QUAND LES MORTELS HANTENT LE SOMMEIL DES MORTS
Tas d'immondices, herbes à gogo, eaux stagnantes, etc…

Créés en 1950, les cimetières de Pikine traînent, depuis quelques mois, une très mauvaise réputation. Les histoires de profanation de tombes s'y multiplient et laissent penser qu'il s'agit de pratiques très anciennes. EnQuête y a fait hier un tour hier.
Des tas d'immondices par endroit, de l'herbe qui pousse, un mur de clôture qui ne paie plus de mine. Les cimetières de Pikine offrent un triste décor. Les riverains ont fini par transformer l'endroit en dépotoir d'ordures. Même les mécaniciens qui squattent les abords s'y mettent, transformant l'endroit en un fouillis indescriptible. En plus des ordures, on y trouve des pneus, de la ferraille. La proximité avec les habitations est telle que la nuit, les riverains s'assoient près du mur pour faire un brin de causette.
Situés dans la commune de Pikine-Ouest, et à quelques jets de la route nationale, les cimetières de Pikine existent depuis 65 ans, du temps des coulons. L'endroit était un champ où poussaient également des palmiers. Il s'agit, diton, du quatrième cimetière construit dans la région de Dakar. Ce qui fait que sa capacité d'accueil est dépassée depuis belle lurette, selon les responsables. Des personnalités religieuses et politiques y reposent. Mais, dernièrement ce lieu de repos éternel est sorti de son anonymat à cause de pratiques immorales. Des corps ont été exhumés. Les auteurs en avaient apparemment pour les linceuls.
Anarchie
Un seul mot pour caractériser les cimetières de Pikine : anarchie. Et pourtant hier vendredi, il y avait du monde. Principalement des proches de défunts venus prier sur des tombes et faire un petit nettoyage. Chapelet à la main ; qui, un seau d'eau, un balaie ou un râteau, ils ont été nombreux à s'affairer autour des tombes. Conséquence de cette affluence, il était hier difficile de se mouvoir au sein du périmètre, notamment à cause des branches d'arbres disposées en tas. Il y a eu un abattage des arbres. A l'entrée, à gauche, il y a un espace où poussent des herbes. Là, la nappe phréatique affleure. On dirait un jardin, avec toute cette verdure. Ici, de nombreux obstacles se dressent sur le seul chemin qui permet de s'enfoncer dans ce cimetière. Si ce ne sont pas des tas d'herbes, le visiteur doit éviter des bidons vides, des tas d'eau, des pneus, de la ferraille….
Depuis l'éclatement de cette affaire, des projecteurs ont été installés pour combattre les ténèbres qui faisaient le bonheur des profanateurs. Outre ces constats, ce qui frappe, c'est la hauteur ridicule du mur de clôture qui ne constitue absolument pas un rempart contre des intrus malintentionnés. Le désherbage qui a été annoncé n'a été que partiel. "Chaque année, on avait l'habitude de voir les talibés de certains marabouts ou des associations et des bonnes volonté venir pour le désherbage. Cela n'a pas été le cas cette année. C'est peut-être à cause de cela qu'on voit de l'herbe en grande quantité, alors que l'hivernage a fini", explique un habitué des lieux.
"Il y a trop de bordel dans ce cimetière"
Plus on avance, plus on constate des choses qui inquiètent. Au fond à droite, c'est le territoire des mécaniciens. Ils ont pris possession du mur en haut duquel ils déposent leurs outils de travail. "Personne ne peut rien contre eux. Ils refusent de quitter les lieux. Peut-être que si les autorités policières les somment de vider les lieux, ils s'en iront. On avait prévu d'adresser une lettre au Préfet lui demandant d'ordonner leur déguerpissement, mais il y a un problème de consensus au sein du voisinage. Ils savent très bien que ce qu'ils font, ce n'est pas normal", tonne Abdou Lô venu prier pour le repos de sa mère qui a quitté ce bas-monde, il y a de cela une dizaine d'années. "Il y a trop de bordel dans ce cimetière. Je pense qu'on doit siffler la fin de la récréation. Chacun doit savoir que nous sommes tous appelés à venir ici un jour. La mort n'épargnera personne. Donc, en tant que mortel, on doit respecter les âmes de nos morts".
Abdou Lô, comme d'autres visiteurs, n'a pas fini de souffrir de ce laisser-aller. Il constate impuissant que l'endroit est un dépotoir d'ordures. A ce propos la dame Aby Diallo fait une révélation alarmante. "De bonnes volontés, confie-t-elle, vous ont devancé ici pour enlever pas mal de saletés, depuis l'éclatement de cette affaire de profanation. Sinon, vous n'alliez pas croire que vous êtes dans un cimetière. L'autre jour, on a failli assister à une grosse bagarre. Quelqu'un est venu prier sur la tombe de ses parents. Il a trouvé beaucoup d'herbes et autres immondices sur le tombeau. N'eut été les bonnes volontés qui se sont interposées, il allait surement se faire justice. Il était incontrôlable".
