QUAND DES SENEGALAISES BRISENT LES TABOUS
L’arbitrage, jadis chasse gardée des hommes, peut se conjuguer désormais au féminin au Sénégal ; et les filles gambadent sur les pelouses derrière les hommes et les dames en «culottes courtes».

L’arbitrage, jadis chasse gardée des hommes, peut se conjuguer désormais au féminin au Sénégal ; et les filles gambadent sur les pelouses derrière les hommes et les dames en «culottes courtes». De Fatou Gaye à Florence Biagui, en passant par Ndèye Fatou Sèye, Fadouma Dia et Fatou Thioune, elles sont de plus en plus nombreuses sur les pelouses. Mais la place qu’elles sont en train de conquérir ne leur a été pas donnée sur un plateau d’argent. Au contraire ! Elles ont franchi le cap en brisant des barrières de discrimination, avec une grande force de caractère qui les a aidées à imposer le respect.
«lorsque je devais arbitrer la première finale de la Ligue professionnelle opposant la Linguère de Saint-Louis et le Casa Sports, en 2009, tout le monde disait que le président de la Commission centrale des arbitre avait pris des risques en me désignant. En plus, nous étions un quatuor féminin. Jusqu’à l’échauffement, le jour du match, certains ont continué à contester le choix», confie Fadouma Dia. Du temps a passé.
L’ancienne arbitre internationale a fait du chemin. Devenant même, depuis 2017, inspectrice et assesseure à la Confédération africaine de football (Caf). Le sexisme et la misogynie qu’elle a vécus lors de ce Linguère-Casa n’est plus qu’un mauvais souvenir qui la fait même sourire.
La discrimination, les stéréotypes n’ont pas trop duré. «A la fin du match, la Linguère a gagné (aux tirs au but, Ndlr). Le lendemain, tous les joueurs ont parlé de moi et la Radio télévision sénégalaise (RTS) a fait un portrait de moi. Feu Bocandé m’a aussi félicité», se rappelle t-elle. Aujourd’hui, après dix ans à courir sur les terrains, Fadouma Dia continue le combat pour une plus grande féminisation du monde du ballon rond. Elles sont désormais 150 femmes qui ont intégré le milieu soit par «amour», ou parce que «convaincues par d’autres», selon le président de la Commission centrale des arbitres, Amadou François Guèye qui cherchent ainsi à faire voler en éclat les barrières du milieu de l’arbitrage. Certaines sont même allées loin et se sont installées sur la scène continentale. L’une d’elles, Fatou Thioune, également sergent de l’Armée sénégalaise, rappelle : «J’ai arbitré mon premier match international en 2013, lors des éliminatoires de la Coupe d’Afrique féminine. C’était Maroc-Algérie.
Mon baptême du feu. Ce n’était pas facile, mais je me suis donnée à fond. J’ai montré aux gens que je sais faire ce qu’on m’a demandé. J’ai fait un bon match.» Les difficultés ne manquent pas par moment. Mais dans l’arbitrage féminin, on a compris que s’imposer sur un terrain de foot, c’est d’abord une question de personnalité.
Pour Fadouma Dia, c’est même «la principale astuce pour s’en sortir. L’arbitrage, c’est le domaine où la personnalité s’exprime à fond. Quand tu es arbitre, tu es le maitre du terrain. C’est à toi de t’imposer. La dernière décision te revient». L’exercice n’est pas facile. Face aux stéréotypes qui tombent des gradins, elles sont exposées et parfois atteintes dans leur personnalité. Du genre «Retourne à côté de ton mari et de tes enfants, ici ce n’est pas ta place». Ou encore «C’est une femme ! Elle ne peut connaître les lois du hors jeu !». «En tant que femmes, on est parfois exposées, mais ça ne peut pas nous décourager. C’est le métier qu’on a choisi. Quand on a du caractère, on arrive à faire fi de tout cela et imposer notre autorité. A faire les matchs correctement », explique Fatou Thioune.
Joueur de l’Asc Pikine, Chérif Diallo trouve que les femmes veillent toujours à prendre leurs distances dans un terrain. «Elles ne veulent pas se familiariser avec les hommes. Elles pensent que nous allons en profiter pour leur manquer de respect. C’est pourquoi elles sont rigoureuses et fortes sur un terrain». Refuser la familiarité, c’est un moyen d’élever des murs qui instaurent le respect. Entraineur adjoint de l’Us Ouakam, Demba Bâ s’habitue ainsi à voir des femmes diriger son équipe. Pour lui, il n’y a rien de plus normal. «En un moment, les femmes étaient rangées dans une catégorie à part. Hors du football. Mais il y a une évolution.
