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1 mai 2025
Société
POUR QUE LE TATA DE CHASSELAY DEVIENNE SANCTUAIRE NATIONAL
Pascal Blanchard, Julien Fargettas, Achille Mbembe et Erik Orsenna estiment que la profanation de cette nécropole rappelle le sacrifice des tirailleurs morts pour la France. Ce site sacré abrite leurs corps, dont 48 tués par les Allemands en 1940
(SenePlus) - Dans une tribune poignante publiée dans Le Monde, quatre éminents intellectuels - Pascal Blanchard et Julien Fargettas, historiens, Achille Mbembe, historien et politologue, et Erik Orsenna, écrivain - élèvent leurs voix pour transformer un acte de profanation odieux en une opportunité de réaffirmation mémorielle nationale.
L'événement qui déclenche leur intervention est la dégradation du tata sénégalais de Chasselay, dans le Rhône, un lieu de mémoire unique en France. Le texte rapporte des actes d'une violence symbolique extrême : souillure de 48 stèles sur 198, maculage de peinture noire sur l'ocre rouge caractéristique du site, inscriptions offensantes et vol du drapeau national. Mais au-delà de la condamnation de ces actes, les auteurs développent une réflexion approfondie sur la signification historique et contemporaine de ce lieu sacré.
Le tata, expliquent-ils, n'est pas une simple nécropole nationale. C'est un témoignage vivant d'une tragédie historique : l'exécution raciste de 48 soldats africains par les troupes allemandes le 20 juin 1940. Les auteurs rappellent que ces hommes avaient choisi de poursuivre le combat alors même que Pétain capitulait. La découverte en 2019 de photographies prises par un soldat allemand, retrouvées par le collectionneur Baptiste Garin, a permis de documenter précisément cette tragédie, renforçant encore la valeur testimoniale du site.
Les signataires de la tribune développent une analyse éclairante de la dimension symbolique du tata. Conçu par Jean-Baptiste Marchiani comme une "enceinte de terre sacrée", ce lieu devait servir de trait d'union entre la France et l'Afrique. Plus qu'un simple cimetière militaire, il incarne la reconnaissance perpétuelle de la nation envers tous ses enfants, quelle que soit leur origine. Cette dimension prend une résonance particulière dans le contexte actuel de distension des liens entre la France et l'Afrique.
Les auteurs établissent un parallèle saisissant entre les profanateurs d'aujourd'hui et les bourreaux de 1940. En s'acharnant sur les noms des "inconnus" inhumés dans la nécropole, les vandales reproduisent, consciemment ou non, la volonté nazie d'effacer l'identité et l'humanité de ces combattants. Cette mise en perspective historique donne à leur plaidoyer une force particulière.
Face à cette situation, les intellectuels proposent une réponse ambitieuse : faire du tata sénégalais de Chasselay un haut lieu de la mémoire nationale en France. Ils soulignent le rôle éducatif crucial du site, déjà visité chaque année par des centaines d'élèves qui y découvrent cette page tragique de notre histoire commune. Cette mission pédagogique représente, selon eux, la meilleure réponse à la haine et à l'ignorance.
Leur tribune se conclut par un appel solennel au président de la République Emmanuel Macron, l'invitant à venir prononcer un grand discours à Chasselay. Cette visite présidentielle symboliserait, selon eux, l'engagement de la République française contre le racisme et sa reconnaissance envers ces héros venus d'Afrique. À travers cet appel, les auteurs cherchent à transformer un acte de haine en une opportunité de réaffirmer les valeurs fondamentales de la République et de renforcer les liens historiques entre la France et l'Afrique.
LE PUTSCH NUMÉRIQUE D'ELON MUSK
L'historien Timothy Snyder révèle comment le milliardaire orchestre un coup d'État d'un genre nouveau. Armés de simples clés USB, ses hommes s'infiltrent dans les administrations pour prendre le contrôle des systèmes informatiques gouvernementaux
(SenePlus) - Dans un texte publié le 5 février 2025, l'historien Timothy Snyder tire la sonnette d'alarme sur ce qu'il qualifie sans détour de coup d'État en cours aux États-Unis. Un putsch d'un genre nouveau, qui ne s'appuie pas sur la force militaire traditionnelle, mais sur le contrôle des systèmes informatiques gouvernementaux.
Oubliez les images traditionnelles du coup d'État, nous dit Snyder. Plus besoin de "Cybertrucks Tesla camouflés avec un X géant sur le toit" ni de "jeunes hommes en costumes Devil's Champion rouge et noir faisant des saluts nazis". Dans le monde numérique du XXIe siècle, la prise de pouvoir s'effectue différemment : quelques dizaines d'hommes en civil, armés de simples clés USB, s'introduisent dans les bureaux gouvernementaux en utilisant "un jargon technique et de vagues références à des ordres venus d'en haut".
L'objectif est clair : prendre le contrôle des systèmes informatiques fédéraux pour donner à leur "leader suprême" - en l'occurrence Elon Musk - "l'accès aux informations et le pouvoir de démarrer et d'arrêter tous les paiements gouvernementaux". Une stratégie qui, selon l'historien, est déjà en cours d'exécution.
"Au cours de la troisième décennie du XXIe siècle, le pouvoir est plus numérique que physique", explique Snyder. Les bâtiments et les fonctionnaires ne sont plus que les gardiens des systèmes informatiques qui font fonctionner l'État démocratique. En prenant le contrôle de ces systèmes, Musk et ses partisans mènent ce que l'historien qualifie sans ambiguïté de coup d'État, "car les individus qui s'emparent du pouvoir n'y ont aucun droit".
"Elon Musk n'a été élu à aucun poste et il n'existe aucun poste qui lui donnerait l'autorité de faire ce qu'il fait. Tout cela est illégal", souligne Snyder. Les conséquences sont potentiellement dévastatrices : en accédant aux données personnelles des citoyens, Musk "a piétiné toute notion de vie privée et de dignité", ouvrant la porte au chantage et à d'autres crimes.
Plus inquiétant encore, le contrôle des paiements du Trésor américain par Musk rendrait "la démocratie sans signification". Comme l'explique Snyder : "Nous votons pour des représentants au Congrès, qui adoptent des lois déterminant comment notre argent est dépensé. Si Musk a le pouvoir d'arrêter ce processus au niveau du paiement, il peut rendre les lois insignifiantes."
Cette prise de contrôle numérique affecterait tous les élus, républicains comme démocrates. Même le président Trump serait à la merci de Musk, car "il ne peut pas faire grand-chose sans l'utilisation des ordinateurs du gouvernement fédéral", note l'historien.
Face à cette menace, Snyder appelle à une "résistance au coup d'État" qui représente "la défense de l'humain contre le numérique et du démocratique contre l'oligarchique". Le temps presse : "Chaque heure où cela n'est pas reconnu rend le succès du coup d'État plus probable."
