Quand les sonneries de portables perturbent la solennité des lieux de culte
MOSQUEES, MORGUES, CIMETIERES, EGLISES,...
Ayant introduit la «joignabilité» partout et à tout moment, le téléphone portable sonne aussi à des moments graves et en des lieux où l’on ne devrait pas l’entendre sonner, notamment aux obsèques, dans les lieux de culte et bien d’autres occurrences. Soit on a oublié de l’éteindre en ces occasions-là, soit on le maintient allumé, par désinvolture… Et quand il sonne, il y en a qui ne se gênent pas pour répondre et engager la conversation, s’attirant ainsi des regards désapprobateurs voire le courroux des autres, indignés.
Le téléphone portable, comme l’indique son épithète, on le porte par-devers soi. Quel que soit le lieu, le temps, les circonstances… on l’a toujours à portée de main. Il est mobile avec le propriétaire joignable à tout moment en tous lieux – y compris ceux qu’il ne faut pas où, en tout cas, où il est incongru de répondre au téléphone. Dans les lieux de prières, aux cérémonies mortuaires, il est inconvenant, il est inconvenant d’entendre un téléphone sonner a fortiori de voir et entendre quelqu’un répondre à un appel téléphonique. Ce pour ne pas gêner la méditation des fidèles que, de plus en plus, à l’entrée de certains lieux de culte, un écriteau invite à ceci : «Eteignez votre portable, s’il vous plaît» ou rappelle l’«Interdiction d’user du téléphone»… Mais, les impertinents et les étourdis n’en ont cure de cela.
La cinquantaine bien sonnée, cette personnalité kaolackoise fustige cette inconvenance qu'elle dit de plus en plus «fréquente» et qui, selon elle, montre à quel point certains les Sénégalais sont peu éduqués sur cette certaine question. «Le sujet est intéressant, car les sonneries de téléphone portable perturbent les cérémonies religieuses et même les rencontres administratives de haute portée. Cela devient récurrent et c'est une question qui mérite que l'on en parle», indique-t-il d'emblée. Et témoigne-t-il : «Tout récemment, j'étais à un enterrement quand, en pleine séance, le téléphone d'un monsieur sonna. Moi, personnellement, je pensais qu'il allait l'éteindre, mais j'ai été surpris de constater qu'au lieu de cela, le monsieur s’est permis, non seulement de décrocher, mais d’engager la discussion avec l'appelant». «J'étais sidéré. Et ce jour-là, j'ai compris comment certains Sénégalais, malgré les apparences, sont peu éduqués et ignorent vraiment les règles de bienséance», s’indigne-t-il.
Chauffeur de taxi, Ibrahima Sèye, lui, a son opinion sur la question. Et allant plus loin, il dira «qu’il ne s’agit de rien d'autre que d'un manque de savoir-vivre». Et notre interlocuteur de préciser que «le plus souvent, ce sont de grandes personnes exerçant de hautes responsabilités dans ce pays qui le font. On remarque que les cérémonies importantes sont perturbées tout le temps par les sonneries portables et souvent c'est de la musique ou autres choses qui ne devraient pas être entendues en ces lieux.»
Bousso Seck, elle, la vingtaine, élève en classe de terminale, indique pour sa part que tout cela n'est qu'un phénomène de société qui, si on n'y prend garde, prendra, d'ici quelque temps, des proportions difficiles à maîtriser. «Le phénomène existe et, argumente-t-elle, je pense qu'il est préférable que ceux qui nous dirige, la société toute entière, les religieux… mutualisent leurs forces et prennent des mesures draconiennes pour juguler ce comportement consistant à laisser son téléphone allumer lors de cérémonies où il est inconvenant de l’entendre sonner. Car, pour moi, ce n'est rien d’autre qu'une question d'éducation et de manque de savoir-vivre, mais aussi de laisser-aller au point que tout le monde légitime ses actes et pense que c'est normal.»
Très inspirée, la jeune demoiselle indique que pour elle, il est temps que le Sénégal élabore une réglementation contre les téléphones portables, qui sonnent jusque dans les salles de classes, au volant des véhicules obligeant, parfois, certains conducteurs à s'arrêter au beau milieu de la route pour décrocher s'ils ne le font pas tout simplement en conduisant au risque de causer des accidents. Sa condisciple, Arame Thiam, voit dans ce phénomène un fléau bien sénégalais qu'elle décrit comme le reflet du «voyez-moi» bien sénégalais. Aussi encourage-t-elle l'idée de sa copine en prônant la prise de mesures pour réglementer les pratiques de ce côté-là. Aussi dira-t-elle : «Si les téléphones sonnent et perturbent dans les mosquées et même lors des levées de corps et autres cérémonies, comme si c'était au marché, etc., je pense qu'il y a des problèmes quelque part que seules des mesures fermes et sans équivoques pourraient régler.»
