YOFF AUX PRISES AVEC LES DÉMONS DE LA MODERNITÉ
Avec l’explosion de sa population, Yoff fait face à des maux qui ont pour noms : insécurité, insalubrité, en plus du grand désordre qui règne dans cette commune
Avec l’urbanisation galopante, Yoff, qui était jadis un gros village traditionnel Lébou, est devenu un grand centre urbain. A la communauté autochtone Lébou sont venus s’ajouter non seulement des habitants en provenance d’autres régions du Sénégal mais aussi, et surtout, des étrangers. Reportage !
Réputé jadis calme et loin des turbulences de certains quartiers de Dakar, la commune de Yoff présente un nouveau visage de nos jours. Elle n’offre plus les mêmes caractéristiques que jadis, lorsque Yoff n’était qu’un gros village Lébou. la gangrène des temps modernes est passée par là. Aujourd’hui, cette agglomération, fief incontesté des « Lébou », est devenue, aux yeux de ses occupants, le refuge des délinquants et le symbole de l’anarchie. la recrudescence des interventions des forces de l’ordre dans ce périmètre en constitue une parfaite illustration. Pas plus que ce lundi 15 avril 2019, une descente inopinée des éléments du commissariat des Parcelles assainies à ouest foire, une cité située dans cette commune, s’est traduite par l’arrestation d’un nigérian soupçonné de trafic de drogue.
En réalité, de tels faits relèvent de l’ordinaire selon certains habitants. « Nous sommes habitués à voir des gendarmes débarquer de jour comme de nuit dans notre quartier. Des descentes qui nous font mal car c’est notre image qui est ternie », explique, avec désappointement, un jeune homme rencontré devant une mosquée. la récurrence de ces faits de trafic, de prostitution ou de violences entraînant l’intervention des gendarmes tend d’ailleurs à se banaliser. en effet, il y a moins d’un mois, la chronique avait été défrayée par une série d’arrestations d’individus de nationalités étrangères logeant dans cette citée. dans la foulée, les policiers de la division des investigations criminelles (dic) avaient démantelé une bande de 15 nigérians qui s’adonnaient à la cybercriminalité. dans les semaines qui ont suivi, c’est la cité voisine de nord foire qui a pris le relais secouée qu’elle était par un rocambolesque braquage. deux militaires de l’armée e l’air y ont effectué un hold up en plein après-midi dans un point de service Wafacash avant d’être arrêtés grâce à l’intervention diligente des pandores de la brigade de la foire. Pourtant, en s’engouffrant dans les faubourgs du quartier dénommé «Yoff village», en ce plein après-midi, tout semble normal. les populations vaquent à leurs occupations au milieu d’un grand brouhaha mêlé aux bruits cacophoniques des taxis « clando ». « Ce n’est que la partie visible de l’iceberg », explique cet étudiant du nom de Balla Mboup, qui semble mieux comprendre l’envers du décor. Selon cet interlocuteur approché afin qu’il nous indique les sources de ce qui constitue le mal-vivre des habitants de ce village, il faut longer les ruelles pour pénétrer au cœur de leur vie sociale. en moins de cinq minutes de marche, nous voici en face d’un homme, la soixantaine. habillé d’ grand boubou gris, journal à la main, il revêt un statut de notable éclairé. douanier à la retraite, il est bien placé pour parler des problèmes d’ordre sécuritaires qui sévissent dans la commune. « Le problème de l’insécurité est une réalité à Yoff. Mais c’est une problématique qui découle de l’absence de garde-fou, car la commune est devenue très peuplée ces dernières années alors que cette évolution n’a pas été prise en considération par les autorités habilitées à assurer la sécurité des populations », explique avec une grande aisance l’ex- paramilitaire, Babacar Dièye.
Ainsi, nous rappelant les récentes faits de violence ayant défrayé la chronique, ce retraité estime que les cités nouvelles de la commune comme nord foire et ouest foire sont les plus touchées par la délinquance. ce que confirme le chef de quartier de Sicap layenne, Serigne Mbacké Diouf. dans sa grande maison subdivisée en petits appartements détachés les uns des autres, le notable nous invite dans son salon, tout ravi de parler de ce qu’il considère relever de la « responsabilité des autorités municipales ». «Notre problème, c’est l’insalubrité causée par les charretiers qui occupent illégalement l’espace public. Nous vivons quotidiennement avec les déchets issus de l’organisme de leurs animaux qui entrainent une pollution de notre environnement immédiat. En respirant à peine, nous craignons même des répercussions sanitaires d’ordre hygiénique », s’alarme-t-il.