L'historien conclut sur un avertissement solennel : un coup d'État est en cours "contre les Américains en tant que détenteurs de droits et de dignités humaines, et contre les Américains en tant que citoyens d'une république démocratique".
L'AXE TRUMP-MUSK MENACE LE MONDE
Derrière les déclarations fracassantes du président américain sur Gaza se cache un projet bien plus vaste : l'instauration d'un apartheid mondial soutenu par la puissance numérique, selon une analyse du fondateur de Medipart, Edwy Plenel
(SenePlus) - Dans une analyse alarmante publiée sur Mediapart, Edwy Plenel décrypte l'émergence d'un nouvel ordre mondial marqué par l'alliance entre le pouvoir politique de Donald Trump et l'oligarchie technologique incarnée par Elon Musk. Cette convergence dessine les contours d'une gouvernance mondiale inédite, où la technologie se met au service d'une idéologie séparatiste et suprémaciste.
Le 4 février dernier, lors d'une conférence de presse à la Maison-Blanche, Donald Trump a dévoilé sans ambages sa vision pour Gaza, aux côtés de Benyamin Nétanyahou, lui-même visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. "Nous la posséderons" et "nous ferons tout simplement le ménage", a déclaré le président américain, évoquant sans détour un projet de transformation radicale du territoire palestinien en une "Riviera du Moyen-Orient", après l'expulsion de sa population vers l'Égypte et la Jordanie.
Selon l'analyse de Mediapart, cette vision pour Gaza n'est pas qu'un simple projet régional, mais le prototype d'une nouvelle conception des relations internationales. Loin de la destruction du Hamas initialement revendiquée après le 7 octobre, l'objectif apparaît désormais clairement : "la disparition de la Palestine, la destruction de son idée même, l'effacement de son peuple du territoire conquis par Israël."
Cette nouvelle administration Trump incarne ce que Plenel nomme "l'empire d'un mal politique radical", caractérisé par "la négation assumée de toute humanité commune" et "l'affirmation internationale de la loi du plus fort". Le slogan "Make America Great Again" prend ici tout son sens : rien ne doit résister à la volonté de puissance américaine, qu'il s'agisse des nations souveraines, des migrants ou des marchandises étrangères.
Cette doctrine de l'illimitisme trouve un écho particulier dans l'oligarchie technologique qui soutient Trump. Comme le souligne Mediapart, cette "oligarchie technophile portée par la révolution numérique" a atteint "un niveau de richesse incommensurable qui l'ancre dans la certitude de l'absolu et de l'impunité de son pouvoir."
L'analyse révèle qu'un véritable coup d'État est en marche aux États-Unis, orchestré notamment par Elon Musk depuis sa position non élue au département de l'efficacité gouvernementale. Le 28 janvier, rapporte Plenel, une action sans précédent a été menée : "deux millions d'employés fédéraux ont reçu un e-mail les invitant à démissionner", tandis que les bases de données du Trésor américain passaient sous le contrôle de l'équipe de Musk.
Le texte de Plenel établit un parallèle historique édifiant avec l'apartheid sud-africain, système de ségrégation raciale instauré en 1948. Ce n'est pas un hasard si les principales figures de ce "techno-féodalisme oligarchique" - Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks - sont issues de l'Afrique du Sud de l'apartheid. Selon le fondateur de Mediapart, ils portent en eux cette vision d'un monde fondé sur "la séparation et la ségrégation, le rejet de l'humanité et le tri des êtres."
Cette nouvelle alliance représente, selon l'analyse de Mediapart, un "défi de civilisation" majeur. Elle incarne la résistance d'un "vieux monde de prédation qui ne veut pas mourir" et qui, pour survivre, "enfante des monstres dans l'espoir d'éradiquer définitivement l'espérance d'un monde meilleur."
Ce programme politique, qualifié de "foncièrement séparatiste" par Plenel, rompt avec l'idéal d'un monde commun. Il cible non seulement les peuples, mais aussi "les droits des femmes, les questions de genre, les luttes des LGBTQI+ et, plus largement, toutes les supposées minorités dont les prises de conscience bousculent les conservatismes."
Face à cette menace globale, le journaliste appelle à une prise de conscience urgente qui transcende "des querelles secondaires et des divergences momentanées." L'enjeu n'est plus simplement politique ou économique, mais civilisationnel : il s'agit de la survie même des valeurs humanistes et démocratiques face à l'émergence d'un système technologique d'apartheid mondial.
par l'éditorialiste de seneplus, Arona Oumar Kane
MULTIPLE PHOTOS
SILENCE, ON DÉPENSE !
EXCLUSIF SENEPLUS - Il est indispensable d’expliquer aux Sénégalais comment nous en sommes arrivés à dépenser près de 30 milliards de FCFA en frais médicaux pour 1% de la population, sans aucun rapport avec le contexte sanitaire
Arona Oumar Kane de SenePlus |
Publication 08/02/2025
Les frais d’hospitalisation des agents de l'Administration publique sénégalaise ont connu une hausse record en 2024. D’après les chiffres publiés par la DPEE[1], ils atteignent pour la première fois le montant exceptionnel de 29,9 milliards de FCFA en 2024, pulvérisant ainsi le précédent record de 15,3 milliards de FCFA qui avait logiquement été établi en 2020, année de la Covid-19.
30 milliards de FCFA en 2024 : Près du double des dépenses de la Covid
Depuis la fin de la pandémie, ce poste de dépense était resté sur une tendance annuelle baissière jusqu’à descendre sous les 12 milliards en 2023. Ce saut spectaculaire de +18 milliards par rapport à l’année dernière, soit une hausse de +149%, ou +14,6 milliards par rapport à l’année Covid, soit une hausse de +95,4%, paraît donc tout à fait exceptionnel.
Pour rappel, les agents de l'Administration publique, actifs et retraités, bénéficient, avec leurs familles, d’une couverture partielle de leurs frais médicaux (hors achat de médicaments). Pour obtenir cette couverture, le bénéficiaire demande une “imputation budgétaire” auprès de la Direction de la Solde, un sésame qui lui permet ensuite de ne payer que 20% des frais, l’Etat prenant en charge les 80% restants. Pour les hospitalisations, l’Etat règle l’intégralité de la facture et effectue une retenue sur salaire des 20% dûs par l’agent. Cette prise en charge peut également passer par des mutuelles de santé auxquelles certains agents sont affiliés, moyennant une cotisation retenue sur leurs salaires que l’Etat complète et verse à ces organismes.
Les montants imputés sont publiés tous les mois par la DPEE et les données disponibles, que nous avons analysées, remontent à janvier 2006. Cette perspective de 18 ans permet de voir le caractère inhabituel de cette hausse.
