SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
28 avril 2025
Opinions
PAR SIDY DIOP
LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES
Un logisticien de 25 ans qui donne 67 millions à un marabout pour booster sa réussite… Voilà un chef d’entreprise qui sait investir. La technique du marabout était simple : « Des forces occultes bloquent ta réussite, mais je peux t’aider. »
Un logisticien de 25 ans qui donne 67 millions à un marabout pour booster sa réussite… Voilà un chef d’entreprise qui sait investir. La technique du marabout était simple : « Des forces occultes bloquent ta réussite, mais je peux t’aider. »
Ce qui, il faut le reconnaître, est plus vendeur que « J’ai bien peur que tu sois mauvais en affaires. » Chaque rituel coûtait une fortune, chaque hésitation était balayée par une menace de ruine ou de malédiction. En quelques mois, l’entrepreneur, pris dans cette spirale mystique, a lessivé ses comptes, emprunté à sa famille et ponctionné l’entreprise.
C’est là que frère et sœur, les vrais sauveurs de cette histoire, sont intervenus. Un signalement, une enquête, et voilà le charlatan pris à son propre jeu : un faux dernier paiement, un rendez-vous, et la police au bout du chèque. Résultat, une peine d’un an ferme est requise, avec remboursement des 67 millions et 5 millions de dommages et intérêts. Autrement dit, une tentative de restitution des fonds à leur propriétaire légitime. À condition, bien sûr, que l’argent ne se soit pas déjà évaporé… dans des sphères tout aussi occultes.
par Nioxor Tine
UNE TRANSITION COMPLEXE
La vocation d’un régime antisystème ou tout au moins son ambition, devrait être de verrouiller toutes les portes, qui pourraient rendre possible un retour en arrière, sur le plan de l’évolution politique de notre Nation
Le vote de la loi portant interprétation de la loi d’amnistie nº2024-09 du 13 mars 2024, en vue de la clarifier, a lieu, un an jour pour jour, après la passation de pouvoir entre l’ancien président Macky Sall et son remplaçant, M. Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Cette coïncidence est non seulement symbolique, mais surtout révélatrice du grand malentendu, qui a prévalu, durant les douze derniers mois, entre les tenants de la continuité néocoloniale de Benno Bokk Yakaar et les cadres dirigeants de Pastef, chantres de la transformation systémique.
Il est vrai que le temps aura cruellement fait défaut. C’est ainsi, qu’entre le 24 mars 2024 qui a vu le duo Diomaye-Sonko s’emparer du gouvernail présidentiel et le 17 novembre 2024, date de l’avènement de la majorité parlementaire Pastef, il était difficile d’initier une quelconque réforme institutionnelle dans une Assemblée acquise à l’opposition. Pire, on a même pu noter une ferme volonté des parlementaires de l’ancien pouvoir du Benno-APR de déstabiliser le nouveau régime patriotique.
Politiquement défaits et électoralement désavoués, à deux reprises, par le verdict des urnes, la nouvelle opposition fait paradoxalement montre d’un activisme démesuré, d’autant plus indécent, que de multiples reproches peuvent leur être faits sur leur gestion cavalière de l’Etat, entre 2012 et 2024. La liste de leurs frasques, délits et crimes est si longue, que les magistrats de notre pays n’arrivent pas à les instruire dans des délais raisonnables, provoquant l’impatience voire l’ire des citoyens, qui trouvent les procédures judiciaires interminables. Cette lenteur est mise à profit par les délinquants à col blanc de l’ancien régime, incriminés, pour lancer des campagnes médiatiques et digitales manipulatrices, ininterrompues, en vue d’entraver le cours normal d’une Justice, elle-même malade, comme l’ont confirmé des Assises, qui lui ont été dédiées, du 28 mai au 4 juin 2024.
La vérité crue et amère est que l’institution judiciaire de notre pays a été maintenue dans un état de de vulnérabilité à divers lobbies (étatique, religieux, financiers…), qui l’a rendue impotente et incompétente, l’empêchant de dire véritablement le Droit. Ce n’est pas en quelques mois que ces vices peuvent être corrigés, d’où l’urgence de refonder la Justice.
Par ailleurs, l’ébullition, qui gagne le champ social et qui amène nos autorités à plaider pour la signature d’un pacte avec les partenaires sociaux, est la meilleure preuve du caractère superficiel des démocraties électorales, encore plus marqué sous nos cieux. Malgré des scores électoraux flatteurs et une majorité parlementaire confortable, les tares du fameux système persistent aux dépens des nouvelles autorités. Nous citerons l’hyper-présidentialisme (bridé momentanément par l’hypertrophie de la Primature), un parlement conservant encore une fonction d’enregistrement – fut-ce pour la bonne cause –, la primauté accordée aux droits civils et politiques par rapport à ceux sociaux et économiques, le maintien de lois liberticides, dans nos textes de lois.
La vocation d’un régime antisystème ou tout au moins son ambition, devrait être de verrouiller toutes les portes, qui pourraient rendre possible un retour en arrière, sur le plan de l’évolution politique de notre Nation.
Certes, la bonne foi de nos nouveaux gouvernants est perceptible à travers plusieurs actes posés, comme une reddition des comptes plus sincère que les précédentes, dénuée d’arrière-pensées politiciennes, davantage de courage politique dans la question foncière, la dénonciation des accords de pêche, le congédiement des troupes étrangères, la divulgation des entourloupes du précédent régime au niveau des finances publiques, une volonté affichée d’industrialisation et d’autosuffisance alimentaire…
Mais tout le monde connaît les limites de l’approche moralisatrice en politique, quand on sait que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Dans le passé, les forces de gauche militaient pour une révolution nationale et Démocratique, à orientation socialiste avec distanciation vis-à-vis des paradigmes de l’économie libérale.
Dans l’étape actuelle de notre évolution politique, il faudrait que les forces se réclamant du progrès de l’humanité et de l’équité sociale, dont le camp patriotique, se donnent, à tout le moins, les moyens politiques de leurs nobles ambitions.
Cela passe par la mise en œuvre de mécanismes de démocratie participative, de mobilisation populaire et de co-construction citoyenne.
Il est important d’élargir les espaces d’expression citoyenne, de promouvoir les libertés et de libérer l’initiative militante au sein du camp patriotique, dont les membres doivent devenir de véritables sentinelles de la transformation systémique.
Halte aux emprisonnements intempestifs, aux délits d’opinions, se référant aux offenses aux chefs de l’Etat, aux troubles non avérés à l’ordre public… !
L’adoption d’une nouvelle Constitution par référendum est incontournable.
Il faut rassembler le maximum de forces intéressées autour d’un programme minimum commun et privilégier une délibération consensuelle et inclusive sur le devenir de nos Nations appelées, à plus ou moins brève échéance, à se fédérer.
PAR SAMBA OUMAR FALL
LA FOLIE DE LA CONSOMMATION
"Chez nous, le gaspillage que certains économistes conçoivent comme « la science de la satisfaction des besoins illimités à partir de ressources limitées » est souvent érigé en règle et il faut se rendre dans les maisons pendant le ramadan."
