''RESTRUCTURER, RÉNOVER ET MODERNISER POUR AVOIR UN PLATEAU TECHNIQUE RELÉVE''
SAHITE SARR SAMB, DIRECTEUR DE LA COMPAGNIE DU THEATRE DANIEL SORANO

Il a une vue circulaire des problèmes de la culture, eu égard à sa trajectoire entre l’éducation, la formation et la communication. En fait, Sahite Sarr Samb a un cursus académique et professionnel très fourni et assez atypique. Entre une maîtrise en Histoire et Géographie, un diplôme de Troisième Cycle en Sciences de l’information à l’Université Libre de Bruxelles, une formation de conseiller aux Affaires culturelles, l’actuel directeur de Sorano fait son chemin. Aujourd’hui, avec le recul, il a une autre perception de Sorano, avec des approches novatrices qu’il compte mettre en œuvre, afin de trouver des esquisses de solutions aux problèmes. Parmi celles-ci, le cinquantenaire de l’an prochain occupe une place de choix. Un grand rendez-vous en perspective.
Existe-t-il un lien entre le triptyque communicant, formateur et agent du ministère de la Culture ?
Ah oui, il est réel ce lien ! Quand on fait l’archéologie de l’histoire administrative du Sénégal, on se rend compte que le ministère de la Culture, par rapport à ses premiers cadres, était essentiellement composé d’enseignants.
Cela s’explique par le fait que le corps des conseillers culturels, dont je suis membre, n’a été créé qu’en 1978. Dans la réalité, je pense qu’ entre la culture et l’éducation, la frontière n’est pas très nette.
Oui, mais comment faire pour que le binôme culture et formation soit bénéfique à nos populations et, par ricochet, à notre développement ?
Je pense qu’il faut amener la culture à l’école, mais également dans la première place de l’enfant, qu’est le cercle familial. C’est là qu’on donne à l’enfant les fondamentaux. Vous savez, c’est comme le livre.
L’enfant, pour aimer et s’approprier le livre, doit le découvrir dans la cellule familiale, avoir goût à la lecture et plus tard, être un consommateur, pas seulement les livres au programme à l’école, mais les ouvrages en général, comme les bandes dessinées et autres. C’est comme le théâtre. Avant, le théâtre était pratiqué à l’école et c’est là qu’ont émergé les jeunes talents.
Ramener cette culture à l’école oui, mais quel rôle jouera la compagnie Sorano ?
Cette donne existait déjà à Sorano, à l’initiative de certains comédiens. Il faudrait l’accentuer avec des matinées scolaires, ciblant un public jeune. Avec ce projet, on va essayer de trouver ce lien entre école et culture. Il faut amener les enfants au théâtre, comme on devrait également les amener au musée, à la bibliothèque, etc.
L’autre avantage, c’est la possibilité de monter des pièces sur des œuvres au programme. Cela donnera un double intérêt à l’élève : il va allier le ludique du théâtre et la pratique de la classe.
En 2015, on va davantage travailler dans cette perspective, avec un certain nombre d’écrivains, mais également des écoles qui veulent bien nous suivre dans cette nouvelle et enrichissante expérience.
Depuis mai 2014, vous êtes directeur général de Sorano. Quelles marques comptez-vous imprimer à votre magistère à la tête de cette structure ?
Sorano est dans un paradoxe. En fait, cette structure a une longue histoire. C’est un patrimoine, à la fois, matériel (le bâtiment) et immatériel (toutes les œuvres produites, comme les répertoires par les différentes entités). Sorano était la matrice, l’âme et l’esprit de la culture sénégalaise. Ce théâtre est héritier des théâtres du Palais et des ballets africains de l’ancienne fédération du Mali.
Voilà toute cette âme qui nous donne une renommée internationale, un certain label, une expertise artistique et une salle mythique. Malgré cela, nous sommes confrontés à des problèmes.