Et pourtant, on a rencontré un septuagénaire qui souligne que l'endroit est bien entretenu, comparé à d'autres cimetières dont il n'a pas voulu citer les noms.
SÉCURITÉ ET QUIÉTUDE DES CIMETIÈRES DE PIKINE
Les propositions des riverains
Un bon système de gardiennage, un meilleur éclairage et des bonnes volontés pour mettre de l’ordre et faire respecter les morts. C’est ce que souhaitent des riverains et habitués des cimetières de Pikine.
e voisinage des cimetières de Pikine, comme les habitués, est conscient qu’il se passe beau coup de choses qui ne vont dans le sens d’honorer les défunts qui y reposent. "Passez ici, le soir vers 22 heures, vous allez voir les riverains assis au pied du mur pour raconter leur vie. Ils oublient qu’il y a des milliers de défunts qui reposent derrière eux. Je pense qu’on devrait respecter nos morts. S’ils n’ont pas d’endroits ou autres lieux de rencontres pour discuter de futilités, qu’ils aillent loin des morts, au moins", fulmine A. Diallo, trouvé près de la tombe de sa mère. Il est d’avis que les riverains savent très bien que ce qu’ils font est aux antipodes de ce que préconisent toutes les religions révélées. Mais, ils continuent de le faire. Alioune Kandé raconte : "à chaque fois qu’il y a grève dans le secteur du nettoiement, il y a une ruée des populations vers les cimetières. Elles viennent la nuit y verser leurs ordures. C’est anormal". D’ailleurs, il explique que n’eut été les adultes qui veillent au grain, les alentours des cimetières allaient devenir un Mbeubeuss bis.
"Ils nous arrivent de chasser ici des couples, la nuit"
D’autres avancent que des actes prohibés sont posés aux alentours. D’aucuns viennent fumer du chanvre indien. D’autres en ont fait un lieu de rencontres pour amoureux. "Ils nous arrivent de chasser ici des couples, la nuit. D’autres prennent le malin plaisir de venir se saouler. Mais, à chaque fois, on leur mène la vie difficile. Et ils doivent remercier les adultes, car si cela ne dépendaient que des jeunes, les auteurs de ces pratiques allaient être lynchés ou bien arrêtés et remis entre les mains de la police", confie Ramatoulaye Seck, une riveraine. Selon elle, si les gens ne changent pas d’attitudes, ils n’excluent pas de laisser les jeunes faire la loi eux-mêmes.
Ici, tout le monde s’accorde sur la nécessité de mettre en place un bon système de gardiennage et d’avoir un meilleur éclairage.
APRÈS LA PROFANATION DU CIMETIÈRE MUNICIPAL DE PIKINE
"Bakhiya" croise les doigts
Le cimetière musulman de Yoff, lieu de repos éternel rencontre certes des problèmes, mais comparé aux récents développements de l’actualité, "Bakhiya" n’est pas à plaindre. Les riverains demandent toutefois que les récents travaux de réfection sur les murs soient suivis d’une surveillance stricte pour parer à toute éventualité.
Khadim pousse un ouf de soulagement pour le moment. Le désir de ce taximan trapu d’interpeller la mairie de Dakar sur l’affaissement d’une partie du mur du cimetière musulman de Yoff a été satisfait presque contre toute attente. Les travaux d’extension de la Vdn qui ont commencé il y a plus d’un trimestre ont permis d’ériger un nouveau mur plus haut, qui a permis de mettre fin aux intrusions inopinées d’individus.
"C’est salutaire de voir que cette partie est sécurisée. On n’en pouvait plus de voir non seulement les gens entrer et sortir à leur guise, mais aussi d’exposer les tombeaux comme ça sans aucune barrière", s’exclame-t-il, dans un demi-sourire. Une satisfaction loin d’être entière puisque " de petits malins ont déjà trouvé l’astuce pour monter sur les murs en creusant de petits trous dans le mur comme repose-pied. On croyait en avoir fini mais décidément...". Comme pour confirmer ses propos, de jeunes talibés ont escaladé en usant d’un gros pneu en guise de courte échelle sur le mur blanc de ce grand reposoir.
Coincé entre les grandes constructions des cités Diamalaye Djily Mbaye, Nord-Foire, et un peu plus loin l’unité 26, le cimetière musulman de Yoff est le plus grand de la capitale sénégalaise. Y reposent des noms célèbres comme le regretté coach de l’équipe nationale de foot du mondial 2002, Bruno Metsu, le premier président camerounais Amadou Ahidjo, pour ne citer que ceux-là.