Le mois béni du ramadan, mois de l’acceptation, de la bienfaisance, de l’élévation, est parti comme il était venu. Le temps passe vraiment vite. Eh oui. Ça me rappelle une vieille chanson « L’heure fugitive » que l’on fredonnait sans relâche à l’élémentaire. « L’heure s’enfuit, fugitive elle passe, comme un oiseau dans les grands cieux Il faut marcher, il faut franchir l’espace. Car, notre temps est précieux… » …. Et bla-bla et bla-bla. Après un mois d’abstinence, c’est le bout du tunnel pour ceux qui ont prié dimanche ou lundi (nos parents chrétiens eux devront patienter encore). Rien n’est donc éternel pour qui sait être patient ; pas même trente jours de jeûne, de privation. De savoir que l’on n’aurait plus à s’abstenir de manger, de boire, de fumer, de calomnier ou encore de mentir entre l’aube et le crépuscule, a rendu certains visages radieux, rayonnants. Mais avons-nous passé cet examen avec brio ? Avons-nous vraiment réussi à faire pénitence et à purifier nos âmes en ce laps de temps ?
Ce sont autant de questions que l’on devrait se poser si l’on en croit l’imam de notre quartier, qui est revenu, hier, dans son sermon, sur les notions de bienveillance et de gaspillage. Parce que le Sénégalais qui sait être bienveillant à sa manière, est aussi un vrai expert dans l’art de gaspiller. Et le ramadan, pourtant censé nous épargner certaines dépenses, malmène nos bourses. Normal, quand chacun veut rattraper en quelques heures les trois repas perdus. Chez nous, le gaspillage que certains économistes conçoivent comme « la science de la satisfaction des besoins illimités à partir de ressources limitées » est souvent érigé en règle et il faut, pour s’en convaincre, se rendre dans les maisons pendant le ramadan. Le gaspillage atteint son paroxysme. On multiplie par deux voire trois la quantité de nourriture à préparer et jette plus de la moitié à la poubelle. Un énorme gâchis ! Et pendant les fêtes et autres cérémonies familiales, c’est encore pire. C’est la frénésie des achats, les excès de nourriture… Tous les moyens sont bons pour dépenser. Sans compter parfois.
Notre environnement social encourage le gaspillage. On assiste partout à une frénésie de consommation, une extravagance qui ne dit pas son nom. Normal quand l’argent est acquis facilement. Parfois, les gens éprouvés par la vantardise et incapables de dompter leurs âmes, s’adonnent à des dépenses débridées lors des fêtes et autres cérémonies familiales ; des événements qui dévorent des sommes colossales qui auraient pu servir dans des choses beaucoup plus utiles. Et le plus terrible, c’est qu’on en est arrivé à gaspiller, à jeter des quantités considérables de nourriture, alors que non loin de nous, des citoyens vivent dans une pauvreté chronique, n’arrivent pas à joindre les deux bouts et crèvent de faim. Nous gaspillons tout ce que nous possédons et ce n’est malheureusement que quand les puits sont à sec que nous connaissons la véritable valeur de l’eau.
Nous avons beau être aussi riches que Crésus, nos ressources ne sont pas inépuisables. Il nous revient d’en user intelligemment, tout en évitant de réduire notre consommation à un niveau assimilable à de l’avarice, de la cupidité. Car le Seigneur, dans la sourate Al Isra (Le voyage nocturne), à la sourate 29, avertit : « Ne porte pas ta main enchaînée à ton cou et ne l’étends pas non plus trop largement sinon tu te trouveras blâmé et chagriné ». Quand nos possessions nous démangent au point de ne pas savoir quoi en faire, il faut en faire profiter aux autres. Ainsi conseillait un vieux sage. Parce que la bonne utilisation de l’argent consiste à ce qu’il soit dépensé dans les nécessités envers soi, sa famille. Ou à en faire profiter aux plus nécessiteux qui n’ont pas reçu de Dieu les mêmes faveurs sur Terre.
Donner l’aumône n’a jamais appauvri personne puisqu’on donne toujours à la mesure de ses moyens. Si on a beaucoup, on donne beaucoup ; si on a peu, on donne peu, mais de bon cœur. L’aumône doit être désintéressée ; il ne faut pas attendre d’être sollicité pour aider ceux qui sont dans le besoin. En faisant l’aumône, on fait œuvre de miséricorde, rend le pauvre joyeux et irradie son cœur de joie. Dans un monde de compétition et en crise de bienveillance, la folie de la consommation ne doit pas guider nos actes. Il nous faut adopter de bonnes méthodes de consommation, car le Seigneur interdit formellement la prodigalité, le gaspillage. Chacun doit donc emprunter le chemin de la sobriété et de la modération dans ses dépenses, mais aussi être raisonnable et mesurer les choses selon le besoin.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
DE LA DÉCOLONISATION DE LA PENSÉE CRITIQUE AU RÉCIT AFRICAIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Son essai, riche en références et en analyses, pose les bases d'une méthodologie qui intègre l'histoire, la cosmogonie et l'oralité comme pierres angulaires d'une lecture authentique de la littérature africaine
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
L’essai littéraire, dans son acceptation traditionnelle, est un texte qui, par ses arguments, cherche à convaincre le lecteur. Pour cela, l’auteur utilise différents procédés qui enrichissent une réflexion, sans viser à divertir, et propose une vision nouvelle sur une problématique donnée, en structurant son propos et en l’appuyant d’exemples significatifs.
Cette démarche est véritablement à l'œuvre dans l’essai de Mamadou Kalidou Ba qui porte un titre enrichi de plusieurs paradigmes : Décoloniser la critique littéraire africaine - Nouvelles perspectives théoriques et critiques - Approche ontologique du texte africain.
Cette proposition est éminemment pertinente pour parvenir à une analyse approfondie et juste du texte littéraire africain, avec des entrées d'études qui tiennent compte des symboles et de l’imaginaire littéraires de la littérature africaine.
En effet, Mamadou Kalidou Ba, spécialiste de l’analyse littéraire africaine, s’attache à démontrer combien les référents culturels, l’empreinte sociale, les enjeux sociétaux et symboliques doivent être au centre de la critique littéraire, si l’on veut restituer, dans sa complexité, l’imaginaire littéraire africain qui s’inspire d’un réel historique, tout autant que de ses représentations structurelles.
Même si Mamadou Kalidou Ba prend le soin de préciser qu’il ne s’agit pas de circonscrire l’espace littéraire africain dans un carcan identitaire, il convient toutefois d’en faire un portrait qui prend sa source dans des archétypes qui sont définis par une expérience cognitive africaine.
Comme le souligne Aimé Césaire, cité par l’auteur dans son essai, la conception littéraire, au-delà de son universalité, est travaillée par ce qui est fondamental, ce sur quoi tout le reste s’édifie et peut s’édifier : le noyau dur et irréductible ; ce qui donne à un homme, à une culture, à une civilisation sa tournure propre, son style et son irréductible singularité.[1]
En effet, malgré ses déplacements géographiques liés à la migration choisie ou celle plus tragique de la traite et de l’esclavage, l’anthropologie africaine et ses spécificités possèdent un ancrage qui s’inscrit dans son parcours ontologique.
De plus, Mamadou Kalidou Ba souligne la mise en demeure idéologique qui incarne un négationnisme culturel, imposé par l’esclavage, la période coloniale et postcoloniale comme autant de simulacres d’un impérialisme de la pensée.
