CHANTS AUX CHAMPS
Le 24 mai 2014, l’artiste El Hadj Ndiaye engage son plus grand chantier : le concept Chants aux Champs. Une expérience sans précédent qui fait naître un nouveau concept unissant agriculture, musique, littérature, arts plastiques, cinéma, etc.
Passé le portail noir, c’est un univers en ébullition. Les branches de manguiers vous arrivent à l’épaule. Les spotlights multicolores qui remplacent le soleil cinq heures par jour donnent à l’endroit un halo irréel. Ecouter les arbres, les vents, les animaux et apprendre à les comprendre. Créer une autre forme de rencontre entre l’environnement, le public et les diverses sonorités musicales du Sénégal. C’est le voyage auquel invite Kër Siggi, espace de rencontres et d’échanges par excellence.
«Développer un concept de Chants aux champs, c’est quelque chose de nouveau pour étaler toute la diversité et la richesse culturelle du Sénégal. Mais c’est aussi montrer qu’on est tous capables d’exercer nos métiers dans un environnement naturel. Parfois je me réveille, je joue avec ma guitare et des oiseaux chantent avec moi, ce sont des sensations uniques», se plaît à dire l’artiste El Hadj Ndiaye.
Au demeurant, l’atmosphère calme et reposante du site assure un séjour agréable dans cet espace magique où tout semble se trouver à sa place naturelle. Bien nommé, Kër Siggi cultive une douceur de vivre loin des tracasseries dakaroises. Également retirée du tumulte de Saly, cette niche écologique vibre au gazouillis des oiseaux.
La beauté féérique du cadre y est en harmonie avec un espace resté sauvage et dont tous les éléments sont en entière symbiose avec la nature. Le choix du site est donc particulièrement important : le champ s’étend sur quatre hectares et respire bien, loin de la pollution des centres urbains. Toutefois, il est aisément accessible au public.
Kër Siggi est situé dans le village de Ngerigne Bambara, à 80 km de Dakar et à 3 km seulement de Saly, ce qui sera un atout, assurent les initiateurs de l’événement, quand les touristes viendront de partout admirer toute la richesse culturelle du Sénégal. A l’origine d’un tel projet : «la Petite côte est aujourd’hui une zone très importante pour valoriser toute la diversité culturelle ; mais elle reste marquée par l’absence d’espace culturel adéquat où chacun, riche de ses différences culturelles, sociales, pourrait tendre vers la communion et le partage, dans un esprit d’entraide et de solidarité», relèvent les organisateurs.
Le concert Haut Chant, c’est d’abord une évasion. Le spectateur-acteur y traverse différentes couleurs sonores et musicales en plusieurs formes artistiques. Ici, le maître mot : liberté d’expression. Le public peut parcourir l’alphabet de la botanique, slalomer entre les cases-bambous, se poser sur les balançoires au milieu des arbres fruitiers, suivre la ligne de la bananeraie, revisiter de riches répertoires musicaux, jusqu’à un final en apothéose : la fusion, l’harmonie et l’interaction entre tous ces éléments naturels.
Haut Chant qui s’ouvre dès 10 heures, s’adresse à tous les publics, jeunes, adultes, familles, et sans jauge limitée. Le but du jeu ? Les invités y sont chez eux et s’y déplacent librement, fabriquant leur propre spectacle. «C’est d’abord un lieu d’expression, de liberté. Il y aura l’implication des populations locales avec la participation du village de Ngerigne. En plus des formations, nous avons sollicité le Ministère de la Santé pour des journées de sensibilisation, de dépistage de la tuberculose, du sida, etc.», renseigne le musicien.
Il y a quelques années, cet artiste qui a joué sa musique sur toutes les scènes internationales revient aux sources pour cultiver son jardin. Le cadre pastoral succède aujourd’hui au plateau des podiums.
Pour l’artiste, Chants et Champs vont très bien ensemble. Au-delà de la paronomase, il y a le retour de l’homme à la nature, à son environnement. Kër Siggi, se veut l’Eden de cette rencontre, le lieu de cette fusion du Donner mais surtout du Recevoir. Si la culture est à l’esprit ce que l’agriculture est à la terre, Kër Siggi est le point de jonction de cette symbiose. Technopole des fertilisations réciproques, le cadre a pour vocation de devenir un haut lieu d’échanges de toutes les formes d’expression que contiennent les arts particulièrement la musique.
