«LE DITAKH A TOXINES SERAIT AUSSI TOXIQUE QUE LE CYANURE»
Avis d’expert pape Ibra SAMB, professeur de biologie végétale

Pape Ibra Samb est professeur titulaire des universités de classe exceptionnelle et enseigne la biologie végétale à la faculté des sciences et techniques de l’université Cheikh Anta Diop (Ucad). Il est également membre de l’académie nationale des sciences et techniques du Sénégal. dans cet entretien accordé à l’As, il apporte des éclairages scientifiques sur le «ditax» comestible et l’autre variété qui est toxique, voire mortelle.
L’As : la rumeur fait état de la commercialisation d’un «ditax» toxique qui a déjà fait des victimes. en tant que scientifique, quelle est votre réaction par rapport à cette rumeur ?
Pape Ibra SAMB : La polémique enfle depuis quelques jours autour d’une rumeur véhiculée d’un jus de «ditakh» toxique qui serait en commercialisation dans certains marchés au Sénégal. Cela entre dans la rubrique des messages véhiculés via les réseaux sociaux comme WhatSapp et autres et qui sont très efficaces pour partager des informations en temps réel. Ces informations devraient aussi être contrôlées par les pouvoirs publics. Et lorsqu’elles sont sensibles comme dans le cas de cette rumeur, la veille est de mise. Le ditakh nourrit beaucoup d’acteurs et de familles des régions de Fatick et de la Casamance. Il est donc important de protéger une filière porteuse qui peut apporter une plus-value à notre économie, si on arrivait à assurer l’amélioration génétique et la domestication de ces arbres fruitiers en faisant appel à nos savoir-faire endogènes. Dans la situation créée par cette rumeur, nous sommes devant un simple problème de reconnaissance botanique. Pourtant, la nature nous a facilité cette reconnaissance dans certains cas de plantes toxiques révélées par la couleur rouge de leurs fruits ou une forme d’organes de plantes rappelant un organe du corps humain et donc suggérant qu’elles puissent apporter un remède à cet organe, ce qui avait conduit à la théorie des signatures, croyance répandue pendant tout le Moyen Age.
Est-ce qu’un profane peut distinguer le «ditax» comestible de l’autre qui est toxique, voire mortel ?
Dans le cas du «ditax», l’existence de deux types très proches morphologiquement dans la partie sud du pays, de l’aire de répartition de l’espèce est un problème que les populations autochtones ont jusqu’ici bien gérée par une connaissance endogène fine de leur milieu et de sa flore par des repères précis. Dans un contexte de changement climatique et de pauvreté, les arbres fruitiers et les fruits sauvages notamment constituent un patrimoine particulièrement important pour notre pays. L’arboriculture fruitière est une source de revenus pour beaucoup de familles en milieu rural. Parmi ces arbres fruitiers, le «ditakh» ou «ditax» en Wolof dont le nom scientifique est Detarium senegalense, Césalpiniacée ou Fabacée de la famille des Légumineuses, est bien connu pour son jus qui est très apprécié et largement commercialisé partout au Sénégal et dans plusieurs supermarchés et restaurants. Les vertus du fruit sont connues au-delà de nos frontières. Dans le livre «Pharmacopée sénégalaise traditionnelle, plantes médicinales et toxiques» publié en 1974, J. Kerharo et J.G. Adam décrivent le «ditakh» comme un grand arbre atteignant 25 et 30 m au fût droit et cylindrique, à cime basse, aux fruits subglobuleux, fibreux et charnus. Ils le signalaient jusqu’aux environs de Dakar. Kerharo a bien noté dans son ouvrage que certains arbres produisent des fruits comestibles et d’autres des fruits toxiques sans pouvoir les différencier les uns des autres, et même sans pouvoir dire s’il s’agit d’une ou de deux espèces ou de deux variétés tout court. Par ailleurs, Kerharo signale dans le même livre l’utilisation par les Balantes de l’écorce de la variété à fruits toxiques prise en macération dans du vin de palme pour soigner les bronchites, les pneumonies, mais surtout les maux de ventre et la lèpre.
Où en sont les recherches scientifiques sur ces deux variétés de «ditax» ?
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, puisque plusieurs études ont été effectuées et une thèse a été soutenue par une de nos anciennes étudiantes Dr. Nafissatou Diop Ndiaye qui travaille à l’Institut de technologie alimentaire. Elle serait en train d’envisager des études pour une différenciation précoce des deux écotypes. D’autres travaux existent et concernent divers aspects de la plante. Ainsi, en l’état actuel des connaissances, il n’y a pas de problème. Au plan botanique, les connaissances existent au Département de Biologie végétale à la Faculté des Sciences et Techniques ou au Laboratoire de Botanique de l’Ifan ou à l’Ensa de Thiès, les volets domestication et amélioration génétique sont possibles à l’Isra, la transformation et la technologie alimentaire à l’ITA. Cependant, en l’absence de transformation, l’exportation des produits n’apporte pas une grande valeur ajoutée. La certification phytosanitaire et le respect des normes à l’exportation constituent une limite dans la chaine de valeur. Ces contraintes justifient l’importance de doter la recherche de moyens conséquents pour sortir des sentiers battus et avoir les réponses idoines sur les problèmes structurants. Malgré ces problèmes, les populations autochtones ont, d’un point de vue pratique, une approche intuitive qui leur permet de reconnaître les deux types. La consommation ou non par les animaux notamment les singes serait aussi un indicateur. Le «ditakh» à toxines serait aussi toxique que le cyanure. Et il est aisé de comprendre pourquoi cette rumeur concernant le type toxique mériterait un traitement spécial. Cet aspect ne concerne pas seulement les Scientifiques.
Que doivent faire les autorités étatiques pour protéger la population ?
Les services du Commerce ou d’Hygiène et les structures de santé devraient prendre ce problème à bras le corps pour édifier l’opinion. La publication dans la presse de cas d’intoxication alimentaire et qui aurait entrainé la mort d’un jeune garçon causée par la consommation de produits de cette plante dans la ville sainte de Touba constitue à cet égard une alerte sérieuse. Cette information, si elle est mal gérée, pourrait compromettre toute la filière et surtout dans les zones où cette toxine n’existe pas. Il suffit de faire le parallèle avec l’aflatoxine qui cause un tort à l’arachide produite au Sénégal. A l’international, lorsqu’il existe une suspicion sur un produit, il revient au pays producteur de fournir les informations sanitaires et phytosanitaires de levée de la contrainte. Le principe de précaution doit nous guider. Nous en appelons à la responsabilité de tous pour l’éclatement de la vérité. En tout état de cause, si l’information est avérée, il conviendrait de prendre très vite les mesures idoines conservatoires pour pallier les effets néfastes qui pourraient découler de l’écoulement d’un produit néfaste sur le marché.