CHEF DE MISSION D’OBSERVATION EN GUINÉE-ÉQUATORIAL, ELLE RENTRE DE MALABO
MAME MADIOR BOYE, ANCIEN PREMIER MINISTRE DU SENEGAL

Brillante magistrate de carrière, ancien Premier ministre du Sénégal et ambassadrice au sein de l’Union africaine (UA), Madame Mame Madior Boye vient de conduire une forte délégation d’observateurs de l’organisation continentale pour les élections générales de Guinée-Équatoriale. De retour de Malabo, l’ancienne représentante spéciale du président de la commission de l’Union africaine dans les pays en situation de conflits armés, s’est confiée en exclusivité à l'hébdomadaire Le Témoin.
Le Témoin : Votre nomination à la tête des observateurs de l’Union africaine déployés en Guinée-Equatoriale est une fierté politique et diplomatique pour le Sénégal. Comment avez-vous accueilli cette décision de l’UA ?
Mame Madior Boye : Si cette nomination est une fierté pour le Sénégal, modestement je m’en réjouis ! Vous savez, lorsque Mme la Présidente de la Commission de l’Union africaine m’a sollicitée pour conduire cette importante mission, je l’ai perçu avant tout comme une marque de confiance envers ma modeste personne et aussi un honneur pour mon pays en raison des enjeux que revêtait l’évènement pour l’Union africaine et l’Afrique en général. J’ai accueilli cette décision à la fois avec humilité, gravité et responsabilité.
J’ai évidemment accepté avec plaisir de diriger cette Mission d’observation électorale car comme je l’ai toujours dit, pour moi, servir est un credo, tant que Dieu m’en donne les capacités physiques, mentales et intellectuelles. C’est en effet ce que j’ai toujours fait, très tôt, très jeune, et bénévolement.
Je l’ai fait au plan national pendant plusieurs années en descendant sur le terrain, avec d’autres, en allant dans les établissements scolaires, les quartiers, à Dakar et ses banlieues, à l’intérieur du pays, à la rencontre des populations, de toutes les couches socio professionnelles ou dans le cadre de journées portes ouvertes ou autres formes d’action. Mon engagement pour toutes ces causes ne date pas des années 2000.
Nous avons aussi mené ce combat au niveau continental, tout en continuant nos activités sur le plan international. Vous l’aurez constaté, mon engagement panafricain, non plus, ne date pas d’aujourd’hui. Donc servir l’Afrique, c’est à la fois un plaisir, un honneur et un devoir.
Vous venez de rentrer de Malabo, comment les élections se sont-elles déroulées la bas ?
Elles se sont déroulées dans de bonnes conditions ! D’abord, nos observateurs qui ont été déployés dans les 7 provinces du pays, sur toute l’étendue du territoire, dans les îles comme dans la partie continentale, ont tous observé le calme et la sérénité qui ont caractérisé le déroulement des élections.
À noter également que les premières heures de la matinée, le jour du scrutin, il a beaucoup plu et pratiquement tous les bureaux de vote, du moins à Malabo, ont été ouverts sous une pluie battante, mais vers la mi-journée, les électeurs sont sortis en grand nombre pour accomplir leur devoir civique.
Nos équipes qui étaient sur le terrain ont par ailleurs relevé certaines insuffisances et anomalies comme : l’aménagement de certains bureaux à l’extérieur, même si l’emplacement des isoloirs garantissait le secret du vote, le vote par procuration dans certains bureaux de vote, le fait de regrouper les trois scrutins (législatif, sénatorial et municipal) sur un seul bulletin de vote, car même si cela a facilité le vote et le dépouillement, la séparation des scrutins aurait permis à l’électeur d’exercer son choix pour chaque scrutin ; l’absence de corbeilles dans l’isoloir pour mettre les bulletins non utilisés qui étaient jetés à même le sol, la seule présentation, pour voter, de la carte d’électeur sans aucun contrôle d’identité, même si, par ailleurs, cette carte est perforée après le vote (pour éviter une deuxième utilisation) et que l’électeur doit tremper son doigt dans l’encre indélébile, l’absence de représentants des partis d’opposition et des observateurs nationaux dans beaucoup de bureaux de vote visités….