Et c’est ce qu’aujourd’hui les chercheurs, les intellectuels et les écrivains africains doivent non seulement combattre mais également transformer en essais qui relèvent d’une véritable analyse anthropologique et sociologique qui s’occupent, dans un mouvement pluriel, de la trajectoire africaine dans son histoire et dans son imaginaire.
Ainsi à travers son étude, Mamadou Kalidou Ba pose plusieurs problématiques pour recouvrir un nouveau paysage dans la critique littéraire africaine.
Il s’agit tout d’abord de se débarrasser de l’utilisation des logiques occidentales qui ne convoquent que des réflexions ethniques ou tribales, asservies à un phantasme irréel, qui sont des impasses culturelles et humaines. Il ne faut pas oublier l’impact de toutes les ruptures épistémologiques liées à l’imposition de langues et de croyances exogènes qui a perduré pendant plusieurs siècles.
En réalité, l’imaginaire africain possède des savoirs pluriels qui prennent leur racine dans un multilinguisme étonnant et créateur de récits et dans un passé à la didactique orale. De plus, la cosmogonie qui oeuvre dans la narration africaine est celle qui finalement est aux origines de la création du monde et de celle des humains. Cette empreinte culturelle puissante constitue un assemblage littéraire singulier qui métamorphose la mise en récit, la temporalité, l’imaginaire et la personnification de l’univers africain.
La critique littéraire moderne doit donc se situer à cette intersection, celle de l’intertextualité fondatrice et des spécificités ontologiques de la pensée africaine.
Tout comme, il faut retenir que la création littéraire africaine puise dans tous ses totems pour parvenir à des caractéristiques narratives originales qui s’entendent à la lumière d’une critique qui accepte toutes les tensions ne cherchant qu’à rompre avec l’ignorance.
Cette nouvelle ontologie de la critique littéraire africaine est une révélation indispensable à la poursuite de notre propre récit. Ainsi, l’histoire, la cosmogonie, les langues africaines, la culture de l’oralité deviennent des angles d’analyse, en somme à valeur pédagogique, pour éclairer les sources natives de la critique littéraire africaine.
Ainsi, l’essai, éminemment scientifique, historique et engagé, de Mamadou Kalidou Ba devient un ouvrage incontournable de la pensée critique littéraire africaine. Argumenté, illustré et référencé, il devient un opus indispensable à tous ceux qui travaillent sur la formation de la création littéraire et à ses analyses théoriques et méthodologiques. Cet ouvrage, qui pose une première pierre à notre pyramide métaphysique de la critique littéraire africaine, en appelle d’autres qui pourront encore embrasser toute la production littéraire africaine contemporaine.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
[1] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 89.
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants
Une bonne nouvelle pour les Sénégalais qui ressentent durement la difficile conjoncture économique. Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du commerce, a présidé, ce jeudi 26 mars 2025, une réunion du Conseil national de la consommation, où il a annoncé une nouvelle baisse de 60 francs Cfa du prix du riz ordinaire. Au détail, le kilogramme passe de 410 à 350 F Cfa. La mesure sera officiellement entérinée par le président de la République, le 3 avril 2025. Il faut déjà dire que le cours mondial du riz a emprunté une courbe descendante depuis janvier 2024. De 660 dollars, le prix du riz est à 478 dollars la tonne au mois de février 2025, soit une diminution de 110 000 francs par tonne. C’est dire que cette baisse, qui est à saluer, ne saurait être mise au crédit des efforts de l’Etat en termes de subventions ou de renonciation à des taxes.
Cette bonne nouvelle arrive dans un contexte de polémique persistante suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’état des finances publiques de 2019 à 2023. En effet, la mission du Fmi, qui était très attendue, est restée dans le diplomatiquement correct. Ceux qui attendaient, dans le communiqué final, les termes «validation», «confirmation» ou même leurs synonymes, ont vite déchanté, car le Ptf s’est juste contenté de «constater», de «revoir» ou de «corriger» les «graves lacunes dans le contrôle budgétaire et la reddition des comptes, soulignant l’urgence de mettre en œuvre des réformes structurelles. La mission (du Fmi) a cherché à mieux cerner l’ampleur des écarts et les insuffisances juridiques, institutionnelles et procédurales qui les ont rendus possibles. Les discussions ont également porté sur l’identification de mesures correctrices pour améliorer la transparence budgétaire, renforcer le contrôle des finances publiques et la récurrence de telles pratiques». Tout au plus, le Fmi s’attend à «des réformes audacieuses et crédibles» pour un «retour rapide à l’objectif de déficit budgétaire fixé par l’Uemoa», mais surtout «placer la dette publique sur une trajectoire durablement décroissante». Et dans ce sens, des «mesures prioritaires (qui) incluent la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées» sont attendues, pour ne pas dire exigées.
«Dites-nous comment vous avez fait pour nous berner»
Et devant la demande des nouvelles autorités pour un nouveau programme appuyé par le Fmi, celui-ci se dit être «prêt à accompagner le Sénégal» à condition de tirer «les enseignements de l’audit (de la Cour des comptes) (...) Les discussions sur un éventuel nouveau programme débuteront dès que des mesures correctrices auront été engagées pour remédier aux déclarations erronées, et peu après l’examen du dossier par le Conseil d’administration du Fmi». En langage moins diplomatique, le Fmi dit aux autorités : «Si vous dites que les comptes sont maquillés, dites-nous comment vous avez fait pour nous berner. Et apportez les corrections sur vos supposées falsifications avant toute nouvelle collaboration selon nos conditions, c’est-à-dire la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques coûteuses et non ciblées.» Donc le Fmi a indirectement rejeté les accusations de falsification de la dette et du déficit par Ousmane Sonko. Est-ce la raison pour laquelle Edward Gamayel et ses collègues ont été reçus par les plus hautes autorités, sauf le Premier ministre ? En tout cas, le communiqué du Fmi ne l’a pas cité parmi ceux qui ont eu des échanges avec son équipe. «Au cours de sa visite, l’équipe a rencontré Son Excellence M. Bassirou Diomaye Faye, président de la République, M. Ousmane Diagne, ministre de la Justice, M. Abdourahmane Sarr, ministre de l’Economie, du plan et de la coopération, M. Cheikh Diba, ministre des Finances et du budget, ainsi que plusieurs hauts responsables de l’Administration. L’équipe a également eu des échanges fructueux avec des représentants des syndicats, de la Société civile et des partenaires au développement.» C’était bien l’une des très rares fois depuis l’histoire de la coopération avec les institutions de Bretton Woods, que le chef du gouvernement n’a pas daigné recevoir une mission du Fonds, surtout dans un contexte aussi sensible !
La réputation ternie du Sénégal
Et suite à la mission du Fmi, Jeune Afrique informe que les eurobonds sénégalais échéant en 2048 ont enregistré une décote de 35% à la Bourse de Londres, avec des taux d’intérêt grimpant à près de 15%, un record historique pour le pays. Un taux presque usurier qui témoigne que le Sénégal poursuit inexorablement sa descente aux enfers dans les méandres de la finance internationale.
