LA COLLECTIVITE LEBOUE CELEBRE LES «ÑETTI GUDDI NDAKAARU YI» OU LES TROIS NUITS DAKAROISES DE SERIGNE TOUBA
SOUVENIR : 18, 19 ET 20 SEPTEMBRE 1895

La communauté léboue en particulier, Dakar en général, va célébrer les 18, 19 et 20 septembre les trois nuits dakaroises de Serigne Touba. En effet, depuis 1985, ces trois nuits sont célébrées par la collectivité léboue. Le président de l’Emad, Abdou Khadre Gaye, est revenu largement sur l’importance de ces trois nuits marquées par la rencontre entre la Collectivité léboue et la Communauté mouride, Dakar et Touba, en la personne d’Ibra Bineta Guèye Mbengue.
Les nuits dakaroises de Serigne Touba ont scellé définitivement le pacte d’amitié liant la Collectivité léboue et la Communauté mouride, Dakar et Touba, en la personne d’Ibra Bineta Guèye Mbengue. Pacte que Cheikh Salihou Mbacké a vivifié, à l’occasion d’une invitation à Touba qu’il fit aux notables de «Cëddéem», au début de son Khilafah.
La délégation de «Cëddéem», raconte Abdou Khadre Gaye, écrivain, président de l'Entente des mouvements et associations de développement (Emad), était dirigée par le chef de Pénc, Mamadou Mbengue Médoune. Auparavant, souligne l’écrivain, le Khalife avait dépêché une délégation à Dakar pour rencontrer la famille d’Ibra Bineta Guèye. «Ce sont ces nuits dakaroises que célèbre la Fédération de dahira dénommée ‘Kureel Gi Maggal Ñetti Guddi Ndakaaru yi’ présidée par le pieux talibé mouride, Baye Ndiouga Dieng», affirme-t-il.
Du cachot étroit au Pénc de «Cëddéem»
«On raconte que Serigne Touba arriva à Dakar à jeun, à l’heure où le soleil déclinait. Le cargo dénommé Ville de Pernambouc, plus connu sous le nom Cap Lopez, devant assurer son transfert au Gabon, étant en retard, le gouverneur Mouttet ordonna son emprisonnement dans un cachot étroit, obscur, infesté d’insectes et parsemé de toutes sortes d’objets usagés, situé au Camp Dial Diop, derrière l’hôpital Aristide Le Dantec, de son premier nom «Hôpital Indigène » narre encore Abdou Khadre Gaye.
Sur ce, continuant son récit, il ajoute : «En y entrant, dit-on, sous la poussée des gardiens, le Cheikh trébucha et un objet tranchant lui traversa littéralement le pied. Malgré ses souffrances, il fit une prière de deux rakas, récita les sourates ‘Bakhara’ (La Génisse) et ‘Ali Imran’ (La Famille d’Imran)…
Là-bas, révèle la tradition mouride, il reçut la visitation de Grands Saints de l’islam, dont sa mère, la Sainte Mame Diarra Bousso. Là-bas, il reçut des dons immenses de la part de son Seigneur». Cependant, informés de l’affaire, nous apprend la tradition conservée par les populations autochtones de Dakar, les dignitaires lébous s’en désolèrent et dépêchèrent auprès du Gouverneur une délégation conduite par Ibra Bineta Guèye, leur porte-parole auprès de l’autorité coloniale. Il lui tint à peu près ceci: «Nous avons appris que vous retenez en détention Serigne Touba. Nous ne venons pas discuter avec vous des raisons de sa détention. Nous voulons seulement que vous respectiez la réputation de terre d’accueil et d’hospitalité de notre terroir. Alors permettez au marabout de venir loger chez nous et de jouir de notre hospitalité jusqu’au moment où vous aurez besoin de lui. Nous nous portons garants de sa sécurité». Le Gouverneur, relate M. Gaye, «en homme avisé, accéda à la requête des Lébous». Ainsi, au sortir de la cellule infecte du Camp Dial Diop où il a souffert le martyr sans jamais se plaindre, avec comme seules consolations ses actes de dévotion et ses visions mystiques, Serigne Touba séjourna, jusqu’à son départ en exil, le 21 septembre 1895, au Pénc de «Cëddéem », où Ibra Bineta Guèye l’avait confié aux bons soins de son épouse Anna Diakhère Faye, une bonne dame, pure et pieuse qui préparait ses repas, s’occupait de l’eau de ses ablutions, etc.
La canne miraculeuse de Ibra Bineta Guèye Mbengue
Pour tester les pouvoirs mystiques attribués au marabout, Ibra Bineta Guèye, dit la tradition locale, un fin connaisseur des mystères, fit semblant d’oublier auprès de son hôte, après une visite, sa canne miraculeuse que deux gros gaillards ne parvenaient pas à remuer et qu’un initié soulevait difficilement. «A peine lui eut-il tourné le dos que, Serigne Touba, tenant la canne du bout des doigts, le lui tendit, puis lui a tenu à peu près ces propos : ‘Je te remercie, toi et ton peuple, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Mais déterre le talisman que tu as enterré dans la cour de ta maison pour empêcher mon départ. Sache que je pars volontairement et de bon coeur pour accomplir une mission que Dieu m’a confiée’», fait savoir le président de l’Emad.