Deux facteurs pour expliquer cette explosion en 2024
Tout d’abord, un montant de 4,5 milliards a été enregistré sur le mois de janvier 2024, probablement pour une régularisation par rapport aux deux précédents mois, novembre et décembre 2023, sur lesquels un montant nul (0 FCFA) a été enregistré. Cette probable régularisation pourrait toutefois ne pas être la seule explication du montant très élevé de janvier 2024 car, comme nous le signalions dans une précédente publication, des mouvements suspects avaient également été constatés sur la masse salariale à la veille de l’élection présidentielle.
L’autre facteur, plus évident, se trouve dans l’augmentation continue des dépenses mensuelles sur ce poste, depuis l’avènement du nouveau pouvoir. En effet, alors que les frais d’hospitalisation mensuels des fonctionnaires tournaient, depuis quelques années, autour d’un milliard de FCFA, ils ont commencé à croître de façon soutenue depuis le mois d’avril 2024, passant de 1,1 milliard à 1,5 puis à 1,6, puis 1,7 jusqu’à atteindre 2,5 milliards de FCFA en Novembre, avant d’exploser littéralement à 9,5 milliards en décembre !
Une nécessaire clarification
Dans un contexte de fortes incertitudes pesant sur la situation économique du pays, et de marges de manœuvre budgétaires et financières qui n’existent quasiment plus, pour reprendre l’expression du président de la République, ces chiffres sur les frais d’hospitalisation des agents de l'Etat posent problème et doivent être adressés par le gouvernement. Il est indispensable d’expliquer aux Sénégalais comment nous en sommes arrivés à dépenser près de 30 milliards de FCFA en frais médicaux pour 1% de la population, sans aucun rapport avec le contexte sanitaire.
Ces dépenses de santé sans précédent doivent faire l’objet d’une clarification, à l’image du déficit abyssal de plus de 2200 milliards de FCFA creusé dans le budget 2024 - autre record historique. Si ces chiffres publiés par la DPEE correspondent effectivement à des décaissements destinés à régler les frais médicaux des fonctionnaires, alors il va falloir expliquer pourquoi ils ont atteint ces proportions. Il en va de la crédibilité et de la réussite du Projet. La Vision Sénégal 2050, tant vantée, n’aura de matérialisation concrète qu’au prix d’une gestion rigoureuse et transparente des deniers publics. Les Sénégalais doivent avoir foi dans la manière dont leur argent est dépensé si on veut les mobiliser autour d’un projet national.
Plaidoyer pour un accès plus large aux informations financières de l’Etat
Enfin, nous profitons de cet article pour rendre un hommage mérité aux agents de la DPEE et de l’ANSD[2], et les remercier pour la qualité de leur travail de collecte et de diffusion des données économiques et financières.
Nous avons pu réaliser cette étude, et celles qui l’ont précédée, grâce à des données rendues publiques à travers ces deux structures. Nous rappelons, comme nous l’avons écrit dans l’article intitulé le Projet est mal parti, que ce travail s’inscrit dans une action de veille citoyenne et d’alerte à l’endroit des autorités. Il s’agit d’un exercice rigoureux et honnête d’analyse et de vérification, basé exclusivement sur des données officielles et publiques. Nous lançons donc un plaidoyer pour un accès plus large aux informations financières de l’Etat - dans les limites légales, bien entendu - pour nous permettre de faire ce travail de veille et d’alerte avec plus d’efficacité.
Direction de la Solde - DPEE - Direction Général du Budget
Calculs et Analyse Graphique avec SIADE, Système Intégré d’Analyse de Données Économiques, par Bangath Systems
[1] Direction de la Prévision et des Etudes Economiques
[2]Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie
par Makhtar Diouf
MIEUX COMPRENDRE NATIONS NÈGRES ET CULTURE
EXCLUSIF SENEPLUS - Cheikh Anta Diop s’inscrit dans ce que Louis Aragon nommait ‘la rééducation de l’homme par l’homme’, une lutte pour sortir des ténèbres. En Afrique, ces ténèbres furent imposées par le colonialisme et l’esclavage
L’ouvrage le plus connu de Cheikh Anta Diop est Nations nègres et culture. De l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique Noire d'aujourd'hui publié à Paris en 1954.
La falsification de l’histoire
Pour Cheikh Anta Diop (1923 – 1986), l'humanité a pris naissance en Afrique dans la région des Grands Lacs à cheval sur la Tanzanie, l'Ethiopie, le Kenya et la vallée de l'Oromo.
L'Afrique est aussi le berceau de la civilisation. Les premiers Egyptiens qui étaient des Nègres, ont inventé la philosophie, les mathématiques et la médecine. La Grèce est à l'origine de la civilisation occidentale, mais ses plus grands savants (Thalès, Pythagore, Archimède, Platon, Hippocrate ...) sont tous allés puiser leur science dans l'Egypte nègre. Tous ces faits, tient à préciser l'auteur, portent les témoignages des fouilles archéologiques et de grands historiens de l'Antiquité comme Hérodote, Diodore, Strabon, Pline, Tacite. Et de rappeler que l'histoire n'est rien d'autre que découverte d'une vérité oubliée. C’est sans doute pour cela que Hegel a tenu à séparer l’Egypte de l’Afrique.
En dehors des historiens de l’Antiquité gréco-romaine, Cheikh Anta Diop s’est inspiré d’auteurs plus récents, partisans de l’antériorité des civilisations nègres. Ils ont pour noms : Volney (1757 – 1820), Abbé Henri Grégoire (1750-1831), Jean-François Champollion dit Champollion le jeune (1790 -1832), Antênor Firmin (1850-1911), Maurice Delafosse (1870 – 1926), Leo Frobenius (1873 – 1938).
De ces écrits, il ressort que les habitants de l’ancienne Egypte étaient de teint noir et étaient en avance dans les domaines scientifiques et philosophiques. Selon l’Allemand Leo Frobenius, ces Africains étaient civilisés jusqu’à la moelle de leurs os. Il ajoute qu’il ne connaît aucun peuple du Nord susceptible d’être comparé à ‘’ces primitifs’’ en terme de civilisation.
Cheikh Anta ayant lu ces écrits, soutient que le colonialisme a tout fait pour rendre les Africains amnésiques de leur passé : le but est d'arriver, en se couvrant du manteau de la science, à faire croire au Nègre qu'il n'a jamais été responsable de quoi que ce soit de valable, même pas de ce qui existe chez lui… L'usage de l'aliénation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde. Chaque fois qu'un peuple en a conquis un autre, il l'a utilisée. C'est pour les besoins de la colonisation de l'Afrique, « pour lui apporter la civilisation », que l'histoire a été falsifiée... La colonisation politique et économique est indissociable de l’entreprise de colonisation des esprits. Pour justifier la traite négrière et l'oppression coloniale, le thème de l'absence de culture (de l'esprit) chez les Noirs d'Afrique est invoqué (Diop 1954, 3° imp. 1979 : 14).