Le taximan, vivant à la Cité Diamalaye depuis peu, a toujours été sidéré et peiné par la désinvolture dans laquelle l’une des plus grandes catacombes du Sénégal est tenue. Un mécontentement partagé par beaucoup de riverains, qui se réjouissent tous de la fermeture de cette grosse faille qui exposait dangereusement les cimetières. Pa Fall, un retraité dégustant un petit déjeuner fumant dans une gargote en face du cimetière, regrette l’époque où l’on pouvait apercevoir l’océan à partir des cimetières. "Regardez comment
tous ces superbes bâtiments surplombent le cimetière. Je trouve un peu malsain que les tombes soient exposées sans aucune forme de protection. Il faut peut-être penser à planter de grands filaos", propose-t-il. Les gens éprouvent de moins en moins de déférence pour ce lieu où nous finirons tous. Au lieu d’emprunter la porte principale, ils cherchent toujours à escalader le mur comme raccourci.
C’est eux qui ont créé toutes ses fausses sorties", poursuit-il. Sur le même banc où les langues se sont déliées, Vieux Thiaw se réjouit quant à lui qu’avec ce mur, ce lieu ne va plus servir d’échappatoire. "C’est vrai que les cas sont assez rares pour être relevés, mais voleurs à l’arrachée et agresseurs avaient l’habitude de prendre la tangente dans les cimetières. Qui oserait les y suivre ? ", s’interroge-t-il.
"Déperdition spirituelle"
Hier avant la mi-journée, comme depuis quelques jours, c’était le toilettage le long du mur du cimetière par les éléments de l’Unité de gestion des déchets solides (Ucg). Des groupes de jeunes hommes et femmes, vêtus de tee-shirts blancs, armés de pelles râteaux et brouettes s’évertuaient à redonner au cimetière son lustre d’antan. Un désherbage sous le chaud soleil qui n’a rien à voir avec les opérations de nettoyage à grande échelle entreprises par Serigne Modou Kara et le défunt Chérif Ousseynou Laye à l’intérieur même du cimetière, dont on regrette l’absence depuis 2008 fait savoir Khadim. Devant l’énorme parking de l’entrée, beaucoup de personnes sont rassemblées. Il s’agit d’une foule venue assister à un enterrement. Un homme, téléphone portable collé à l’oreille s’enquiert de la situation de la procession qui doit acheminer la dépouille. Quelques voitures viennent se garer avec sur l’énorme parking de l’entrée peinte en vert et blanc. Un calme plat que trouble la circulation automobile sur l’Avenue qui longe le lieu. "Cimetière musulman bakhiya" lit-on en gros caractère avec la traduction arabe à côté. Aborder les derniers développements de l’actualité sur la profanation des tombeaux n’est pas chose facile.
Personne ne se propose de se jeter à l’eau. Les fossoyeurs à l’entrée qui montraient un enthousiasme souriant en nous ayant confondu pour un parent venu entretenir la tombe d’un disparu se sont transformés en façades renfrognées. " Faut demander après Dièye. C’est lui notre supérieur, nous ne pouvons en parler", lance un agent costaud avant de désigner les locaux du gestionnaire. Ce dernier nous conduit à son tour à son supérieur. Et à l’intérieur des bureaux de l’équipe de gestion, c’est un homme mal à l’aise, indisposé, par la survenue de ces déterrements à Pikine qui a tenu à couper court à cette éventualité.
"C’est un sujet très sensible. J’aime la transparence, mais la nature de ce travail exige beaucoup de discrétion. Le simple fait de l’évoquer pourrait amener ces genres de méfaits dans notre cimetière qui n’a jamais connu pareil sacrilège. Dieu nous en garde", répond-il avant de requérir l’aval de son supérieur, le maire des Hlm, pour pouvoir s’ouvrir plus sur le sujet. Si les riverains veulent plus d’implication dans l’entretien du cimetière musulman de Yoff, et surtout un éclairage qui fonctionne toute la nuit, les derniers développements sur les violations de sépultures à Pikine, semblent venir d’une autre planète pour ces habitants. " Ici le seul ‘crime’ est le fait d’enfants qui cherchent du fruit de badamiers (guerté toubab). Ceci étant, la sécurité doit être revue ; ça on n’a de cesse de le dire, mais Dieu merci ces pratiques n’ont jamais été répertoriées jusque-là. Espérons que ça va continuer ainsi", poursuit Pa Fall. Pour Khadim, le taximan, c’est juste une déperdition spirituelle qui s’empare malheureusement de quelques hommes qu’il traite "d’assoiffés matérialistes".