LIBÉRATION AU PRIX FORT
Le cautionnement judiciaire obéit à des règles spécifiques définies par le Code de procédure pénale. Une précision nécessaire alors que les centaines de millions versés alimentent toutes les spéculations

Au-delà du débat sur les fortes sommes d'argent déposées généralement par des fonctionnaires pour bénéficier de la liberté provisoire, de nombreuses confusions à lever autour des concepts.
Plus de 258 millions de francs CFA versés dans le cadre des procédures pilotées par le procureur de la République Ibrahima Ndoye. Plus de 15 milliards de francs CFA dans les dossiers conduits par le parquet financier. Les chiffres sont énormes, soulevant ainsi le débat autour des sommes versées par les personnes poursuivies pour bénéficier de la liberté provisoire. Pour autant, le procureur Ndoye a tenu à faire la précision suivante : “Nous ne sommes pas dans une logique de prédation. Nous ne sommes pas des prédateurs, encore moins des agents de recouvrement.” L'objectif du parquet, qui se veut crédible et efficace, selon lui, c'est de prendre en charge le phénomène criminel dans toute son envergure, en veillant notamment à la réparation du préjudice. Il a rappelé que, dans certains cas, la loi sénégalaise met la priorité sur l'objectif de recouvrement, plutôt que sur la répression.
‘’EnQuête’’ revient dans ce dossier sur le régime juridique lié à ce cautionnement, mais surtout sur la définition des concepts, puisqu'à ce niveau, il y a beaucoup de confusions.
Pourquoi il ne faut pas parler de caution
La caution est un terme plus connu en droit locatif. Dans ce domaine, explique l'expert en droit immobilier Abou Bakari Kane, la caution est une garantie qu'une personne physique ou morale met à la disposition du bailleur, pour couvrir les éventuelles dettes locatives ou réparations après état des lieux de sortie du local. Il ressort du décret 2023-382 du 24 février 2023 relatif à la baisse des loyers que cette caution est fixée à l'équivalent de deux mois de loyer, dont un payable à l'entrée, l'autre progressivement. “Le montant de la caution à verser d'avance, à titre de garantie, ne peut excéder une somme équivalente à deux mois de loyer pour les baux dont les montants sont inférieurs ou égaux à 500 000 F CFA par mois. Toutefois, seul l'équivalent d'un mois est payable à l'entrée en jouissance. Le reliquat de la caution est étalé sur la location mensuelle pendant douze mois en raison de 1/12e par mois”, précise le texte rappelé par M. Kane.
Le terme caution est aussi bien connu en droit des sûretés. Mais dans ce domaine, la signification est totalement différente. En effet, il résulte de l'article 13 de l'acte uniforme (Ohada) portant organisation des sûretés, que : la caution est la personne qui s'engage, dans le contrat de cautionnement, à payer en cas de défaillance du débiteur principal. Quant au cautionnement, il s'agit “d'un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui l’accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même”.
Juriste consultant, Amadou Khomeiny Camara tient à préciser qu'en droit des sûretés, le cautionnement fait toujours intervenir un tiers, qui s'engage à payer à la place du débiteur en cas de défaillance de ce dernier.
Ce qu'il faut dire dans le cadre des procédures judiciaires en cours
En matière pénale, pour ce qui est du cautionnement, il faudrait s'intéresser plutôt aux articles 133 et suivants du Code de procédure pénale qui prévoit ce concept et en détermine les conditions. Selon l'article 133, la mise en liberté provisoire, dans tous les cas où elle n’est pas de droit, peut être subordonnée à l’obligation de fournir un cautionnement. Ce cautionnement, au terme de la disposition précitée, garantit, d'une part, “la représentation de l’inculpé, du prévenu ou de l’accusé à tous les actes de la procédure et pour l’exécution du jugement ou de l’arrêt” ; d'autre part, le paiement des sommes dues dans un ordre bien fixé par la loi. Il s'agit, d'abord, des frais avancés par la partie civile ; de ceux faits par la partie publique ; ensuite des amendes et enfin des restitutions et dommages-intérêts.