Or, fait-il remarquer, c’est seul avec Dieu, dans le secret de la nuit, loin des regards indiscrets, qu’Ibra Bineta Guèye avait enterré ce talisman. Après cet épisode de la canne, Ibra Bineta Guèye, définitivement convaincu des pouvoirs du marabout et de sa sainteté, l’aima davantage, sollicita ses prières pour lui-même, sa famille, son peuple et sa cité, lui souhaita bon voyage et lui promit ses prières ainsi que celles de sa communauté.
Toutefois, une autre version de l’histoire dit que la première rencontre entre Serigne Touba et Ibra Bineta Guèye eut lieu dans la cellule du Camp Dial Diop. Car, le Gouverneur, exigeant des garanties avant de remettre «son prisonnier» entre les mains des Lébous, Ibra Bineta exigea de voir en tête-à-tête l’homme pour qui ils se porteront garants. «Dès qu’ils se virent et se parlèrent, ils se vouèrent respect et estime réciproques», soutient M. Gaye qui indique, par ailleurs, que c’est là-bas, disent les tenants de cette thèse, que se produisit le miracle de la canne.
Quant au talisman enterré, fait remarquer M. Gaye, ils disent qu’il l’était depuis plusieurs années déjà dans la cour de sa demeure et qu’Ibra Bineta proposa à Serigne Touba son déterrement qui le sauverait à coup sûr des mains des Blancs. Proposition qu’il refusa avec déférence, rappelant, à l’occasion, que Dieu était son seul refuge.
APRES SEPT ANNEES DE RUDES EPREUVES, L’ETOILE EST DEVENUE SOLEIL
La décision d’envoyer le Cheikh en exil fait suite à sa comparution devant le Conseil Privé au palais du Gouverneur général à Saint-Louis, le 5 septembre 1895. Après son arrestation à Jewol, indique le président de l'Entente des mouvements et associations de développement (Emad), écrivain de surcroît, Abdou Khadre Gaye, le samedi 10 août 1895, Serigne Touba séjourna à Saint-Louis jusqu’après son jugement.
Dans l’acte d’accusation, fait remarquer M. Gaye, on pouvait lire cette contrevérité manifeste : «Ses agissements et ceux de ses talibés menacent de troubler la tranquillité du bas Sénégal». Il fut condamné à l’exil. En guise de signature, il parapha, au bas du document qui lui fut présenté, la sourate «Al Ikhlas» (La pureté). Une façon, pour le président de l’Emad, assez éloquente, de montrer son attachement à la pureté de sa foi. A cet effet, nous rappelle Cheikh Moussa Kâ, dans son poème intitulé «Nattoo di kerkeraani lawliyaa’i» (L’épreuve est le reposoir du saint) que la condamnation à l’exil était de mode à l’époque.
En effet, affirme Abdou Khadre Gaye, «le colonisateur exilait aussi bien ses ennemis défaits par les armes que quiconque à ses yeux pouvait représenter un danger ou simplement un obstacle à sa tentative de domination et d’exploitation du pays, d’asservissement et d’aliénation des populations». Dans le même poème, «le chantre de Bamba» cite, en exemple, des noms d’exilés célèbres, à savoir : Ahmadou Aminata, petit-fils de Serigne Makhtar Ndoumbé, fondateur du village de Koki, Almamy Samory Touré qui opposa aux Français une résistance armée de 18 années, etc.
«…Mais Dieu parachèvera sa lumière, dussent les infidèles en concevoir du dépit» (Coran : S. 9, V. 32). «Serigne Touba reviendra donc d’exil, le 11 novembre 1902, après sept années de rudes épreuves, auréolé de gloire. L’étoile que l’on a cherché à éteindre était devenue un soleil. La flamme qu’il avait allumée était devenue un flambeau… », déclare Abdou Khadre Gaye, président de l’Emad.
LE PENC DE «CËDDEEM» A DAKAR
«Cëddéem» fait partie des 12 Pénc de Dakar. Il tient certainement son nom du village «Cëddéem » dans le Jànder qui fait référence à un jujubier (Déem). Il englobe l’actuel marché Sandaga dont le nom vient, selon une opinion assez répandue, d’un arbre appelé «Sànd» qui se dressait à l’endroit occupé aujourd’hui par le «marché d’or» dit «Lalu urus» (étal d’or). «C’est ‘Cëddéem’ qui enregistra les premiers convertis à l’islam de la Collectivité léboue et accueillit le lettré arabe Massamba Koki Diop, père du premier Seriñ Ndakaaru, Thierno dit Dial Diop. C’est à ‘Cëddéem’ où le ‘Ndeyi Jàmbur’ (Président de l’Assemblée des Jàmbur) Youssou Bamar Guèye accueillit et scella avec Cheikhna Cheikh Saadhbou Chérif, un pacte unissant leurs deux familles ‘jusqu’à la fin des temps’. C’est enfin à ‘Cëddéem’ où Ibra Bineta Guèye, chef de canton de la banlieue Ouest dakaroise de 1855 à 1905 et ‘Ndey Ji Frey’ (Président de l’Assemblée des Frey) de 1897 à 1903, accueillit Cheikh Ahmadou Bamba en partance en exil au Gabon», renseigne Abdou Khadre Gaye, président de l’Emad.