"PARADIS" DES ENFANTS
Village-pilote de Déni Biram Ndao

Le village-pilote du Lac Rose est une bouée de sauvetage pour les enfants en situation de rue. Situé dans la commune de Bambilor, ce centre accueille, éduque et forme les enfants de la rue en vue d'une réinsertion sociale. Créé en 2008, ce village qui prenait en charge uniquement les 17-24 ans a aujourd'hui élargi cette fourchette d'âge. Il reçoit les petits, les adolescents et les plus âgés. Au total, plus de 90 enfants de la rue vivent dans le centre où ils sont pris en charge gratuitement. Il fonctionne avec des dons, offre aux gamins composés en majorité de jeunes talibés en fugue une seconde chance en apprenant des métiers : La menuiserie, l'électricité, le bâtiment, le maraîchage, entre autres. Le Quotidien est allé à la découverte de ce "paradis" situé à quelque 7 kilomètres du Lac Rose.
Cheikh Tidiane Diallo a ramené de sa ballade nocturne 10 gamins. "Des refuges des enfants âgés de 5 à 13 ans, des oasis âgés de 14 à 16 ans et des tremplins âgés de 17 à 25 ans", détaille Loïc Tréguy, le directeur exécutif du village-pilote de Déni Biram Ndao, situé dans la commune de Bambilor. Refuge, oasis et tremplin sont des noms donnés pour catégoriser les différentes tranches d'âge. Tous les mercredis de 17 heures à 00h, les lundis, et vendredis après-midi, l'équipe de Cheikh Tidiane Diallo parcourt les rues de Dakar, investit les points de chute des enfants de la rue, de la Patte D'oie, de Pikine et environs, de Grand Dakar pour les sensibiliser sur les dangers qui les guettent. Au mieux, l'équipe ramène dans ses bagages quelques jeunes qui le désirent dans le village pour les prendre en charge et leur apprendre la vie en société.
Pour la plupart, ce sont de jeunes talibés en fugue pour maltraitance. Ils élisent domicile dans la rue, livrés à eux-mêmes et à la merci de tous les abus. Ces gamins, fraîchement sortis de la rue, viendront s'ajouter aux 95 enfants de la rue, recueillis par le village-pilote. Un charmant endroit au sable fin niché au cœur de Déni Biram Ndao. Ici le job c'est la promotion, la protection et la prise en charge des enfants en situation de rue. Tout un dispositif d'accueil est mis en place pour éduquer, enseigner et former ces jeunes en vue de leur redonner confiance et d'assurer leur retour en famille.
A l'entrée du village, le visiteur fait face à droite à des huttes en pailles bâchées. Au-dessus de la porte de chaque hutte, il est écrit le sigle Vip. A l'intérieur, le décor est simple, mais très propre. Des matelas fins (merre gadou en wolof) sont disposés dans le sens de la longueur des deux côtés de la tente. Une moustiquaire est accrochée au-dessus de chaque couchage. Devant chaque matelas est posée une maille qui sert de valise aux enfants pour garder leurs affaires personnelles. Cet espace Vip est réservé aux nouveaux venus. Ils y passent 6 mois avant de prétendre aux dortoirs mieux équipés avec des bâtiments en dur et des couchages plus épais.
Mais avant pour les plus petits, c'est-à-dire les refuges, les moins de 13 ans, des stratégies sont mises en place pour mieux les appâter et leur inculquer les codes de conduite en société. Pour ce faire, les animateurs ont trouvé une astuce. Une grande salle de classe qui ressemble fortement à un jardin d'enfant est dressée sur l'aile gauche du village.
Très colorée, la salle accueille les enfants avec un décor de rêve. Des tables bancs au milieu, une grande bibliothèque en arrière-plan et toutes sortes de jouets. Des jeux qui suscitent l'intelligence avec des lettres et des chiffres leur sont proposés. "Au début, ce n'est pas facile", confie la maîtresse souriante. "La majorité des enfants que nous accueillons ne sont jamais allés à l'école", indique-t-elle. Mais "nous leur proposons des jeux pour les avoir, car à cet âge l'enfant aime encore jouer et nous profitons de ces moments pour leur inculquer des valeurs du vivre ensemble et des valeurs sénégalaises telles que le Jom, le kersa, la téranga", explique la maîtresse aux grosses lunettes, trop dévouée à la tâche.
Petit à petit, les enfants flirtent ainsi avec les lettres et les chiffres. D'ailleurs, révèle la maîtresse, toute fière, deux d'entre eux savent lire maintenant. Elle cite nommément deux petits garçons. Sur le tableau est écrite fraîchement une leçon sur les droits des enfants, notamment le droit à l'éducation, à la santé, à une nourriture saine, entre autres. Une manière pour les animateurs de sensibiliser les enfants sur l'éducation à la citoyenneté. L'enfant, avec l'aide des animateurs, apprend la vie en société, les règles qui régissent cette vie. Pour cette tranche d'âge, éclaire Loïc Trégy, l'objectif ce n'est pas de les retenir trop longtemps dans le centre.
