DIOKOUL, CONTÉ PAR LES ANCIENS POUR RÉACTUALISER UN PAN DU PASSÉ
Cité historique de la Ville de Rufisque

Diokoul, un quartier de la ville de Rufisque à la riche histoire. Un quartier au passé marquant, vieux de plus de trois siècles, qui a servi de comptoir commercial au colon portugais, avant de passer sous le contrôle des Français. Diokoul, une cité léboue dont l'histoire est marquée par son différend avec son maire français d'alors, Joseph Gabard mais aussi son bombardement en 1940 par la marine française, lors de l'"Opération menace". Nous sommes allés auprès des anciens pour revisiter l'histoire de Diokoul.
Il est 10 heures dans ce populeux quartier de Rufisque. Calèches, taxis clandos et piétons se disputent le peu d'espace disponible dans ce fief de la commune de l'Ouest. Nous sommes à Diokoul, localité tricentenaire qui tire son nom, selon la tradition orale, du rallongement des quatre quartiers de Diokoul.
Le nom de ce quartier, vieux de plus de 300 ans, est en effet tiré d'un fait illustré par le caractère architectural des villas qui longent la côte Atlantique avec la juxtaposition chronologique. Ici, on parle de Diokoul Wague, Diokoul Ndiourène, Diokoul Ndiayène et Diokoul Kao.
À Diokoul, la chose la mieux partagé c'est la promiscuité. Elle demeure une réalité que les populations vivent au quotidien. Le fait est rappelé à bien des égards par le mode d'habitation des Lébous. A savoir une grande concession où les tous les chemins débouchent sur une autre.
Diokoul et l'histoire du maire Joseph Gabard
L'histoire de cet ancien comptoir portugais du XVIe siècle, passé ensuite sous contrôle français, est ombilicalement liée à ce quartier traditionnel lébou. Les premiers habitants de Diokoul issus du Djolof, en passant par Kounoune, ont été témoins de beaucoup d'événements, selon l'histoire orale contée par les anciens. De sa mémoire, Alioune Boye, notable du quartier, se remémore avec un brin de nostalgie ce passé.
"Avant les indépendances, Rufisque a connu un maire du nom de Joseph Gabard. Suite à un différend avec les populations autochtones, il a menacé avant d'embarquer dans un bateau pour la France, qu'à son retour de l'hexagone, il fera manger des pierres aux habitants de ce quartier", rapporte le vieux Alioune Boye.
Fièrement, le septuagénaire poursuit : "Après consultation, tous les "Penc" (comités de quartiers lébous) de l'époque se sont réunis à Diokoul Ndiayène. C'était dans le but de faire face à cette tentative d'humiliation de la part de Joseph Gabare.
Ainsi, Moundiaye Ndiaye, un des notables les plus en vues à l'époque, avait pris l'engagement devant l'auguste assemblée d'en découdre avec lui. Avant de nous faire vivre l'enfer, il faut d'abord arriver à bon port, avait soutenu le notable lébou devant l'assistance".
"Ainsi, sur le chemin, au départ du bateau du port de Dakar à destination de la France, arrivé à hauteur de l'île de Gorée, Joseph Gabard est monté sur la passerelle pour fumer sa pipe. C'est sur ces entre faits qu'il est tombé et est passé dessus bord et a disparu dans la mer. Il n'est jamais arrivé en France pour prétendre revenir à Rufisque", a revisité Alioune Boye, réactualisant ainsi un pan entier de l'histoire Rufisquois.
1940, bombardement de Diokoul, "Opération menace"
L'un des faits saillants de Diokoul demeure sans nul doute l'"Opération menace" de septembre 1940, durant la seconde guerre mondiale, avec le débarquement des alliés. Une opération qui a consisté pour la marine de la France libre du Général Charles De Gaulle à bombarder cette cité de la façade maritime de Rufisque. Car croyant qu'elle était sous le joug du gouvernement de Vichy, aux ordres de l'Allemagne Nazi d'Adolph Hitler.
Une page sombre dont des anciens avouent avoir reçu des échos de leurs aïeuls. C'est le cas de Diané Ndiaye, chef de quartier, d'Ousmane Thiombane Ndoye, et de son compagnon d'Alioune Badara Boye. Trouvé assis sous l'ombre dans cette place publique qui fait office de "Penc" de Diokoul, ces sages, à bord de la machine à remonter le temps, font un voyage dans l'histoire pour rouvrir le livre noir intitulé : "La riposte des bateaux de Richelieu", du nom du gouverneur d'alors.
