MOUSTAPHA NIASSE, LE DERNIER ROI
L'élection de Mbaye Ndione au poste de secrétaire général de l'AFP marque la fin d'un règne de trois décennies pour cet homme d'État qui aura traversé les présidences de Senghor, Diouf, Wade et Sall

Une page se ferme manifestement avec l'élection de Mbaye Ndione au poste de secrétaire général de l'AFP. Il remplace ainsi son indéboulonnable mentor. Ancien Premier ministre, ex chef de la diplomatie sénégalaise et ancien président de l'Assemblée nationale, force est de dire que Moustapha Niasse est peut-être le dernier mohican.
Mamadou Dia : Une fois du peuple, combats pour une Afrique souveraine et démocratique. C'est le dernier livre paru sur la vie et l'œuvre de l'ancien président du Conseil, sous la direction de Pape Sène, Roland Colin. Et un certain Moustapha Niasse.
Né le 04 novembre 1939 à Keur Madiabel, Moustapha Niasse est connu pour son amour des livres, un lettré, selon le journaliste Christophe Bois Bouvier qui pouvait converser de longues minutes avec Senghor sur la Grèce antique. Major de sa promotion à l'ENAM, Moustapha Niasse a très tôt été au banquet du père de la Négritude, en tant que jeune intellectuel pétillant, mais aussi en tant que haut fonctionnaire. Moustapha Niasse entre très tôt dans le cabinet du premier Président du Sénégal indépendant en 1970. Il avait à peine 30 ans. Et depuis, le sommet de l'Etat est sa zone de confort, il en connaît toutes les arcanes. C'est pourquoi le passage à témoin du samedi dernier entre lui et Mbaye Ndione est un moment de l'histoire. Le chevronné homme politique qui dit vouloir céder la place à la jeune génération est visiblement le dernier roi de la politique. Sa succession au sein de l'AFP, formation politique que l'ancien Premier ministre sous Diouf et sous Wade avait créée après le fameux congrès «sans débat» de 1996 à l'issue duquel Tanor Dieng a été choisi par le président Abdou Diouf, est tout sauf une sinécure. Le président Moustapha Niasse trône sur l'AFP depuis sa création il y a 30 ans. Certains de ses anciens compagnons auront certainement l'outrecuidance de rire sous cape et de dire que l'ex chef de la diplomatie sénégalaise, poste qu'il a occupé au début des années 80, a épuisé toutes ses cartouches avant de céder le fauteuil de secrétaire général de l’AFP.
Macky Sall, le « bourreau » de l'APF
L'on se souvient ainsi que Malick Gakou avait opposé son veto à la décision du président Moustapha Niasse de ne pas désigner de candidat pour l'élection présidentielle de 2019. Dans une atmosphère tendue à l'époque, Malick Gakou, Goumbala et Cie seront exclus avec véhémence de l'AFP par Niasse sans aucune autre forme de procès. Le patron de l'AFP perdra aussi dans la foulée un de ses fidèles compagnons, Mata Sy Diallo qui rejoindra Malick Gakou après la création de sa formation politique le Grand parti.
Dans un entretien accordé à RFI, Malick Gakou dira : «Dans les partis politiques au Sénégal, en général il y a très peu de démocratie. Et pour la seule et simple raison que quand vous créez un parti, c’est vous qui le créez, c’est vous qui le dirigez. Et en général, vous le dirigez jusqu’à votre mort. Ça pose des problèmes. Ça pose des problèmes parce que d’abord, en général, ces anciens-là veulent conserver le pouvoir pour des raisons inavouées et cela est inadmissible. Je pense qu’il y a une génération qui est déjà dépassée. Elle doit tourner la page et permettre à la nouvelle génération de pouvoir continuer le flambeau. Et c’est la raison pour laquelle la nouvelle génération doit les pousser, bien évidemment, à partir à la retraite politique».
Dans tous les cas, le manque supposé de démocratie interne de l'AFP et surtout son compagnonnage avec le président Macky Sall par le truchement de la coalition BBY inhibant tout dynamisme, coûteront au président Niasse plusieurs départs et une léthargie fatale. En effet, de troisième plus grande formation politique depuis sa création en 1998, l'AFP qui a participé aux deux premières alternances (2000 et 2012) en se classant troisième et en influençant fortement le deuxième tour, est devenue un parti politique presque banal. Et la dernière élection de 2024 va enfoncer davantage le parti dans la crise avec la défection de l'ancien ministre du Commerce Alioune Sarr qui quittera le navire pour créer son parti politique.
L'élection de Mbaye Dione sonne le glas de la carrière politique d'un homme d'Etat qui aura marqué l'histoire politique du Sénégal mais qui règne en maître absolu sur l'AFP. Dans un contexte où l'avènement du Pastef ouvre une nouvelle page de la politique sénégalaise, le président Moustapha Niasse, eu égard à son parcours professionnel et politique, est peut-être le dernier roi de la scène politique sénégalaise.