Des mesures pour couper le téléphone dans les tribunaux
Si les sonneries des téléphones perturbent de plus en plus les cérémonies graves, elles ne se font plus entendre dans les tribunaux et même dans le bureau du juge. Et pour cause ! Les hommes de la justice ont adopté des mesures afin que le téléphone ne dérange pas dans les salles d'audiences et autres. Au tribunal régional de Kaolack où nous nous sommes rendu, le premier président, Mamadou Diouf, souligne que l'on ne peut empêcher les gens de suivre la modernité, mais cela devrait se faire dans le strict respect des autres et des lieux. En salle d'audience, par exemple, alors que la vie des personnes en dépend, on ne saurait permettre que les téléphones portables perturbent la solennité des débats et autres.
Le silence et le recueillement doit être de mise. Aussi, nous dira-t-il, si en pleine audience une sonnerie de portable perturbe la salle, «nous lançons un avertissement d'abord en faisant preuve de tolérance. Et si un autre sonne, il n'y aura pas de troisième, car nous serons obligés, dans ce cas, de sévir en confisquant le téléphone ; et son propriétaire devra rester en salle, quelle que soit la durée de l'audience. Ce qui lui donnera largement le temps de méditer sur son attitude et qui servira aussi de leçon aux autres».
Baye Mamoune Niass : «Il faut sensibiliser et éduquer sur cette question»
Baye Mamoune, chef religieux à Médina Baye de Kaolack, lui, voit dans ces sonneries de téléphones mobiles, comme un élément perturbateur du recueillement qui devrait être de mise dans les lieux de culte tels que les mosquées, les cimetières, les églises et autres cérémonies mortuaires. Ainsi, selon Baye Mamoune Niasse, «les fidèles devraient être mieux sensibilisés sur certaines questions ; ils doivent être mieux éduqués. Car, moi, je ne saurais comprendre comment un musulman, qui se réclame comme tel, par exemple, puisse entrer dans un lieu de culte en laissant son téléphone en mode sonnerie, alors qu'il y a d'autres modes comme le vibreur ou le silencieux. Encore que l'idéal serait tout simplement qu'en venant en ce genre d'endroit il est préférable de les éteindre tout court.»
Ensuite, il nous raconte une anecdote : «Un jour, en Arabie Saoudite, en pleine séance de la prière du vendredi, le téléphone d'un fidèle se mit à sonner dérangeant tout le monde au point qu'à la fin de la prière, l'imam a axé son prêche sur cette question, exhortant l'assistance à donner plus de respect et de considération aux maisons de Dieu. Et depuis ce jour, des mesures strictes ont été prises pour éviter que pareille inconvenance ne se reproduise dans cette grande mosquée. La mesure a inspiré d'autres imams. À Médina Baye, les défunts imams Hassan Cissé et Serigne Mamoune Niass avaient entamé des initiatives dans ce sens. Il fut un temps où on installa, dans la grande mosquée de cette cité religieuse, des appareils rendant inopérant les réseaux téléphoniques.» De plus, il dira que «dans la religion musulmane, Dieu interdit formellement aux croyants se trouvant dans les mosquées de parler d'autres choses que de Lui».
Et Baye Mamoune de regretter qu’aujourd'hui, de plus en plus, des individus décrochent et entament même des discussions avec leurs appelants. Pourtant, ajoute le chef religieux, «quand quelqu'un veut dormir ou ne souhaite pas être dérangé pour une raison quelconque, il fait en sorte que son téléphone ne puisse pas le déranger alors que dans ces milieux de recueillement, il perturbe la solennité de ces lieux». «Jaamu Yalla, dafa wara sel», dira-t-il avant de se désoler : «Mais ici, les gens, adorent Dieu, mais, xamuñu nan lañu koy jaamoo» (ils ne savent pas comment adorer Allah). À l’en croire, la sensibilisation doit être faite de ce côté-là, car, souvent, c'est l’ignorance qui pousse certaines personnes à agir maladroitement.