''NOUS COMPTONS DEVENIR LA 3E FORCE POLITIQUE''
Haïdar El Ali, président des écologistes du Sénégal ancien ministre de la Pêche

Dans cette interview exclusive avec www.SenePlus.Com, Ali El Haïdar, le secrétaire général de la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal (FDES), prédit la montée en puissance des Verts pour devenir la troisième force politique du Sénégal. Et ce, en dépit des moyens limités du parti.
Ancien ministre de la Pêche, Haïdar se prononce également sur le nouveau code la pêche ainsi que sur les diverses menaces environnementales qui pèsent sur le pays du fait du changement climatique et, surtout, de l’action de l’homme devenu «éco-prédateur».
Ali Haidar, le nouveau code de la pêche a été adopté avec des modifications notables, notamment en ce qui concerne les sanctions contre la pêche illégale. Les bateaux étrangers payeront désormais entre 500 millions et 1 milliard de francs Cfa d’amende. Comment appréciez-vous cette mesure en tant qu’ancien ministre de la Pêche ?
Pour certaine partie de la loi, j’apprécie hautement parce que lorsque j’étais ministre de la Pêche j’avais porté ce projet. Je suis assez content que ce projet ait pu enfin aboutir à l’image de loi du ministère de l’Environnement qui interdit l’utilisation des sacs plastiques. Ce sont des actes majeurs. Le point le plus important à mon sens, c’est la notion de «taille marchande». Au Sénégal, avant, on pouvait pêcher des mérous qui font 20 cm, des petits poissons qui n’ont pas atteint leur maturation sexuelle et qui ne se sont pas reproduits, la sardinelle (Yaboye), qui représente la sécurité alimentaire parce que presque 70% du débarquement de nos pêches, sont composés de la sardinelle : avant on pouvait les pêcher à 12 cm, nous avions proposé 18 cm avec l’avis des scientifiques car il faut que le poisson ait pu se reproduire au moins une fois avant d’être pêché.
Sur la sanction dont vous parlez, avant sur l’ancien code, on pouvait sanctionner un bateau qui pouvait capter 3000 tonnes de poissons avec une valeur marchande de près de 3 milliards de francs. On pouvait le sanctionner à hauteur de 400 millions maximum s’il était récidiviste et 200 millions si c’était sa première infraction. C’était quasiment une autorisation à aller pêcher illégalement. Nous avons ramené cette amande à 1 milliard et avec une possibilité de saisir le navire parce que dans l’ancienne loi, on ne pouvait pas saisir le navire, ni emprisonner le capitaine, alors que dans les pays de la sous-région, c’est effectivement ça qui se fait. Nous nous sommes donc adaptés. Avant, il était interdit d’utiliser le monofilament en nylon, mais on pouvait le détenir, le vendre, l’importer. Dans la nouvelle loi, c’est interdit de l’utiliser mais aussi de le commercialiser. Ce sont des améliorations très importantes pour la durabilité de l’exploitation et pour notre économie nationale. Je rappelle que la pêche c’est près de 200 milliards de francs Cfa comme recette soit près de 12% de notre PIB. C’est un secteur économique très important. C’est 600 000 emplois.
Ces mesures sont-elles suffisantes pour combattre efficacement la pêche illégale ?
Je pense honnêtement que cela ne suffit pas. Il faut une volonté politique très forte, une administration déterminée et c’est ça qui fait souvent défaut. J’ai l’impression que beaucoup de nos compatriotes n’aiment pas le pays. Je le dis avec toute la sincérité du monde parce que quand on aime son pays, on veut le porter avec des valeurs : comme ne pas être corruptible, avoir une vision politique sur le long terme. C’est très important. Il faut une volonté politique très importante pour éradiquer ces fléaux, mais la surveillance seulement ne suffit pas. La somme de tous les engagements est la solution. Vous voyez cette année, il ne pleut pas. Les paysans sont dans le désarroi. Pourtant tous les jours, c’est 50 camions de bois et de charbon qui circulent frauduleusement, tirés de notre forêt. Si on ne fait rien la ressource va disparaître. C’est pour cette raison que je dis que la surveillance seulement ne suffit pas, les lois seulement ne suffisent pas. Encore faut-il un engagement très fort de la population et cela passe par l’éducation.
Avez-vous noté une rupture dans la politique environnementale nationale depuis l’avènement de Macky Sall en 2012 ?
Je vois que le président de la République, Macky Sall, est très déterminé parce que dans ses discours, il est très engagé pour l’environnement, mais le secteur ministériel ne suit pas. Je peux donner des chiffres. Lorsque je suis arrivé au ministère de l’Environnement les statistiques indiquaient 50 camions de bois de 30 tonnes qui passaient par le poste de contrôle de Kaffrine en moyenne. Je l’ai ramené à 15. Ce qui est la norme, ce que nos scientifiques indiquent qu’on peut prélever de la forêt. Mais quand j’ai été remplacé, on est passé à 60 camions parfois.