C’est vraiment dommage pour le Sénégal. Pourtant, ce pouvoir a hérité d’une situation extraordinairement favorable, marquée par une alternance démocratique largement saluée à l’échelle internationale. Il disposait ainsi d’un capital diplomatique exceptionnel qu’il aurait pu exploiter intelligemment pour «vendre» une nouvelle image du pays, renforcer sa visibilité sur la scène internationale et attirer davantage d’investissements et de partenariats stratégiques. Malheureusement, Pastef n’a pas su capitaliser sur ces atouts comparatifs pour impulser une dynamique positive à leur gouvernance. Ce manque de vision stratégique à l’international est d’autant plus regrettable que le contexte était propice à un repositionnement ambitieux du Sénégal dans le concert des nations.
En lieu et place de cela, ce pouvoir a préféré se lancer dans une entreprise de dénigrement du pouvoir sortant, qui a eu comme conséquence la réputation ternie du Sénégal. L’on a sorti cette histoire de «dette cachée» reprise par les médias internationaux (Rfi et France 24) qui ne se sont pas posé les questions essentielles : comment a-t-on pu cacher 7 milliards de dollars, soit près de 5 mille milliards de francs Cfa dont les créanciers existent ? Dont le remboursement est effectif ? Et dont les montants sont traçables dans des comptes à la disposition de tous les corps de contrôle ? Qui dit dette, dit débiteur et créancier. Donc qui sont ces créaciers qui ont bien voulu se cacher ?
Une dette «cachée» de 5000 milliards est en réalité bien traçable
En septembre dernier, dans notre chronique «Sonko n’aime pas le Sénégal», nous disions : «Ce gouvernement, à commencer par son chef, se doit d’être plus sérieux. Il ne faut pas mettre la politique politicienne trop en avant, au risque de nuire à la crédibilité du Sénégal, avec des répercussions immédiates sur la notation du pays et sur les taux d’intérêt.» Le temps semble nous donner raison car cette polémique montre que le 26 septembre 2024, quand Ousmane Sonko faisait face à la presse pour accuser le pouvoir sortant d’avoir menti sur les chiffres, il mettait sciemment en danger la souveraineté nationale, de par ses accusations sans fondements qui ont eu le don de ruiner la signature, le crédit et le prestige du Sénégal.
Le Fmi sait très bien que la dette supposée «cachée», qui s’élève à environ 5000 milliards, est en réalité bien traçable dans les livres du secteur parapublic, comme la Sar, Petrosen, le Port autonome de Dakar, à l’Aibd, à Air Sénégal ou à la Senelec, entre autres… Elle s’appelle la dette du secteur parapublic ou «quasi-dette de l’Etat» qui n’a servi que de garantie. D’ailleurs, cette dette n’est pas traçable au Trésor. Mais l’organisme semble profiter du jeu du Premier ministre pour mettre enfin la pression sur le régime et imposer son agenda avec ses conditions draconiennes. Le Sénégal se retrouve désormais à la merci du Fmi, avec des conséquences sociales graves pour les populations. Avec l’abaissement de la note souveraine, la suppression annoncée des subventions et l’ajustement structurel qui se profile à l’horizon, le Sénégal se retrouve dos au mur. Sa crédibilité et sa signature en prennent un sacré coup. Dénigrer Macky Sall et son régime en valait-il la peine ? «Moi, je ne suis pas sûr que les Chinois, les Américains, les Français, les Arabes, les Japonais ou les Russes dévoilent les vrais chiffres de leur économie. Ni qu’Orange ou Microsoft publient leurs chiffres réels. Comment un Premier ministre ou un chef d’Etat peut-il flinguer la crédibilité de son propre pays sur la scène internationale juste pour régler des comptes politiques ? On s’est tiré une balle dans le pied ! Je ne comprends pas. Partout dans le monde, les dirigeants se battent pour rendre leur pays attractif. Si le Premier ministre avait dit : «on revient à l’orthodoxie financière», personne n’aurait été contre, mais il faut des actes concrets derrière. Or, qu’a-t-on fait ? Flinguer notre économie pour mettre Macky Sall et ses proches en prison, c’est léger comme motif. Quand tu discrédites la parole publique et l’Administration, tu te sabordes toi-même», dira Fadel Barro dans une interview à Seneweb. Ou veut-on masquer son incompétence et son immobilisme en cherchant des prétextes avec ce rapport ?
Les deux objectifs ratés de Sonko
Ousmane Sonko, en annonçant des comptes falsifiés, avait deux objectifs : dans le court terme, salir le régime de Macky Sall pour des gains électoraux, et ensuite, sur le long terme, s’attirer les bonnes grâces du Fmi là où l’ancien régime croisait le fer avec l’organisme pour maintenir les subventions. Echec et mat ! Le Sénégal continue d’emprunter à des taux très élevés et sur des délais très courts. Ce 25 mars, nous avons encore emprunté 250 milliards sur le marché de l’Uemoa. Pire, à l’issue de sa mission, le Fmi n’a pas lâché du lest et continue de geler sa coopération avec le Sénégal, sous réserve que le gouvernement prouve qu’il y a bien eu manipulation et maquillage, et qu’il signe le mémorandum officiel de l’arrêt des subventions. Et une Loi de finances rectificative se profile pour mieux serrer la vis sur les dépenses sociales. Le Sénégal sera obligé de supprimer les subventions et voir les prix de l’électricité, du carburant, du gaz butane et des denrées de première nécessité monter en flèche.
Des temps difficiles s’annoncent pour ce pays. Ousmane Sonko est tombé dans le piège par inexpérience et par volonté de nuire coûte que coûte à l’ancien régime, même s’il devait passer par abaisser la note souveraine du pays et fragiliser sa signature. Il a en partie réussi, car après un an de gouvernance du duo Diomaye-Sonko, pas un seul projet d’envergure n’a été lancé.
Les entreprises ferment et le pouvoir d’achat des ménages a littéralement fondu. Ce qui est paradoxal par contre, c’est de vouloir s’approprier les réalisations du pouvoir sortant tout en vouant aux gémonies les ex-dirigeants. L’horloge, elle, continue de tourner, et dans trois ans, ce pouvoir fera face au Peuple, seul juge de ses actions. Sonko sourit certainement des «ruines» qu’il a causées, et le Sénégal pleure. Sonko n’est vraiment pas le pendant africain de Mahatir Mohamed.
PAR CHEIKH TIDIANE MBAYE
LES MOTS QUI BLESSENT, QUAND LA PRESSION SOCIALE FRAGILISE LES INDIVIDUS
"Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.
Introduction : des paroles en apparence anodines, mais profondément blessantes
Dans notre société sénégalaise, certaines questions ou remarques sont souvent posées sans mauvaise intention, mais elles peuvent être une source de souffrance pour ceux qui les reçoivent : "Pourquoi tu n'es pas encore marié ?, Pourquoi n'as tu pas encore d'enfant ? Pourquoi es tu toujours au chômage ? - autant de questions qui traduisent une pression sociale parfois insoutenable.
Ces paroles, répétées à longueur de journée, s'inscrivent dans une dynamique où l'individu est constamment évalué par la société. Ce phénomène est renforcé par des facteurs culturels, économiques et psychologiques qui méritent une analyse approfondie.
