À GORÉE, SANTÉ AU TOP ET ÉCONOMIE À GENOUX
Pour barrer la route à la Covid-19, les conditions d’accès à l’île ont été renforcées. Il ne suffit plus d’un ticket, il faut y ajouter une carte de résident, tout en respectant les normes d’hygiène

Gorée aux goréens, c’est apparemment l’un des effets collatéraux de la Covid-19. Cette terre si attirante, convoitée par des hommes et femmes de diverses origines ne reçoit plus. L’hospitalité tant attribuée à ses habitants a subi les affres de la pandémie depuis le 16 mars dernier. L’île paisible à la belle et colorée architecture s’est barricadée. Pour rallier cette commune, le passage obligé est à l’embarcadère de Dakar. L’ambiance de ce dimanche y est assez terne. Pas de bruit d’enfants accompagnés de leurs parents, ni de bousculade devant les guichets. L’espace d’accueil d’habitude animé est occupé par moins de dix personnes. Il est 9 heures 49 minutes. Plus qu’onze minutes avant la première embarcation de la journée. À 10 heures passées de deux minutes, les agents en charge de l’organisation se signalent. Parmi eux, une femme nommée Adja. En chemise noire, casquette de la même couleur sur le chef, la mine joviale, la dame questionne les passagers. Pas de couacs avec les cinq premiers sur la liste. Après présentation de la carte de résident, ils sont autorisés à accéder à l’autre poste de contrôle, après un passage au point d’eau pour la désinfection. « Lavez-vous les mains avant d’entrer », dit un guichetier sur un ton autoritaire. Cette voix s’est tue, Adja poursuit sa mission. Désormais, elle a affaire à deux jeunes cireurs désirant rejoindre l’île. Voyage impossible, selon elle. « Sans carte de résident, il est impossible d’aller à Gorée. C’est pour éviter la propagation du coronavirus », explique-t-elle. Sans objection, les concernés rebroussent chemin. Au dernier poste, un homme prend le relais. Concentré sur son sujet, il scanne les cartes de résidents et soumet au contrôle de température par thermo flash. Le billet d’embarcation à bord de la chaloupe Coumba Castel est ainsi délivré après cette étape. La barque est occupée par huit voyageurs. À la première loge, un blanc est plongé dans la lecture d’un bouquin. Les deux qui sont derrière mâchent du pain. Le reste contemple dame nature, dans son étendue, sa beauté, dans toute sa splendeur. À l’intérieur de la cabine, Abdoulaye Dacosta Goudiaby est à la manœuvre. Il tourne le volant à fond, le reste de l’équipage buvant ses consignes. « Depuis le mois de mars, il nous arrive même de voyager avec quatre personnes. L’accès à l’île est réservé aux résidents. De notre côté, nous imposons le lavage de mains et la distanciation sociale », indique-t-il, brièvement. Quelques minutes après le départ, la chaloupe accoste. Des membres de l’équipage s’empressent de l’attacher sur le ponton. Les passagers foulent ainsi la terre goréenne. Impossible de presser le pas, un gaillard veille au grain, thermo flash et bouteille de gel en main. « Excusez-moi, une minute, vous devez être contrôlés d’abord », dit-il, avant d’appliquer toutes les consignes reçues du personnel de santé. Gorée ne badine pas avec la santé de ses insulaires.
Les religieux au front
Ce 31 mai, jour de Pentecôte l’aurait sûrement trouvé à Popenguine si ce n’était pas la Covid-19. Malgré tout, Alain Maurice Attaba se rattrape chez-lui, armé de foi et de prières. Sur le canapé de son salon, le guide religieux est jovial et courtois. En chemise de couleur orange, le visage égayé par une petite moustache, l’Abbé est d’avis que l’église est à fond dans la lutte contre la propagation du Coronavirus. À l’en croire, tout est parti de la conférence épiscopale montrant la voie à suivre. « L’église a communiqué, depuis, les lieux de culte sont fermés. Les fêtes religieuses sont célébrées dans la plus grande sobriété », dit-il, le sourire aux lèvres. Sur le plan local, l’autorité religieuse indique que les messages envers les populations ne manquent pas. « Gorée est une famille. L’église est fermée, nous sensibilisons par la méthode bouche à oreille. Les messages sont bien perçus », ajoute Abbé Alain Maurice Attaba. Très connecté, il dit également profiter des opportunités du numérique pour atteindre la masse. « La sensibilisation se fait aussi à travers les réseaux sociaux tels que WhatsApp », précise l’Abbé. Quelques minutes de marche suffisent pour rejoindre la grande place des personnes âgées. Elles sont trois sous un grand arbre en face du terrain de football. Le port de masques est respecté par tous, itou pour la distanciation sociale. L’un des Imams Yoro Mbow est chargé de parler de l’implication des autorités musulmanes dans la lutte contre la Covid-19. « Nous sommes derrière l’État dans cette lutte. Quand il fallait fermer les mosquées, nous l’avons fait. Nous sommes à l’écoute des autorités », indique l’Imam.
