PART DE RESPONSABILITÉ DES ACTEURS POLITIQUES
Selon le sociologue Waly Diouf, plusieurs paramètres entrent dans l’explication du désengagement des populations dans la lutte contre la pandémie.

QUESTIONS WALY DIOUF, SOCIOLOGUE
‘’On ne peut pas négliger les effets pervers des attitudes des acteurs politiques’’
Selon le sociologue Waly Diouf, plusieurs paramètres entrent dans l’explication du désengagement des populations dans la lutte contre la pandémie.
Pendant que le variant Delta accroît le taux de contaminations, on assiste aujourd'hui, au Sénégal, à un relâchement presque total de la population. Comment expliquer cette situation ?
Le Sénégal est, depuis mars 2020, concerné par la pandémie de Covid-19, cette pneumonie qui s’est déclenchée vers novembre 2019 à Wuhan (province d’Hubei, Chine). Conformément aux orientations de l’Organisation mondiale de la santé déclinées à travers les dispositions du Règlement sanitaire international, le gouvernement a introduit un ensemble de mesures politiques, administratives, juridiques et sanitaires pour endiguer la pandémie. Depuis quelques mois cependant, différents pays font l’objet d’une prolifération de variants du Sars-Cov-2, le virus responsable de la Covid-19.
Le variant Delta, qui a été documenté au Sénégal depuis avril 2021, fait aujourd’hui l’objet d’une plus grande inquiétude, en raison de sa contagiosité, mais aussi de sa morbidité. Le communiqué n°511 indique que le Sénégal a enregistré, à ce jour, 57 263 cas de contamination dont 45 170 guéris, 1 281 décès et 10 811 en cours de traitement. Rien que pour la journée du 25 juillet, 12 décès et 690 nouvelles contaminations ont été documentés, avec un taux de positivé de 29,47 %. Ces différentes statistiques traduisent le niveau critique de la situation sanitaire.
L’allègement important des mesures, qui a été décidé par le gouvernement à partir de mars 2021, avec notamment la levée du couvre-feu, a été un des éléments ayant remis en cause les mesures de distanciation physique et sociale, mais aussi produit un relâchement vis-à-vis des autres moyens de lutte dont principalement le port du masque. Cette évolution de la politique nationale, même si elle répond à une certaine demande sociale, reste cependant peu pertinente, du point de vue de certains observateurs, pour un pays où une majorité de la population est encore hésitante à la vaccination.
On ne peut pas également négliger les effets pervers des attitudes des acteurs politiques, avec les différentes tournées et rassemblements organisés dans différentes localités du pays, sur le relâchement des gestes barrières par les populations.
En outre, il existe encore certains Sénégalais qui ne croient pas à l'existence du virus. Qu'est-ce qui l'explique, selon vous ?
Aujourd’hui, caractériser les attitudes ou discours de certaines populations comme le fait de ne pas croire en l’existence de la Covid-19, constituerait une analyse tronquée qui ne permet pas de déceler les processus cognitifs sous-jacents. Ces discours laissent plutôt entrevoir des attitudes de déni, étant ici entendu comme un mode de défense particulier où la personne refuse de reconnaître une réalité traumatisante, tout en la reconnaissant d’une certaine manière. Cette définition met en avant deux aspects assez intéressants.
Le premier décline les processus sélectifs chez l’individu face à une réalité de nature traumatisante. Or, comme nous pouvons l’observer, les populations ont été confrontées, depuis mars 2020, à des décisions politico-sanitaires de gestion de la pandémie particulièrement contraignantes et traumatisantes. Les mesures de distanciation physique et sociale, par exemple, remettent en cause un ensemble de pratiques et de formes de solidarité dont la conséquence est de produire un ‘’drame social’’.
Dans ces conditions, adopter une attitude de déni constitue, pour certaines catégories, une forme de réponse cognitive à la situation de crise qu’instaure la pandémie, ainsi que ses modalités de gestion.
En second, on peut retenir, de la définition du déni, les processus qui consistent à réorienter la perception sur une réalité afin de la rendre plus acceptable. Concernant la pandémie de Covid-19, ces processus ont été favorisés par ce qu’on caractérise d’infodémie.
En effet, le développement de la pandémie a été accompagné d’une surabondance d'informations, de véracité très variable, ne facilitant pas à la population générale de trouver des informations fiables, afin d'agir en conséquence. En dehors des capacités à opérer des choix face à ce flot d’informations, certains s’orientent également vers des itinéraires de convenance.
Ainsi, on peut constater que les théories complotistes qui accusent les pouvoirs publics, par exemple, ne traduisent, en effet, que des manières de réinterpréter la réalité, afin d’en amenuiser les effets.
En outre, il est important de reconnaître que la dimension sanitaire n’est pas le seul impact de la Covid-19 en Afrique particulièrement où les mesures de gestion sont difficilement conciliables avec une économie essentiellement informelle. Les récentes émeutes populaires au Sénégal, en mars 2021, sont en grande partie liées à la précarité des ménages qui est accentuée par les orientations de la politique nationale de gestion de la pandémie, en dépit des efforts de résilience de l’État.
Quelles solutions s'imposent ?
La responsabilisation des communautés dans la réponse aux problèmes de santé publique n’est plus à discuter. Cependant, les apories autour de ce principe ont conduit à des modalités et pratiques d’implémentation qui les ont rendues contre-productives dans différentes expériences de gestion de la pandémie. Cette situation s’observe dans les difficultés des pouvoirs publics à engager les communautés dans les mesures de lutte promues. D’ailleurs, dans plusieurs pays, la politique nationale s’oriente vers une approche dissuasive.
En Guinée, par exemple, la réponse à la faible adhésion à la vaccination a été d’imposer un carnet de vaccination aux personnes qui désirent avoir une mobilité interurbaine. Une telle approche, même si elle contraint les populations aux décisions de l’État, est toutefois productrice d’effet pervers avec des pratiques de contournement des normes et des corruptions des services de contrôle.
On distingue ainsi les limites des différentes approches, mais aussi l’intérêt d’un élargissement de la perspective. Concrètement, il s’agit de construire la réponse à travers un ‘’bricolage’’ basé sur les points positifs de ces différentes approches.
Il est, en outre, primordial que les pouvoirs publics, en particulier, se repositionnent dans une communication par l’exemple, afin de redynamiser la confiance au dispositif et de conduire les populations à s’approprier la lutte contre la pandémie.