COQUETTERIES LANGAGIÈRES
LE NOUVEAU PARLER DES JEUNES EN DÉCODE

Un fait vous agrée ? C’est « Dinama nekh ». Vous laissez l’initiative à votre interlocuteur sur une proposition intéressante ? «Yako téré nekh». L’arène et la musique s’y mettent avec « Takh ci rip », « niin ci mbatt », symboles de l’engagement. Rayons de « Soleil » sur ces « académies » qui réinventent le langage. Des discours cul-de-jatte, voilà, ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Une partie des Sénégalais abhorrent. D’autres tiennent à être « in » Eclairage.
«Au Sénégal, on parle un mauvais wolof. Il est difficile de saisir le sens de certaines paroles chez certaines personnes », s’était indigné Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy, lors d’un Gamou tenu aux Champs de Courses de Tivaoune. Disons-le : la tendance va crescendo. On parle sans se comprendre. Ou bien, il faut donner l’impression d’être compris.
Depuis un certain temps, le langage classique et intelligible est délaissé au profit d’un discours de la rue. Les expressions en vogue, entre jeunes, sont : « dinama nekh » (ça me fera plaisir), « yakooy thioroté, yakooy dagaté, yaye bombe » (c’est toi qui assures), « kane moye sa talbo ? » (Qui est ton petit ami ?), « richmondjiz » (Amina Poté), « yaye bagne (c’est à toi de voir), « mooy loolou » (c’est à ne rien y comprendre), « yaw la rek » (tu as les pleins pouvoirs), « doo lek thiébou patasse » (tu ne mangeras pas du riz à la patate), « tabakh bamou kawé » (construire un R+), « dem fou sori » (aller très loin), « amlou bari (être comblé), « takh thi rip » (être très impliqué ou concerné, expression popularisée par le lutteur Tapha Tine), ‘’thil’’ (bien ).
Il y a également des mots ou expressions dérivés de l’arabe : ‘’fallahou’’ (qui dépend de Dieu), ‘’khour dab’’, créé par Sa Ndiogou, qui traduit « un objet tranchant, ou bien un homme brave tel un lion ».
DES TROUVAILLES QUI FONT DESORDRE
Ces paroles, qui ne sont pas du goût de certains, instaurent la controverse. En une soirée de septembre, aux Parcelles assainies, on continue de savourer les vacances. Entre les Unités 8 et 11, des jeunes, réunis en « crew » (groupe) appelé G-Bi, se lancent dans des discussions entrecoupées d’insultes, entre des tasses de thé et des gorgées de boissons alcoolisées.
Au sein de cette « communauté », les propos sont parfois hybrides. Ils passent du langage dit « baye fall» à un français réfractaire au purisme. Le troisième âge ? Que du mépris pour ce langage décalé. « Je n’aime pas la manière de parler de la nouvelle génération. Dans leur discussion, on se perd. Ces jeunes doivent avoir un langage plus correct et décent entre eux-mêmes », invite ce vieux, âgé de 68 ans, à la chevelure poivre-sel, rencontré au Parc de Hann.
Ce sentiment est partagé par Pape Diédhiou, agent commercial. Il constate une propension à imiter des propos insensés. « Les artistes comédiens et rappeurs ont créé certains concepts qui traduisent une débauche et qui sont vulgarisés par les médias.
Ces rappeurs et comédiens peuvent se permettre certaines choses ; ce n’est pas notre cas», analyse, dépité, Abdoulaye Kane, journaliste. D’après lui, certaines animatrices, loin d’être des références, participent à la diffusion de « leurs » trouvailles langagières ; ce que certaines catégories d’individus n’hésitent pas à consommer, sans retenue. « Je peux entendre une expression à la radio ou à la télé et la répéter sans en cerner la vraie signification », reconnaît Abdoul Aziz Bangoura, assis devant une buvette, sirotant tranquillement une bouteille de jus local.
DANSEURS ET COMEDIENS, LEVEZ-VOUS !
Toujours, à en croire le journaliste Abdoulaye Kane, on peut adopter les nouveaux codes langagiers sans se conformer au mode de vie de ses inspirateurs. A son avis, « les médias préfèrent faire la promotion des anti-modèles». Serigne Touré charge également certains « artistes ».
Dans le même registre, Issa Diouf fustige les écarts comportementaux qui sont étroitement liés à l’état d’esprit servant de soubassement aux nouveaux parlers. Ces propos choquants ne sont pas du goût de Mame Fatou Cissé, âgée de 37 ans. Attendant des clients pour écouler sa calebasse de couscous.
Elle dira que les temps ont évolué et que la jeunesse d’aujourd’hui consulte un « Bled » (livre du bon usage en français) dont les anciens ignorent le contenu. Commerçant établi à Yarakh, Thierno Bâ est sceptique : «abandonner cette nouvelle façon de communiquer, ce n’est pas pour demain ; ce sont les chanteuses qui l’ont inventée ».
Pourtant, certains jeunes ont le même point de vue que les anciens. Astou Kamara, potache en 6ème aux Pédagogues, exhorte à « éviter ce langage débridé ». Interpellée sur la question, l’air posé, Khady Samb, élève en classe de 4ème dans un établissement privé de la place, souligne que leur encadreur a une formule consacrée : « Tu ne mangeras pas du riz à la patate ».
Cela est dit lorsque l’élève trouve la solution de l’exercice. D’après Mouhamed Cissé, marchand ambulant, les religieux doivent se liguer et sensibiliser sur les fléaux du moment. Il se dit outré par le laisser- aller accordé à une jeunesse censée prendre la relève.
Cette proposition rassure Adama Sané qui plaide pour des jeunes au discours responsable, capables de suppléer la catégorie du troisième âge. Aéry Kâ est du même avis. Il demande aux dignitaires religieux et coutumiers de jouer un rôle dans l’éradication des dérapages de tout genre.