Cheikh Anta élabore ce livre dans la période 1948-53, en pleine période d’effervescence intellectuelle du Paris de l’après-guerre. Il n’a pas ses habitudes dans les cafés ‘’Flore’’ et ‘’Deux Magots’’ du quarter Saint-Germain-des-près de l’intelligentsia française, plutôt présent dans les bibliothèques pour ses recherches. Alors que les écrivains noirs s’intéressent les uns à la dimension culturelle, les autres à la dimension politique pour émotivement demander l’indépendance, il se met en symbiose sur les deux positions. Si l’Afrique a été colonisée pour lui apporter la civilisation, dans la mesure où il est révélé que la civilisation africaine est antérieure à la civilisation occidentale qui lui est même redevable, c’est tout le socle de la justification de la colonisation qui s’écroule. L’indépendance devient logiquement une exigence historique, cette fois scientifiquement démontrée. Comme il le dit : il ne s’agit pas de se créer de toutes pièces une histoire plus belle que celle des autres de manière à doper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l’indépendance nationale, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire…Si par hasard notre histoire est plus belle qu’on ne s’y attendait, ce n’est là qu’un détail heureux qui ne doit plus gêner dès qu’on aura apporté à l’appui assez de preuves objectives, ce qui ne manquera pas d’être fait ici (Nations nègres, éd. 1979, t. 1, p. 19).
Lorsqu’il assiste au Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956, il a déjà écrit Nations nègres et culture. Cheikh Anta Diop revient sur ces thèses dans des publications ultérieures comme Antériorité des civilisations nègres (1967), Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines (1977), et dans son dernier ouvrage Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance (1981).
Remuements intellectuels autour de Nations nègres et culture
Nations nègres et culture est présenté par Aimé Césaire comme le livre le plus audacieux qu'un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique (‘’Discours sur le colonialisme’’,1955, pp. 33/34).
Dans la France coloniale de l’époque, et même dans la France d’après 1960, les thèses de Cheikh Anta sont ressenties comme une onde de choc, comme un séisme psychique. Elles dérangent, donc rencontrent inéluctablement des détracteurs. C’est le sort fait partout dans le monde et à toutes époques de l’histoire à tous ceux qui professent des idées nouvelles. Le phénomène de résistance au changement est tenace et universel.
Les turbulences intellectuelles provoquées par ce livre font penser à cet incendie allumé par les idées, dont parlait Marx dans ses écrits de jeunesse. L’histoire abonde de situations où des porteurs d’idées nouvelles sont traités de fous et persécutés.
Le savant astronome italien Galileo Galilée (1564-1642) en avait fait les frais au 17ème siècle par emprisonnement. Son ‘’crime’’ avait été de reprendre la thèse de l’héliocentrisme développée au siècle précédent par l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473 – 1543) selon laquelle la terre tourne autour du soleil. La croyance tenace à l’époque était que c’est le soleil qui tourne autour de la terre.
S’y ajoute en France l’hostilité des nostalgiques de la colonisation et des militants du néocolonialisme. Les écrits d’anthropologues et historiens européens sur l’antériorité des civilisations nègres n’étaient pas très connus, et émanaient de Blancs. On pouvait les ignorer, les classer dans la marginalité. Mais lorsque des écrits plus percutants sur le même thème proviennent d’un Nègre dont on pensait que la capacité intellectuelle était très limitée, c’est une autre histoire. Mais Cheikh Anta a eu la réaction scientifique attendue d’un intellectuel du type idéal.
Lorsqu’en 1970 il est sollicité par le Français René Maheu, directeur général de l’Unesco, pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique, il pose des conditions pour sa participation : que l’ouvrage traite de l’histoire ancienne de l’Afrique avec l’origine des anciens Egyptiens, que l’Unesco organise d’abord un Colloque auquel il sera fait appel aux plus grands spécialistes mondiaux de l’égyptologie, qu’ils soient informés deux ans avant pour leur permettre de se préparer, de fourbir leurs armes pour une confrontation scientifique des thèses, et que le colloque se tienne en Egypte même, au Caire.
Le Colloque se tient au Caire du 28 janvier au 3 février 1974, en présence d’une vingtaine de scientifiques d’Amérique (Canada, Etats-Unis), d’Europe, (Finlande, France, Suède), d’Afrique (Egypte, Soudan), de six observateurs et de deux représentants de l’Unesco. Cheikh Anta y vient avec son disciple l’historien congolais Théophile Obenga. Ils y font une grosse impression. Dans le rapport final présenté par le professeur français Jean Devisse, pourtant contestataire des thèses de Cheikh Anta, on peut lire : la très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta Diop et Obenga n’a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’Unesco, une contrepartie aussi égale. Il s’en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions.
Ce qui signifie qu’il n’y a pas eu photo : on sait qui sont les vainqueurs de cette confrontation scientifique.
Leurs présentations argumentées, convaincantes, comme le souligne le rapport final amènent l’Unesco à admettre les racines noires et linguistiques de l’Egypte pharaonique : les anciens Egyptiens étaient de teint noir ; leur langue n’est pas une langue sémitique comme l’arabe ; c’est une langue négro-africaine. Ce qui fait que l’Afrique entre de plain-pied dans l’histoire de l’humanité, contrairement à la thèse du philosophe allemand Hegel qui ne reposait sur aucune base scientifique. L’ouvrage Histoire générale de l’Afrique va être publié en huit volumes à partir de 1980 avec cette nouvelle donne.
Après le Colloque du Caire et la publication de cet ouvrage, on pouvait penser que le débat était clos. Que non ! L’hostilité à l’égard des thèses de Cheikh Anta en France ne connaît pas de répit.
L’Antillais Jean Yoyotte, professeur au Collège de France, présenté comme égyptologue, l’attaque agressivement : Cheikh Anta Diop était un imposteur. Un égyptologue incapable de lire le moindre hiéroglyphe. Son œuvre est nulle, remplie d’erreurs. Il dit tout cela dans une interview avec des propos d’une extrême incohérence. Lui, l’idée d’indépendance des Antilles de ses ancêtres ne l’a jamais effleuré.
L’université française était pourtant bien représentée à ce colloque par Jean Devisse, Jean Vercoutier, Nicole Blanc et Jean Leclant. Aucun de ces éminents spécialistes n’a tenu de tels propos sur Cheikh Anta. Celui-ci troublait leurs convictions antérieures, mais ils le respectaient. Il se trouve seulement qu’il n’est pas aisé pour un professeur au bord de la retraite de remettre en cause ce qui lui a été enseigné et qu’il a lui-même enseigné durant des décennies.
Toute œuvre est sujette à des critiques. Mais pourquoi attendre que l’auteur dont on est contemporain ne soit plus là pour lui adresser des critiques condamnées à être sans réponses de sa part ? Comme le fait cet autre, Alain Froment dans les années 1990 avec son article ‘’Science et conscience : le combat de Cheikh Anta Diop’’, avec ces propos : des préjugés dans la recherche du passé africain ; des procédés discutables ; des affirmations sans preuves ; des concepts ambigus ; la tentation raciste. Cheikh Anta serait un raciste ? L’historienne française spécialiste de l’Afrique Catherine Cokery-Vidrovitch porte à Froment une réplique cinglante dans la même revue Cahiers d'Etudes Africaines, 1992.