"La résidence de Pierre Crémier sise à quelques encablures du quai de pêche était un poste de guerre disposant d'un phare. Durant la deuxième guerre mondiale, tout le long de la côte de Diokoul était bornée de minarets. De loin, les Français croyaient apercevoir des postes de guerre. C'est ainsi que Diokoul a été bombardé. C'était le sauve qui peut. Les populations locales présentes sur les lieux ont couru vers Diamniadio. Certains autochtones ont pris la direction de Kounoune et un peu partout dans la zone des Niayes", narrent-ils.
Cette plaie encore béante de l'histoire coloniale de ce quartier lébou a jusqu'à présent "laissé des séquelles dans le subconscient d'une génération tout entière", révèlent les gardiens de ces bonnes feuilles de passé de la cité léboue. "Une bombe est tombée chez Keur Ndiaye Coura Thioune juste à l'endroit où se trouve le cocotier que vous apercevez là-bas (le vieux Boye pointe du doigt le cocotier pour nous indiquer l'endroit exact où l'obus a atterri). Fort heureusement, l'obus n'a pas explosé".
12 "Penc" qui symbolisent 12 quartiers traditionnels
"L'engin s'est enfoui dans le sol pour être déterré et désamorcé plus tard par les soldats", se souvient ce vieux du quartier qui indique que l'autre explosif a amputé la jambe d'une dame nommée Fatou Faye, épouse du dignitaire Baba Ndiaye. Beaucoup d'autres dégâts ont été dénombrés après cette attaque de l'armée du Général De Gaulle sur Diokoul, en 1940, au plus fort de la seconde guerre mondiale (1939-1945).
Diokoul c'est aussi l'histoire de ses dignitaires qui se sont illustrés dans la gouvernance locale pour la gestion des 12 "Penc" qui symbolisent les 12 quartiers traditionnels. C'est le cas du Ndèye Dji Rew, Ndiagne Samb, et du Saltigué El Hadji Massamba Diène Lo. Selon toujours la tradition orale revisitée par les anciens, ces deux illustres personnalités, investis d'un pouvoir reconnu par tous, étaient à la tête du tribunal populaire chargé de juger leurs pairs en dehors du tribunal français.
"Cette maison en tuiles située juste à côté du pont de Diokoul Wague servait de prison pour les condamnés", explique le vieux Boye qui nous montre l'endroit. Et d'ajouter qu'à Diokoul Kaw, le notable Béyème Ciss faisait office de chef de quartier. La présence imposante de mosquées se justifie, selon les anciens, par l'implantation de Zawiya par El Hadji Alioune Dia, El Hadji Amadou Wade, El Hadji Gorgui Wade. Tous disciples de Seydi El Hadji Malick Sy (Rta).
La conséquence d'une telle situation étant que, chaque "Penc" a sa mosquée. Un état de fait réaffirmé par ces personnes du troisième âge trouvées sous cet abri conçu en tôles de zinc. "Le tidjanisme est la confrérie de la quasi-totalité des habitants du quartier Diokoul", affirme cet autre notable du quartier pour conforter cette réalité constatée sur le terrain.
Le fief qui a vu naître l'écrivain Ousmane Socé Diop
Diokoul c'est aussi ses illustres fils. Ceux-là même qui, d'après les habitants de cette partie du Cap-Vert, font, aujourd'hui encore, la fierté de ses résidents, explique Alassane Lo. Parmi eux figure en bonne place l'écrivain Ousmane Socé Diop et de l'ancien ministre et ancien ambassadeur Alioune Badara Mbengue.
Du fait de son ancienneté, Diokoul sert de lieu de rassemblement pour communier avec l'esprit des anciens lors des cérémonies de "Bawonane" (rites consacrés à faire des incantations dans le but d'obtenir une pluie en période de sècheresse).
Aujourd'hui, malgré les effets du temps, Diokoul qui a connu un passé glorieux, revit toujours ses pages sombres de son histoire. Des taches noires de ce passé qui ont eu comme conséquence de cultiver chez cette communauté de Diokoul, niché en plein cœur de la ville de Rufisque, le culte de la solidarité et du respect des anciens.