliers, en plus de propos du genre « le prytanée est une école militaire ; celui qui n’en veut plus n’a qu’à écrire, je vais l’aider à partir ». Propos accompagnés d’un langage gestuel qui en disait long sur son désir de se débarrasser des professeurs. Je me rappelle aussi le « fais vite avec ta si longue lettre » qu’il m’avait jeté au visage quand j’avais pris la parole, lors de la réunion avec l’inspecteur d’académie, pour parler des problèmes que nous rencontrions avec lui.
« Il est formé au génie et qu’il est fait pour détruire les obstacles », disait-il, devant l’inspecteur d’académie, pour s’adresser aux professeurs. Il criait haut et fort devant l’inspecteur qu’il interdit à tous les professeurs de toucher à son véhicule. Quel manque d’élégance et de courtoisie devant l’IA dont les agents étaient concernés. Mais ce n’est point surprenant pour quelqu’un qui affiche nettement sa « différence » lors de réunions ou de conseils de classes à la salle d’honneur où tout le monde (militaires et professeurs) sont assis sur les mêmes chaises de cérémonies de couleur rouge alors que lui, il surplombe tout ce beau monde sur sa chaise de bureau noire. Un autre épisode que je ne peux manquer de souligner : c’est lorsqu’un jour, alors que je revenais du nouveau lycée, je voulais passer par la petite porte de la cour qui mène à son bureau (une porte que les gens empruntent depuis que le prytanée est prytanée). Grande a été ma surprise que le soldat qui était de garde m’arrête net pour m’en interdire le passage. Et quand j’ai demandé pourquoi, il m’a signifié que « désormais, c’est uniquement réservé au commandant d’école. Il n’y a que lui qui a le droit de passer par cette porte ». « Mon véhicule, ma chaise, mon bureau, ma porte… et maintenant mon école… » Vous voyez cette escalade vers le totalitarisme. Wait and see.
Comment quelqu’un comme vous, qui a été choisi grâce à ses compétences par le ministre de l’Education nationale en 2017 pour prononcer le discours d’usage lors de la remise de prix du concours général devant le président de la République, peut être jeté aux orties comme un malpropre ?
Il y a deux ans, j’ai été publiquement remercié et félicité par le chef suprême des armées, le chef de l’Etat, à l’occasion du discours d’usage que j’ai prononcé à Diamniadio lors de la cérémonie de remise des prix du concours général 2017. Deux ans après, c’est comme si le colonel Alioune Guèye remet carrément en question ces remerciements et félicitations du président de la République en m’excluant comme un malpropre du prytanée et ce qui est le plus surréaliste, sans qu’il me dise ce qu’il me reproche réellement. Il a parlé de redéploiement pour surplus de professeurs. D’accord, mais moi, j’en suis à ma 17e année au prytanée et l’année dernière, j’avais 17h de cours (dans une 5e, une 3e et une 2nde).
La seule possibilité de communication qui existe entre lui et les professeurs est la sanction. Il ne connait pas un autre langage. Il n’essaie pas de dialoguer, il ne cherche pas à comprendre. Je disais à une haute autorité qui m’a appelé pour s’enquérir de la situation au prytanée que nous sommes des fonctionnaires, nous sommes des humains ; forcément nous commettons des fautes, nous faisons des erreurs. C’est son droit le plus absolu de sanctionner en fonction de ce que lui autorisent les textes. Mais il y a toujours mieux que cela car ces mêmes textes sont également faits pour être humanisés. Dans ce cadre, et c’est lui le chef, ce serait bien que lorsqu’un professeur commet une faute ou fait une erreur qu’il l’appelle dans son bureau et discute avec lui pour savoir la raison du manquement à son devoir. Loin de moi l’idée de vouloir lui apprendre à diriger ; il est beaucoup plus compétent que moi dans ce domaine. Mais il ne faut jamais être suffisant.
Par contre lui, il va directement à la sanction, sans chercher à comprendre. Je vais donner un exemple me concernant à l’opinion pour l’aider à mieux comprendre. Il y a deux ans, je me suis absenté à un conseil de classe sur autorisation du directeur des études, donc une absence justifiée. Mais Alioune m’a directement sanctionné pour cela, une sanction retentissante d’ailleurs parce que j’étais le seul professeur à être privé de l’organisation du concours d’entrée en 6e cette année et, tenez-vous bien, sans l’ombre d’explication. Je suis allé voir le directeur des études pour en avoir le cœur net et sa réponse fut claire : il ne savait pas pourquoi on m’avait écarté. J’ai beau cherché, les collègues aussi, on n’arrivait pas à trouver la réponse. C’est finalement presqu’un an après, lors d’une réunion avec l’inspecteur d’académie, que je lui ai posé la question sur la raison de cette sanction. Grande fut ma surprise quand il m’a répondu que j’étais absent à ce conseil de classe. Je lui ai alors signifié que j’avais l’autorisation du directeur des études ; pour toute réponse, il me dit qu’il n’a pas été informé. Il a donc sanctionné sans savoir pourquoi. Ce n’est pas professionnel. Je pense que pour un professeur d’enseignement secondaire de classe exceptionnel qui a fait 28 ans de service et qui a beaucoup servi l’école sénégalaise durant sa carrière (c’est mon curriculum vitae qui m’a valu le fait d’être désigné par le ministre de l’Education, en 2017, pour prononcer le discours d’usage de la cérémonie de remise des prix du concours général), il pouvait au moins m’appeler dans son bureau pour me demander ce qui était à l’origine de mon absence à ce conseil de classe. Mais comme c’est un démineur…
Quoi qu’il en soit, je ne le remercierai jamais assez pour m’avoir offert l’opportunité de quitter le prytanée car je priais Dieu, durant toutes ces vacances, de faire en sorte que je quitte le PMS. Alioune Guèye vient de m’en offrir l’occasion, lui qui disait toujours aux collègues que c’est lui qui est assis à la bonne chaise car c’est lui qui écrit les rapports les concernant.
Pour finir, je signale que lui et son directeur des études sont en train de commettre une faute très grave en privant les 16 collègues concernés de leurs emplois du temps car il n’y a aucun texte officiel qui les a relevés du prytanée militaire (pas du ministère de l’éducation, pas de l’inspection d’académie). Donc ils sont toujours des agents en service au prytanée militaire de Saint-Louis et, par conséquent, ont droit à leurs emplois du temps. C’est une grave faute administrative à laquelle les autorités devraient s’intéresser.