Les lignes ont bougé dans le milieu de la production et Sorano n’a pas suivi l’évolution. Jusqu’à présent, nous gérons une réalité - voire la culture dans son ensemble - avec un discours des années 1970-80. Les choses vont vite !
Que faire donc pour replacer Sorano sur la bonne voie ?
Il y a des activités de restructuration, de rénovation et de modernisation à faire, pour avoir un plateau technique relevé. Tout talent, même débordant, a besoin, pour éclore, d’être accompagné par une bonne technique. Sorano doit aller vers une création en son et lumière, en utilisant toute la potentialité du numérique. L’autre question : on affirme que la culture n’est pas rentable.
Tant qu’on restera sous la rentabilité à caractère économique, on ne va jamais pouvoir défendre la culture. Elle n’est pas seulement matérielle, loin de là. Elle est un besoin immatériel, qui équivaut à l’appartenance (à une ethnie, à une culture), à la référence à quelqu’un ou à quelque chose.
Ce besoin-là, on ne peut le régler que par la culture, que par les productions artistiques également, particulièrement pour les enfants. S’il n’est pas réglé, on ne pourra pas aller au développement ou à l’émergence. Il faut que l’on sache qui on est et où l’on veut aller. C’est la raison pour laquelle, en culture, la rentabilité est différée.
Aujourd’hui, quelles sont les difficultés auxquelles votre institution fait face ?
Nous avons des difficultés structurelles. La crise est là et les ressources se font rares. Or, la culture a un coût. Le premier intrant de notre travail, c’est l’électricité alors que nous peinons à régler nos factures ; ce qui oblitère considérablement notre budget. L’autre difficulté est liée à l’organisation de Sorano.
Nos produits émanant de l’Ensemble lyrique national, de la Troupe dramatique et du ballet national La Linguère sont figés, du point de vue commercial. Nous n’avons pas une stratégie de marketing, de relations publiques et de communication. Il nous faut essayer de trouver des solutions, car un produit, même très bon, ne sera pas bien vendu sans un bon plan marketing.
Il faudrait aussi diversifier nos offres, qui sont un peu figées. C’est dans ce sens que je pense à la rentabilisation de nos locaux et aussi de notre devanture pour une régie publicitaire. Car la place est assez stratégique. Il nous faut des supports visuels pour mieux présenter nos produits, au niveau national.
Le même effort doit être fait à l’étranger, afin de reprendre nos tournées internationales, surtout avec le ballet La Linguère. Ce qui pourrait permettre, avec des tournées en Amérique du Nord et en Europe surtout dans le Benelux, d’engendrer des ressources additionnelles. Au- delà, il faut que tous les Sénégalais puissent s’y retrouver à travers des tournées décentralisées.
Et cela passera par un partenariat avec les structures publiques, qui ont un certain maillage de l’intérieur du pays, comme l’Education nationale avec son réseau d’universités, l’armée et les corps paramilitaires qui peuvent être demandeur de certaines formes d’animation dans les casernes.
Qu’en est-il du cinquantenaire de Sorano ?
Le grand projet, c’est 2015, pour notre cinquantenaire. En fait, le 16 juillet 1965, Sorano accueillait sa première pièce, « La fille des dieux » d’Abdou Anta Kâ. L’événement était présidé par le président Léopold Sédar Senghor. Pour cette commémoration, nous avons déjà l’accord du ministre de la Culture. Nous souhaitons également mettre cet événement sous le patronage du président de la République et lui donner un caractère sous-régional. Un colloque et une série de rencontres professionnelles sont aussi prévus.
Dans le court terme, nous voudrions être présents dans le XVème sommet de la Francophonie. Déjà, il y a une réflexion autour d’un projet artistique. Nous attendons l’accord des autorités. Par ailleurs, sur le plan structurel, nous projetons d’avoir un plan de développement stratégique sur 5 ans, lequel prendra en compte les aspects liés à la structure, l’équipement, la modernisation du matériel pour une bonne qualité de la production artistique, mais également l’organisation structurelle.