"Ils sont encore scolarisables, nous organisons très rapidement le retour en famille et nous faisons en sorte de convaincre les parents de la nécessité de les amener à l'école", explique le patron des lieux. Un exercice qui conduit les équipes du village un peu partout au Sénégal et dans la sous-région, Guinée Bissau, Conakry, Gambie, Côte d'Ivoire, Mauritanie et Mali.
"10 ans de rue, ce n'est pas facile à effacer"
Pour les oasis et les tremplins, ils sont de plain-pied dans la formation professionnelle. Habib Diop est l'un d'entre eux. Cet ancien talibé, âgé de 16 ans, habite à Touba. Il fut talibé et a fugué de son daara. Après 6 ans d'errance dans la rue, il a intégré le centre. L'adolescent, au visage balafré, laisse apparaître une cicatrice béante sur la joue droite qui témoigne de la violence de son séjour dans la rue. Il laisse derrière lui un passé "douloureux" et "sombre" marqué par la drogue, la faim.
Aujourd'hui, il est menuisier et arbore fièrement sa tenue de travail. Il semble se plaire dans le centre. Habib savoure chaque instant et éprouve même du plaisir à s'acquitter de sa corvée journalière à l'image de ces autres camarades. "Le matin, je fais 30 minutes au champ (maraîchage) avant de regagner mon atelier", raconte-t-il, le sourire au coin des lèvres. Le jeune pense déjà à sa vie d'après. Il souhaite un jour rejoindre le cocon familial avec un diplôme en poche et oublier la rue.
Habib n'est pas le seul à penser ainsi. Beaucoup d'entre eux souhaitent un avenir radieux, loin de la jungle de la rue. Mais très souvent, les démons du passé ressurgissent pour certains. C'est le cas de Ibou. Formé aux techniques de la photographie, il est devenu un véritable as dans ce métier. Quand il est au centre, c'est lui qui immortalise les moments de fête grâce à la magie de son appareil photo. Seulement, Ibou est happé par la rue. Malgré son long séjour dans ce centre, il fugue toujours. "Il est revenu récemment. Dieu seul sait combien de fois il s'est enfui du centre. Mais nous ne nous décourageons jamais. Peut-être un jour, il appréciera positivement ce que le centre fait pour lui", espère le cofondateur du centre, Cheikh Dabo.
Cheikh Diallo trouve les cas de fugue normaux. "10 ans de rue, ce n'est facile à effacer", estime-t-il. Entre-temps, l'enfant oublie les codes du vivre ensemble et éprouve du mal à observer les règles qu'il trouve contraignantes. L'animateur essaie aussi de voir l'autre face des fugues. L'enfant qui fuit du centre peut, selon Cheikh Tidiane Diallo, être un animateur de rue pour le centre. "Il peut sensibiliser ses autres camarades de rue de l'existence du village", relève-t-il.
Au-delà de ces petits couacs, Déni Biram Ndao peut se targuer des réussites. Grâce au savoir-faire des enfants, le village commercialise des produits d'ameublement (tables à manger, lits, chaises et objets de décoration). Dans le domaine du bâtiment aussi, les enfants se présentent comme de vrais petits génies. D'ailleurs, révèle avec satisfaction Loïc, c'est la première génération d'enfants de rue recueillis dans le centre qui a construit les différents bâtiments qui composent le village.
"Souvent, note-t-il, certains reviennent pour dire : ‘'C'est moi qui ai construit cette partie''", relate le directeur exécutif, ému. Le village dispose aussi d'un champ de 7 hectares. Les enfants, avec la complicité des animateurs, y cultivent de l'oignon, de la tomate, des choux et d'autres légumes. La direction du village, pour réussir l'insertion sociale des jeunes diplômés du centre, négocie auprès des entreprises partenaires comme Kirène, Bâtimat Plus et Dangote du travail pour ces jeunes. "Nous avons inséré professionnellement beaucoup de jeunes dans ces entreprises grâce à l'aide de Fatou Diop qui gère ce domaine", dit-il.
Pour des dons sénégalais
Le village-pilote du Lac Rose vit des dons de ses partenaires, en première ligne l'Union européenne qui vient de leur offrir une enveloppe de 394 millions de francs Cfa. Ensuite, il y a l'Agence française de développement, (Afd), l'Association des juristes du Sénégal, la Fondation d'Auteuil en France, entre autres. Le village a besoin de ces dons pour son fonctionnement. La prise en charge des enfants est très coûteuse, informe Loïc.
"Rien que pour la nourriture, nous dépensons 500 mille francs Cfa par semaine", confie-t-il. Cheikh Tidiane Diallo, pour sa part, souhaite avoir des dons sénégalais. Il estime que ses compatriotes n'ont pas l'habitude de faire des dons pour la bonne cause. "Même lors des soirées de gala que nous organisons pour des rentrées de fonds, nous ne les voyons pas. Sur 100 invités, seuls 15 à 20 Sénégalais répondent présents", déplore-t-il. Au-delà des enfants qui vivent dans ce village, les animateurs s'occupent aussi de ceux qui sont en conflit avec la loi. Le juge des mineurs délivre à l'établissement des autorisations pour accorder la garde provisoire de l'enfant au centre. Actuellement, le centre accueille une dizaine d'enfants en conflit avec la loi. Ils y bénéficient d'une formation professionnelle en vue d'une réinsertion sociale.