VIDEOQUAND LE CONTAN… FÂCHE TOUT LE MONDE !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le CONTAN… fâche tout le monde. Du moins dans le petit univers local des télécommunications, mais pas seulement.
De ce point de vue, on peut dire que le communiqué portant « Appel à candidatures pour la mise en place d’une infrastructure convergente » publié dans la presse par ce Comité national de Pilotage de la Transition de l’Analogique vers le Numérique a mis le feu aux poudres dans le secteur.
Un communiqué perçu comme un casus belli. En voulant mettre en place un réseau de fibre optique, une infrastructure LTE 4G et une autre portant sur la TNT (Télévision numérique terrestre), en voulant s’arroger la gestion des fréquences radio et télé, certains opérateurs de la place estiment que le CONTAN, non seulement outrepasse de très loin sa mission qui devrait se borner uniquement à piloter le passage du Sénégal de l’analogique au numérique, mais encore les dépouillerait de l’essentiel, pour ne pas dire de toutes, leurs prérogatives. Ces opérateurs qui sont déjà vent debout et en ordre de bataille contre la structure dirigée par l’informaticien Amadou Top prétendent même qu’au-delà de ce passage vers le numérique, ce qui intéresse réellement le CONTAN, c’est ce qui viendra après.
Autrement dit, plutôt que de dépérir au lendemain du 17 juin 2015, le CONTAN, ou une société qui prendra son relais sous une autre appellation, sera une véritable compagnie de télécommunications gérant des choses aussi diverses — et aussi stratégiques et rentables ! — que la fibre optique, l’Internet très haut débit 4G, la diffusion des signaux des stations de radios et de télécommunications, les fréquences radios et TV etc. Et plutôt que de disposer de leurs propres infrastructures et réseaux, les sociétés de télécommunications, par exemple, seront obligées de passer par les installations que va construire le CONTAN contre paiement de redevances, bien entendu.
Bref, plutôt que d’être une innocente structure technique s’occupant uniquement de piloter la transition du Sénégal vers le numérique, le CONTAN serait en réalité un monstre, une machine à fabriquer des milliards pour le compte de ses bienheureux dirigeants. Des dirigeants parmi lesquels certains auraient déjà créé dans le plus grand secret une société devant être l’interface local de la puissante compagnie asiatique « Korean Télécommunications » (voir notre article ci-contre). Une affaire de très gros sous, donc, qui va provoquer une bataille homérique et plus âpre que celle qu’avaient mené les compagnies de télécommunications contre l’installation d’une société devant contrôler les appels entrants.
Ces compagnies parmi lesquelles certaines ont déjà déployé leur réseau de 4G qu’elles vont devoir démanteler pour employer les installations de CONTAN, ne sont pas les seules à râler. A l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) aussi ont fourbit les armes. En effet, l’une de ses principales attributions, la gestion des fréquences, risque de lui être retirée pour être confiée au CONTAN si les manœuvres en cours aboutissent. Auquel cas, évidemment, l’Autorité de Régulation ne serait plus qu’une coquille vide.
Or elle est chargée, conformément à l’article 70 du Code des Télécommunications, « de la gestion, de la planification, de l’attribution, de l’assignation et du contrôle du spectre de fréquences radioélectriques, ainsi que des conditions d’utilisation des fréquences. A ce titre, elle assure la gestion et la surveillance du spectre des fréquences relatives aux télécommunications, à la radiodiffusion et à la télévision ». Le tout pour le compte de l’Etat, bien sûr. En parlant de télévision, justement, El Hadj Ndiaye, le patron de la 2STV, ne trouve pas de mots assez durs pour fustiger « la nébulosité » qui entourerait cette transition de l’analogique au numérique au Sénégal. Pour lui, tout cela, « c’est du caca ! » On vous fait grâce du reste…
Quant aux opérateurs d’infrastructures, ils estiment que les dés sont pipés dans la mesure où un déploiement demande au moins quatre mois. Demander donc de faire parvenir une offre dans un délai inférieur à 15 jours, c’est matériellement impossible. Du moins selon eux. Sauf si, bien sûr, un opérateur avait été pré-positionné depuis longtemps, ce qui lui aurait permis de prendre le départ avant tout le monde. Il s’y ajoute que le choix d’un opérateur d’infrastructures est, là aussi, régi par la loi. Surtout s’il s’agit de la mise en œuvre d’une LTE/Fibre optique. Pour pouvoir exploiter une telle infrastructure, il faut être soit un exploitant d’infrastructures alternatives soit un opérateur d’infrastructures. Cette dernière activité est définie par l’article 30 du Code des Télécommunications. Nous ne pouvons résister au plaisir de le reproduire dans ses grandes lignes:
« Des personnes morales, entité, société et/ou organisation enregistrée peuvent bénéficier d’une autorisation d’opérateurs d’infrastructures (…) Cette infrastructure ne doit pas permettre à son titulaire d’offrir des services de télécommunications au public ; elle est uniquement destinée à offrir des capacités à l’Etat, aux opérateurs titulaires de licence et aux fournisseurs de service. L’autorisation d’opérateurs d’infrastructures est un droit attribué par décret portant approbation d’une convention de concession et d’un cahier des charges. La convention de concession est signée entre l’opérateur d’infrastructures et l’Etat représenté par le ministre en charge des Télécommunications et le ministre en charge des Finances ». Tout cela pour dire quoi ? Que le CONTAN entend visiblement se substituer à l’Etat, s’asseoir sur les dispositions du Code des Télécommunications pour choisir lui-même un opérateur d’infrastructures. Du moins selon ses détracteurs !
