LA TERRE NE MENT PAS, LE TERRAIN NON PLUS

Deux événements fantastiques, survenus ce weekend, viennent rappeler qu’on ne se décrète pas pays de football. Que ce label est le fruit d’une œuvre de construction dont les fondamentaux ne trahissent jamais. Autant la terre ne ment pas, autant ce qu’on sème sur les terrains de foot avec la foi du paysan, qui ne confond ni les saisons ni les cycles de vie, qui ne sème pas à tout vent et qui, plutôt que de succomber à la folie des organismes génétiquement modifiés, cherche à produire dans le respect des lois de la nature, cette foi du paysan donc finit toujours par remplir les greniers. Les temps de disette ne sont que des épreuves passagères, les sillons fertiles arrivent toujours par produire les graines et les fruits du bonheur.
Il en est donc de la terre comme du terrain.
Ces deux événements sublimes, qui renvoient aux fondamentaux de la production footballistique, c’est, d’une part, le quatrième titre de champion du monde des cadets (U17) remporté par le Nigeria, d’autre part, le huitième titre de champion d’Afrique des clubs décroché par le National (Al Ahly) du Caire. Chacun de ces succès est porteur de vérités qui confortent dans le fait que les raccourcis faciles en sport ne sont que des trahisons dans la quête d’un idéal pérenne.
Regardez les quatre titres du Nigeria - mieux que les trois titres du Brésil, mieux que pour n’importe quelle équipe au monde. Ils s’égrènent dans une cadence qui montre qu’ils ne tiennent ni de la chance ni du hasard, encore moins de la faiblesse des autres.
Ce qui se passe du côté de Lagos se présente comme une succession de cycles générationnels qui se construisent pour aller jusqu’au bout d’un processus bien inséré dans un cadre logique. Quand des résultats tiennent dans une telle cohérence, on ne peut que s’incliner de bonne foi. D’autant plus qu’avec les contrôles médicaux actuels, il n’est plus possible d’aligner des barbus chez les cadets.
Après le premier titre décroché en 1985 par les cadets nigérians, huit ans avaient suffi pour mettre dans l’ascenseur la génération suivante et la porter sur les cimes mondiales en 1993. Retour en laboratoire et cela prit cette fois quatorze ans pour que l’heureux aboutissement survienne en 2007.
C’est vrai que les accouchements ne sont pas toujours faciles et que les fausses couches font partie de la difficile aventure. Mais là encore, comme avec une mécanique bien rodée, les Nigérians ont remis six ans pour enfanter d’une nouvelle génération dorée, sacrée vendredi dernier.
On peut dire que dans un pays de plus de 200 millions d’habitants, riche de son pétrole (autant qu’il est pauvre de l’inégale répartition de ses richesses), le football nigérian peut puiser dans un bassin phénoménal. Mais on sait que l’abondance n’est pas une règle d’or pour la félicité. Un travail important se fait au Nigeria dans la petite catégorie (autant qu’au Ghana), qu’il importe de saluer et d’observer de plus près.
Cela porte aussi à s’étonner de la déperdition qui se crée entre la base et le sommet. Car, quatre fois champion du monde en U17, le Nigeria ne l’a jamais été en U20, même avec deux finales. Tout comme, dans toute leur fabuleuse histoire footballistique, les «Super Eagles» n’ont été champions d’Afrique qu’en 1980, 1994 et 2013.
En Ligue des champions également, seul Enyimba a eu à être sacré en 2003 et en 2004, même si de grands clubs comme Enugu Rangers, Shooting Stars et Iwanyawu ont eu à marquer le football africain.
Il y a donc comme une rupture qui s’opère, dans la chaîne de valeurs et les repères, quand les «Golden Eaglets» sortent du nid. Et surtout quand ils commencent à s’égayer dans le très haut niveau du monde professionnel. Il faut penser que quand la chaîne de continuité s’établira de façon harmonieuse dans ce pays au potentiel fabuleux, il y aura de quoi faire trembler le monde.
Le second motif d’émerveillement est dans la vitalité du football égyptien. En février 2012, il portait le deuil de 73 morts, suite aux violents dérapages ayant ponctué un match El Masry-Al Ahly. Prisonnier de la politique dans un pays où les dictatures militaires et islamistes se jouent des volontés et des espoirs d’un peuple trahi dans sa révolution, il semblait devoir subir pour longtemps les affres de sa mise sous état d’urgence.
Avec l’humiliation subie pour les «Pharaons» il y a trois semaines à Kumasi, avec une défaite par 6-1 devant le Ghana, il y avait de quoi entonner l’oraison funèbre. On la prédisait déjà après les victoires successives en Can en 2006, 2008 et 2010, avec une génération arrivant en fin de cycle. Ses éliminations dans les phases de qualification en 2012 et en 2013 semblaient la confirmer. Mais voilà que dans un pays où on ne joue plus en championnat depuis un an, et où la Coupe nationale se disputent à huis clos, Al Ahly se fait sacrer champion d’Afrique.
Le 16 novembre, ils seront onze éléments de ce club à tenter l’impensable remontée contre le Ghana, pour une qualification au Mondial. Dans un stade cairote enflammé, les Ghanéens vont sans doute souffrir. L’Egypte a de quoi continuer à croire en elle.