LES AIGREFINS DE LA FAMILLE SPORTIVE
Dans le monde du sport comme ailleurs, les biens mal acquis relèvent le plus souvent d’une criminalité financière de haut vol

Plus on est riche, plus il semble qu’on soit en conflit potentiel avec la morale.
Dans le monde du sport comme ailleurs, les biens mal acquis relèvent le plus souvent d’une criminalité financière de haut vol.
Ainsi, ce sont les comptes bancaires les plus replets qui cherchent encore à se gaver de soupe infecte.
Et si les scandales se multiplient, entre matches truqués, allocation de compétitions arrangées, dopages et tricheries, ce n’est pas seulement que le sport est malade, mais que le sportif lui-même s’est enfermé dans une logique infernale.
Uli Hoeness qui fraude le fisc allemand pour se retrouver avec trois ans et demi de prison, Lionel Messi qui voit son père jouer avec sa fiche d’impôts jusqu’à l’entraîner dans des tourments avec la justice espagnole, etc., il y a tout pour rappeler que dans les années 1980, Maradona commençait déjà à jouer au mafioso napolitain avec le fisc italien. Et que dans les années 1990 Tapie organisait la corruption dans les vestiaires. On peut remonter plus loin.
Pour se donner bonne conscience et trouver une parcelle de sauvegarde à l’éthique sportive, on se dira qu’Hoeness est tombé, mais que le Bayern est toujours debout, que le club bavarois reste indemne dans ce scandale qui ne concerne que les affaires de son président.
Idem quand on pense aux turpitudes du pater de Messi, qui a sali son fils sans rien écorner du prestige du Barça. On n’oubliera pas pour autant qu’Andre Rosell n’a pas survécu au micmac ayant entouré le transfert de Neymar.
L’innocence du sport, attachée à des vertus qu’on pense cardinales, n’est plus pour faire le meilleur des hommes. Ce qui reste de la morale des stades, dans un monde où la logique financière détermine l’esprit de compétition et sert d’étalon à la performance, ne suffit pas tant que ça à faire du sport une école de la vie.
Avec les dérives qui secouent l’édifice de l’intérieur, touchant les instances les plus emblématiques que sont le Cio et la Fifa, avec les parfums de magouilles, de corruptions, de concussion et de dessous-de-table qui volent haut, il n’est pas étonnant que ce qui pourrit de l’intérieur finisse par sortir de son vase incubateur et se répande ailleurs. On ne triche plus seulement dans le sport ; le sportif cherche aussi à flibustier ailleurs.
On se dira tant pis en pensant que le mal n’est pas interne. Mais le fait est que les emblèmes de la famille se ternissent et portent atteinte à la représentation qu’ils sont censés magnifier.
Les trois ans de prison infligés au président du Bayern auront du mal à s’effacer devant le palmarès qu’il s’est bâti dans la linéarité d’une carrière époustouflante, perpétuée par la stature d’un dirigeant pilotant une des plus grosses puissances footballistiques au monde.
Accepter le verdict plutôt que de s’engager dans une procédure de contestation est, de sa part, une intelligente manière de fermer la page. La victime se soumettant, les médias passeront vite à autre chose. La faute acceptée et transformée en erreur, le repentir devient un élément de synthèse qui conforte la sympathie ambiante.
Le défi, pour le président du Bayern, c’est qu’on puisse penser à Uli Hoeness demain, sans avoir à l’esprit toutes ces idées qui s’imposent quand le nom de Bernard Tapie s’invite à la table.
Il est difficile que la folie financière qui s’empare du sport ne fasse pas le lit de ces tentations qui pourrissent le milieu et pervertissent les hommes. Peut-être même que les premiers aigrefins de la famille sportive remontent à l’Antiquité grecque et à la Rome impériale.
Sur l’Olympe, les vainqueurs ne se suffisaient pas de la seule couronne de feuilles qui était signe de gloire. Au Colisée non plus, le salut auguste de César ne suffisait pas à la peine du gladiateur. Les dieux des stades grecs et des arènes romaines savaient compter en drachmes et en ses terces.
Si on pense aussi que l’origine ouvrière du football dans l’Angleterre du XVIIIe siècle et son identité de classe suffisent encore à l’enrober de son innocence, on peut continuer à vivre dans sa bulle.
Pendant ce temps, les autres comptent ce qui s’investit sur les pelouses et ce que rapportent les ficelles qui se tissent autour.
Le système a d’ailleurs atteint une dimension telle que faute d’assumer l’hérésie de la financiarisation du sport, une complicité convenue est devenue la norme de ce qui se tracte et se contracte.
Ainsi, quand on connaît les gains (coûts de transferts, d’organisation, de droits de télé, etc.), on ne sait presque jamais rien des gains.
Ceux qui comprennent désormais qu’ils font tourner la machine à sous du sport, se refusent d’être les dindons de la farce. Que ce soit avec leur agent, leur banquier, conseiller fiscal ou leur père, ils ont de quoi se lancer dans la curée.
C’est quand on finit par se rendre compte que la corde qui va au fond du puits a fini par pendre un indélicat, qu’on s’étonne sur ce qu’est devenu l’idéal de pureté du sport, mais aussi du sportif.
Mais après tout, quand on écrit "dieu du stade" avec un "d" minuscule, on sait bien combien est fragile la dimension de l’être.