«L’agriculture a toujours été une passion. J’ai toujours aimé les arbres parce que dans mon quartier populaire on cohabitait avec les animaux domestiques, cela m’a toujours fasciné. Je me dis aussi que l’homme, dès qu’il se détache de la nature, il se dénature. Plus on se rapproche de la nature on revient vers soi-même, vers les valeurs les plus sûres. Il ne s’agit pas de faire un château mais de vivre dans un environnement naturel pas trop pollué et qui est capable de produire des richesses ; pas dans le sens d’or ou de diamant, mais des richesses qui permettent d’avoir une certaine harmonie naturelle», précise-t-il.
Woodstock tropical, Mutuelle culturelle
Projet inédit, sans aucun appui extérieur, Chants aux Champs est une invitation à une promenade champêtre d’exception : un concert qui dépasse le spectacle, une expérience sensorielle unique. Un parcours au cœur de la musique, certes, mais aussi un retour aux vraies valeurs, loin de la jungle urbaine et de ses nuisances. Le spectacle est financé sur fonds propres et, pour autant, il reste entièrement gratuit et ouvert à tous.
«Nous ne disons pas non aux appuis externes mais nous les voulons sans contraintes. Aller demander de l’argent à des banques par exemple, cela ne colle pas avec nos objectifs. Peut-être sous forme de mécénat si d’autres sentent que c’est un beau projet et se joignent à nous. Mais il faut que les gens comprennent l’enjeu. En occident, nous avons perdu les valeurs du cœur. Moi, je suis là parce que c’est Kër Siggi, c’est important et j’y crois», rappelle Véronique, collaboratrice à ce projet. Comme quoi, avec la volonté et les moyens du bord, on peut arriver à quelque chose de grand.
Kër Siggi prévoit également de proposer des séances de cinéma en plein air -comme au bon vieux temps- qui feront profiter aux habitants de la localité des productions de nos cinéastes rarement projetées au Sénégal. «Il y aura des expos, de la littérature, et l’espace Samba Félix Ndiaye va abriter des projections de films africains méconnus du grand public. Siggi sera aussi un espace d’expression prenant en compte toutes les expressions artistiques», promet l’enfant de Thiaroye Gare.
Films, sculptures, peinture, chants, musique, danse, exploration botanique, l’espace est par essence un cadre d’échange inter artistique. L’aspect didactique n’est pas oublié avec la formation des jeunes de la localité, à la fabrication des composts et de la culture bio, en plus des journées de sensibilisation, de dépistage et de prévention. Bref, la programmation de Haut Chant n’est rien d’autre qu’un assemblage, un dialogue entre la résonance, l’espace, les êtres et les temporalités. Composer pour et avec tout ce qui nous entoure.
Woodstock à la sénégalaise, Kër Siggi compte ainsi révolutionner l’environnement musical avec ce concept novateur qui jette un regard neuf sur les arts, les hommes et les objets.
«C’est la continuité, le fruit de toutes les expériences vécues dans le passé et, tout naturellement, les choses ont convergé vers Kër Siggi. J’ai, avec Enda, mis en place le premier studio d’enregistrement numérique à Dakar ; mais quand Jacques Bugnicourt est décédé (1930-2002, ancien secrétaire exécutif de l’association Enda Tiers Monde basée à Dakar ndlr), le département Art a été complètement éliminé. Maintenant, je pense qu’on prend définitivement notre envol. Je ne pense pas que quiconque puisse tuer ce nouvel élan. J’ai envie de rencontres, je peux enfin me poser, écouter les autres, les découvrir et certainement faire beaucoup de fusions», assure-t-il.
En attendant le baptême du feu, le chanteur prend toujours le temps de savourer la mélodie des oiseaux, d’arroser sa bananeraie, de défricher les mauvaises herbes du champ, ou encore de regarder méditatif, les statuettes et les plants, comme de vieux amis. Il confie se sentir très bien dans cet endroit.
Aujourd’hui, il peut attaquer serein l’événement tout en se projetant déjà sur la suite. «Pour mes albums à venir, tout est en train de se préparer ici. Peut-être que mon prochain album sera toute une panacée culturelle, un mélange de musiques que l’on trouve dans mon pays», lance-t-il sous l’œil complice de ses collaborateurs.
L’artiste a ainsi trouvé le cocon idéal pour écrire et enregistrer ses prochains albums dont quelques morceaux seront sans doute présentés au public le 24 mai. La prochaine performance de ce précurseur de l’acoustique sénégalais est déjà fin prêt, véritable cocktail musical avec la collaboration de monstres sacrés de la scène internationale Ismaël Lô et Souleymane Faye entres autres. Une première, comme un nouveau départ à 50 ans…