L’arbitrage est un métier. Si la femme n’a pas de caractère, elle ne peut l’exercer. Maintenant que le milieu leur est ouvert, on se rend compte qu’elles font un bon travail. Je n’ai aucun doute dessus», laisse-t-il entendre.
L’HONNEUR DU SIFFLET SENEGALAIS
L’arbitrage au féminin continue de faire son bonhomme de chemin. Aujourd’hui, toutes les compétitions sportives sont à l’arrêt à cause de la pandémie du Covid-19, mais chaque week-end, elles descendaient sur le terrain, désignées par la Commission centrale des arbitres (Cca) pour officier dans les différents terrains du Sénégal. De la Ligue 1 au National. «L’arbitrage féminin a évolué. Il fut un temps où cela s’arrêtait à Dakar et à Saint-Louis. Maintenant, dans toutes les régions, on compte des filles ou des femmes qui sont dans l’arbitrage et qui ont un très bon niveau. Dont des internationales qui viennent des régions de l’intérieur du pays. Il y a quelques années, c’était inimaginable», souligne le président de la Cca, Amadou François Guèye. Après avoir tenu le haut du pavé au niveau national, les arbitres sénégalaises se sont frayées un chemin au niveau international. On les retrouve dans les grandes compétitions.
Fadouma Dia, par exemple, a fait les Jeux africains en 2007 (Algérie), les Jeux olympiques de 2008 (Pékin), la Coupe d’Afrique en Guinée Equatoriale (2008), mais aussi le Mondial féminin U20 en 2012 (Japon), sans compter la Coupe d’Afrique des Nations féminine de football en 2010 (Afrique du Sud). Mieux, c’est elle qui a «sifflé» la finale Nigéria-Guinée Equatoriale lors de cette compétition.
Fatou Thioune affiche aussi une belle carte, entre les matchs de la Caf et de la Fifa. «L’arbitrage des femmes se passe très bien. La preuve, il n’y a pas une seule compétition africaine où nos femmes ne sont pas désignées. Ça prouve la bonne santé de l’arbitrage sénégalais, particulièrement chez les femmes», indique le président de la Cca. Les femmes font désormais partie intégrante de l’arbitrage sénégalais après avoir surmonté un tas d’obstacles. Et pour l’ancienne arbitre internationale Fadouma Dia, leur avancée est irrésistible : «J’ai une très grande satisfaction parce qu’au début, nous n’étions pas nombreuses. Et là, on a non seulement un nombre important d’arbitres femmes, mais je vois que la relève est bien assurée. Je leur demande juste de persévérer». Fatou Thioune, non plus, ne cache pas sa satisfaction à l’endroit de ses sœurs. «On a commencé à intégrer les filles dans les matchs des hommes et cela montre que nous sommes en train de faire un excellent travail. C’est une fierté», lance t-elle. C’est pour dire que les femmes font aussi l’histoire du football sénégalais. Même si les stéréotypes n’ont plus la peau dure.
Sept internationales sur 150
Au rayon des arbitres femmes, on en 150 femmes en activité au Sénégal. Dont 7 internationales (3 centrales et 4 assistantes). Le président de la Commission centrale des arbitres, Amadou François Guèye, souligne que ce nombre devrait s’améliorer encore. «Ce n’est pas définitif. Nous venons de terminer les examens et d’autres femmes vont se joindre à cette liste». Des arbitres dont la qualité s’améliore et qui commencent à intégrer le gotha international du sifflet. Une reconnaissance qui montre leur qualité indiscutable. Cela peut cependant s’améliorer, car «c’est la Caf et la Fifa qui gèrent le choix des arbitres pour les matchs internationaux. Mais, les femmes font beaucoup de matchs locaux dans tous les championnats». Aussi bien en Ligue 1 qu’en Ligue 2 et les championnats amateurs. Une arbitre comme Fadouma Dia s’est imposée sur le plan international et alignée toutes les compétitions, allant des Jeux africains à la Can, voire la Coupe du monde féminine de football.