Comment se fait-il que ces ‘’éminents égyptologues’’ n’aient pas été invités au Colloque du Caire qui avait réuni les plus grands spécialistes mondiaux de l’égyptologie ? Pourquoi n’ont-ils pas attaqué Cheikh Anta de son vivant ? Pourquoi n’ont-ils pas été aussi irrespectueux à l’égard des scientifiques français qui ont établi que les anciens Egyptiens étaient noirs, remarquablement civilisés et pénétrés de sciences ? Ils n’ont eu que des réactions épidermiques, n’ont lancé que des procès d’intention, prêtant à leur adversaire (ou ennemi) des motivations inavouables.
La démarche scientifique de Cheikh Anta Diop
Après avoir écrit Nations nègres et culture, Cheikh Anta Diop ne prétend pas fermer la porte à des précisions à apporter à cet ouvrage : l’ensemble du travail n’est qu’une esquisse où manquent toutes les perfections de détail. Il était humainement impossible à un seul individu de les y apporter : ce ne pourra être que le travail de plusieurs générations africaines. Nous en sommes conscients et notre besoin de rigueur en souffre : cependant les grandes lignes sont solides et les perspectives justes (p. 29-30, tome 1, ed. 1979).
Il est du devoir intellectuel de ceux qui se considèrent comme ses disciples de répondre à cet appel à s’activer sur ces pointillés qu’il a tracés.
Le substrat préexistant
Cheikh Anta n’a rien inventé. Et il le précise bien dans la préface de la première édition 1954 : Cet ouvrage n’est pas une « invention » de données. L’invention doit être distinguée de la découverte. On invente quelque chose qui n’existait pas, on découvre quelque chose qui existait. Il s’est lui, inscrit dans la découverte. Il n’est pas parti creatio ex nihilo, c’est-à-dire de rien. Il est parti creatio ex materia, c’est-à-dire création à partir d'un substrat préexistant conçu autour de deux éléments : le premier est constitué par les écrits d’auteurs anciens et modernes qu’il cite abondamment en plus des travaux archéologiques. Ces auteurs, historiens et anthropologues n’étaient préoccupés que par le constat scientifique de l’antériorité des civilisations nègres, sans s’impliquer dans la quête d’indépendance des peuples africains colonisés. La vérité scientifique était leur seule motivation.
Le second élément est constitué par les partisans de la thèse ‘’’l’Afrique a été colonisée pour être civilisée’’.
Qui sont ces colonisateurs des esprits ? Cheikh Anta n’en cite qu’un seul : Gobineau, qui n’a fait que disserter sur les thèses négrophobes de ses prédécesseurs pour conclure que les Noirs n’avaient que des dons artistiques. Cheikh Anta ne parle d’ailleurs de Gobineau que lorsqu’il reproche à Senghor de s’être inspiré de celui-ci pour dire que l’émotion est nègre, la raison est hellène. En fait, Senghor avait pastiché Aristote qui disait que la femme est centre d’émotion et l’homme centre de raison.
Les mentors négrophobes de Gobineau comme Montesquieu, Voltaire, Victor Hugo, Albert Sarraut, Jules Ferry, Paul Broca et ses disciples de la Société d’Anthropologie de Paris (SAP) ne sont pas mentionnés dans Nations nègres … même pas dans la bibliographie. C’est en se plongeant dans leurs élucubrations négrophobes qu’on arrive à mieux comprendre le bien-fondé du projet de Cheikh Anta en écrivant ce livre.
La SAP a été créée par Paul Broca comme un laboratoire de ‘’racisme scientifique’’. Elle utilise des méthodes anthropométriques comme la craniométrie avec l’usage d’un goniomètre pour mesurer la taille du cerveau. Elle utilise aussi la phrénologie (science du cerveau) pour établir que les circonvolutions du cerveau du Nègre sont différentes de celles du cerveau du Blanc. Pour démontrer ‘’scientifiquement’’ l’infériorité intellectuelle du Nègre qui est d’une race inférieure.
La SAP créée en 1859 est reconnue d’utilité publique par le ministère de l’Instruction publique qui lui alloue des fonds en plus de ceux de mécènes libéraux intéressés. C’est un instrument utilisé sous la Troisième République pour l’entreprise coloniale de la France avant la Conférence de Berlin de 1885 du partage de l’Afrique.
L’esprit scientifique : Gaston Bachelard
Dans les années 1940, étudiant en philosophie à La Sorbonne, Cheikh Anta a eu comme professeur Gaston Bachelard qui y a enseigné la philosophie de 1940 à 1954.
Les biographies sommaires de Cheikh Anta mentionnent cette étape de son parcours universitaire. Et c’est tout. N’y a t-il pas quelque rapport entre ces cours et les écrits de Cheikh Anta Diop ?
Lorsque Cheikh Anta commence à écrire, Bachelard (1884 – 1962) avait déjà publié trois de ses ouvrages :
- Le Nouvel Esprit scientifique, 1934 ;
- La Formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, 1938 ;
- La Philosophie du non : essai d'une philosophie du nouvel esprit scientifique, 1940.
Le concept présent dans ces trois ouvrages est ‘’esprit scientifique’’. Il renvoie à la connaissance scientifique objective, avec la qualité qui doit être celle de l’intellectuel chercheur. Mais il peut arriver que celui-ci s’arcboute à ses connaissances antérieures, les jugeant immuables, victime de ce que les psychosociologues appellent ‘’phénomène de résistance au changement’’. C’est parce que, dit Bachelard, l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit. Alors que pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. La démarche intellectuelle du chercheur est, dit Bachelard, de sortir l’esprit de l’enfance, rendre à la raison humaine sa fonction de turbulence et d’agressivité. Ce faisant, le chercheur rencontre ce que Bachelard appelle des obstacles épistémologiques (l’épistémologie est la théorie de la connaissance) qui sont durs à éradiquer, car ils ont une consistance psychologique.
Bachelard propose des armes intellectuelles de bombardement de ces obstacles à la connaissance scientifique : rupture, brisure, césure, coupure, fracture. Pour Bachelard l’histoire des sciences ne se fait pas dans la continuité mais dans la discontinuité. En cela, il se distingue de l’autre philosophe français Henri Bergson (1859 -1962) partisan de la continuité. C’est par questionnement, en rectifiant des erreurs qu’on arrive à la connaissance scientifique. C’est la coupure épistémologique qui permet de passer d’un raisonnement à un autre. Il s’agit en fait de régler des comptes avec une conscience philosophique d’autrefois comme disait Marx dans son cas personnel.
