LE CIMETIÈRE DES ILLUSIONS

Dans la spirale de l’échec, l’enfermement est le pire des pièges. Au fur et à mesure que s’accumulent les éliminations des petites catégories du football sénégalais, les limites ne s’expriment pas uniquement dans la méthode.
Elles se manifestent dans les discours. Un laïus qui, d’ailleurs, de plus en plus, n’explique plus. Il justifie. On fait les mêmes constats d’échec, on sort les mêmes mots pour les valider et on enchaine sur les mêmes pirouettes pour faire comprendre que la vie continue. Sauf qu’il n’y avait pas de vie.
Les U17 n’iront pas au Niger pour la Can-2015 et les raisons avancées ne sortent pas des sentiers battus. Comme un disque rayé, on ressort le déficit de moyens comme facteur de mauvaise préparation. Certes.
Ensuite, on se donne bonne contenance en évoquant des gosses qui n’ont pas démérité. On ne peut dire moins. On s’accroche enfin à la bouée de survie en se disant qu’on tient une bonne équipe qui, demain, pourra donner des satisfactions. Sauf qu’il n’y a pas de lendemain.
L’échec n’est pas une fatalité. C’est sur le chemin des ambitions et de la quête du meilleur qu’il vous tend parfois son piège fatal. Dans le meilleur des cas, on en tire des leçons et on cherche à faire reculer cette frontière vous a signifié vos limites.
Le pire, quand on perd, est de continuer à se perdre. A s’enfermer dans le même périmètre de l’impossible ou de l’incompétence. A cultiver cette sorte d’entrain à cumuler les désillusions. A créer un état d’esprit qui vous enferme dans la logique des glorieux perdants, ceux-là qui pensent qu’ils peuvent, mais n’ont pas pu, qui rêvent de mieux alors que leurs capacités ont tout simplement été épuisées.
On peut échouer, échouer encore. C’est le propre de ceux qui se forcent à avancer. Sauf qu’à la longue le constat de carence s’impose.
Qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas la connaissance des paramètres de succès qui fonde le résultat. C’est par la maitrise des facteurs de réussite qu’on donne à un projet une dynamique féconde. Et l’idée de responsabilité rejoint, chez l’impétrant, l’exigence de réunir ces facteurs pour s’engager dans le processus créatif qui mène au succès.
On peut ne pas être responsable d’une situation donnée, quand les «moyens ne suivent pas». Mais à continuer de gérer les conditions de médiocrité on devient comptable de la déchéance qui s’installe. Quand l’échec ne génère des conditions de progrès et qu’on se complait dans les sentiers battus, on devient un élément du problème et non plus le déclencheur de solution.
Là où l’Etat est responsable de la précarisation et parfois de la clochardisation des équipes nationales, l’environnement sportif est coupable d’avaliser les piètres représentations que le force à assumer en portant le discours de la défaite comme un collier de condamné qu’on se passe d’un sélectionneur à un autre.
Il faut sortir le foot de ce sens giratoire de l’échec qui, à force de faire tourner en rond, crée un petit monde où le bonnet d’âne passe d’une tête à l’autre. Il faut que soient posés des défis autres que ceux de l’impossible. Sinon on installe un effet pernicieux.
Car on est arrivé à un point où l’échec n’est plus un traumatisme, mais une donnée existentielle. Ni honte ni sentiment de culpabilité, tout juste une logique. Quand on essuie des plâtres, c’est pour attendre la prochaine couche.
Ce qui est dangereux pour les techniciens sénégalais, à se laisser enfermer dans cette spirale de l’infertilité, c’est d’en arriver à perdre toute capacité à penser dans le sens du nouveau. Englué dans la boue de la débrouille, prisonnier du colmatage, enfermé dans un cadre qui configure la préhistoire de la performance, il est à craindre que leur savoir, qui devrait tendre vers la recherche du post-modernisme, ou au moins accompagner le mouvement qui se crée, ne serve à gérer le non-sens et l’irrationnel. A s’atrophier.
On a mille raisons d’échouer dans ce pays. Tous secteurs confondus. Un peu partout, l’excellence se cherche dans la facilité, le succès est dans la triche et l’intelligence embarrasse. On s’enfonce dans un néant en pensant que le verbe suffit comme bouée pour rester sur les flots de l’illusion.
Quand on échoue, on trouve facile de s’accrocher à l’argument «pas de chance». Sauf que la chance, au contraire du hasard, on la provoque. La chance accompagne le talent et récompense le mérite qui découle du travail bien fait. Les mauvais résultats qu’accumule le sport sénégalais ne tiennent pas d’un manque de chance. C’est surtout le hasard qui, souvent, ne veut pas qu’on gagne.
Echouer, s’enliser, ne même plus avoir un socle valable sur lequel prendre appui pour rebondir… c’est comme quand on tombe dans du sable mouvant : plus on s’agite, plus on s’enfonce. Ce monstre qui aspire le foot, c’est l’Etat qui le crée, mais les administratifs et les techniciens le font vivre. Si les premiers ont la fuite en avant facile, aux autres d’avoir le courage des ruptures.
Mais peut-être que le dictionnaire de l’échec n’a pas encore été épuisé.