QUAND LES FEMMES BLOQUENT LEURS REGLES PAR DES INJECTIONS OU DES PILULES DURANT LE RAMADAN
Parvenir à jeuner 29 ou 30 sans avoir ses menstrues. Voilà une tendance devenue monnaie courante chez les jeunes femmes au Sénégal.

Et en ce Ramadan 2019, le fait est devenu un effet de mode très prisé par les jeunes femmes. Pour ce faire, elles ont recours à des injections ou à des pilules qui retardent les règles.
La tendance est de mode au Sénégal depuis un certain temps. Mais elle a encore plus pris de l’ampleur cette année. Il s’agit de ces jeunes femmes qui ont recours à des méthodes contraceptives spécifiques pour se débarrasser de leurs règles pendant le mois de Ramadan. L’objectif de ces femmes qui font recours à une injection qui bloque les règles ou des pilules en continu ou mieux encore le stérilet, est de pouvoir jeûner sans interruption durant tout le mois, soit 29 à 30 jours. Une stratégie qui vise à éviter d’avoir ses menstrues et ainsi être contrainte d’arrêter le jeûne pendant quelques jours qu’il faudra ensuite compenser avant le prochain ramadan. Mais il faut dire que les femmes, adeptes de cette formule, ont de multitude d’options en termes de produits médicaux pour échapper à ce qu'on appelle communément la «dette du jeûne», allant de 3 jours à une semaine, le temps que l'écoulement vaginal prenne fin.
Un moyen pour échapper à la «dette du jeûne»
Les règles ou aménorrhées surviennent en début de chaque mois ou à la fin de chaque mois avec l'apparition de transformations biologiques légères. Toutes ces manifestations cliniques, qui constituent le cycle menstruel, surviennent entre le premier jour des règles jusqu'au premier jour des règles suivantes. Les règles sont les pertes de sang en provenance de l'utérus qui s'écoulent par le vagin chaque mois. Un cycle dure généralement 28 jours. Sur la base de cet état de fait, si on corrèle le cycle de la femme avec la période du jeûne, une femme a moins de 5% de chance de ne pas voir ses règles en période de jeûne. A moins qu’elle ne tombe enceinte. C’est donc pour éviter de rentrer en cette période de souillure que depuis un moment certaines femmes au Sénégal utilisent des pilules ou des injections pour retarder leurs règles.
Moins de 5% de chance d’éviter les règles en période de jeûne
Kadia Fall, une jeune dame qui a adopté cette pratique, avoue y trouver son compte. «J’utilise la pilule pour ne pas me souiller durant le Ramadan et devoir payer en jeûnant plusieurs jours après le mois choisi. Je ne veux pas avoir de dette envers Dieu. Quand j’ai mes règles, je me sens mal dans ma peau. Je n’aime pas l’odeur de mon corps, je me sens sale. Certaines trouvent ça fertilisant, parce qu'elles considèrent qu'une femme doit avoir ses règles pour espérer enfanter un jour. Mais moi, je trouve surtout que c’est très contraignant, notamment en cette période de jeûne. Arrêter 5 ou 6 jours et reprendre après le jeûne, ce n'est pas très intéressant», argument-elle. Quid des probables risques d’une prise prolongée de la pilule sur sa santé ? La jeune dame se veut là aussi rassurante : «Je n’ai pas eu de réaction particulière en stoppant volontairement mes règles : pas de douleurs, pas de saignements, pas de baisse de désir, aucun ballonnement. En revanche, j’ai ressenti un grand sentiment de liberté. À partir du moment où on prend une pilule, les cycles sont artificiels, donc un peu plus ou un peu moins, ça ne change rien». Bibiche Diop aussi utilise, la pilule. Agée de 33 ans, elle dit l'avoir commencé cette année sur recommandations d'une de ses copines. «Depuis que j'ai commencé à jeûner je n'ai jamais payé les 4 jours de rupture occasionnés par mes règles. Comme vous le savez, une femme ne peut pas honorer l'engagement de jeûner tous les jours du mois béni. C’est alors qu'une copine à moi, Deuz, m'a donné cette astuce consistant à prendre la pilule. Cela me permet de respecter la recommandation divine sans problème. La pilule est très efficace. Quand je la prends, je jeûne tout le mois et j’avoue que c’est remarquable», affirme-t-elle.
Les femmes mettent en avant leur confort
Interpellée sur le rejet que la religion pourrait faire de cette pratique, elle défend : «Je préfère remplir ce sacerdoce, que de ne payer les jours où j'ai mes règles. Parce qu'avant d'utiliser la pilule, je ne les honorais pas. Dans mon cas, cette méthode est un mal nécessaire. Mais si toutefois les pilules ne sont pas recommandées par l’islam, je verrai comment faire. En attendant, je suis bien consciente de mes actes et sans mes menstrues je suis à l'aise pour prier et me conformer à la religion comme il se doit». Pour sa part, Fatima, une jeune cadre d’entreprise, célibataire de 32 ans, explique avoir eu recours à une injection auprès de son médecin. «C’est une injection d’un produit contraceptif qui permet de décaler les règles et de rester environ 45 jours sans avoir les avoir. J’utilise ce contraceptif depuis 2 ans maintenant. C’est une semaine avant le début de Ramadan que je vais voir mon médecin pour prendre la piqûre. Ça me permet de jeûner sans interruption tout le mois béni, sans devoir avoir une ‘dette de jeûne’», souligne-t-elle. «Je ne pense que ce soit un interdit de l’islam. Car je crois savoir que beaucoup de femmes qui vont au pèlerinage à La Mecque utilisent cette injection pour bloquer les règles et pouvoir effectuer tranquillement leur Haj sans encombre», justifie-t-elle, quant à la «légalité» de la méthode.
