CYBER-CITY : UNE VILLE NOUVELLE SUR LE SITE DE LAC ROSE
AVEC PIERRE GOUDIABY ATÉPA, LE NOUVEAU MEILLEUR AMI DE MACKY SALL

Pierre… angulaire dans la conception des chantiers «grandioses» sous Wade, Goudiaby Atepa est visiblement indispensable pour nos présidents sénégalais. Au lendemain de la visite du chef de l’Etat à Doha, où le génie sénégalais a présenté sa maquette de Cyber-City, c’est l’étonnement et la désillusion chez les architectes sénégalais. Le retour du bâtisseur aux « côtés » du président Macky Sall suscite -et à juste titre- interrogations, inquiétude et… indignation.
« Cyber-City » : une ville nouvelle sur le site de Lac Rose, à 30 km de Dakar. Tel est le projet que le président Macky Sall et l’architecte Pierre Goudiaby Atepa sont allés présenter le 22 mai 2013 à Doha pour attirer de potentiels investisseurs Qatariens. Cette Cyber-City –ville ultramoderne voire futuriste comme son nom l’indique- semble occuper une place importante dans les grands chantiers de l’Etat. Elle sera ainsi la première nouvelle ville du Sénégal. « Nous avons quelques projets qui représentent des opportunités d’investissement au Sénégal, sur lesquels nous aimerions échanger avec vous. Il s’agit du Projet d’aménagement de zones économiques dont le plus important est le Cyber city. Un projet que nous voulons réaliser dans la zone du Lac rose. C’est exactement ce dont nous avons besoin au Sénégal pour développer des projets d’aménagement dans les domaines du tourisme.
Cela correspond à la vision que j’ai pour le Lac Rose, un projet de ville nouvelle ou de Cyber City », lançait Macky Sall, visiblement emballé par les différentes maquettes exposées par l’entreprise Qatar Diar. Si Goudiaby en est l’architecte concepteur, les véritables raisons de son choix sont pour le moment inconnues. Par quelle pirouette extraordinaire, Atepa s’est-il retrouvé aux côtés du président de la République sans que personne ne s’en aperçoive ? Se demande-t-on ça et là. « Nous l’avons appris par la presse comme tout le monde. Nous avons été surpris de voir qu’il y a un projet de ville nouvelle qui a été présenté aux Qatariens. Pour ce qui est de l’avoir confié à M. Goudiaby, nous n’en avons pas encore confirmation, mais nous avons constaté comme tout le monde la présence de ce dernier lors d’une séance de présentation de maquette », confie Wagui Diop, architecte et président de l’Ordre national des architectes du Sénégal (Odas).
Si ce projet fait tant « rêver » le président, c’est un nouveau coup de poignard dans le dos des architectes sénégalais. Comme il est souvent de coutume, nos administrations ne se gênent pas pour écarter la présence d’architectes, en « oubliant » de faire des appels d’offres et d’organiser des concours à la commande publique. Si l’on en croit certaines informations, aucune proposition de ville nouvelle n’était disponible à la veille du voyage présidentiel au Qatar. Alors que ce dernier devait impérativement présenter à ses hôtes, des projets attractifs dans le domaine touristique. « Non, c’est archifaux ! Ce n’est pas possible qu’aucun architecte n’ait quelque chose à proposer. Nous n’avons jamais eu écho du désir du président de créer une ville nouvelle », s’indigne un architecte, qui écarte tout de go cette thèse et décrie une « attitude complice et sournoise des autorités ».
L’architecte Pierre Goudiaby qui a réalisé de multiples projets sur le continent africain, a expliqué que son projet de « Cyber-City », est essentiellement tourné vers « les technologies de l’information et de la communication. Seulement, si son « génie » continue de séduire les dirigeants sénégalais, le procédé ayant conduit à le choisir « en catimini » est pour le moins mystérieux.
Pour les architectes, il y a aujourd’hui un réel problème d’accès et de démocratisation de la commande publique. « Il y a une déception, bien sûr. Car, l’expertise nationale est bien là. L’Ordre des architectes lui-même est un regroupement de l’ensemble des professionnels qui exercent au Sénégal. Nous sommes déçus parce qu’on se plaint souvent que l’Etat fasse recours à une expertise étrangère, comme c’était le cas avec l’ancien président Wade qui avait sollicité les services de M. Olivier Cacoub, (célèbre architecte français décédé en 2008, ndlr). Ce dernier avait, à l’époque, conçu pour Wade sa ville nouvelle qu’il comptait construire à Kébémer. Avec le nouveau régime, nous n’étions pas du tout informés de la création d’une ville nouvelle. Naturellement, nous sommes déçus que l’Etat ait des gros projets comme cela et ne fasse pas appel à l’expertise nationale », insiste M. Diop. Ce, d’autant plus que le 13 avril dernier, les professionnels du secteur s’étaient réunis pour interpeller l’Etat sur le manque de concertation franche et sincère et la nécessité de s’inscrire dans une dynamique de coopération avec le gouvernement.