Cheikh Anta est parti de ces écrits antérieurs en leur appliquant ce que j’appelle ‘’la méthode Bachelard’’. Le terme esprit fréquent chez Bachelard vient aussi dans les propos de Cheikh Anta qui parle de colonisation des esprits.
Il démonte ainsi le vieux paradigme de la falsification de l’histoire selon laquelle l’Afrique aussi noire que la couleur de ses habitants, plongée dans les ténèbres a été colonisée pour lui apporter la civilisation.
Lorsque le 9 janvier 1960, il soutient, à la Sorbonne, sa thèse de Doctorat d’État ès Lettres L’Afrique noire précoloniale et L’unité culturelle de l’Afrique noire, il met au début du manuscrit cette dédicace :
A mon Professeur Gaston Bachelard, dont l’enseignement rationaliste a nourri mon esprit.
Encore le mot ‘’esprit’’. La dette intellectuelle de Cheikh Anta Diop à l’égard de Gaston Bachelard n’a pas encore été bien mise en évidence. Louis Althusser, Pierre Bourdieu, Michel Foucault avec son livre L’Archéologie du savoir (1989) sont présentés comme des héritiers de Gaston Bachelard. Cheikh Anta Diop doit être ajouté sur la liste au plan de la méthode.
Deux écrits postérieurs à Cheikh viennent ajouter à une meilleure compréhension de Nations nègres et culture.
L’idéologie scientifique : Georges Canguilhem
L’un est celui d’un autre intellectuel français proche de Bachelard dont il se veut le continuateur. Il s’agit de Georges Canguilhem (1904-1962), philosophe, historien des sciences et médecin. Canguilhem propose le terme idéologie scientifique dans un ouvrage de 1977 Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie. Ce qui déroute dans la mesure où les termes ‘’idéologie’’ et ‘’science’’ sont généralement conçus comme antinomiques, contradictoires.
Canguilhem définit l’idéologie scientifique comme une pensée préscientifique’, qui n’est rien d’autre qu’une aventure intellectuelle antérieure à la science qui elle, se constitue en passant par des exigences méthodologiques. L’idéologie scientifique est ainsi une sorte de proto-science, c'est-à-dire une science non encore arrivée à maturité. Ce qui fait qu’elle est pénétrée par des idées et des valeurs qui lui sont étrangères, mais qui en retour légitiment les pratiques sociales et l'ordre politique et économique.
Ce livre de Canguilhem est publié 17 ans après Nations nègres…, mais il vient en appui à la démarche de Cheikh Anta qui dénonce ceux qui se couvrent du manteau de la science. Ils sont partis du postulat de l’infériorité des nègres pour essayer d’en faire une démonstration scientifique.
On peut ainsi comprendre que la littérature négrophobe et les écrits pseudo-scientifiques de la Société ‘Anthropologie de Paris relèvent de l’idéologie scientifique. Leurs préjugés et leurs convictions sur les Noirs et sur l’Afrique ont été la cible de Cheikh Anta dans une démarche scientifique et non dans une réaction émotionnelle.
D’un paradigme à l’autre : Thomas Kuhn
L’autre écrit qui vient en appui à une meilleure compréhension de Nations nègres et culture est le livre de l’Américain Thomas Samuel Kuhn, historien des sciences, La structure des révolutions scientifiques, 1962.
Le terme paradigme d’origine grecque signifiant modèle ou exemple est remis à l’honneur par Kuhn. Il reconnaît avoir été frappé par le nombre et l’étendue des désaccords entre spécialistes des sciences sociales. Ce qui l’a amené au concept de paradigme. Il définit le paradigme comme ce qui est partagé par les membres d’une communauté scientifique, et la communauté scientifique est constituée par ceux qui partagent un paradigme. Le paradigme est ainsi une certaine façon de penser.
Mais, ajoute Kuhn, lorsque par la suite, un paradigme est confronté à des problèmes qu’il ne peut résoudre, qu’il est contesté, il cède la place à un nouveau paradigme On passe ainsi d’un paradigme à l’autre. Ce que Cheikh Anta a fait.
Cheikh Anta par son parcours universitaire peu commun (Philosophie, Histoire, Linguistique, Mathématiques, Physique, Chimie) ne peut pas comprendre la thèse de l’infériorité intellectuelle du nègre. Combien d’intellectuels occidentaux pouvaient se prévaloir d’un tel background intellectuel ? Il estime qu’il est lui-même le produit d’un héritage ancestral. La condition de l’homme africain est au centre de ses préoccupations. Il l’exprime clairement dans son dernier livre Civilisation ou barbarie de 1981 :
L’Africain qui nous aura compris est celui-là qui après la lecture de mes ouvrages aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.
Cheikh Anta se situe ainsi dans ce que l’écrivain communiste Louis Aragon appelait la rééducation de l’homme par l’homme en le sortant des forces des ténèbres. Dans le cas de l’Afrique, les ténèbres ont été installées par le colonialisme après l’esclavage pour inférioriser l’homme africain.
Sans l’exprimer, Cheikh Anta Diop nourrissait le rêve de voir les jeunes Africains dans leur grande majorité se hisser à la hauteur de la densité intellectuelle pluridisciplinaire qui était la sienne, lorsqu’il leur lançait : Armez-vous de science jusqu’aux dents !
UN LICENCIEMENT COLLECTIF EN VUE APRÈS LA FERMETURE DES BASES MILITAIRES FRANÇAISES
Dans une notification adressée à l’Inspecteur Régional du Travail, les EFS ont confirmé que 162 employés en contrat à durée indéterminée, dont 12 délégués du personnel, seront licenciés à compter du 1ᵉʳ juillet 2025.
Les bases militaires françaises au Sénégal fermeront définitivement leurs portes, entraînant un licenciement collectif du personnel sénégalais employé par les Éléments Français au Sénégal (EFS). Cette décision fait suite aux annonces du président de la République du Sénégal, lors de ses discours du 28 novembre et du 31 décembre 2024, affirmant la fin de toute présence militaire étrangère sur le sol sénégalais dès 2025.
Dans une notification adressée à l’Inspecteur Régional du Travail, les EFS ont confirmé que 162 employés en contrat à durée indéterminée, dont 12 délégués du personnel, seront licenciés à compter du 1ᵉʳ juillet 2025.
Face à cette situation, les EFS sollicitent l’accompagnement des autorités compétentes, notamment pour les autorisations nécessaires dans le cadre de cette cessation d’activité. Ils invoquent un cas de force majeure, lié à la mise en œuvre des décisions prises au plus haut sommet de l’État sénégalais.
Ce licenciement collectif marque une nouvelle étape dans le processus de retrait des forces françaises du Sénégal, après plusieurs décennies de présence militaire dans le pays.
Cependant, cette décision risque de plonger plusieurs familles dans le désarroi, en raison de la perte de leurs emplois. D’où la nécessité pour l’État de prendre en charge cette question sociale.