1. Les normes sociales et la pression du regard des autres
- la métaphore théâtrale de Goffman : jouer un rôle sous le regard des autres
Le sociologue Erving Goffman compare la vie sociale à une scène de théâtre où chaque individu joue un rôle en fonction des attentes de la société.
Au Sénégal, ces rôles sont souvent prédéfinis : se marier, avoir des enfants, obtenir un emploi stable. Toute deviation de ce script est perçue comme une mauvaise performance, entraînant des jugements sociaux et des remarques intrusives.
. La théorie de la déviance de Becker : être étiqueté par la société
Selon Howard Becker, la déviance n'est pas une caractéristique intrinsèque d'un individu, mais résulte d'un étiquetage social. Ainsi, une personne célibataire ou sans enfants au-delà d'un certain âge peut être considéré comme "anormale" ou malchanceuse, renforçant la stigmatisation et la pression sociale.
. Les blessures invisibles : quand les mots deviennent des coups
. Le cas de Matar Diagne : un drame causé par la pression sociale.
Matar Diagne, étudiant à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis ( UGB ), s'est suicidé récemment après avoir été victime de jugements négatifs sur sa maladie et son comportement solitaire.
Avant son geste tragique, il a laissé un texte posthume dénonçant cette attitude hypercorrective qui pousse de nombreuses personnes à se conformer sous la pression du regard social, parfois au détriment de leur bien-être mental. Son cas illustre le poids des attentes sociales et la difficulté qu'ont certaines personnes à trouver leur place dans une société où la différence est souvent mal perçue.
. La vidéo de Fatel : un témoignage sur la pression autour de la parentalité
Fatel, épouse du célèbre rappeur Ngaka Blinde, a récemment partagé une vidéo dans laquelle elle évoque les remarques incessantes du public sur leur absence d'enfant après plusieurs années de mariage. Malgré la naissance récente de leur enfant, le couple a dû faire face à des jugements intrusifs et blessants, révélant ainsi une réalité que vivent de nombreux couples au Sénégal.
Cette situation montre à quel point la parentalité est perçue comme une obligation sociale et non comme un choix personnel, ce qui renforce la pression exercée sur les individus.
. "Les top cas" et le tribunal médiatique
Dans la culture numérique actuelle, des figures comme Adomo et d'autres influenceurs ont transformé les lives "top cas" en tribunal médiatique où la vie privée des gens est exposée et jugée en direct. Ces émissions amplifient la stigmatisation et participent à la construction d'un climat de surveillance sociale, où tout écart par rapport aux normes est scruté et commenté publiquement.
3. La dimension économique et culturelle : pauvreté, oisiveté et pression sociale
. La pauvreté, un terrain fertile pour les tensions sociales
Le manque de ressources économiques ne se limite pas à la précarité matérielle, il engendre aussi des tensions sociales et psychologiques. Jalousie, haine, calomnie, jugements des autres, méchanceté, rancune... sont autant de comportements qui peuvent être exacerbés par la frustration liée à la pauvreté. Dans un contexte où les opportunités sont limitées, certains reportent leur mal-être sur leur entourage, en critiquant ceux qui semblent réussir ou qui s'écartent des normes établies.
. L'oisiveté et l'obsession de la vie des autres
L'absence d'emploi ou d'occupation constructive laisse un vide que beaucoup remplissent en s'intéressant excessivement aux affaires des autres. Les discussions de quartier, les groupes Whatsapp et les émissions en direct sur les réseaux sociaux deviennent des espaces de commérages et de jugement collectif, où chacun donne son avis sur la vie des autres sans se soucier des répercussions psychologiques.
. La culture orale qui amplifie la surveillance sociale
Dans une société où l'oralité occupe une place centrale, les récits et commentaires circulent rapidement. Contrairement aux sociétés plus individualistes, où la discrétion et la vie privée sont valorisées, au Sénégal, les choix de vie sont un sujet collectif de débat permanent, ce qui renforce la pression sociale.
4. La nécessité d'une réponse institutionnelle et communautaire.
. Créer des espaces d'écoute bienveillante
Face au nombre croissant de personnes souffrant en silence, il est urgent de mettre en place des espaces d'écoute bienveillante à travers le Sénégal. Ces structures, animées par des professionnels ( psychologues, sociologues, travailleurs sociaux ) et des volontaires formés, pourraient offrir un cadre où les individus en détresse peuvent parler sans crainte du jugement.
. Le manque de psychologues et l'absence de culture de la consultation
Au Sénégal, le nombre de psychologues est insuffisant pour répondre aux besoins de la population. De plus, consulter un psycjologue est souvent perçu comme un aveu de faiblesse ou une maladie mentale grave. Il est essentiel de changer cette perception en intégrant progressivement la culture du suivi psychologique dans la société sénégalaise.
. Encourager les initiatives locales pour lutter contre l'oisiveté
. Créer des activités communautaires, des espaces de formation et d'emplois temporaires pourrait réduire l'oisiveté et donner aux jeunes, en particulier, un cadre plus constructif que les discussions stériles sur la vie des autres.
Conclusion : vers une culture de respect et de l'empathie
Les paroles ont un poids. Une simple question peut parfois être un fardeau pour celui qui là reçoit. Dans une société où les attentes sociales sont très marquées, il est primordial de repenser notre manière de communiquer et d'intégrer plus d'empathie dans nos interactions quotidiennes.
. Encourager une culture du respect des parcours individuels et du vivre ensemble sans pression sociale est un défi collectif. Chacun, à son niveau, peut y contribuer en veillant à la portée de ses paroles et en cultivant l'écoute bienveillante.
PAR SIDY DIOP
ET SI ON SE PAYAIT LE LUXE DU SILENCE ?
"Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle."
Lors de ses rares sorties, le khalife général des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, conseille toujours le silence. Il ne crie pas, il ne gesticule pas, il ne lance pas son message dans une tirade enflammée sur un plateau télé. Non, il recommande simplement le silence. Et dans un pays où tout le monde parle en même temps, où chacun coupe la parole à l’autre avant même qu’il ait fini sa phrase, où il faut hausser le ton pour exister, ce conseil a quelque chose de révolutionnaire. Mais qui l’entendra ? Le Sénégal bruisse de paroles inutiles.
Dès l’aube, le premier boubou froissé dans la rue s’accompagne d’un flot de commentaires. À la maison, la télévision crache des débats où les chroniqueurs s’étripent à coups de certitudes. Les radios matinales prennent le relais, et voilà que des animateurs s’époumonent sur l’actualité comme si leur vie en dépendait. Dans les transports, le chauffeur de car rapide a son mot à dire sur la politique du pays, le marchand ambulant aussi, et bien sûr, son client ne peut pas laisser passer ça sans répliquer. Sur WhatsApp, dans les groupes de famille, dans les groupes d’amis, chacun balance son analyse – souvent erronée – comme un expert auto-proclamé. Et puis il y a les réseaux sociaux, ce grand défouloir, où celui qui crie le plus fort pense avoir raison par défaut.
