LE GRAND BAZAR IDÉOLOGIQUE DU PASTEF
Extrême gauche, libéraux, affairistes et islamistes cohabitent tant bien que mal sous la bannière du nouveau parti au pouvoir, expliquant les contradictions d'un régime qui importe les méthodes de Tony Blair tout en invoquant Thomas Sankara

(SenePlus) - Dans son édition de mai 2025, Le Monde Diplomatique met en lumière les confidences d'Ayib Daffé, secrétaire général par intérim du parti présidentiel, qui reconnaît ouvertement que le Pastef n'était pas préparé à une ascension aussi fulgurante. "Notre parti - aux militants jeunes et inexpérimentés - n'avait pas anticipé une prise du pouvoir si rapide," admet-il sans détour au journal français.
Cette confession éclaire d'un jour nouveau les premiers mois de gouvernance du duo Faye-Sonko, marqués par une approche plus mesurée que révolutionnaire. "Ce n'est pas une année perdue, comme on peut l'entendre, c'est une année de transition," défend M. Daffé, esquissant une ligne politique progressive plutôt que radicale. "Nous avons mis en place une méthode. Les cadres ont été posés. Les priorités, définies," poursuit-il.
La révélation la plus frappante de l'article du Monde Diplomatique concerne la nature profondément hétéroclite du Pastef. Un conseiller d'une personnalité de premier plan du gouvernement, cité par le journal, décrit le parti comme "un ovni, par son histoire, par sa composition". Il précise: "On y trouve des gens d'extrême gauche, des libéraux, certains de tendance affairiste, et des islamistes, même s'ils n'ont que peu de poids."
Cette diversité idéologique permet de mieux comprendre les apparentes contradictions dans l'approche gouvernementale actuelle. Entre discours souverainistes et nominations d'anciens du FMI à des postes clés, entre rhétorique anti-néolibérale et importation des "delivery units" de Tony Blair, le Pastef tente de concilier des visions politiques parfois opposées.
L'article du Monde Diplomatique donne également la parole à Madièye Mbodj, vice-président du Pastef chargé de la vie politique et ancien militant maoïste. Ce dernier explique comment le parti a permis à la gauche radicale de surmonter "cinq grandes montagnes" qui l'avaient empêchée de conquérir l'électorat sénégalais jusqu'alors, notamment le manque de communication accessible et une certaine distance avec les préoccupations spirituelles de la population.
Cette gauche, autrefois intransigeante, fait désormais preuve d'un "réalisme" pragmatique. "On doit bien tenir compte du rapport de forces," résume M. Mbodj, justifiant la nécessité de "provisoirement transiger avec le FMI et la Banque mondiale."
Face à ces tensions internes, M. Daffé reconnaît que "dans une organisation traversée par de nombreux courants, la synthèse reste à faire." Un aveu qui fait écho à la conclusion d'un proche du premier ministre, également interrogé par Le Monde Diplomatique, qui confie : "Tout reste à inventer."
Cette enquête du mensuel français offre ainsi un éclairage précieux sur les défis internes d'un mouvement politique confronté aux réalités du pouvoir, entre idéalisme révolutionnaire et pragmatisme gouvernemental, entre promesses de rupture et continuité institutionnelle.