LA RÉVOLUTION LINGUISTIQUE SILENCIEUSE
"Notre société nous commande de parler dans nos langues" : Abdourahmane Diouf défend l'usage des langues nationales alors qu'un récent débat budgétaire en wolof à l'Assemblée témoigne d'une transformation profonde dans les institutions sénégalaises
(SenePlus) - Une transformation silencieuse mais profonde est en train de s'opérer au sein des institutions sénégalaises, comme en témoigne une scène remarquable qui s'est déroulée récemment à l'Assemblée nationale. Lors de son intervention dans l'émission "Belles Lignes" du jeudi 6 février, le ministre de l'Enseignement supérieur Abdourahmane Diouf a mis en lumière un phénomène qui illustre parfaitement comment la société civile devient le moteur du changement linguistique dans le pays.
"La société ambiante est en avance sur nos institutions", a déclaré le ministre, expliquant comment les citoyens poussent naturellement vers l'utilisation des langues locales. Cette pression sociale s'est manifestée de manière éclatante lors des récentes sessions parlementaires consacrées à l'étude du Budget. Pour la première fois, les débats se sont déroulés presque entièrement en wolof, y compris pour des discussions techniques complexes que "même les intellectuels francophones qui ne sont pas érudits sur les questions de finances publiques ne pourraient comprendre."
Cette évolution répond à une demande sociale profonde : "Notre société nous commande de parler dans nos langues, nos sociétés nous exigent de parler dans nos langues pour se faire comprendre", souligne le ministre Diouf. L'utilisation du wolof à l'Assemblée a permis une démocratisation réelle des débats, rendant les discussions budgétaires accessibles à tous les députés et, par extension, à l'ensemble de la population.
Le contraste entre cette réalité sociale et le cadre institutionnel hérité de la colonisation est saisissant. Le ministre rappelle que la constitution sénégalaise reste largement inspirée de "la cinquième république de De Gaulle", créant ce qu'il qualifie de "constitution halogène qui ne retranscrit pas nos réalités." L'exemple le plus frappant de ce décalage reste l'obligation constitutionnelle de maîtriser le français pour accéder à la présidence de la République, une règle qui exclut de fait de nombreux citoyens compétents.
Cette avancée à l'Assemblée nationale illustre comment la pression sociale peut faire évoluer les pratiques institutionnelles, même en l'absence de changements constitutionnels formels. C'est la société civile qui, par sa pratique quotidienne et ses exigences de compréhension, pousse les institutions à s'adapter et à reconnaître la légitimité des langues nationales dans la sphère publique.
Ce mouvement de fond pourrait préfigurer des changements plus profonds dans l'organisation institutionnelle du pays. Comme le suggère le ministre, la société sénégalaise montre qu'elle est prête pour une transformation plus radicale de ses institutions, afin qu'elles reflètent mieux la réalité linguistique et culturelle du pays.
APR, SE RÉINVENTER OU DISPARAÎTRE
La formation politique, qui a dominé la scène politique sénégalaise pendant douze ans, doit aujourd'hui repenser fondamentalement son organisation et sa stratégie pour éviter le déclin qui a frappé ses prédécesseurs
Face à l’affaiblissement des grands partis traditionnels, le député Djimo Souaré a invité à une refonte stratégique de l’Alliance pour la République (Apr) afin de la revitaliser et d’assurer sa pérennité dans le paysage politique sénégalais. Cet appel est bien accueilli par ses camarades de parti, dont Seydou Guèye qui estime que leur formation politique doit « renouer avec sa tradition gagnante ».
C’est une constante. Au Sénégal, les partis au pouvoir qui, à un moment donné, ont atteint une forme d’hégémonie finissent par chuter à la perte du pouvoir. Le Parti socialiste (Ps) est, aujourd’hui, disloqué. Depuis la perte du pouvoir, cette formation classique n’a pas brigué le suffrage des Sénégalais. Il a été absorbé par la coalition « Benno Bokk Yaakaar » (Bby). Le Parti démocratique sénégalais (Pds), qui a dirigé le Sénégal de 2000 à 2012, a perdu toute son influence après la perte du pouvoir. Il peine à revenir sur la scène politique.
Pour cause : cette formation politique, créée par le « Pape du Sopi », Me Abdoulaye Wade, n’a pas présenté de candidat aux élections présidentielles de 2019 et de 2024. Pour éviter un tel sort à l’Alliance pour la République (Apr), mise sur les fonts baptismaux, en décembre 2008, par le président de la République sortant, Macky Sall, le député Djimo Souaré, membre de ce parti, tire sur la sonnette d’alarme. Dans un message intitulé : « Reconstruire ou périr », le parlementaire de la 15e législature a invité ses camarades à donner un nouveau souffle à leur formation politique. « Il n’y a que deux choix : nous réinventer pour redevenir une force politique majeure ou disparaître dans l’oubli », a lancé le vice-président du groupe parlementaire « Takku Wallu Sénégal ». Poursuivant, il a soutenu que la reconstruction n’est pas une option, mais plutôt une nécessité. D’ailleurs, cet appel est fait dans un contexte où Macky Sall a pris la décision de se mettre un peu en retrait de la gestion de l’Apr.
Ancien Secrétaire général du gouvernement, Seydou Guèye, par ailleurs porte-parole de l’Apr, approuve cette idée. Selon lui, c’est une contribution utile dans le débat interne. M. Guèye estime que la trajectoire de leur parti a été assez inédite, d’autant plus qu’il est arrivé au pouvoir sur un format organisationnel.
Évaluations organisationnelles
« Entre 2008 et 2012, la préoccupation, c’était la massification du parti et la capacité de gagner des élections ; ce que l’histoire nous a bien rendu puisqu’en trois ans, l’Apr est arrivé au pouvoir central. Et de cette date à aujourd’hui, nous avons participé à une dizaine d’élections toutes remportées ; ce qui en fait le premier parti au niveau municipal vu que nous avons le plus grand nombre de maires et de présidents de Conseil départemental », a-t-il rappelé.
Seydou Guèye a reconnu que c’est un parti qui s’appuyait sur le leadership du président Macky Sall. Changement de contexte oblige, l’Apr doit revoir ses principes en trouvant une autre norme de développement. Pour le porte-parole de l’Apr, la restructuration est indispensable parce que c’est la distribution du pouvoir à l’intérieur de l’organisation. « Le parti a besoin de redynamiser ses bases, de renouer avec l’action politique, c’est-à-dire d’être encore plus connecté aux populations et d’avoir de l’animation à la base », a-t-il avoué. À cet effet, Seydou Guèye pense qu’il faut procéder aux différentes évaluations, tant organisationnelles qu’électorales, pour tirer les enseignements.