Mais vous avez quand même formulé certaines recommandations pour améliorer le système électoral…
Évidemment ! Tout ceci nous a amenés à formuler un certain nombre de recommandations pour améliorer le système, à savoir : établir un fichier électoral fiable et des cartes d’électeurs sécurisées, créer une autorité de régulation des médias dans le but d’assurer un accès équitable des partis politiques aux médias publics, concevoir un bulletin unique pour chaque scrutin afin de permettre aux électeurs de faire des choix séparés et rendre possible la représentation des partis minoritaires, institutionnaliser un cadre de concertation et de dialogue entre acteurs politiques sur les questions essentielles du pays, promouvoir l’existence d’une société civile responsable et républicaine, réglementer les modalités de financement des partis politiques et instaurer des mécanismes de contrôle a posteriori…
Nous avons mené nos travaux conformément aux principes directeurs de l’Union africaine en matière d’observation et de suivi des élections, ce, en toute indépendance, impartialité et objectivité. Ce qui pour nous était très important.
Après avoir été reçue en audience dès mon arrivée par les autorités étatiques en tête desquelles le Président de la République, j’ai reçu à mon tour en audience des ambassadeurs et des délégations d’autres missions d’observation comme celle de la CEEAC conduite par le chef de l’Unité, le docteur Athomo-Ndong et celle des ACP dirigée par l’Ambassadeur de la République dominicaine à Bruxelles, Alexandre Gonzales Pons. La Mission a eu par ailleurs des échanges avec des ambassadeurs africains accrédités en Guinée-Équatoriale, les représentants des organisations internationales et toutes les autres parties prenantes au processus électoral.
L’opposition équato-guinéenne est-elle une opposition contestataire, républicaine voire docile ?
Vous savez, il existe en Guinée-Équatoriale 13 partis politiques : le PDGE (Parti Démocratique de Guinée-Équatoriale), parti du Président, auquel sont venus s’allier d’autres partis d’opposition formant ainsi une coalition de 11 partis, au pouvoir, deux partis d’opposition : le CPDS (Convergence Pour la Démocratie Sociale) et l’APGE (Action Populaire de la Guinée-Équatoriale), dont les représentants, avec qui nous avons longuement échangé, ont déploré le fait de ne pas pouvoir manifester ni avoir suffisamment de temps d’antenne dans les medias. Il y a donc en fait trois groupes : la coalition au pouvoir avec 11 partis, le CPDS et l’APGE.
A noter enfin que le gouvernement accorde, conformément à la loi, une subvention de 400 millions FCFA à chaque parti politique qui se présente aux élections pour la campagne électorale, mais il y a polémique sur l’utilisation de la subvention par les bénéficiaires.
Pouvez-vous nous donner une petite idée du rapport que vous allez déposer au niveau de l’Union africaine ?
Je viens de vous donner les grandes lignes de la Déclaration Préliminaire que j’ai présentée au cours de la conférence de presse que j’ai animée le 28 Mai 2013 à l’hôtel Sofitel de Malabo. Le Rapport final soumis à la Présidente de la Commission de l’Union Africaine, qui le transmettra ultérieurement aux autorités équato-guinéennes à toutes fins utiles, contiendra tout ceci, mais sera beaucoup plus détaillé, avec une analyse plus approfondie des constats, observations et recommandations de la Mission. Le rapport sera mis en ligne si ce n’est déjà fait. Seulement permettez-moi de conclure qu’au vu des constats et observations de nos observateurs et en dépit des quelques faiblesses relevées, la mission est d’avis que les Equato-guinéens ont eu l’opportunité, dans le calme et la sérénité, d’exprimer leur choix à travers les urnes.