Quant au ministre en charge des Télécommunications — mais si, mais si il en existe un au Sénégal ! —, il en est réduit à jouer les seconds rôles et à enregistrer les volontés du tout-puissant CONTAN. Dépouillé de ses prérogatives régaliennes alors que dans beaucoup de pays du continent ce sont ses homologues qui gèrent ce processus de transition vers le numérique, M. Cheikh Bamba Dièye est quasiment exclu du jeu. Et tant pis s’il n’est pas content, du moment que le CONTAN, lui, l’est !
Un membre du CONTAN : ''Il n’y a ni délit d’initié, ni dés pipés, ni favoritisme !''
Sous le couvert de l’anonymat, un membre du CONTAN a accepté de nous parler. Naturellement, il dément toutes les accusations portées contre sa structure. ''C’est la compagnie qui remplira les conditions techniques et financières, et qui fera la meilleure offre qui sera choisie à l’issue de l’appel d’offres que nous avons lancé'' rassure notre interlocuteur. A l’en croire, il n’y a ni dés pipés, ni délit d’initiés ni favoritisme puisque le processus, jure-t-il, sera parfaitement transparent. Y a-t-il une société qui serait créée par les dirigeants du Contan en association avec Amadou Diop, mari de l’ancienne patronne de l’Apix, Mme Aminata Niane, d’un autre Amadou Diop, ancien d’Alcatel ? Et ce pour être le répondant local de ''Korean télécommunications'' ?
''Affabulations !'' jure le membre du CONTAN avec qui nous avons discuté. Et d’expliquer : ''Ce Monsieur dont vous parlez (le mari de M. Niane, ndlr) représente en réalité une société sud-africaine qui va soumissionner pour l’appel d’offres que nous avons lancé pour l’opérateur d’infrastructures. Il est présent au Sénégal comme les représentants d’autres sociétés de toutes les régions du monde qui sont intéressés par ce marché''.
Seulement, comme il n’y a jamais de fumée sans feu, notre interlocuteur croit savoir que nos interlocuteurs, faisant preuve de mauvaise foi, évoquent plutôt une société de patrimoine dont le CONTAN a effectivement proposé aux autorités la création… mais dès le 18 juin 2018, au lendemain du basculement au numérique. Explication :
''Il faudra bien qu’il y ait une société qui va gérer les infrastructures qui vont être construites dans la perspective de la transition de l’analogique au numérique. Nous avons donc proposé qu’une société soit effectivement créée dans le capital de laquelle l’Etat détiendra les 35 % des parts. Le reste reviendra aux privés. Dans le numérique, il y a une part de souveraineté très importante et l’Etat ne doit donc pas s’en désintéresser. Au contraire, il doit y garder un œil à travers sa participation. Les investisseurs intéressés pourront souscrire à ce moment-là seulement dans le capital de la société à créer.''
''Korean Télécommunications'' aurai-elle déjà gagné le marché ? ''Absolument faux'' réfute le membre du CONTAN avec qui nous avons parlé. Et d’ajouter : '' Au cours du séminaire que nous avons tenu récemment au Pullman, et qui était ouvert à beaucoup de monde, nous avons effectivement entendu des intervenants sortir le nom de cette société mais, franchement, pour nous, ça s’est arrêté là. De toute façon, au cours de cette même réunion, le président du CONTAN, Babacar Touré, a affirmé haut et fort qu’il s’est toujours refusé à recevoir les représentants des compagnies, les investisseurs et tous les autres lobbyistes gravitant autour de cette affaire. Il n’a été en contact avec personne. Et il n’a pas été démenti.''
Pour ce qui est de la fibre optique, notre interlocuteur confie que l’appel d’offres lancé ne porte pas sur les 1000 kilomètres déjà réalisés par la Sonatel et l’Agence de l’Informatique de l’Etat mais, plutôt, sur 3000 autres kilomètres qui vont venir s’ajouter à l’existant.
Le même souci de ne favoriser personne a aussi guidé les membres du CONTAN en lançant un appel d’offres pour choisir l’opérateur de TNT alors qu’ils auraient pu confier le travail à la RTS qui, en tant que diffuseur historique, a déjà maillé presque 80 % du territoire national. Encore une fois, les infrastructures qui seront réalisées passeront dans l’escarcelle d’une société de patrimoine au lendemain du 17 juin 2015, jure-t-on au CONTAN. On verra à ce moment-là qui seront les actionnaires de cette société !