« Ce qui est avéré aujourd’hui, c’est que l’Apr est le premier parti en termes d’opposition parlementaire et c’est un parti majeur dans le schéma de l’opposition. Mais, il y a un travail de jonction à faire avec des composantes de l’opposition nationale », a-t-il indiqué. Abondant dans le même sens, Moussa Sow, coordonnateur national de la Convergence des jeunesses républicaines (Cojer), dit être en phase avec Djimo Souaré. Aspirant à de grandes ambitions et débordant d’optimisme, il affirme être convaincu que leur parti peut regagner le pouvoir lors de la prochaine élection présidentielle « s’ [ils mettent] en œuvre des stratégies efficaces ».
Pour y parvenir, il évoque plusieurs propositions tout en soulignant l’importance d’une orientation claire : « Il faut changer les personnes à la tête des organes et installer des coordinations communales et des délégations départementales et régionales, etc. ». D’après le jeune « apériste », ce qui leur a fait perdre la présidentielle passée, c’est « le non renouvellement du personnel politique, le manque de solidarité et de complicité entre les membres du parti, le respect excessif du slogan ‘‘la patrie avant le parti’’ ». Pour Seydou Guèye, il faut que leur formation politique trouve un autre mode d’organisation pour animer le parti, assurer sa visibilité et sa représentativité dans les espaces de dialogue.
« Il nous faut renouer avec ce qui a été une tradition gagnante de l’Alliance pour la République : l’élargissement des bases et l’animation à la base. Les deux combinés donnent la massification du parti.
Le débat est ouvert dans nos rangs. Nous discutons à l’abri de toutes les turpitudes et nous essayons de converger vers des lignes qui règlent la question de l’orientation, de l’organisation, de l’animation, de la visibilité et de la représentation », a-t-il informé.
PÊCHE ILLICITE À JOAL, LE MINISTÈRE DES PÊCHES CONDAMNE FERMEMENT L’AGRESSION D’UN AGENT DE L’ÉTAT
Le ministère des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires a exprimé sa profonde indignation face aux violences survenues dans la nuit du 4 au 5 février 2025 à Joal, lors d’une opération de lutte contre la pêche illicite des juvéniles.
Le ministère des Pêches, des Infrastructures maritimes et portuaires a exprimé sa profonde indignation face aux violences survenues dans la nuit du 4 au 5 février 2025 à Joal, lors d’une opération de lutte contre la pêche illicite des juvéniles.
Au cours de cette intervention, Amadou Kane, un agent du ministère, a été violemment agressé alors qu’il exerçait ses fonctions dans le strict respect de la réglementation en vigueur. Dans un communiqué officiel, le ministère a réaffirmé sa solidarité totale envers l’agent et a dénoncé une attaque injustifiée contre un serviteur de l’État engagé dans la préservation des ressources halieutiques.
Face à cet acte grave, le Gouvernement a rappelé sa fermeté dans la lutte contre la pêche illicite, assurant que des mesures strictes seront prises contre les auteurs et complices de ces violences. Le ministère a également salué la réactivité des forces de défense et de sécurité, notamment la Gendarmerie nationale, qui a immédiatement lancé une traque du principal suspect et procède à l’identification des autres personnes impliquées.
Le ministère a rappelé que la protection des ressources halieutiques est une priorité nationale, soulignant que toute personne impliquée dans la capture, le transport, la détention, la transformation ou la commercialisation des juvéniles s’expose à des sanctions sévères conformément aux lois en vigueur.
Dans cette optique, les autorités comptent renforcer les dispositifs de contrôle et de répression pour mettre un terme aux pratiques destructrices qui mettent en péril l’équilibre de l’écosystème maritime et la pérennité des ressources halieutiques.
Le ministère invite tous les acteurs du secteur de la pêche à respecter scrupuleusement les règles établies, rappelant que seule une exploitation durable des ressources maritimes permettra de garantir la survie du secteur et la préservation des moyens de subsistance des communautés de pêcheurs.
PAR Babacar Korjo Ndiaye
BIRAME SOULEYE, UN MINISTRE EN MODE FREESTYLE
Notre ministre a un talent rare. Celui de toujours dire ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne faut pas, avec une assurance qui force l’accablement. Bientôt, il ne lui restera bientôt plus que son miroir pour l’écouter sans grimacer
Il faut dire que notre ministre a un talent. Un talent rare. Celui de toujours dire ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne faut pas, avec une assurance qui force le respect… ou plutôt l’accablement. Il parle, et c’est comme un bulldozer sans frein sur une route pleine de nids-de-poule : ça cahote, ça cogne, et ça finit toujours en sortie de route. Gaalu njoobeen du teer!
Dernière sortie en date ? Pour répondre à ceux qui affublent les militants de son parti du qualificatif de Salafistes (au sens le plus explosif du terme), il a eu l’illumination suivante : « Ma mère est la fille du vénéré Aladji Ahmad Ndieguene. Comment peut-elle enfanter un Salafiste ?... » Voilà donc la nouvelle génétique ministérielle : une bonne mère ne peut enfanter un mauvais fils. Au-delà de l’étrange biologie qu’il nous propose, le message est limpide : si vous êtes Salafiste, c’est que votre mère a raté son coup. Un bel hommage aux valeurs familiales, mais un petit scandale pour la communauté salafiste du Sénégal, qui appréciera sûrement d’être reléguée au rang d’erreur maternelle. Bon Xataraayu!
Mais ce n’est pas la première fois que notre ministre brille par sa finesse oratoire. Rappelez-vous quand, en pleine euphorie post-électorale, il a jugé bon de rappeler aux promoteurs de lutte que l’État ne sponsoriserait plus leurs combats. « Ces spectacles archaïques ne sont pas notre priorité », aurait-il presque soufflé en filigrane. Un avis respectable… sauf que personne ne lui avait rien demandé. On l’imagine, la bouche en cœur, expliquant aux lutteurs que désormais, ils devront se contenter de l’amour du public et de la sueur du mbapatt. C’est ainsi qu’il a réussi un exploit : unir toute une industrie contre lui, du promoteur de l’arène nationale au dernier batteur de tam-tam du village.
Et puis, il y a eu l’épisode Touba. Là encore, il voulait faire une démonstration. Prouver que son parti n’a jamais tenté de séduire les autorités religieuses de la ville sainte. Il aurait pu le dire calmement, avec intelligence, en finesse. Mais non, c’est mal le connaître. « Moi, avant l’élection, je n’avais jamais mis les pieds à Touba ! » a-t-il fanfaronné avec sa verve habituelle. Ah bon ? Donc en plus de ne pas séduire, vous n’avez même pas daigné faire acte de présence ? Voilà qui est habile. Si l’objectif était de convaincre que les nouveaux dirigeants n’ont aucun lien avec Touba, mission accomplie.
Ce ministre est un homme de convictions, certes, mais surtout un homme de convictions mal formulées. Un artiste du faux pas verbal. Un virtuose du mauvais timing. On lui a demandé d’apprendre à parler sans heurter. Mais visiblement, chez lui, c’est un talent inné : heurter, c’est son mode d’expression naturel.
À ce rythme, il ne lui restera bientôt plus que son miroir pour l’écouter sans grimacer.