Une jeunesse coopérante
Les vieux discutent sous l’arbre, les jeunes nettoient le terrain de football, munis de balais, pelles et brouettes. Deux couches sociales, deux extrémités qui s’entendent pourtant très bien, selon Imam Mbow. « Nous avons des jeunes engagés et disciplinés qui nous aident en appliquant, à la lettre, nos orientations. Ils ont un grand respect pour les personnes âgées et les autorités », témoigne l’autorité religieuse. Si les messages passent, c’est parce que la jeunesse est consciente et joue un rôle prépondérant, selon l’abbé Alain Maurice Attaba. « Les orientations sont suivies. Il n’y a quasiment pas de réticence. Les jeunes coopèrent et la ville se porte mieux, avec cet engagement », indique M. Attaba. Un avis partagé par le conseiller municipal Djibril Seck. À l’en croire, si Gorée est considérée comme un exemple dans la lutte contre le coronavirus, c’est en partie grâce aux jeunes. « Je le répète, Gorée est une famille. Les volontaires font un excellent travail. Ils sensibilisent, nettoient et contribuent au développement de la ville », insiste M. Seck.
Les gestes barrières, une réalité
Une chaleur torride enveloppe Gorée. La mer est calme. De petites vagues échouent aux pieds des adolescents et gamins qui rejoignent la plage un à un. Si certains se baignent, d’autres nettoient la plage, enlèvent les algues qui ont fini de verdir l’eau. Torses nus ou en sous-vêtements, ces citoyens, très actifs, sont observés de temps en temps par le maire de la ville, Me Augustin Senghor. En culotte et maillot de couleur bleue, une casquette de la Fédération sénégalaise de football sur la tête, le premier magistrat de la ville est en plein exercice physique, le visage suant, mains et pieds couverts de sable. L’enclavement de la ville n’est pas un prétexte pour se passer du port de masques. La plupart des personnes rencontrées l’ont mis. Que ça soit dans les places publiques, à côté des musées, du poste de Police etc. « Certains mettent le masque même s’il y a la restriction des conditions d’accès à l’île. Le port de masque n’est pas négligé », constate Djibril Seck. À l’en croire, il devient une obligation, au moment de prendre la chaloupe ou d’entrer dans les lieux accueillant du monde, à l’instar des structures bancaires, la mairie, la police etc. Certes il est en pleine discussion avec d’autres notables de Gorée, l’imam Yoro Mbow n’a pas besoin d’enlever son masque pour s’exprimer. Il l’a bien mis, dit-il pour donner l’exemple. « Que ce soit à Gorée ou partout ailleurs, les gens doivent respecter les gestes barrières. Chez moi ou sur la place publique, je prends le soin de mettre le masque. Je suis un guide, un exemple pour les autres », rappelle l’Imam Yoro Mbow. Dans son salon, Clarice Hazoumé s’empresse de mettre son masque avant d’aborder l’observation des gestes barrières. La présidente de la commission santé de la municipalité est d’avis que le port de masques est une réalité à Gorée, grâce à l’implication de tous à la lutte. « Dans les établissements publics, les gens mettent le masque. C’est un engagement sans faille pour barrer la route à la Covid-19 », martèle Mme Hazoumé.
CLARICE HAZOUMÉ, PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION SANTÉ DE LA MAIRIE
« Tout n’est pas parfait mais nous avons le nécessaire »
La prévention à la communauté, les soins au corps médical. Jusque-là, les Goréens n’ont signalé aucun cas positif. La seule frayeur a été le cas suspect du 15 mars à bord d’un bateau qui assure la liaison Dakar-Ziguinchor. « Comme nous partageons le hall avec les passagers de Ziguinchor, il y a eu une petite frayeur », affirme Mme Hazoumé. Depuis lors, dit-elle, la ville a pris les devants, en filtrant les entrées et sorties. « Gorée a très tôt engagé la lutte, en plus de respecter les mesures allant avec l’état d’urgence. À 17 heures, tout est à l’arrêt. Personne ne peut entrer ni sortir. Nous vivons un double couvre-feu », lâche-t-elle, d’un fou rire. Par rapport à la prise en charge sanitaire, Clarice soutient que le corps médical est équipé en moyens appropriés dans cette lutte. « Nous avons reçu des dotations en masques, thermo flash, solutions hydro alcooliques. Tout n’est pas parfait mais nous avons le nécessaire », dit-elle.
Un fonds de solidarité pour atténuer les impacts
La situation sanitaire est complexe. Celle économique et sociale l’est encore plus. En dehors des gestes barrières, la prévention et la sensibilisation, Gorée mise sur la solidarité pour atténuer les impacts. C’est ainsi que les habitants ont mis en place un fonds de solidarité alimenté par l’appui des Goréens de la diaspora et des associations. « Nous avons eu, au départ, un fonds de solidarité de 5,5 millions. Le port autonome de Dakar nous a également assistés dans ce cadre lors de la visite de son Directeur. Sans oublier le rôle joué par la mairie », explique le conseiller municipal à Gorée et à la ville de Dakar, Djibril Seck. À l’en croire, cette caisse vise à soutenir les familles les plus vulnérables dans ces moments difficiles. « Ici, nous nous appuyons beaucoup sur la solidarité dans la mesure où, Gorée est une famille. Les religions et toutes les couches sociales vivent dans la fraternité », se félicite-t-il.