Lors de la conférence de presse du parquet, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dakar est revenu sur les cautionnements en ce qui concerne les procédures en instance. “Le cautionnement, soutient-il, c'est une sûreté, une garantie qui permet au juge d'instruction, dans le cadre de ces procédures, de préserver les intérêts de l'État”. Ce qu'il faudrait savoir, ajoute-t-il, c'est “qu'autant le cautionnement permet à la personne qui offre d'y recourir “la possibilité d'obtenir la liberté provisoire, autant il permet à l'État de voir ses intérêts saufs, parce qu'il n'aura pas besoin de subir les lourdeurs d'une procédure d'exécution, en cas de condamnation”.
Contrairement au cautionnement en droit des sûretés qui peut être fait au moyen d'un bien en nature, en matière pénale, le cautionnement est obligatoirement en espèces. C'est ce qui résulte de l'article 134 du Code de procédure pénale qui dispose : “Dans le cas où la liberté provisoire aura été subordonnée au cautionnement, il sera fourni en espèces soit par un tiers, soit par l’inculpé, le prévenu ou l’accusé et le montant en sera, suivant la nature de l’affaire déterminée par le juge d’instruction, le tribunal ou la cour. Il est versé entre les mains du receveur de l’Enregistrement, pour être déposé sans délai au compte des dépôts judiciaires et assimilés ouvert au nom du receveur général du Trésor à la BCEAO.”
Le cautionnement n'est pas non plus la consignation
Le cautionnement est aussi à distinguer de la consignation, même si tous les deux mécanismes peuvent se présenter comme des formes de garantie. En ce qui concerne la consignation, elle est surtout connue comme provision visant à couvrir les frais de procédure, dans le cadre notamment d'une plainte avec constitution de partie civile.
Selon l'article 79, “la partie civile qui met en mouvement l’action publique doit, si elle n’a obtenu l’assistance judiciaire, et sous peine de non-recevabilité de sa plainte, consigner la somme présumée nécessaire pour les frais de la procédure. Cette somme est fixée par ordonnance du juge d’instruction. Le versement en est effectué entre les mains du receveur de l’Enregistrement”, précise le Code de procédure pénale.
D'ailleurs, certains juristes persistent à dire qu'il aurait été plus judicieux de parler de consignation que de cautionnement dans le cadre des articles 133 et suivants du Code de procédure pénale. Ils renvoient au lexique des termes juridiques qui définit la consignation comme suit : “Dépôts d'espèces, de valeurs ou d'objets entre les mains d'une tierce personne à charge pour elle de les remettre à qui de droit.”
Il en est ainsi, selon la source, “du plaideur qui dépose au greffe de la juridiction la somme nécessaire à la couverture des frais et vacations de l'expert”. Le texte donne également en exemple “le débiteur qui se heurte au refus du créancier de recevoir le paiement et qui s'acquitte en déposant son dû à la Caisse des dépôts et consignations”.
Pourquoi privilégier le cautionnement ?
Selon le procureur Ibrahima Ndoye, c'est la loi qui offre la possibilité à toute personne inculpée pour des chefs d'incrimination comme les détournements, escroqueries et soustractions sur les deniers publics de solliciter son éligibilité à cette mesure de libération provisoire. Et, dans certains cas, la loi met même la priorité sur ce mécanisme. Ce qui semble être le cas dans les procédures en cours devant le parquet du TGI.
Par ailleurs, il convient de préciser que le cautionnement n'est pas le seul moyen pour bénéficier de la libération provisoire. Aux termes de l'article 140 du CPP, la personne poursuivie dans le cadre des procédures sus-indiquées dans les conditions suivantes : la première condition, c'est de rembourser si les faits sont clairs et assumés ; la deuxième, c'est dans le cas où son état ne lui permet pas de faire face aux rigueurs de la détention carcérale, même en milieu hospitalier ; la troisième, c'est de faire valoir des contestations suffisamment articulées pour recouper les contours de contestations sérieuses. “Au-delà de ces cas de figure, l'autre option, c'est d'offrir de cautionner”, avait précisé le procureur Ndoye.