LA TENTATION DU DÉFAUT
Le Sénégal sous la direction de Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko pourrait-il envisager l'impensable en matière financière : refuser de rembourser certaines dettes contractées par le régime précédent ?

(SenePlus) - Dans un contexte économique tendu, le Sénégal sous la direction du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko pourrait-il envisager l'impensable en matière financière : refuser de rembourser certaines dettes contractées par le régime précédent ? Cette question, qui résonne comme un séisme potentiel dans les cercles financiers internationaux, mérite une analyse approfondie.
"Il est impossible d'écarter l'idée que cette nouvelle génération de dirigeants puisse être tentée de remettre en question la dette contractée par leurs prédécesseurs", confie à Jeune Afrique un spécialiste de la finance du développement sous couvert d'anonymat. Cette réflexion s'inscrit dans la théorie controversée de la "dette odieuse" ou "illégitime".
Cette doctrine, particulièrement prisée dans les milieux souverainistes radicaux, considère que "la dette souveraine contractée sans le consentement des populations et sans bénéfice pour elles ne doit pas être transférée à l'État successeur", comme le rappelle Jeune Afrique. Les économistes américains Michael Kremer et Seema Jayachandran avaient d'ailleurs théorisé ce concept dans une étude publiée sur le site du FMI, notant que "dans de nombreux pays, la loi dispense les personnes de rembourser les sommes empruntées frauduleusement en leur nom".
Le 26 septembre 2024, plusieurs mois après le lancement d'un audit des finances publiques, le Premier ministre Ousmane Sonko a dressé un constat alarmant lors d'une conférence de presse aux côtés de son ministre de l'Économie, Abdourahmane Sarr. "La politique d'endettement effrénée appliquée sous la présidence de Macky Sall a donné lieu à une utilisation non transparente des ressources et favorable à une corruption généralisée", a-t-il déclaré, évoquant même une méthodologie visant à "détourner en masse des deniers publics".
Ces accusations graves, rejetées en bloc par l'ancien président Macky Sall dans une interview accordée à Jeune Afrique, pourraient-elles servir de fondement juridique à une remise en cause des engagements financiers du pays ?
L'histoire récente offre peu d'exemples de pays ayant franchi cette ligne rouge. L'Afrique du Sud post-apartheid aurait pu légitimement questionner la dette contractée par le régime d'oppression précédent, mais a choisi de la rembourser pour préserver sa crédibilité internationale.
L'Argentine reste le cas le plus emblématique d'un pays ayant refusé volontairement d'honorer une partie de ses engagements. Après la crise de 2001, le pays a été poursuivi par des fonds d'investissement américains qualifiés de "fonds vautours". Malgré une condamnation par la justice américaine, l'Argentine a refusé de payer, craignant que cela n'incite d'autres créanciers à revenir sur la restructuration de sa dette.
"Cela a durablement entaché la réputation du pays sur les marchés", explique à JA un spécialiste. "Au bout du compte, cela a coûté beaucoup plus cher. Cela peut arriver d'être dans l'incapacité de rembourser. Mais faire défaut volontairement, c'est impardonnable pour les investisseurs."
À la fin décembre 2024, selon les chiffres du FMI cités par le magazine, le déficit budgétaire sénégalais s'établissait à 11,7% du PIB, tandis que la dette atteignait 105,7% du PIB. D'ici fin 2025, elle pourrait même grimper à 114% du PIB, plaçant le pays parmi les plus endettés du continent.
"Tout porte à croire que ces leaders sans expérience du pouvoir ont pu l'imaginer [refuser de rembourser certaines dettes], mais depuis, il semble qu'ils se soient ravisés", suggère une source anonyme citée par le magazine panafricain.
L'opération transparence lancée par les nouvelles autorités a déjà eu un coût significatif en termes de réputation financière. En quelques mois seulement, l'agence de notation Moody's a dégradé la note souveraine du Sénégal de trois crans. Fin mars, les intérêts des eurobonds sénégalais ont grimpé à près de 15%, l'un des taux les plus élevés de l'histoire du pays.
"Nous avons tous été surpris par l'ampleur de la dette et les investisseurs sont inquiets", confie un observateur du secteur à Jeune Afrique. "Mais c'est un pays qui a un historique de marché, une bonne réputation. C'est important qu'il s'appuie dessus pour rétablir la situation."
Face aux inquiétudes des marchés, le gouvernement Sonko met en avant plusieurs facteurs positifs : une croissance économique résiliente de 6% en 2024 et surtout les perspectives prometteuses liées au démarrage de l'exploitation du champ gazier de GTA et du champ pétrolier de Sangomar. Ces nouveaux revenus pourraient permettre au pays d'afficher "l'un des taux de croissance les plus élevés au monde" dans les années à venir, et ainsi regagner progressivement la confiance des investisseurs.
Le dilemme est donc clair pour le tandem Faye-Sonko : céder à la tentation souverainiste de questionner la légitimité de certaines dettes au risque d'un isolement financier, ou privilégier le pragmatisme économique en honorant les engagements pris par leurs prédécesseurs malgré les soupçons de corruption qui les entourent.