Il y a donc eu un recul dans le domaine de la protection de la forêt depuis votre départ du gouvernement ?
Je crois que c’est au niveau de l’administration des Eaux et Forêt, il y a des fonctionnaires véreux. Je pense qu’il n’y a pas de volonté, je ne dirais pas politique, mais en tout cas, le trafic qui se passe à ce niveau est grave. Toutefois, récemment j’ai vu que le ministère des Forces armées et le ministre de l’Environnement s’étaient alliés pour résoudre ce fléau. Je suis convaincu que c’est la volonté du chef de l’Etat. Parce qu’il sait bien que la ressource est en train de disparaître. Il y va de notre survie parce que quand vous voyez 60 millions de déplacés, beaucoup d’entre eux n’ont plus accès à la ressource qui est pillée soit par les multinationales ou les trafiquants véreux. Comme ils n’ont pas accès à la ressource ils vont chercher le soleil en Europe. Les questions majeures- puisqu’elles font vivre- que sont l’environnement, l’élevage, l’agriculture, l’exploitation de nos ressources, la pêche doivent être réellement prises en compte. En matière de pollution, le bradage de la corniche de Dakar est un souci et le lit du fleuve à Saint-Louis laisse à désirer… Au niveau de la santé publique, la pollution des véhicules, de certaines usines qui ne prennent même pas en compte ces questions, est très importante. Il suffit de voir à Dakar les pots d’échappement des camions, des «Ndiaga Ndiaye», des «cars rapides» qui ont 60 ans, combien ils polluent l’environnement ! Il y a un sérieux problème de santé publique et ensuite la pollution visuelle. J’ose espérer qu’avec l’application de la loi sur le sac plastique, ça va disparaitre de notre paysage. Sur le littoral vous avez raison parce que nos plages sont polluées. Il suffit d’aller à Joal, à Mbour, Saint-Louis ou à Dakar et vous verrez que c’est vraiment un spectacle très agressif. Maintenant, ça me ramène au volet éducation car j’ai toujours dit que les capitales et les villages ne sont pas sales. Ce sont les gens qui y résident, qui sont désorganisés et pas éduqués, qui sont sales. Très souvent dans la circulation, vous voyez quelqu’un boire sa canette et la jeter dehors.
Comment se porte le FDES, votre formation politique. Peut-on dire que vous êtes toujours membres de Benno bokk yakaar (BBY) ?
Je pense qu’à toute élection, il y a des accords au niveau des partis. Un accord BBY ou celui dans lequel j’étais avant, Benno Ak Tanor, n’existe que pour une échéance politique. Quand cette échéance est passée, il faut d’autres accords. Notre formation politique travaille à la base à se massifier. Nous comptons devenir à courte échéance, peut être lors des prochaines législatives ou les prochaines présidentielles, la troisième force politique du Sénégal. L’écologie est en train de s’émanciper, il y a énormément de sympathisants. Et quand je vois l’Apr, qui est le parti au pouvoir, ou le Parti socialiste, qui est un ancien parti organisé et structuré, je me dis que ce sont les deux forces politiques qui sont devant nous. Au niveau politique, je pense que nous avons un bel avenir devant nous. Les adhésions sont très importantes. Maintenant vous savez très bien qu’un parti a besoin de moyens. C’est ce nerf de la guerre qui nous fait défaut.
Où comptez-vous trouver les financements nécessaires ?
Le monde entier prend conscience du dérèglement climatique. Les écologistes de par le monde, tirent la sonnette d’alarme. Il va avoir beaucoup de pays qui vont être rayés de la carte du fait de la montée des océans. La planète est dans une tourmente climatique telle que les déplacements vont être de plus en plus nombreux, les dérèglements pluviométriques seront de plus en plus graves. Il ne faut pas croire que parce qu’on a la volonté, on va changer les choses. Ça va se faire dans le temps. Après Copenhague, Kyoto, Paris, les grands de ce monde vont encore se retrouver pour théoriser autour de l’inaction car ils ne font rien. Lorsqu’une multinationale veut s’installer, elle vient avec des mallettes, elle corrompt qui elle veut. Puis elle a toutes les autorisations du monde et quand vous voulez restaurer l’environnement, vous êtes obligés de quémander et de tendre la main alors que c’est un devoir et un droit. C’est notre présent qui est menacé et non notre avenir. L’homme aujourd’hui prend conscience qu’il est éco-acteur du changement climatique alors qu’en réalité il est éco-prédateur. Lorsqu’il prendra conscience de cela, il sera devenu éco-survivant. Au lieu d’attendre, la solution c’est nous. Concentrons-nous sur la solution.