Dans cet océan de bavardages, le silence est perçu comme une faiblesse. Celui qui se tait passe pour un ignorant, un timide ou, pire, un lâche. Ne rien dire, c’est risquer d’être effacé, de disparaître. Alors tout le monde parle. Mieux : tout le monde crie. Il ne s’agit plus de convaincre mais d’écraser l’autre sous un flot de paroles. Peu importe si elles sont vides. Pourtant, ceux qui savent parlent peu. C’est une constante. Le professeur Cheikh Anta Diop, lorsqu’il s’exprimait, pesait chaque mot comme s’il engageait sa vie. On l’écoutait religieusement. Aujourd’hui, l’effet est inverse : plus un individu parle, moins on l’écoute. Parce que tout le monde parle en même temps. Parce que la parole s’est dévaluée à force d’être galvaudée. Victor Hugo, ce bavard de génie, écrivait que « au commencement était le verbe ». C’est vrai. Mais le verbe est aussi source de malheurs. Une parole de trop et une amitié vole en éclats. Une déclaration malheureuse et une nation s’embrase. Des propos inconsidérés et des carrières s’effondrent. Les hommes politiques en savent quelque chose : à force de trop parler, ils finissent toujours par se trahir. Mais l’excès de parole ne nuit pas qu’aux puissants.
Il abîme les liens du quotidien. Une parole mal placée, un mot plus haut que l’autre, et voilà deux voisins qui se tournent le dos pour le reste de leur vie. Un message mal interprété, une phrase sortie de son contexte, et c’est une famille qui se déchire. L’époque est à la susceptibilité exacerbée, et dans un monde où chacun a son mot à dire, personne ne veut faire l’effort de comprendre l’autre. Serigne Babacar Sy Mansour a raison. Il faut réapprendre à se taire. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire (c’est le cas de le dire). Se taire demande un effort. Cela suppose d’écouter, d’accepter que l’autre ait quelque chose à dire. Or, dans une société où chacun se considère comme le centre du monde, l’écoute est une vertu en voie de disparition. Le silence, pourtant, est un luxe. Il permet de réfléchir avant de parler, de ne pas gaspiller sa parole comme une monnaie de singe. Il donne du poids à ce qui est dit. Un silence bien placé peut avoir plus d’effet qu’un discours de deux heures.
C’est d’ailleurs une arme redoutable. Un homme politique qui se tait quand on attend de lui une réaction fait trembler plus d’un adversaire. Un chef d’entreprise qui garde le silence au lieu de répondre à une rumeur lui donne une importance qu’aucun démenti n’aurait pu lui conférer. Mais le silence ne sert pas qu’à impressionner. Il protège. Il empêche de dire une bêtise qui nous suivra toute une vie. Il permet d’éviter des conflits inutiles. Il épargne à l’esprit les agressions sonores incessantes du monde moderne. Bien sûr, tout le monde ne peut pas se taire. Mais entre le silence absolu et le vacarme permanent, il y a un juste milieu. Il y a la parole réfléchie, la parole pesée, la parole rare et précieuse. En attendant, le bruit continue. Les voix s’entrechoquent, les débats s’enveniment, la cacophonie règne. Et, dans ce grand fracas, la vérité, elle, se tait.
PAR Mamadou Diop Decroix
RÉFLEXION ET PROPOSITIONS SUR LA CRISE DU DÉBAT PUBLIC AU SÉNÉGAL
L'État doit jouer un rôle central par ses régulations et son exemplarité, mais la solution pérenne nécessite l'engagement coordonné des médias, des leaders politiques, de la société civile et des plateformes numériques autour d'une charte commune
Le processus de délitement du débat public (injures, diffamations, diffusion de fausses nouvelles, manipulation…) se poursuit et s’approfondit. Chacun a sa petite idée là-dessus mais beaucoup attendent qu’une solution nous tombe du ciel, ce qui ne sera jamais le cas. L’Etat, premier concerné, ne peut détourner le regard et doit s’en occuper mais l’éradication du phénomène ne peut être exclusivement qu’étatique. En tant que phénomène social, son éradication à terme ne passera que par de nouvelles mutations sociales à impulser. Nous avons en effet une société qui change à une vitesse accélérée.
L’urbanisation rapide, l’explosion médiatique et les réseaux sociaux, articulés à la faiblesse de notre présence, en termes de contenus, dans la mondialisation des références culturelles, entraînent une recomposition des normes sociales avec un affaiblissement de nos propres valeurs traditionnelles de respect et de retenue. Sur ce terreau fertile vient se greffer un processus insidieux de politisation outrancière des identités.
La société sénégalaise était et reste réputée pour sa stabilité et sa relative harmonie dues à des mécanismes intrinsèques très forts comme le brassage naturel des différentes communautés par les mariages, le cousinage à plaisanterie, etc. Cependant, aujourd’hui, les discours de haine nous préoccupent et nous inquiètent. Si nous en recherchons les fondements on les retrouvera pour l’essentiel dans la frustration sociale et économique. En effet, une partie de cette violence verbale peut être vue comme le symptôme d’une frustration généralisée, notamment chez la jeunesse. Le chômage, les inégalités sociales croissantes et le sentiment d’un avenir incertain peuvent provoquer une radicalisation du langage et une polarisation du débat.
Frantz Fanon, dans Les Damnés de la Terre avait déjà expliqué comment les frustrations économiques et sociales pouvaient se traduire par des formes de violence, y compris verbale. D’autres grands penseurs antérieurs ou postérieurs à Fanon sont parvenus à la même conclusion. Il s’y ajoute que les réseaux sociaux sont venus transformer la manière dont les débats se déroulent. Les discours y sont plus directs avec la possibilité de l’exprimer de façon anonyme ce qui libère les propos les plus extrêmes et les plus violents.
Tout ceci se déploie dans le contexte d’une crise du modèle traditionnel de régulation sociale. Les instances de légitimation (figures d’autorité) ont décroché du débat public depuis un certain temps ce qui peut aussi expliquer cette montée des tensions verbales. Le phénomène est donc transversal : crise économique, prégnance des réseaux sociaux, mutation des valeurs culturelles et recomposition des rapports politiques. La solution devrait donc être recherchée à travers un ensemble d’actions combinées. Une régulation plus stricte des médias pourrait aider sans qu’il ne s’agisse d’enfreindre la liberté d’expression.
Par exemple édicter des règles de modération plus rigoureuses sur les discours haineux et les insultes dans l’espace public. Dans la formation des journalistes prêter davantage attention à une éthique du débat et promouvoir des plateformes médiatiques plus équilibrées. Sensibiliser les jeunes aux dangers des fake news et de la manipulation politique. Le kersa, le weg mag ak wegante, etc. devraient être à nouveau promus. Il ne s’agit pas d’un retour nostalgique au passé, mais d’une actualisation de ces valeurs dans le contexte actuel en redonnant aux anciens et aux instances de légitimation un rôle plus actif dans l’éducation civique dès le plus jeune âge. La mise en place d’espaces de dialogue intergénérationnels pourrait également contribuer à éliminer l’antagonisme artificiel introduit par la notion d’alternance générationnelle. En Afrique c’est plutôt la convergence générationnelle qu’il nous faut cultiver où les jeunes peuvent apprendre des codes de respect et de tolérance sans se sentir étouffés .
