«L’ETAT N’A MALHEUREUSEMENT PAS PRIS LES BONNES DECISIONS»
La langue de bois, ce n’est pas le dada de Dr Amadou Yéri Camara. Le Secrétaire général du Syndicat Autonome des Médecins du Sénégal (Sames) et médecin-chef de la région de Sédhiou aime asséner ses vérités, quitte à heurter.

La langue de bois, ce n’est pas le dada de Dr Amadou Yéri Camara. Le Secrétaire général du Syndicat Autonome des Médecins du Sénégal (Sames) et médecin-chef de la région de Sédhiou aime asséner ses vérités, quitte à heurter. Dans cet entretien qu’il a accordé à «L’As», il a décrié la gestion de la Covid-19 par l’Etat, s’est ému du manque de respirateurs artificiels dans les régions avant d’analyser l’augmentation des cas graves et des décès.
En tant que chef de la région médicale de Sédhiou, quel diagnostic faites-vous de la maladie de la Covid-19 dans la région de Sédhiou ?
A l’instar des autres régions du Sénégal, la région de Sédhiou a enregistré des cas de coronavirus. A ce jour, nous avons noté 119 cas qui étaient constitués de trois malades graves et 116 malades dans un état stable. Les 117 patients ont été guéris et deux patients sont décédés de la maladie. Ils ont été référés au centre de santé. Et à leur arrivée, nous avons constaté qu’ils avaient le virus. En dehors de cela, nous avons eu à suivre plus de 1 500 personnes en termes de contacts.
A votre avis, qu’est-ce qui explique l’augmentation du nombre de cas graves et de décès ?
Pour moi, c’est mathématique ; plus les cas augmentent, plus la maladie a tendance à atteindre les personnes vulnérables. Il s’agit des personnes âgées, des sujets souffrant de maladies chroniques et des personnes qui ignorent même leur état de santé dont la circonstance de découverte de comorbidité est constituée par l’infection à coronavirus. Dans ce cas, il faut dire que le Sénégal, comparé à l’Europe, est à moins de risque. Nous avons une létalité de 19 pour 1000 au moment où la létalité en Europe est de 65 pour 1000 ; aux Etats-Unis c’est 39 pour 1000. Cependant, il faut modérer notre enthousiasme, parce qu’au moment où nous avons ce taux de létalité, l’Afrique est à 16 pour 1000. Nous avons plus de cas de décès par rapport à la moyenne générale en Afrique. Donc si nous voulons diminuer le nombre de décès, il faudrait que l’on mise sur la prévention mais aussi qu’on réduise le nombre de personnes infectées par la maladie. Tant qu’il y aura des cas, il y aura des décès. Lorsque nous aurons 1 million de cas, nous aurons 19 000 décès. Par conséquent, il est urgent de prendre des mesures qui permettent de diminuer ce niveau d’infections. Seule la prévention peut être efficace. Et à ce stade, notre principal outil de prévention est le port du masque. Malheureusement, nous avons constaté un relâchement général. Chacun doit être responsable. On doit savoir qu’en ne respectant pas les mesures, on met en danger une personne vulnérable. Cela peut être nos parents, un ami ou une personne qui est loin des déplacements.
Dans les régions, dispose-t-on d’assez d’équipements, surtout de respirateurs artificiels pour faire face aux cas graves?
En dehors de Dakar, Thiès et Diourbel et un peu Ziguinchor, la plupart des hôpitaux régionaux n’ont pas un plateau technique qui leur permet de prendre en charge les malades. Une zone comme la Casamance, il n’y a que l’hôpital de Ziguinchor qui fonctionne. Dans d’autres zones, il n’y a pas de réanimation pour les malades de la Covid. Toutes les populations ne sont pas logées à la même enseigne, en matière de prise en charge. Donc, il est urgent que l’Etat fasse des pieds et des mains et mette à contribution la diplomatie nationale et internationale pour qu’il y ait une uniformité à la dotation aussi bien en matière de ressources humaines expérimentées que d’équipements dans les centres de traitement. C’est une maladie nouvelle, il ne faut pas prendre des jeunes qui n’ont pas encore l’expérience et les laisser se battre contre quelque chose de nouveau. L’Etat doit faire de son mieux pour que les réanimateurs expérimentés soient dans les centres de traitement et qu’il y ait des respirateurs aux normes. Si l’Etat s’y met avec la coopération internationale, on peut doter chaque région d’un service de réanimation adéquat, parce que c’est urgent.
Etes-vous satisfait de la gestion de la Covid-19 sur le plan médical ?
Je pense que nous étions sur un bon départ au début, mais il y a un moment que les choses ont déraillé. Nous n’avons plus compris la stratégie, ils ont pris des mesures contradictoires. A un moment donné, on ne s’est focalisé que sur le riz. Pendant deux mois, nous nous sommes focalisés sur cela. En ce moment, il faut que l’on redéfinisse les priorités. Pour moi, la priorité est d’équiper le plus rapidement possible les régions du Sénégal en matière de matériels de réanimation. Nous sommes très déçus de cette prise en charge parce que l’Etat n’a pas joué sur les bons leviers. Tout ce que l’on peut faire, c’est d’équiper les structures. Dans le cas contraire, les personnes continueront à venir dans les structures et à mourir. En amont, il faudrait faire de sorte que l’infection diminue en mettant au cœur de la riposte les médecins chefs de district (Mcd). Cela est aussi un gros échec, parce que l’on a voulu attendre au bout de la chaîne avant de prendre des mesures. «On pensait amener des malades dans les structures sans donner les moyens aux Mcd, parce que ce sont eux les véritables spécialistes de la santé publique. La majorité de ceux qui parlent dans les médias n’ont jamais fait face à une épidémie. Ceux qui luttent contre les épidémies, ce sont les Mcd, la division de l’épidémiologie, la direction de la prévention. Ce sont leurs cœurs de métier, mais on les a mis à l’écart. Nous sommes dans une politique spectacle où l’on a dépossédé les Mcd de leurs spécialités. Finalement, on revient aux fondamentaux lorsqu’ils sont face au mur. Une partie de la population aussi ne nous a pas aidés, car certaines personnes ne croient pas à la maladie. L’Etat devait donner le ton mais malheureusement, il n’a pas pris les bonnes décisions et nous espérons qu’il va se ressaisir. En Europe, comme l’Italie par exemple, ils ont corsé les amendes. Celui qui ne veut rien entendre, il ne faut pas qu’il mette en danger les autres.
A quand peut-on s’attendre à la disparition du virus au Sénégal ?
Ce virus va disparaître lorsque chaque Sénégalais aura un comportement responsable, en portant son masque, mais aussi en se déplaçant moins et en respectant les gestes barrières. Si on continue comme cela, personne ne peut dire quand on va se départir de ce virus. Parce que les histoires d’immunité collective, c’est de la supercherie la plus totale. Comment peut-on parler d’immunité alors qu’on n’est même pas sûr que ce virus donne une immunité pendant une longue période. On parle de 3 semaines ou de deux mois, et vous pensez que c’est sérieux de faire contracter la maladie à bon nombre de personnes. Les pays qui l’ont adopté se sont retrouvés avec des taux de contamination très élevés.
En outre, nous déplorons les attaques incessantes que l’on a reçues par messages vocaux, les attaques par voie de presse et aujourd’hui une attaque physique contre le Professeur Moussa Seydi. L’Etat doit montrer sa détermination pour réprimer cette personne comme si c’était un homme politique qui était l’objet d’insultes. Cette détermination pour protéger les hommes politiques, les agents de santé la méritent aussi amplement.