DR AMY NIASSE SUR LA PRISE DE PILULES ET INJECTIONS DURANT LE JEUNE «Elles ont très peu d'effets indésirables»
Tous les moyens sont dorénavant bons pour certaines jeunes sénégalaises pour ne pas avoir leurs règles durant le mois de Ramadan. C'est ce qui explique que ces dernières, encore en âge de procréer, font recours à des pilules ou des injections pour stopper leurs menstrues. Sur les effets que cela peut avoir sur le plan médical, nous avons requis l’avis du docteur Aminata Niasse, gynécologue, obstétricienne.
Quelles sont les pilules et injections susceptibles de retarder ou bloquer les règles ou menstrues?
Les pilules progestatives par exemple le microval, lutenyl, du phaston prises, de façon continue, c’est-à-dire durant tout le cycle bloquent les menstrues.
Cette prise de médicaments peut-elle être assimilée à une automédication ?
D'abord, je ne parlerai pas d'automédication, car les contraceptifs ne sont pas délivrés sans ordonnance. Les patientes viennent nous voir pour leur consultation de contraception durant laquelle nous leur présentons les différentes méthodes, leurs effets, les contre-indications, les avantages et les inconvénients et le suivi. Cela, pour un choix libre et éclairé.
Cette prise de pilules présente-t-elle des risques ?
Mis à part quelques effets indésirables (prise de poids, spotting...) cette catégorie de contraceptifs a très peu d'effets secondaires. Pour celles qui pensent au danger, je dirai non, il n’y en a pas. Puisque je l'ai dit tantôt, ces produits médicaux ont très peu d'effets indésirables. Et ces effets sont presque inexistants pour une durée d'utilisation courte, par exemple le mois de Ramadan qui dure à peine 29 à 30 jours.
OUSTAZ IRAN NDAO : «Il n'y a pas de mal à prendre des produits qui empêchent les règles»
Les femmes, qui prennent des pilules pour freiner ou stopper leurs règles, pendant le mois de Ramadan, et ainsi pouvoir jeûner sans interruption, n’ont pas de souci à se faire sur le plan religieux, d'après Oustaz Iran Ndao. Interpellé sur la question pour avoir la position de l'islam par rapport à cette situation, le prêcheur précise qu’il n’y a aucun interdit. «Leur ramadan sera accepté. Il faudra juste qu’elles s'assurent que leur corps peut supporter cette prise de médicaments. Parce que cela peut entrainer des conséquences sur le plan de la santé, étant donné que les règles sont programmées biologiquement et si elles tardent à venir, cela bouleversera le cycle menstruel avec certaines conséquences derrière», at-il expliqué. Pour ce qui est de la convenance d’utiliser ces pilules pour des musulmanes, le prêcheur se veut formel. «Il n'y a rien de mal en cela. Mais l'islam n’a pas à prendre en charge cette question. C’est aux médecins de se prononcer sur ce débat», a éclairé le prêcheur.
Pour Iran Ndao, «du moment que ces femmes respectent la recommandation divine, c’est à dire le jeûne, il n’y a aucun souci, aucun mal qu’elles prennent des produits qui empêchent les règles d’arriver durant le mois de Ramadan. Vraiment, il n'y a rien de mal à cette pratique». Selon le prêcheur du groupe D-Média, «si les femmes peuvent user d’astuces pour stopper les règles le temps du jeûne, il n'y a rien de mal. En tout cas pas du point de vue de l’islam. Parce que dès qu'il n'y a pas parution des règles, la femme peut jeûner»
IMAM CHERIF DIOP «Les savants disent que cette pratique est bannie par l’islam…»
La nouvelle tendance, prisée par une certaine catégorie de femmes, consistant à prendre des pilules ou des injections pour retarder les règles jusqu’après le Ramadan pose problème à imam Chérif Diop. Interprétant les textes coraniques à ce propos, «il prévient qu'il n’est pas souhaitable pour une musulmane de faire recours à ces types de pratiques. Parce qu’il n'est pas souhaitable qu'une musulmane stoppe ses règles pensant que cela lui facilite le Ramadan». «Cette pratique n'est pas souhaitée. Mais on ne peut pas dire que c’est interdit par l'islam. Parce qu'il y a des femmes, lorsqu'elles partent à La Mecque pour effectuer le pèlerinage, elles prennent des médicaments pour stopper leurs menstrues. Mais les savants disent que cette pratique est bannie par l’islam. Parce qu'elles doivent laisser simplement les choses venir naturellement. Il faut laisser la nature jouer son rôle, d’autant plus que c’est Dieu qui a dit que les femmes qui voient leurs règles sont exemptées du jeûne et doivent compenser les jours qu’elles n'ont pas jeûnés après le Ramadan», a explicité imam Diop.
Pour le religieux, «les femmes qui s’adonnent à cette pratique doivent s’assumer. Si elles adorent Dieu, elles doivent savoir qu’elles ne commettent pas de péchés en rompant le jeûne quand elles sont dans leur période. Parce que les jours qu'elles compensent en jeûnant après le Ramadan, ces jours sont considérés comme partie intégrante du Ramadan et rétribués à la même hauteur par le Seigneur. Il n'y a aucune différence, contrairement à ceux qui pensent que cela dévalorise le jeûne». Il renchérit en soulignant : «Cela signifie qu’elles peuvent se passer de ces pratiques. Car c’est Dieu qui a dit que toute femme qui voit ses règles doit suspendre le jeûne. C'est cela la Sunna. Pour ce qui est du pèlerinage, les savants attestent que c’est déconseillé de stopper volontairement ses règles. Mais ils n'ont pas encore dit que c’est banni par la religion musulmane. Mais ce n’est pas recommandé de le faire».