S’agissant du discours politique, nous devons le refonder sur des bases plus saines. Une bonne partie du problème vient du fait que le discours politique au Sénégal (comme ailleurs) est devenu plus agressif et polarisant. Si les citoyens ont le sentiment que leurs idées comptent, ils seront moins enclins à exprimer leur frustration par la violence verbale. Au-delà des médias et de la politique, il faut repenser la manière dont les Sénégalais interagissent dans l’espace public.
L’État est au centre de cette transformation, car c’est lui qui a les moyens d’impulser les changements nécessaires, que ce soit par la réglementation des médias, la réforme de l’éducation, la promotion d’un discours politique plus sain ou la création d’espaces de dialogue inclusifs. Au fond, cette crise à laquelle nous sommes confrontés ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier. Elle a accompagné la faillite de l’état néocolonial dont la vacuité idéologique, politique et sociale ne pouvait produire mieux. Sa vocation et ses ambitions ne portaient pas sur l’équilibre et l’harmonie d’une société où règnent la justice, l’unité et la cohésion. L’exemplarité des institutions et des responsables politiques qui les incarnent sera un aspect important au sens de l’influence positive que cela exerce sur le reste de la société.
Mais aux côtés de l’État doivent aussi se tenir les organisations citoyennes. Il faut une approche participative et inclusive pour la co-construction d’une stratégie d’éradication de cette crise du débat public. Les professionnels de l’Information et de la Communication (pour fixer des règles éthiques dans les débats), les leaders politiques (pour les responsabiliser sur leurs langage et comportements), la Société civile, etc. Il reste cependant entendu que tous ces compartiments et secteurs de notre pays sont confrontés, chacun en son sein, à une exigence d’auto-remise en cause et d’auto ajustement. Cela pourrait déboucher sur une charte commune qui engagerait tous les acteurs.
Les campagnes publiques et travailler avec les plateformes comme Facebook, Twitter, YouTube… (si ce n’est pas déjà en cours) pourraient constituer un puissant levier dans la lutte. En espérant que l’Afrique finira par acquérir son autonomie dans ce domaine digital (Intelligence artificielle) comme d’autres grandes puissances.
par Seydou Barham Diouf et Ahmeth Fall Thioune
ABDOURAHMANE THIAM, BÂTISSEUR DE L’AUTONOMIE
EXCUSIF SENEPLUS - Doté d'une vision audacieuse et d'une passion indéfectible pour l'enseignement et la recherche, il a su guider le département de sciences politiques de l'Ucad avec une sagesse et une détermination exemplaires
Seydou Barham Diouf et Ahmeth Fall Thioune |
Publication 28/03/2025
Dans le paysage académique des sciences politiques, certaines personnalités se démarquent non seulement par leur savoir, mais surtout par leur capacité à inspirer et à transformer. Le Professeur Abdourahmane Thiam incarne cette rare combinaison de qualités qui définit un véritable leader. Doté d'une vision audacieuse et d'une passion indéfectible pour l'enseignement et la recherche, il a su guider le département de sciences politiques de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar avec une sagesse et une détermination exemplaires.
Sa pédagogie innovante, associée à une écoute attentive des préoccupations des étudiants, a créé un climat académique propice à l'épanouissement intellectuel. Le Professeur Thiam se distingue également par sa capacité à établir des liens solides entre théorie et pratique, encourageant les étudiants à se confronter aux réalités du monde contemporain. Sa rigueur académique est accompagnée d'une empathie profonde, ce qui lui permet d'être non seulement un enseignant respecté, mais aussi un mentor engagé pour les étudiants du département.
Par-delà les murs académiques,
L’histoire des institutions académiques est souvent marquée par des figures qui, par leur engagement, leur vision et leur détermination, façonnent leur devenir. Le département de Sciences Politiques de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a connu, au cours des dernières années, une transformation remarquable sous la direction du Professeur Abdourahmane Thiam. «L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde », disait Nelson Mandela. Cette maxime résume bien à elle seule son impact sur des générations d’étudiants au sein de ce département. Elu en 2020, à un moment charnière où le département de sciences politiques venait juste d’acquérir son autonomie, il a su, en quelques années seulement, poser les bases d’une structure académique solide et pérenne.
Pour la consolidation d’une autonomie affirmée !
L’autonomisation du Département de Sciences Politiques par rapport à celui des Sciences Juridiques n’était pas une simple réorganisation administrative. Il s’agissait d’un processus complexe, impliquant des défis structurels, académiques et organisationnels. Un département nouvellement autonome doit se doter de sa propre gouvernance, structurer son offre pédagogique, renforcer son corps professoral et créer des espaces d’échange et d’apprentissage adaptés aux besoins des étudiants.
Tel un architecte minutieux, le Professeur Thiam a su poser les pierres angulaires d’une institution en quête d’indépendance. Sous son magistère, le Département a connu une métamorphose sans précédent. En cinq ans seulement, le nombre d’étudiants s’est vu exploser. Là où on comptait des centaines d’étudiants pour tout le département, on en compte aujourd’hui des milliers. N’est-ce pas là un véritable signe éclatant de l’aspiration collective vers l'excellence et la pertinence d’une discipline en parfaite évolution dans un univers où elle est presque méconnue.
S’inspirant des grands penseurs tels que Pierre Bourdieu, qui affirmait que « chaque institution est une œuvre collective », le Professeur Thiam a su mobiliser l’intelligence collective. Son engagement envers le développement des ressources humaines a été notable. Le recrutement de plusieurs professeurs assistants a enrichi l'équipe pédagogique, permettant une diversité de perspectives et un renforcement des compétences académiques. Chaque nouveau membre de cette équipe a contribué à cette symphonie d'idées, insufflant ainsi un nouvel élan propice à l’épanouissement intellectuel au département.
Vers une effervescence intellectuelle !
« La plus grande réussite d'un leader est de créer un avenir qui perdure au-delà de lui », disait Nelson Mandela. Le Professeur Abdourahmane Thiam a incarné cet idéal avec une détermination exemplaire. Son mandat n'a pas seulement été marqué par une gestion administrative, mais par une véritable vision stratégique pour le département de science politique, une vision qui non seulement a transformé le paysage académique, mais a également posé les bases d'un avenir prometteur pour les générations futures.
Sous l'impulsion du Professeur Thiam, chaque maquette de cours, de la licence 1 au Master 2, a été rigoureusement révisée et enrichie, reflétant l'évolution des sciences politiques et les enjeux contemporains. De nouveaux programmes de Master ont été conçus avec une attention particulière, visant à offrir des parcours diversifiés et adaptés aux besoins du marché du travail. Et le nombre de mémoires soutenus au cours de ce mandat a considérablement augmenté. Cela témoigne d'une dynamique de recherche revitalisée au sein du département. Cette évolution n'est pas anecdotique ; elle marque un tournant décisif dans la culture de production de savoir.
Cette effervescence intellectuelle a ouvert de nouvelles voies pour la réflexion critique. Le département ne se contente pas de former des étudiants passifs ; il engendre des penseurs, des innovateurs, des dirigeants qui sont prêts à relever les défis d'une société en pleine mutation. En cultivant un esprit d'analyse et d'évaluation critique, le département, à sa tête le Professeur THIAM, a su préparer ses étudiants à devenir des acteurs éclairés, capables de naviguer dans un monde complexe et interconnecté.