La désillusion des architectes
En réalité, les gros budgets provenant de financements internationaux sont rarement confiés aux architectes locaux. Et cela, malgré les textes et règlements qui exigent le recours à un professionnel dûment inscrit à l’Ordre national des architectes. « Ne sont autorisés à exercer la profession d’architecte au Sénégal que ceux qui sont inscrits au tableau de l’Ordre », précise pourtant la loi 78-44. N’étant plus inscrit à l’Ordre, l’on se demande encore, comment Atepa parvient à toujours ravir la vedette à nos architectes ? « Avec cette complexité du point de vue juridique, il (Atepa ndlr) ne pouvait pas être nommé par voie de décret et porter le titre d’architecte-conseil du chef de l’Etat. C’est pour cela qu’il était nommé Conseiller spécial du président Wade. Le statut d’architecte-conseil de l’Etat ne permet pas pour autant de réaliser des projets pour le compte de l’Etat. On ne peut pas être juge et partie », rappelle M. Diop.
Y aurait-il dans ce dossier, une sorte de complexe ou de « ruse-marketing » qui a présidé au choix d’un artiste connu à l’international ? En tous les cas, cela pourrait expliquer en partie que les architectes locaux soient souvent exclus des projets les plus importants. « La démocratisation de l’accès à la commande publique et, surtout, le respect de certains règlements. Pour tout projet de l’Etat d’un montant supérieur à 500 millions FCFA, il y a un décret de 1978 qui dit que l’organisation d’un concours est obligatoire. Nous nous en tenons à ce texte-là. Que ce soit dans le cadre de cette ville nouvelle ou de tout autre projet de n’importe quel ministère ou agence d’exécution, le concours architectural est la voie la plus démocratique pour permettre aux jeunes talents de s’exprimer, sans avoir à justifier d’une référence ou d’une quelconque assise financière. Pour l’heure, ce sont des procédures d’appel d’offres et de sélection d’architectes basées sur des shortlists dont nous ne savons pas comment elles sont établies », s’insurge M. Diop.
Pis, quant à la faisabilité du projet, les techniciens émettent un certain nombre de réserves et remettent même en question le projet présenté aux Qatariens. « Ce n’est pas possible ! Une ville nouvelle, cela nécessite des équipes pluridisciplinaires. Il y a plusieurs étapes dont les études préliminaires, l’avant-projet, et la réalisation. Cela requiert un certain nombre de mois pour réfléchir à l’agencement de cette ville et l’on peut estimer au minimum 10 à 12 mois d’études préliminaires pour arriver à un avant-projet défendable devant les professionnels de l’urbanisme et de l’architecture. C’est pour cela que nous sommes surpris. Créer une ville nouvelle à partir de zéro, c’est très difficile, alors que l’Etat a déjà comme projets : le développement de pôles qui s’articuleraient autour de Dakar, Mbour et Thiès, où il y a un minimum d’infrastructures déjà sont disponibles », précise M. Diop.
La « Rupture » dévoyée ?
L’écart entre le discours de rupture - répété en boucle par les politiciens - et l’attente des Sénégalais devient de plus en plus sidérant. Certes, il y a déjà eu des nominations-surprise, d’autres jugées incongrues voire contestables comme celle de Aminata Niane. Par contre, cette collaboration des nouvelles autorités avec Pierre Goudiaby Atepa, laisse perplexes bon nombre de Sénégalais. Aujourd’hui, la simple évocation du nom de cet architecte réputé, rappelle immédiatement les projets grandioses, souvent grotesques voire nébuleux, sous l’ère Wade. Relookage du Cices à près d’un milliard, l’immeuble du Sénégal à New-York à environ 30 milliards FCFA ou encore les Sept merveilles de Dakar dont seul le Grand théâtre est encore sorti de terre…
Lui confier à nouveau un projet de grande envergure ne relève-t-il pas d’un déni de réalité de la part des élites qui font par là, sécession d’avec une grande frange des Sénégalais ? Pour beaucoup, c’est plus une question de principe. La réaction même des architectes, est révélatrice du malaise. « Dans ce que nous appelons la nébuleuse des Sept merveilles (le Parc culturel ndlr), cela s’est fait dans l’opacité la plus totale. La position de l’ordre est de permettre l’accessibilité à la commande publique pour n’importe quel architecte inscrit au tableau de l’Ordre, en toute équité et en toute vérité. Peut-être que cela n’est pas innocent non plus et qu’il y a des desseins inavoués derrière tout cela », insiste le prédisent de l’Odas.
Dans une récente livraison, le journaliste Adama Gaye indique que : « la vraie rupture dans la gouvernance de ce pays passera par la transparence dans la compétition pour les marchés de l’État. Le retour en grâce de certaines huiles, dont l’ombre était visible du temps où la gestion malsaine de Wade triomphait, ne signifie rien de bon. Que la transhumance économique devienne une autre facette de la vie publique crée encore plus les conditions d’une dérive qui serait dommageable au pays. Il ne fait de doute que l’affaire de l’immeuble de New York apparaît alors comme l’un de ces scandales qui resurgit au plus mauvais moment, quand tout le pays rêve de bonne gouvernance, c’est-à-dire de plus de transparence. Nous sommes en face d’un problème qui nous interpelle tous, à commencer par les autorités de l’État, la société civile, les architectes, les instances de régulation des marchés publics ». C’est en effet à se demander de quelle rupture il s’agit vraiment. Rupture avec les pratiques d’antan ou Rupture avec la volonté du Peuple souverain ?