« Je ne sais pas pourquoi le maire Diouf Sarr ne réagit pas à nos doléances »
Face à la dégradation de l’environnement et aux diverses nuisances, le chef de quartier dit avoir entrepris plusieurs démarches auprès du Service d’hygiène ainsi que la municipalité en vain. « Nous avons même signé une pétition pour nous indigner contre les mauvaises conditions environnementales dans lesquelles nous vivons dans ce quartier mais, jusqu’à présent, aucune requête n’a connu de suite favorable », se désole Serigne Mbacké Diouf avant de brandir des copies de ces diverses correspondances en guise de preuves. dans une posture d’étonnement à l’égard de cette angoisse devenu existentielle pour ses administrés, le notable s’interroge : « Je ne sais pas pourquoi le maire Abdoulaye Diouf Sarr ne réagit pas à nos doléances ». Contactée à cet effet par nos soins, pour avoir sa version face aux accusations portées contre elle, l’équipe municipale de Yoff n’a pas donné suite à notre requête.
Ouest Foire, un Lagos en miniature
Toutefois, de toutes les cités de la commune de Yoff, ouest foire semble la plus touchée par les fléaux décrits ci-dessus. «Ici, malgré l’image de quartier résidentiel que dégagent les maisons, c’est la débauche et le banditisme à haute échelle qui règne la nuit », souffle Ndèye Diop, entourée de ses bambins rencontrée à la devanture de son domicile. Cette dame pointe un doigt accusateur en direction des étrangers. une thèse qui sera confirmé par le chef de quartier, Mamoudzou Guèye. « Tous les fauteurs de troubles dans ce quartier sont des étrangers, principalement des Nigérians. Ces individus logent ici dans des appartements et agissent en bandes organisées dans des activités de trafic de drogue mais aussi dans la cybercriminalité », déplore le responsable qui dit craindre voir les enfants du quartier verser dans ces activités criminelles. très imprégné de ce gangstérisme, notre interlocuteur dresse les modes opératoires des voyous et les mesures prises comme antidote à l’enfer nocturne de la cité. « Après que la DIC a démantelé leur réseau basé à Nord Foire, le restant de la bande est venu s’installer ici et depuis lors les habitants du quartier viennent se plaindre du tapage nocturne auquel se livrent ces individus. C’est pourquoi on s’est même concerté entre voisins pour filtrer la location afin d’éviter son accès à certains étrangers », explique notre interlocuteur.
Alcool, prostitution, arnaques via le Net …
Quasiment invisibles la journée, la plupart des gens de cette communauté pointés du doigt se croisent nuitamment dans une auberge située aux abords de la route séparant le Yoff traditionnel de la cité ouest foire. dans cet environnement, le règne de la débauche saute aux yeux. Vêtements décolletés, sans avoir froid aux yeux, les filles qui ornent le décor de ce lieu prisé de ces « niakk » (comme on les appelle ici), interpellent discrètement le visiteur. « Que voulez vous ? Si vous voulez on peut entrer pour mieux discuter », nous apostrophe une d’elles après avoir constaté un certain gêne de votre serviteur. Jouant le jeu, elle nous entraîne vers une table et s’installe sur une chaise avant de nous inviter à en faire de même. au bout de quelques minutes, après avoir fait comprendre au serveur que nous ne voulions rien consommer, il nous demande fermement de vider les lieux ! mais un bref regard jeté sur la composition sociologique des lieux permet de constater la thèse du chef de quartier qui qualifie ces étrangers de «chauves souris ». car, ici pas besoin d’être adeptes de Shakespeare pour se rendre compte que l’anglais aux accents de Lagos est la langue dominante. un coin malfamé qui devient la nuit un véritable lupanar. Conséquence : pour trouver le sommeil à ouest-foire, la nuit, faut se doter de boules quiès. Ainsi va la vie dans cette commune jadis traditionnelle mais devenue cosmopolite du fait de l’afflux massif d’étrangers mais aussi de l’urbanisation galopante. une commune dont les habitants doivent désormais s’accommoder d’un quotidien rythmé par la violence, la drogue, la prostitution, les agressions et… les nuisances sonores !