LE PANAFRICANISME EST LA TENTATIVE DE CONSTRUIRE UN ORDRE INTERNATIONAL ALTERNATIF
« L’opinion française reste prisonnière d’un récit colonial qui veut que la France soit pure, inattaquable et intervienne pour maintenir l’ordre. (...) Or, cette présence française participe de la politique impériale de la France »

Libye, Mali, Rwanda ou encore Biafra. Autant de « crises » africaines d’hier et d’aujourd’hui gérées depuis l’Occident. Pourtant, une alternative existe : le panafricanisme. Une réponse africaine aux questions africaines.
C’est un lieu commun. Au chevet des crises à travers le monde se pose toujours ladite « communauté internationale ». Terme qui regroupe au fond, pour peu qu’on s’y arrête, les États occidentaux et plus précisément ceux qui sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Sans la Chine et la Russie, donc.
La majorité des États subissent beaucoup plus l’ordre international occidentalo-centré tel qu’il est né de la Seconde Guerre mondiale qu’ils n’y participent de façon effective. Pourtant, des ordres internationaux alternatifs ont pu émerger à travers l’Histoire, ordres normatifs et narratifs qui offraient une alternance à l’ordre international occidental.
Parmi eux, le panafricanisme, tant dans sa dynamique politique qui promeut l’indépendance totale du continent africain que dans sa dimension transnationale et civile qui prône la solidarité entre les Africains et les personnes d’ascendance africaine.
Comment ce mouvement peut-il éclairer autrement les crises internationales, quelles solutions offre-t-il, quelle est sa dynamique ?
Amzat Boukari-Yabara, historien et docteur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de Nigeria (De Boeck, 2013), Mali (De Boeck, 2014) et Walter Rodney (1942-1980) : les fragments d’une histoire de la révolution africaine (Présence africaine, 2018), répond à MEE.
Middle East Eye : Qu’est-ce que le panafricanisme ?
Amzat Boukari-Yabara : Le panafricanisme est un mouvement né dans un contexte précis, celui des résistances qui sont apparues au sein des populations africaines déportées et réduites en esclavage dans les Amériques sous la contrainte du colonialisme, du capitalisme et du racisme. Trois systèmes qui sont encore présents et structurent le monde actuel.
Depuis deux siècles et demi, ces résistances se sont incarnées dans des projets collectifs, des projets d’unité continentale ou des projets d’État-nation. C’est donc un mouvement historique et politique qui participe des relations internationales et qui s’est institué dans des congrès.
Pourtant, ces congrès n’ont jamais été pris en compte dans la structuration de l’ordre international. Le panafricanisme serait donc une contre-histoire de l’Occident : une réparation par des populations d’origine spécifique (noires et/ou africaines) à travers des projets de libération et d’émancipation de tout ce que l’Occident a produit de dégâts humains, culturels, écologiques.
Une date marque ce mouvement de destruction par le colonialisme : 1492 avec la « découverte » des Amériques et la mise en place des hiérarchies et concepts raciaux.
Le panafricanisme est aussi un projet d’unité visant à rééquilibrer l’ordre international. Il s’est incarné dans des projets culturels, économiques, politiques et également dans des créations qui lui donnent un caractère tangible dans la diaspora et sur le continent. Le panafricanisme renvoie à tous ces espaces que l’Afrique a fécondés.
MEE : En quoi offre-t-il un contre-modèle au système international tel qu’il est ?
ABY : Le panafricanisme est apparu comme un grain de sable dans ce système des relations internationales. C’est la tentative de construire un ordre alternatif face au système international qui repose sur l’idée westphalienne d’États.
Avec le congrès de Vienne de 1815, l’Europe met en place son système international qu’elle va étendre au reste du monde. Lors de la première conférence panafricaine qui a eu lieu à Londres en 1900, les militants essaient de coaliser Haïti, le Liberia et l’Éthiopie, qui à l’époque étaient les trois seuls États dirigés par des noirs, pour leur demander de parler au nom de tous les noirs qui n’avaient pas accès à un appareil d’État.
La question du panafricanisme a souvent été mise de côté car considérée comme étant de l’ordre du ressentiment. Les dirigeants qui l’ont incarnée, de Kadhafi à Sankara, pour citer deux cas assez récents, ont fini de la même manière [assassinés dans des conditions encore obscures].
Leur refus de considérer l’Occident comme le centre du monde révèle une forme de blessure narcissique des Occidentaux hostiles à l’idée d’un autre monde possible. L’Occident n’aime pas qu’on lui fasse la morale et infantilise le reste du monde.
MEE : Mais le panafricanisme n’est-il pas contraint par un système international dont l’acteur principal reste l’État ?
ABY : La question de l’État-nation va s’imposer tout simplement parce que l’histoire de la colonisation va modifier la manière dont les structures étatiques et politiques africaines fonctionnaient. En Afrique, il y avait des empires, des royaumes, des cités-États, des républiques et également des sociétés sans État.