PINIANG : JEUX DE COULEURS ENTRE EVOLUTION ET REVOLUTION
EXPO «URBAN MYSTIC» A LA GALERIE ARTE

Trois artistes exposent en ce moment dans le tout nouvel espace de la galerie Arte, là-bas sur l’avenue Abdoulaye Fadiga. «Urban Mystic», c’est l’intitulé de cette exposition qui s’y tient jusqu’au 15 septembre prochain, rassemble deux artistes béninois, Dominique Zinkpè et Kifouli Dossou, en plus de Piniang, un artiste «local». Pape Ibrahima Niang (c’est son nom à l’état-civil) est sénégalais, mais c’est surtout un «enfant de la ville». Peintre et vidéaste, l’artiste est fasciné par des notions telles que l’évolution, la révolution et le pouvoir.
Entre les artistes et tous ces espaces qui veulent bien servir de refuge à leurs toiles, il finit par se créer des liens, qui naissent parfois d’un coup du sort ou d’un je- ne sais-quoi. Les premiers murs à avoir accueilli le peintre Piniang, Pape Ibrahima Niang à l’état-civil, c’était la galerie Arte. Sa première exposition, il s’en souvient encore, c’était en 2000. Quinze années plus tard, si la galerie vient tout juste de déménager pour s’installer sur l’avenue Abdoulaye Fadiga, il semblerait qu’elle ait choisi d’emmener avec elle quelques-uns de ses artistes-fétiches. Car même si le bâtiment a changé entre-temps, Piniang expose encore pour la galerie de ses débuts, et il y sera encore jusqu’au 15 septembre prochain. L’artiste explique qu’il travaille énormément sur l’urbain. Normal quand on est comme lui «un enfant de la ville». Si l’intitulé de cette exposition joue sur l’hybridité, «Urban Mystic», c’est parce que Piniang n’est pas vraiment seul à occuper les lieux : Dominique Zinkpè et Kifouli Dossou, deux artistes béninois, l’accompagnent dans cette aventure à laquelle ils apportent une touche mystique inspirée «de cultes vaudou», surtout chez Zinkpè.
«Je suis témoin de mon temps», dit Piniang, qui tient énormément à son statut d’«artiste contemporain» quelque peu suspendu à de nombreux points d’interrogation existentiels: quelle place pour l’Afrique dans un monde qui se meut ? Pour Piniang, l’Afrique ne devrait pas se contenter de jouer les seconds rôles ou de n’être qu’un pâle reflet, sorte de «copier-coller d’un modèle occidental» emprunté pour ne pas dire décalé. Ce qu’il dit encore, c’est que nous autres Africains avons plutôt tendance à nous laisser envahir pour ne pas dire submerger par tout ce qui se fait à mille lieues de nos petits et grands pays, quitte à «nous débarrasser de nos propres modes de vie» pour en emprunter d’autres, quand bien même ils ne seraient ni tout à fait adaptés, ni tout à fait conformes .
Et souvent, comme il dit, ce sont des histoires faites de «slogans à la mode», parfois téléchargés: «l’émergence» par exemple. Pour Piniang, il y a quelque chose d’assez «ridicule» dans tout cela. L’autre problème, c’est qu’«on parle d’infrastructures à tout- va», alors qu’il n’y a que très peu de place selon lui pour des questions comme celles de l’eau et de l’électricité. On trouve d’ailleurs de nombreuses piles électriques sur ses toiles, comme autant de piqûres de rappel.
L’artiste est comme qui dirait fasciné par des notions telles que l’évolution ou le pouvoir, et il n’arrête pas de jouer sur les mots, s’amusant à les faire tournoyer dans tous les sens, entre révolution, évolution etc. Son œuvre y fait d’ailleurs de fréquentes allusions graphiques, et les nombreux fœtus qui hantent ses toiles ne sont certainement pas le fruit du hasard.
Certains aspects de son travail feraient presque songer à un bref résumé de certaines théories évolutionnistes. Même si les singes, qui seraient nos ancêtres à nous autres humains, n’existent quasiment pas sur ses toiles. Piniang, qui nous ramène à notre «nature animale», leur préfère les gorilles, sans doute parce qu’ils nous correspondraient…ou alors nous représenteraient-ils davantage : costauds, avides de pouvoir, et plus ou moins frappés d’un cruel «manque d’humanisme». C’est peut-être métaphorique, mais ce n’est pas anodin.
L’artiste, même si ce ne sont pas textuellement ses mots, n’hésite pas à parler de volonté de puissance : nos grosses voitures, nos grosses maisons et leur et mille et une briques, cette sorte de concurrence sociale plus ou moins tacite, c’est assez animal dit-il.
L’immigration clandestine, dit-il encore, n’est d’ailleurs que l’une des conséquences de cette cacophonie, ou de ce conflit entre des riches, et des pauvres à qui l’on ne donne pas forcément «les moyens de s’exprimer» et qui trouvent un peu comme ils peuvent des issues de secours, des passerelles qui donneraient une sorte de légitimité sociale à leur retour au bercail.
PINIANG, PEINTRE ET VIDEASTE : Pas obsédé par «le beau»
Piniang est de ces artistes qui ont du mal à concevoir de pouvoir «peindre pour peindre» : ça ne lui correspond pas vraiment. Son parcours académique commence à l’école des Beaux-arts, où il séjourne entre 1995 et 2009, même si tout petit déjà, il s’amusait «à dessiner sur (ses) protège-cahiers». «On n’apprend pas vraiment à être artiste, dit-il, c’est surtout l’école qui vous révèle (…) vous oriente, vous canalise, vous enseigne un peu comment vous positionner en fonction des courants artistiques.»
Piniang est du genre «spontané» comme il dit, et il ne compte pas le temps que lui prennent ses toiles : «des jours, des mois… », peu importe finalement. Restées trop longtemps en suspens, certaines œuvres finissent parfois par être mises «de côté», isolées parce qu’elles le «tracassent». L’artiste n’est pas vraiment obsédé par «le beau », et ce serait presqu’une injure si ses toiles devaient se retrouver confortablement installées dans un salon, où elles n’auraient pas grand-chose à dire.