«Yékini, Baboye et Tyson doivent penser à leur âge car La lutte est une affaire de jeunesse»
CHEIKH SARR PRESIDENT DES AMATEURS DE LUTTE

Le président des amateurs de lutte se réjouit que ce sport bien de chez nous soit exporté en Europe. Seulement, Cheikh Sarr fustige le fait que les chanteurs attitrés de l’arène comme Doudou Yaye Katy, Mayé Ndèb, Khady Diouf soient écartés au profit d’artistes modernes comme Viviane et Papa Ndiaye «thiopète » qui n’incarnent pas le folklore de la lutte. Il pense que leur place est dans les boîtes et non dans l’arène. Par ailleurs, dénonçant le dopage, Cheikh Sarr appelle le Cng à s’impliquer concrètement dans la lutte contre le phénomène. Le président des amateurs indique toutefois la porte de sortie de l’arène des ténors comme Yékiny, Tyson, Baboye car, selon lui, la lutte est une affaire de jeunesse.
Quelle appréciation faites-vous du déroulement de la saison qui tire à sa fin, surtout que cette année on a l’impression qu’il n’y a pas eu beaucoup de combats chocs?
Les avis sont partagés. Mais personnellement et selon plusieurs échos que j’ai eus, les amateurs sont généralement satisfaits. Je ne pense pas que ce soit juste de dire qu’il n’y a pas eu assez de grands combats. C’est vrai qu’on avait peur en début de saison, mais on a eu finalement de grands combats. Si l’on prend les lutteurs dits Vip, on voit que seuls deux ou trois- Gris-Bordeaux, Tyson, Lac de Guiers 2- n’ont pas eu de combats. Tous les autres ont lutté. Ce dont se réjouissent les amateurs. Surtout que les combats ficelés cette saison ont opposé les lutteurs qui ont émergé comme Balla Gaye, Tapha Tine, Eumeu Sène, Modou Lô que les amateurs voulaient voir cette saison.
Il faut comprendre aussi que la donne a changé. Auparavant, quand on parlait de grands combats, on pensait à trois ou quatre lutteurs. Maintenant, il y a un ou plusieurs grands lutteurs dans chaque écurie. Et des combats comme Ness/Gouy-gui, Papa Sow-Baye Mandione sont à mon avis de grands combats.
Et si certains ténors n’ont pas lutté, le problème des cachets y a joué un rôle. La vie est dure maintenant et les promoteurs se font rares. S’ils veulent réclamer des cachets trop élevés, il sera difficile de trouver à tous des combats.
En dehors des combats, la plus grande satisfaction des amateurs est sans doute le recul de la violence. Cette saison, nous sommes particulièrement satisfaits par rapport à la violence qui avait fini de gagner la lutte. Cette année, on n’a eu qu’un cas de violence, lors du combat Garga Mbossé-Lac Rose. Nous osons espérer que cela va continuer. Car si la violence disparaît, je suis convaincu que beaucoup de sponsors vont venir ou revenir. Et si les sponsors arrivent en masse, il y aura plus de promoteurs, donc plus de combats et des cachets plus intéressants pour les lutteurs.
La lutte sénégalaise était le week-end dernier à Bercy. Quel commentaire cela vous inspire ?
J’avais dit que c’est un test qui va déterminer de la pertinence ou non d’exporter la lutte sénégalaise. C’est vrai que c’est une expérience positive sur bien des aspects. Mais ce que je regrette, c’est le fait que pour un évènement aussi important pour la lutte sénégalaise, on ait laissé des gens comme Doudou Yaye Katy, Mayé Ndeb, Khady Diouf, Ndikou Thioune qui incarnent aujourd’hui le folklore de la lutte, pour amener des artistes comme Viviane, Pape Ndiaye Thiopète qui sont d’ailleurs déjà très bien connus dans la diaspora sous un autre registre que la lutte. Je trouve cela inadmissible. Ces gens-là sont les plus dignes représentants de la lutte. Si on doit l’exporter, on ne doit pas les laisser en rade. Je n’ai rien contre Viviane ou Papa Ndiaye Thiopète, mais ils ne peuvent pas incarner le folklore de l’arène, en tout cas pas au même titre que ceux que j’ai cité plus haut. Il faut qu’on respecte à leur juste valeur ces chanteurs qui font vibrer et qui font vivre la lutte au plan culturel. La lutte ne peut pas aller sans ces gens-là.
J’ai toujours dit que ces artistes qui viennent faire des play-back vont à la longue tuer le charme de la lutte. Ils ne peuvent pas faire mieux que ceux et celles qui sont là toute leur vie.
Les orchestres veulent profiter de la popularité de la lutte. Ils savent que le public est maintenant dans la lutte et ils veulent en profiter pour se faire une audience. C’est pourquoi ils accourent dès qu’on les invite. Mais à la longue, ils vont tuer les chanteurs de l’arène qui devraient être privilégiés lors des manifestations concernant la lutte. Nous ne voulons pas de play-back ou d’orchestre. Si on voulait voir un play-back ou un orchestre, on irait à Yeungoulène ou ailleurs. Qu’on nous amène des chanteurs de l’arène, des bakks et tout ce qui est typiquement lutte !
L’autre grande actualité, c’est le retour annoncé de Yékini. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que son retour puisse apporter quelque chose de particulier. La vie d’un sportif est souvent marquée de retrait et de retour. On l’a déjà vu dans l’arène avec Manga 2, pour ne citer que lui. Ce qui est sûr, c’est qu’il va retrouver dans l’arène des jeunes talentueux et ambitieux. Et je pense qu’il doit pouvoir les affronter, comme il lui reste un à trois combats. Mais je pense que Yékini et d’autres lutteurs de sa génération doivent aussi penser à leur âge. Ce sont des lutteurs âgés, or aujourd’hui il n’y a que des jeunes dans l’arène. Lui, Baboye, Tyson, sont tous âgés. C’est vrai qu’ils se maintiennent encore, mais la lutte, c’est avant tout une affaire de jeunesse et de force physique.
Mais Yékini est connu comme quelqu’un qui ne prend pas des décisions à la légère. S’il a décidé de revenir, c’est parce qu’il est certainement convaincu qu’il peut relever le défi. Il a toujours sa place dans l’arène, mais encore une fois, la lutte, c’est avant tout une affaire de jeunesse.
Le dopage est de nos jours un problème réel dans l’arène. Que faut-il faire à votre avis pour le combattre?
J’ai l’impression que les lutteurs n’ont pas encore pris conscience du danger que cela représente pour eux. Rien n’est plus rassurant et sécurisant pour un lutteur que de garder son poids naturel. D’ailleurs, ils se font une fausse idée en pensant que plus on est gros, plus on est puissant. On a vu des lutteurs nettement désavantagés par le poids terrasser des colosses. Ça ne sert à rien de prendre des produits dopants si ce n’est s’attirer des problèmes de santé. Je pense que le Cng doit prendre la question à bras le corps. Mais il faut reconnaître que le Cng n’a pas non plus les moyens pour faire les contrôles comme au football par exemple. Quoi qu’il en soit, il est temps qu’il se lance carrément dans la lutte anti-dopage. Il y va de la santé des lutteurs. Il y a des ressources humaines de qualité au Cng. Ils doivent davantage s’impliquer dans la sensibilisation des jeunes, avec des forums, des plateaux télé et radio, des rencontres d’échanges…
Si on doit rester les bras croisés et se contenter de parler sans agir concrètement, un jour viendra où un lutteur va mourir du phénomène.