Et la mémoire du chapiteau…
Debout devant le parking de la faculté depuis 2020, le chapiteau n’a accueilli d’étudiants que pendant une courte durée avant d’être réduit en cendres lors des douloureux évènements de juin 2023. Un coup dur ! Mais un jalon marquant le mandat du Professeur Thiam a été la reconstruction du chapiteau en si peu de temps. Grâce à son leadership éclairé, cet espace de vie et d’échanges d’idées est aujourd’hui complètement réhabilité et pourra accueillir encore des étudiants à la prochaine rentrée. Quel bonheur de se retrouver sous le toit de ce bâtiment, symbole de résilience et d’une détermination collective à transcender les défis.
Jokanjaal Professeur !
Diriger, c’est anticiper, orienter et bâtir. Mais diriger un département naissant, c’est aussi poser les fondations d’une institution, tracer des sillons durables et affronter l’incertitude avec détermination. Le Professeur Abdourahmane Thiam l’a fait durant tout son mandat, avec engagement et rigueur, en tant que chef du Département de Science Politique de la FSJP de l’Ucad. Aujourd’hui, alors qu’il passe le flambeau au Professeur Boubacar Kante, il laisse derrière lui un département totalement métamorphosé, avec des réalisations, visibles et palpables, qui ne sont que la face émergée de l’iceberg. Derrière elles, il y a eu des heures de travail, des négociations, des combats parfois silencieux pour faire avancer le département et lui donner sa pleine autonomie.
Une nouvelle page s’ouvre aujourd’hui avec l’arrivée du Professeur Boubacar Kanté à la tête du département, il est alors essentiel pour nous, étudiants de ce coin de la fac, de rendre hommage à celui qui a posé les jalons de cette ascension. Jokanjaal, Professeur Abdourahmane Thiam ! Merci pour votre engagement, votre dévouement et votre vision. Soyez assuré que votre contribution à ce département reste gravée en lettres d’or dans l’histoire de la faculté des sciences juridiques et politiques de l'Ucad.
Les auteurs sont étudiants en deuxième année de Master en Science Politique à l’Ucad.
PAR MOUSSA DIOP
DÉBUT 90, LA PARENTHÈSE ENCHANTÉE
Au gré des méandres tracés par les algorithmes et de l’effet de consanguinité des réseaux sociaux, un extrait vidéo réunissant Omar Pène, Daro Mbaye, Youssou Ndour, Ismaël Lô et Demba Dia a ramené à la surface un flot de souvenirs.
Au gré des méandres tracés par les algorithmes et de l’effet de consanguinité des réseaux sociaux, un extrait vidéo réunissant Omar Pène, Daro Mbaye, Youssou Ndour, Ismaël Lô et Demba Dia a ramené à la surface un flot de souvenirs. Il a replongé le frêle adolescent que j’étais – oui, oui, je n’ai pas toujours été dodu et ventru – dans les premières années 90.
Une époque d’insouciance, de liberté et de rêves. « Hello Kevin, Kevin from London, Kevin my brother », fredonne Omar Pène de sa voix unique, dans un studio de la Rts, en ce jour de mai 1991 qui restera gravé dans l’histoire musicale du Sénégal. Ce jour-là, les figures emblématiques de la musique sénégalaise étaient réunies autour de lui, invité principal de « Boulevard en musique », une émission culte des années 90 animée par Khalil Guèye. Journaliste à la stature imposante, Khalil Guèye était une figure incontournable du paysage audiovisuel sénégalais, fort d’un Cv impressionnant qui comptait Cbs, Cnn, Voa et Bbc. Cette émission était le reflet d’une période particulière. Celle d’une renaissance, d’un vent nouveau soufflant sur la scène musicale.
En 1989, l’éclatement du Super Diamono était officialisé : Ismaël Lô prenait son envol en solo, tandis que les frères Adama et Lamine Faye quittaient le groupe pour produire des artistes comme Coumba Gawlo, Kiné Lam, Moussa Ngom ou encore Mapenda Seck. De son côté, Omar Pène, en compagnie du bassiste Bob Sène et de Lappa Diagne, survivant du groupe dissous, amorçait un retour en force avec le Super Diamono New Look. Khalil Guèye revenait alors de France après le tournage du film « Toubab Bi » dans lequel il jouait le rôle de Prince. Il avait sécurisé un studio avec la Rts, mais il manquait encore une bonne sonorisation. C’est là qu’intervint Demba Dia, lui aussi fraîchement rentré du pays de Marianne, qui mettait à disposition l’une des meilleures logistiques de concert au Sénégal. Parmi les invités, Youssou Ndour poursuivait son ouverture vers l’Amérique. Il adoptait un look inspiré du réalisateur new-yorkais Spike Lee : veste ample sur un polo à capuche, posé sur un jean bleu délavé. Le tout orné d’une casquette sans encore le X.
« Boulevard en musique » a joué un rôle clé dans la relance de la carrière d’Omar Pène. Quelques semaines après son passage dans l’émission, il sortait son premier album avec sa nouvelle formation, « Passeport spécial vacances », durant l’hivernage 1991, suivi de « Ndam le Paysan ». Dès lors, il était lancé et adoptait définitivement la signature Omar Pène et le Super Diamono, (exit le New Look) suivant ainsi la voie tracée par Youssou Ndour et Baaba Maal. L’auteur de « Supporter » nourrissait, comme beaucoup de Sénégalais, de grandes espérances pour la Coupe d’Afrique des Nations, que le Sénégal accueillait du 12 au 26 janvier 1992. Mais le rêve tourna court : une élimination décevante face au Cameroun (0-1) en quart de finale, le 19 janvier, marqua brutalement la fin de cette parenthèse enchantée. Le pays bascula alors dans une période plus sombre. Les tensions politiques montèrent avec l’élection présidentielle de 1993, marquée par la victoire contestée d’Abdou Diouf face à Abdoulaye Wade.
Le meurtre de Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993, scella une année que l’histoire retiendra comme une Annus horribilis. L’année suivante ne débuta pas sous de meilleurs auspices. Le 12 janvier 1994, la dévaluation du franc CFA de 50 % frappa de plein fouet l’économie sénégalaise, aggravant encore le climat social et politique. Le président Abdou Diouf, longtemps perçu comme un technocrate effacé dans l’ombre de Senghor, s’affirmait de plus en plus. Il imposait son style, « une main de fer dans un gant de velours », selon les mots mêmes de son prédécesseur. Pourtant, les années 90 s’enfonçaient dans la morosité, entre crises économiques et tensions politiques, malgré des tentatives de redressement du plan Sakho-Loum.
L’an 2000 apparaissait alors comme un horizon lointain, un espoir de renouveau. Lors d’une rencontre à Paris, Abdou Diouf confia à Khalil Guèye combien « Boulevard en musique » avait été une bouffée d’air dans cette période tourmentée. Les services de renseignement considéraient ces quatre heures de direct comme une véritable soupape, un moment de répit pour un pays en quête d’apaisement. À l’heure du numérique, des tendances éphémères et du culte de l’instantané, se retourner sur cette époque, c’est comme figer le temps dans une photographie. Saisir un regard, un frisson, une émotion. Retrouver, l’espace d’un instant, une vie qui semblait éternelle.