Parmi vos projets, vous envisagez aussi la réhabilitation du Théâtre national Daniel Sorano...
Le bâtiment de Sorano a 50 ans et n’a jamais bénéficié d’une réhabilitation complète. Ce n’est qu’à deux reprises qu’il a fait l’objet d’une petite réhabilitation : dans les années 1990 avec l’Agence d’exécution des travaux d’intérêt public (Agetip) et en 2010, pour préparer le Festival mondial des arts nègres. Dans tous les cas, c’est un édifice qui nécessite une réhabilitation.
Nous avons beaucoup de problèmes par rapport à l’étanchéité, à l’obsolescence de certains équipements, etc. D’ailleurs, ce sont ces problèmes qui expliquent les difficultés que nous avons, pour ce qui est de l’alimentation en énergie. La vétusté des installations augmente la consommation en électricité. Il y a également un problème de sécurité. Nous venons d’avoir le dernier rapport de la Direction de la protection civile. Nous nous attèlerons à régler ces problèmes, mais cela nécessite des moyens.
Que comptez-vous faire pour trouver ces ressources ?
Je pense que l’Etat doit augmenter les moyens de Sorano. Nous avons une subvention de 376 millions de FCfa, et c’est peu pour fonctionner. Avec notre plan de développement stratégique, nous comptons nous engager devant l’Etat, à travers un Contrat de performance. Nous envisageons aussi de chercher des moyens additionnels, en améliorant la qualité de nos productions artistiques, pour les mettre, en perspective, dans une stratégie commerciale.
Nous comptons sur la coopération bilatérale et multilatérale. Il faudrait également reprendre nos relations avec des pays comme la France, le Japon, la communauté française de Belgique, la Turquie...
Lors de la dernière Korité, le Théâtre national Daniel Sorano a offert un spectacle aux Sénégalais. Envisagez-vous de perpétuer cette dynamique ?
C’est ce que nous voulons. C’était un spectacle de présentation d’un Cd, qu’il fallait montrer au public. Dans cette optique, nous envisageons aussi d’avoir un clip, lequel permettra de donner une meilleure visibilité à nos productions. D’ici la fin de l’année, la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano compte offrir un autre spectacle au public sénégalais.
Ce spectacle va essayer de faire une fusion entre les derniers produits que nous avons, à savoir le dernier répertoire de l’Ensemble lyrique et certaines productions comme « Ñoo yem kepp » de la Troupe nationale, ainsi que «Ce qui nous lie » du ballet « La Linguère ».
Pour 2015, nous comptons développer d’autres œuvres, en reprenant par exemple des classiques. Je pense profondément qu’un théâtre doit reprendre toujours ses classiques. « Roméo et Juliette » est toujours joué sur les scènes européennes. Il faut noter que certains classiques ont fait entrer le répertoire sénégalais dans celui de l’Universel.
Dans la même perspective, il sera question, en 2015, de mettre l’accent sur les œuvres des auteurs africains, non Sénégalais. Un théâtre doit être ouvert... Cela permettra de faire circuler ces auteurs dans l’espace africain.
Les questions sociales sont souvent la pomme de discorde entre la direction et les syndicats. Aujourd’hui, dans quelle logique êtes-vous avec les partenaires sociaux ?
Dans l’ensemble, tout se passe bien. J’ai essayé d’instaurer un dialogue social. La commission mixte paritaire, qui se compose du syndicat et des représentants de la direction générale, est un cadre qui permet de poser sur la table tous les problèmes et d’en discuter en toute responsabilité. A Sorano, nous avons un syndicat très responsable et constructif.
Récemment, on a organisé une journée d’études sur la gestion administrative et financière de la structure, avec des représentants de syndicats, afin qu’ils partagent avec nous l’ensemble des problèmes. Cela a été très bénéfique. Le problème le plus sérieux reste celui de l’Ipres, avec un déficit d’organisation et des prélèvements non versés à certains moments. On essaiera de trouver une solution.